Arrivé au pouvoir en 1985, dans une URSS à bout de souffle, Mikhaïl Gorbatchev tente de redresser le pays par des réformes innovantes, la perestroïka et la glasnost. Homme de conviction et de coeur, il engage une transition démocratique du régime. Il conclut par ailleurs un traité avec les États-Unis sur le désarmement nucléaire.
Mais la fin est proche. Dès 1989, les pays satellites et même les républiques de l'URSS se libèrent de l'emprise de Moscou et regagnent leur souveraineté tandis que les Russes se détournent de leur chef. Celui-ci va laisser le mouvement aller à son terme en empêchant l'Armée rouge et le KGB d'intervenir...
Une ascension fulgurante
Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev est né le 2 mars 1931 à Privolnoye, au nord du Caucase, de parents paysans kolkhoziens.
Adolescent, il aide son père aux champs et s'engage au Komsomol (Union des jeunesses léninistes communistes). Il reçoit l'Ordre du Drapeau rouge du Travail. En 1952, année de son mariage avec Raïssa et de son adhésion au Parti communiste, il déménage à Moscou afin d'étudier le droit dans la prestigieuse université Lomonossov.
Il a à peine 31 ans quand il devient premier secrétaire de sa région de Stavropol en 1962. Avec le soutien de Iouri Andropov, une figure centrale du Parti communiste, il devient en 1978 secrétaire du Comité central du parti, puis membre du Politburo en 1980. Fidèle à ses origines, il s'y présente en défenseur de l'agriculture.
En 1982, à la mort de Brejnev, le dernier « tsar rouge », Andropov (68 ans) prend les rênes de l'URSS. Mais il est malade et meurt au bout d'un an. Il est remplacé par un conservateur, Konstantin Tchernenko (72 ans), qui disparaît deux ans plus tard. Le Comité central n'a plus guère le choix.
Le 11 mars 1985, c'est la consécration pour Gorbatchev (54 ans). Il accède au pouvoir suprême en qualité de secrétaire général du Parti communiste. Deux jours plus tard, il est élu par le Soviet Suprême à la présidence du Praesidium, en fait à la tête du pays.
L'une de ses premières lois, inspirée par son épouse Raïssa dont le frère était ivrogne, concerne la prohibition de l'alcool. Pleine de bonnes intentions, elle va lui valoir une solide impopularité !
Les deux décennies de l'ère brejnevienne ont laissé le pays exsangue. Épuisée par la course aux armements avec les États-Unis du président Reagan, l'URSS est à bout de ressources.
Gorbatchev est conscient de l'urgence de libéraliser l'économie et la politique. Le drame de Tchernobyl (avril 1986) et l'humiliation infligée aux militaires par un jeune Allemand, Matthias Rust (1987) le renforcent dans sa conviction. Conseillé par Alexandre Iakovlev, ancien ambassadeur au Canada, il applique une série de réformes connues sous le nom de perestroïka (littéralement, « reconstruction » en russe).
Parallèlement, il lance la glasnost : une ouverture du pays vers plus de « transparence ». Liberté d'expression, ouverture du débat public, parution de livres auparavant interdits, libération des opposants politiques... Le 16 décembre 1986, le dissident Andrei Sakharov est autorisé à revenir à Moscou. Gorbatchev accompagne toutes ces mesures de l'uskorenie, l'accélération de la croissance économique. Mais en donnant plus d'autonomie aux dirigeants des entreprises d'État, il va les inciter à piller celles-ci.
Un réformateur dépassé par les événements
À l'international, Gorbatchev veut normaliser les relations de l'URSS avec l'Europe occidentale et les États-Unis. Dès décembre 1984, il fait valoir devant les Communes, à Londres, les « intérêts communs à tous les États européens ». Au pouvoir l'année suivante, il appelle de ses voeux une « Maison commune » européenne. Dans son ouvrage Peretroïka (1987), il indique que cette expression constitue une réponse « au caractère artificiel et temporaire de la confrontation entre blocs et à la nature archaïque du Rideau de fer ».
Enfin, en janvier 1986, lors de son traditionnel discours du Nouvel An, Gorbatchev salue les États-Unis. Cette opération de séduction fonctionne à merveille : l'année suivante, le magazine Time élit Gorbatchev « homme de l'année ». Le 8 décembre 1987, après deux années de négociation et plusieurs rencontres, il signe un accord de désarmement avec Ronald Reagan. Les deux pays promettent de se séparer de leurs missiles nucléaires (les SS20 pour l'URSS, Pershing et Cruise pour les États-Unis). Cette volonté se prolonge avec le traité Stuart, où les chefs d'État optent pour une réduction de 30% de leurs armes nucléaires.
L'URSS signe par ailleurs un traité de paix avec l'Afghanistan et retire ses troupes du pays le 15 mai 1988. Elle retire son aide aux révolutionnaires de l'Éthiopie et du Nicaragua mais continue d'entretenir des liens avec Fidel Castro. Des relations cordiales s'instaurent avec la Chine, après sa visite officielle de mai 1989, éclipsée par les « événements » de la place Tien An Men. Avec Israël, en 1990, il convient de laisser les juifs d'URSS émigrer vers la Terre Promise. Un million environ profiteront de l'opportunité. Plus surprenant : l'URSS soutient les États-Unis lors de la guerre du Golfe, en janvier 1991.
Dans le même temps, les pays du bloc soviétique prennent leurs distances avec Moscou. Ils se donnent un Parlement et un président : Arpad Göncz pour la Hongrie, Lech Walesa pour la Pologne et Vaclav Havel pour la Tchécoslovaquie. Le Mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989. Les chefs de l'armée et du KGB brûlent d'intervenir mais ils en sont empêchés par Iakovlev et Gorbatchev.
Ce dernier se satisfait imprudemment de la promesse purement verbale donnée par les dirigeants occidentaux selon laquelle l'OTAN n'étendrait pas son emprise sur les pays de l'ex-bloc soviétique. Dans les faits, il en ira tout autrement... En attendant, tous les accords reliant les pays de l'ex-URSS sont abolis : le groupe du COMECON (Conseil d'assistance économique mutuelle) le 28 juin, puis le pacte de Varsovie (accord militaire) le 1er juillet 1991. Pour toutes ces actions, Mikhaïl Gorbatchev reçoit un écho très positif dans les médias occidentaux. La « gorbymania » occidentale lui vaut le Prix Nobel de la Paix en 1990.
Une autorité de plus en plus contestée
En URSS, cependant, il en va tout autrement. Les Russes honnissent Gorbatchev. Les réformes lèsent les cadres du Parti communiste sont lésés, ainsi que les bureaucrates et les travailleurs des entreprises étatiques. Les inégalités et les pénuries s'aggravent. En août 1989, les mineurs lancent une grève générale. Afin d'apaiser les tensions, Gorbatchev instaure une nouvelle assemblée législative, le Congrès des députés du peuple. Le Parti communiste se résigne au multipartisme et à l'élection de personnalités indépendantes. Le 14 mars 1990, le Congrès renouvelle le mandat de Gorbatchev pour cinq ans, mais déjà l'orage gronde.
Les revendications indépendantistes montent dans les républiques soviétiques de Géorgie, Moldavie et Arménie ainsi qu'en Asie centrale et dans les États baltes. Plusieurs républiques réclament leur indépendance. C'est chose faite pour la Lituanie le 11 mars 1990, la Lettonie le 21 août et de l'Estonie le 24 août. Gorbatchev tente tout de même de maintenir l'URSS grâce au soutien conjoint du Parti communiste, de l'armée et du KGB. En janvier 1991, des troupes entrent en Lituanie. À Vilnius, le 13 janvier, elles tentent de s'emparer de la tour de télévision mais les Lituaniens résistent au prix de 14 morts. À Riga, en Lettonie, au même moment, une autre intervention de l'Armée rouge fait 5 morts. Ce sont les seules victimes qu'ait à se reprocher Mikhaïl Gorbatchev.
En juillet 1991, au G7 de Londres, qui réunit les principaux chefs d'État occidentaux, Gorbatchev se voit refuser des crédits qui lui auraient permis de restaurer la situation économique de son pays. Il comprend dès lors que ses jours au Kremlin sont comptés.
Gorbatchev trahi par les siens
Le 19 août 1991, alors que Gorbatchev se repose en Crimée, un groupe de conservateurs russes dirigé par Guennadi Ianaïev (le vice-président de l'URSS), soutenu par trois ministres, le chef du KGB et le président du Soviet suprême, monte un coup d'État. Gorbatchev est retenu prisonnier dans sa résidence d'été. L'état d'urgence est instauré. Mais la population moscovite, soulevée par Boris Eltsine, membre du Soviet suprême, s'oppose aux conservateurs ; le coup d'État n'a donc aucune conséquence. Il amorce toutefois la descente aux enfers de Gorbatchev et du Parti communiste, qui est dissous le 6 novembre. Le 8 décembre, l'URSS n'existe plus pour l'Ukraine et la Biélorussie. Puis, le 21 décembre, plusieurs pays du bloc soviétique signent les accords d'Alma-Ata, acte de fondation de la Communauté des États indépendants (CEI). Résigné, Gorbatchev démissionne le 25 décembre ; Boris Eltsine prend rapidement sa place. Le 26 décembre, l'URSS est officiellement abolie par le Soviet suprême ; c'est le début de la Fédération de Russie.
En 1996, Gorbatchev publie ses Mémoires, dans lesquelles il critique vivement Eltsine ; il doit ensuite surmonter la mort de son épouse Raïssa, qui succombe à une leucémie le 20 septembre 1999. Il ne renonce pas pour autant à l'action publique. En 2001, il participe à la fondation du Parti social-démocrate de Russie. . En 2005, le patriarcat grec de Constantinople lui confère le titre d'archonte (nom donné aux grands magistrats sous l'Antiquité grecque). Il se consacre à la défense de l'environnement avec son association Green Cross International, fondée en 1993. En 2009, il participe au documentaire Nous resterons sur Terre. Le 12 mars 2012, au Forum mondial de l'eau, il se prononce en faveur de la mise en place d'un tribunal international qui jugerait les crimes environnementaux.
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david (31-08-2022 19:21:42)
Remarquable commentaire !
La synthèse sur la vie et le travail de Gorbatchev me semblent exemplaires, de même pour "l'absence" d'aide de l'Europe et de ses dirigeants (plutôt de gauche et jamais anti-comunistes).
Edzodu (31-08-2022 14:35:52)
Respect Mr. Gorbatchev
Il fut le seul à croire que la Russie historique devait se rapprocher de l’Europe occidentale et d’une réelle amitié avec les USA.
Ces derniers, craignant de perdre leur épouvantail « pays du diable » feront tout pour saboter cette ouverture occidentale avec le soutien non avoué de l’Allemagne nouvellement réunifiée, de certains anciens pays satellites de l’ex URSS craignant de perdre leur liberté retrouvée, et l’impuissance européenne à aider à ce rapprochement, qui aurait, comme le disait le général De Gaulle donné « Une Europe de l’atlantique à l’Oural »
Du peuple russe privé d’alcool nourrissons mal nourris de démocratie, gangrené par le KGB et l’armée, que pouvait-il attendre ?
Il fut victime de sa bonne foi, de croire en une Russie souveraine dans l’Europe.
Il me paraît évident que l’Otan n’aurait pas eu la tentation de s’étendre à l’Est de l’Europe, n’ayant plus à lutter contre un bolchevisme révolu.
Les USA sous cape ont sabotés la démocratisation réelle avec le temps de la Russie et ont fait barrage à la grandeur d’une réelle Union Européenne.
TCHAIDJIAN (31-08-2022 09:38:46)
Bonjour à tous et à toutes,
Un grand bravo pour votre réactivité suite à la disparition apprise en fin de soirée hier le 30 août 2022, d'un des plus grands hommes d'Etat du siècle précédent, et même de ce siècle de par la pertinence de ses - hélas rares - interventions qui commentaient occasionnellement l'actualité internationale.
Certes personne n'échappe à la critique, et personne ne peut prétendre à l'atteinte de la perfection, mais il est des êtres qui s'en rapprochent plus que d'autres.
Mikhaïl Gorbatchev aura été de ceux-là.