Domitien (51-96 apr. J.-C.)

Le « César » qui voulait devenir dieu

Fils de Vespasien et frère de Titus, Domitien est le dernier représentant de la dynastie des Flaviens. C'est l'un des « douze Césars » décrit par l'écrivain Suétone. Le début de son règne fut paisible, avant que Domitien ne devienne autoritaire et ne persécute de nombreux chrétiens. Il fut tué par sa femme, suite à une conjuration...

Pénélope Pélissier

Un magistrat qui vit dans l'ombre de son frère

Buste de Domitien du Ier siècle conservé au LouvreTitus Flavius Domitianus est né à Rome le 24 octobre, en 51 apr. J.-C. C'est le fils cadet de Vespasien, le fondateur de la dynastie des Flaviens, et de Flavia Domitilla. Sa vie fut racontée par Suétone dans la Vie des douze Césars.

Suite au règne mouvementé de Néron, l'Empire romain subit un profond déséquilibre. En une année (69), trois hommes se succèdent à la tête de l'État : Galba, Othon et Vitellius. Alors que Vitellius est au pouvoir, le peuple et l'armée proclament Vespasien empereur. Domitien doit s'enfuir de Rome avec sa famille, suite au siège de la ville par les amis de Vitellius. Vespasien reprend le pouvoir ; Vitellius est capturé par l'armée et battu à mort par le peuple romain. Domitien est proclamé provisoirement césar. L'Etat est stabilisé.

En 70, on le nomme préteur urbain, c'est-à-dire magistrat, puis consul l'année suivante. Domitien vit dans l'ombre de son frère Titus, qui devient chef de l'Etat en 79, à la mort de Vespasien. En septembre 81, à la mort de son frère Titus, Domitien devient empereur. 

Le Palais du Palatin. Photographie de Jean-Pierre Dalbéra.

Domitien le bâtisseur

Domitien contribue au rayonnement architectural de Rome par un premier acte symbolique : la reconstruction, en 81-82, du temple du Capitole, ou temple de Jupiter, où son frère Titus s'était réfugié. Le monument avait été incendié par les partisans de Vitellius ; Domitien réhabilite ainsi sa famille. Le nouveau temple est magnifique : six colonnes corinthiennes en marbre, portes en or, bas-reliefs...

En quête d'une reconnaissance qu'il n'a jamais obtenue de son père, Domitien demande qu'on inscrive son nom sur tous les monuments érigés par sa famille à Rome.

Il s'attèle également à d'ambitieux projets : il demande à son architecte Rabirius d'agrandir le palais du Palatin en 92. Celui-ci réalise une nouvelle extension, la « Domus Augustana ». C'est un succès : elle demeure la résidence officielle des empereurs romains jusqu'à la fin de l'Empire et tombe en ruines au VIème siècle. En parallèle, Domitien se fait construire une résidence impériale à Castel Gandolfo, où séjourne de nos jours le Pape.

Combat de gladiateurs (mirmillons), mosaïque du musée archéologique national de Madrid, IIIè siècle

Domitien crée les Jeux Capitolins

Amateur de sport, l'empereur fait réaliser un stade sur le Champ de Mars, l'actuelle Piazza Navona, afin d'organiser des compétitions. Il s'inspire du modèle des Jeux olympiques pour instituer en 86 un nouveau concours, nommé Agon Capitolinus, les « Jeux Capitolins ». 

Ce concours a lieu tous les quatre ans ; il réunit épreuves d'athlétisme, de musique, d'éloquence et de poésie. Domitien assiste fréquemment aux combats de gladiateurs, aux courses et aux spectacles. Il se montre très généreux, paternel en prodiguant de la nourriture au peuple et aux aristocrates.

De plus, l'empereur se présente comme un dieu, vêtu d'une toge pourpre et d'une couronne de laurier en or. Un culte de la personnalité se construit. Lorsque l'empereur part en voyage, toute sa Cour l'accompagne ; le peuple est là pour l'accueillir. Ce procédé est contraire à toutes les règles de l'Empire romain : normalement, c'est vers le Sénat que doit converger l'admiration du peuple. Le Sénat s'oppose donc à l'empereur.

Pièce de monnaie représentant Domitien DenariusHomme de lettres, Domitien veut faire de Rome une capitale culturelle de premier plan. Il acquiert de beaux ouvrages pour les bibliothèques, ainsi que des reproductions de documents anciens tirés de la bibliothèque d'Alexandrie. L'empereur place sous sa protection des poètes et orateurs, tels son précepteur Stace ou Martial, leur offrant le titre de tribun. Ceux-ci font de nombreuses lectures publiques de leurs oeuvres, et vantent les mérites de l'empereur.

Bien qu'il n'apprécie pas l'art de la guerre, Domitien demande à Agricola de se battre contre les Bretons de 77 à 84 apr. J.-C. En 85, Agricola rentre à Rome ; Domitien fait élever une statue à son effigie. En 87, l'armée romaine quitte la Bretagne.

Domitien remporte également deux victoires contre le peuple des Chattes, en Germanie, en 83 et en 89 apr. J.-C, avec sa « legio i Minervia ». Il construit le  « limes germanicus », soit la frontière de l'Empire romain qui va du Rhin au Danube, et revient à Rome en gloire. On le nomme Germanicus.

La politique guerrière de l'empereur est surtout défensive : en 85, il se bat aux côtés de Cornelius Fuscus contre les Daces qui ont envahi la province de Mésie. Les Daces et leur chef Décébale sont définitivement repoussés de l'autre côté de la frontière en 88. Mais au même moment, la Germanie supérieure s'insurge contre l'empereur.

Face à cette double menace, Domitien se voit contraint de nouer un pacte avec les Daces. Il s'engage à leur verser un tribut chaque année en échange de leur pacifisme. La situation est très mal vécue par les Romains ; aussi, quelques années plus tard l'empereur Trajan se battra contre les Daces...

Après trois années de campagne et l'augmentation du salaire des soldats, ceux-ci respectent durablement Domitien.

Un empereur redouté trahi par les siens

L'année 93 marque un tournant : l'État est à court de ressources financières. Terrassé par la peur et la solitude, Domitien délaisse la politique pour toutes sortes de plaisirs : baignades aux thermes, longs repas et rapports sexuels avec des prostituées.

Statue de Domitien, musée archéologique de Vaison-la-Romaine ; agrandissement : Statue de Domitien empereur, musée du VaticanLe chef de l'Etat devient mégalomane, faisant débuter toutes ses circulaires par la phrase « Notre maître et notre dieu ordonne ce qui suit ». Il demande aux prêtres du temple de Jupiter d'accorcher un médaillon le représentant sur leurs couronnes, et fait réaliser un temple où le dieu Hercule est représenté à son image.

En 89, Lucius Antonius Saturninus, gouverneur de la Germanie supérieure, prend les armes contre Domitien. C'est un échec : les armées de la Germanie inférieure, dirigées par Domitien, les mettent en déroute. L'empereur se charge quant à lui des coupables : il les torture. Les bourreaux coupent les mains de tous les suspects sans exception.

Cette trahison pousse Domitien à la paranoïa. L'empereur charge des romains de dénoncer leurs compatriotes. Il se montre impitoyable envers toute personne soupçonnée de rebellion et confisque ses biens. Il tue un de ses affranchis, Epaphrodite, pour montrer l'exemple. Il envoie en exil des philosophes (Epictète, Dion Chrysostome) et des sénateurs accusés de lèse-majesté. Il fait également brûler des livres. Selon Suétone, l'empereur s'emploie même, durant son temps libre, à s'enfermer tout seul pour tuer des mouches et arracher chacune de leurs ailes.

Domitien dirige la deuxième plus grande persécution de l'Antiquité contre les chrétiens. En 95 l'empereur, jaloux des jeunes enfants de son cousin germain consul Flavien Clemens, prend pour prétexte sa conversion au christianisme pour le tuer et pour envoyer sa femme chrétienne en exil sur l'île de Pandateria.

Le peuple juif est lui aussi la proie de l'ire de Domitien : l'empereur leur impose de payer une taxe spéciale, le « fiscus iudaicus ». Celle-ci existait depuis 73 apr. J.-C. mais la mesure n'était pas ou peu respectée. Les agents du fisc rôdent dans les rues de Rome pour vérifier que tous les citoyens juifs paient cette taxe.

Une vie privée désastreuse

Au niveau conjugal, la situation n'est guère plus reluisante : tandis que Domitien commet un inceste avec sa nièce Julia Flavia, Domitia Longina, son épouse, prend un histrion (un acteur comique) pour amant, Pâris. Fou de rage, l'empereur la répudie, avant de la rappeler auprès de lui pour partager sa couche. Pour se venger, Domitia organise une conjuration contre son mari.

La même année, l'oracle de la Fortune de Préneste confie à Domitien ses visions sombres pour son avenir proche ; l'astrologue Asclétarion renchérit. Domitien fait de nombreuses crises d'angoisse. Le 18 septembre, les haruspices (note) lisent dans les entrailles d'un oiseau sacrifié que l'Empire romain va connaître un changement majeur.

Stephanus, un affranchi intendant du palais au service de Domitia, se présente dans la chambre de l'empereur pour lui lire un message. Soudain, il s'avance vers Domitien et le poignarde. Ce dernier tente de le désarmer et de lui crever les yeux, mais c'est trop tard : d'autres personnes entrent dans la chambre et le frappent. Domitien meurt sous leurs coups. Il est enterré par sa nourrice Phyllis.

Les sénateurs se réjouissent de cette mort. Ils détruisent toute trace de l'empereur : statues, portraits, et effacent son nom des monuments. Pline le Jeune, lui-même sénateur, raconte : « Comme c'était délicieux de briser en morceaux ces visages arrogants, de lever nos épées contre eux, de les couper férocement avec nos haches, comme si le sang et la douleur suivaient nos coups ». Les affranchis se chargent d'instituer un nouvel empereur : Nerva.

Bibliographie

Virginie Girod, La véritable histoire des douze Césars, Perrin, 2019.

Publié ou mis à jour le : 2023-09-20 14:59:01

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