« Ma vie est plus importante que mon œuvre » aimait à répéter Joseph Kessel. En effet ! 80 ans de voyages, d'aventures et d'excès, quel programme !
S'il reste un des auteurs les plus lus du siècle dernier grâce à son Lion, l'écrivain bourlingueur aux 80 ouvrages eut aussi un destin hors du commun. À l'heure où il entre dans la prestigieuse collection de la Pléiade, partons sur ses traces autour du monde pour découvrir si, comme il l'affirmait, « vivre et écrire, on peut faire les deux ».
Une valise pour berceau
Parce que Joseph Kessel n'a jamais rien fait comme tout le monde, il est né le 31 janvier 1898 dans un endroit improbable : Villa Clara, province d'Entre Rios, Argentine. Mais que sont donc allés faire dans cette pampa ses parents, juifs originaires de Lituanie pour lui, de Russie pour elle ?
Tout est affaire de hasard : son père Samuel, après avoir quitté sa famille sans un sou pour devenir médecin, était parvenu à poursuivre ses études à Montpellier où il avait rencontré la jeune Raïssa. Celle-ci n'hésita pas une seconde à le suivre pour son premier poste de l'autre côté de l'Atlantique où s'était installée une colonie juive.
Deux ans plus tard, tout ce beau monde avait pris le chemin du retour, direction Orenbourg, à la frontière du Kazakhstan, d'où était originaire Raïssa. À 7 ans, le jeune Joseph, ou Popotchka (« Petites fesses adorées ») pour les intimes, a déjà fait autant de kilomètres qu'un tour du monde ! Mais le climat des steppes n'est guère favorable à son père qui décide en 1908 de repartir dans l'autre sens pour offrir du côté de la Côte d'Azur un avenir meilleur à ses trois garçons, Joseph, Lazare et Georges.
C'est logiquement Nice, terre d'adoption de la grande bourgeoisie russe, qui les accueille et qui fait découvrir à « Yossia » les œuvres de Dumas et Tolstoï qu'il dévore au lycée Masséna. Quelques coups de poings dans la cour de récréation, un léger accent provençal, et le voilà intégré !... C’est aussi à Nice, notons-le, que s’établissent un autre aventurier des lettres, Romain Gary, et sa mère.
« J'ai envie de tout faire ! »
Joseph sera donc un littéraire, aucun doute là-dessus. Et pour l'aider à viser l'excellence, toute la famille part s'installer à Paris après son Ier bac. Louis-le-Grand puis la Sorbonne et, pourquoi pas ?, le Conservatoire, rien n'effraie « Jef » qui veut mordre la vie à pleines dents.
Quelques articles pour le Journal des débats l'aident à mettre un pied dans le journalisme et les soirées festives. Mais il n'a guère le temps de profiter des cafés, musées et théâtres qui lui semblent soudain bien fades face à la grande aventure qui s'approche : la guerre. À 18 ans, il se précipite pour s'engager et se retrouve tout d'abord infirmier-brancardier avant de s'enrôler dans l'aviation. Pour le jeune homme, c'est le rêve : entouré par les solides gaillards de l'escadrille S. 39, il découvre l'ivresse de la peur mais surtout la fraternité et le courage, incarné par le capitaine Thélis Vachon qui deviendra un des héros de son roman L'Équipage (1923).
En 18 mois il enchaîne près de 150 missions de reconnaissance, succombe au démon du jeu et de l'alcool et y gagne au passage une première croix de guerre, à 20 ans. Cela ne lui suffit pas : le 10 novembre 1918, le fougueux jeune homme s'embarque comme volontaire pour aller prêter main forte aux Russes blancs, aux confins de la Sibérie.
La première étape du voyage est loin d'être désagréable puisque c'est en héros qu'il est accueilli à New York avant d'enchaîner avec une traversée des États-Unis qui ressemble à une longue ivresse. Enfin, il s'embarque pour Vladivostok et retrouve avec nostalgie la terre de ses ancêtres. Il y croise l'aventurier Grogori Semenoff, seigneur de la guerre cosaque ou chef du crime organisé, suivant les points de vue. Après avoir écumé les fumeries d'opium à Shanghai, il prend enfin le paquebot du retour où il fait une nouvelle rencontre, capitale : Sandi, une jeune Roumaine. Elle devient sa femme en 1921.
Le jeune Herbillon, qui vient d’intégrer l’escadrille du capitaine Thélis, noue une belle amitié avec son coéquipier Claude, sans savoir qu’ils sont tous deux épris de la même femme...
« Sur le terrain, cinq avions vibraient. La voix monstrueuse des moteurs effaroucha la douceur du matin naissant. Autour d'eux l'air palpitait. Le ciel avait cette tendresse de fleur qu'il a seulement aux minutes où le soleil le touche de ses plus jeunes rayons. Les mécaniciens chantaient, les hélices bourdonnaient comme ivres de leur puissance.
Herbillon oublia tout pour goûter le bonheur d'être sain, d'être fort et de s'élever dans l'azur en même temps que l'aurore. L'appareil du capitaine [Thélis] prit le premier de la hauteur et Jean vit monter vers lui, comme des fusées brunes, les camarades. Puis le groupe, formé en triangle, se dirigea vers les lignes. L'ivresse du vol était encore neuve pour Herbillon. La respiration géante du moteur, le tourbillon de l'hélice, le vent furieux, tout cela l'étourdissait d'une vaste et brutale symphonie dont il commençait à pénétrer les voix diverses ».
Après n'avoir résisté qu'un mois à la carrière de professeur, Kessel revient à ses premières amours, le journalisme, et part pour l'Irlande en guerre. Veut-il oublier dans l'action le suicide de son frère cadet Lazare, dont Maurice Druon, futur auteur des Rois Maudits, est le fils naturel ? Il plonge dans le monde de la clandestinité, celui des soldats de l'IRA, avant de repartir du côté de Riga pour s'intéresser aux bolcheviks.
Naît de ce voyage un conte pour enfant qui attire l'attention du tout-puissant Gaston Gallimard. L'éditeur a l'œil : les premiers livres de son protégé, Les Steppes rouges (1922) et L'Équipage (1923) lui apportent immédiatement la gloire. À 25 ans, Kessel est un auteur reconnu mais un peu trop bouillonnant qui profite d'une santé de fer dans le Paris nocturne pour vider verre sur verre avant de transformer la vaisselle en miettes dans un grand éclat de rire, tradition cosaque oblige.
Mais le « capitaine Fracasse » a une faiblesse : Sandi est tuberculeuse, et doit désormais vivre en sanatorium. Ce « cœur de plume en berne » (Louis Aragon) tire de cette expérience un nouveau récit, Les Captifs (1926), vite couronné du Grand prix de l'Académie française. Auréolé d'une belle légion d'honneur l'année suivante, il n'en perd pas pour autant ses mauvaises habitudes. Ce fêtard, qui connaît tous les caïds de Montmartre, n'a-t-il pas dilapidé 100 000 francs en 2 heures de casino ? Il est temps de ressortir sa valise et se refaire.
Dans une longue interview à L'Express, Joseph Kessel se confie sur sa vision de l'existence : « […] c'est parce que j'aime la vie que j'aime le danger, j'aime mettre la vie à l'épreuve. L'an dernier, j'étais en Yougoslavie, et j'ai doublé de loin un cap à la nage, exprès, en sachant que j'étais juste à la limite de mes forces. J'avais une espèce de joie absurde. Je crois que je vis surtout pour retrouver et réaliser autant qu'il est possible les rêves de mon enfance.
Il y a quelque temps, le rédacteur en chef du magazine Le Jouet m'a interrogé sur mes jouets préférés quand j'étais enfant. Je n'y avais jamais pensé, et tout d'un coup je me suis rendu compte que je n'avais jamais aimé les jouets. C'est une affreuse déficience. La voiture, je m'en fiche ; la mécanique, ça m'horripile ; la chasse, la pêche, la philatélie, la photographie, je n'ai aucun de ces refuges. Le jouet, pour moi, c'est le voyage, les gens qu'on rencontre. Mon jouet, c'est la vie » (L'Express, 26 mai 1969).
La prochaine étape sera la Palestine. Jaffa, Tel-Aviv, Jérusalem sont des noms qui font rêver ce juif qui, tout en étant agnostique, se montre sensible aux arguments de ceux qui réclament la Terre promise.
Fasciné par la région, il poursuit vers la Syrie en pleine révolte contre les Français (1927), poussant sa vieille Ford jusqu'à Palmyre, au milieu des tribus de bédouins. A son retour, celui qu'on compare désormais à Albert Londres ne prend pas le temps de savourer son nouveau statut de reporter à succès.
Il se lance dans un roman à scandale inspiré de ses folles nuits, Belle de jour (1928), et met sur les rails un nouveau journal tout aussi scandaleux, Détective, consacré aux faits divers. Le décès de sa chère « Sandinette » ne calme en rien sa soif d'aventures : quelques mois plus tard il s'envole sur les traces des héros de l'Aéropostale au-dessus du Sahara, manque de voir s'écraser son Latécoère dans une tempête de sable puis revient prendre le temps de publier quelques articles, avant de repartir encore plus loin...
Il lie amitié avec le « pirate » Henry de Monfreid, de vingt ans son aîné. À la lecture de ses journaux de bord, Kessel devine la patte d’un écrivain. Il convainc Monfreid de les publier. Il en résultera d'immenses succès de librairie dont en premier lieu Les Secrets de la mer Rouge (1931). En attendant, Kessel convainc son ami de le guider dans la Corne de l'Afrique afin d'observer les ravages qu'y produit toujours l'esclavage. Il va parcourir le royaume du Négus à la recherche des trafiquants d'hommes et les accompagner jusqu'au Yémen.
Pourquoi aller aussi loin ? L'aventure est au coin de la rue, il suffit d'un accident de voiture comme celui qui a manqué de le laisser paralysé, en 1931. À New York, c'est le visage encore tuméfié à la suite d'une méchante bagarre qu'il se présente devant le président Roosevelt.
Mais si Kessel multiplie les reportages, c'est aussi parce qu'il sent la guerre approcher, prenant très au sérieux les menaces d'Hitler même s'il trouve « d'un comique laborieux » la moustache qu'arbore le futur dictateur. Ce n'est donc pas un hasard si, en 1936, sa Passante du Sans-Souci met en scène une femme et un enfant juif fuyant l'Allemagne.
Cette année-là, le 7 décembre, l'hydravion de Jean Mermoz disparaît au large du Sénégal. Kessel est très affecté par la disparition de cet ami et obtient de Paris-Soir de partir jusqu'en Amérique du sud sur les traces de « l'Archange ». Il va en tirer une magnifique biographie, Mermoz (1938).
Mais la guerre est désormais aux portes de la France, en Espagne, où il part pour Paris-Soir constater la débâcle des républicains. Il y retrouve Ernest Hemingway et André Malraux au bar d'un hôtel de Barcelone, avant d'aller parcourir les souterrains où vivent les réfugiés à Madrid.
En octobre 1938, Joseph Kessel se rend en Espagne en compagnie du photographe Jean Moral pour un reportage commandé par Paris-Soir. Après Barcelone, il découvre Madrid et ses réfugiés.
« Depuis plus de deux ans, hommes et femmes, par centaine, peuplent d'étroits locaux, tournent en rond dans des jardins exigus. Ils couchent à même le sol, sur des matelas étalés côte à côte. Quant à leur nourriture, dans la demi-famine qui ronge Madrid, on devine aisément ce qu'elle peut être. Ils ne peuvent communiquer avec personne au monde. Ils tournent et retournent les mêmes pensées, les mêmes mots. Ils sont las les uns des autres. […] Ils sont hâves, voûtés avant l'âge. Leurs vêtements, leur linge s'en vont en lambeaux. […] Et pourtant, il y a des questions de préséances, de rangs, de titres que l'on veut faire respecter.
Et, dans ces fosses d'oubli, la vie chemine. Il y a des mariages, des naissances.
Et la mort frappe aussi » (Paris-Soir, novembre 1938).
Arrive la « drôle de guerre » et le voilà redevenu un simple soldat qui, après avoir assisté au désastre de Dunkerque, se sent bien inutile. Il choisit de rejoindre un réseau de la Résistance dans le Var avant de fuir devant l'avancée allemande en s'envolant pour l'Angleterre.
Là il se lance, sur les conseils de De Gaulle, dans l'écriture d'un roman qu'il intitulera L'Armée des ombres (1943). Mais un livre ne suffit pas, c'est un hymne dont a besoin la Résistance ! Ce sera « Le Chant des partisans » (1943), rédigé en collaboration avec son neveu Maurice Druon, de vingt ans plus jeune, et mis en musique par Anna Marly. Celui qui affirmait que « la profonde raison de vivre, c'est l'amour de l'homme » vit les derniers jours de guerre sur les traces de De Lattre, avant de pouvoir enfin titrer son article du 9 mai 1945 : « Le jour est venu... » (France-Soir).
Roman-symbole de la Résistance, écrit en pleine guerre, L’Armée des ombres montre comment, pour des personnes ordinaires, « la désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie ».
« Ces gens, disait Gerbier, auraient pu se tenir tranquilles. Rien ne les forçait à l'action. La sagesse, le bon sens leur conseillait de manger et de dormir à l'ombre des baïonnettes allemandes et de voir fructifier leurs affaires, sourire leurs femmes, grandir leurs enfants. Les liens matériels et les biens de la tendresse étroite leur étaient ainsi assurés. Ils avaient même pour apaiser et bercer leur conscience, la bénédiction du vieillard de Vichy. Vraiment, rien ne les forçait au combat, rien que leur âme libre ».
À peine la paix revenue, il repart vers d'autres combats, du côté de cet Israël qui essaye de naître et qu'il ne va cesser de soutenir. Le hasard le remercia en lui attribuant le visa n°1 ! Mais en 1948, il est temps de faire une pause et de penser mariage avec la belle Irlandaise Michèle qui lui pardonne tout, y compris d'accumuler les amours.
Son ex-femme Katia, Sonia, Germaine... La nouvelle élue sait qu'il faudra qu'elle accepte de trouver sa propre place dans ce harem, son Jef étant incapable d'abandonner ses anciennes conquêtes. Elle est prête à le suivre, à commencer par ce voyage qu'il veut faire au Kenya où les Mau-Mau se sont révoltés contre les troupes britanniques.
Ne serait-ce pas un avant-goût de la décolonisation à venir ? Pour offrir un véritable voyage de noces à Michèle, il décide de pousser jusqu'à la région des Grands Lacs où on lui raconte l'étrange amitié née entre une petite fille et un fauve... Publié en 1958, Le Lion sera son plus grand succès et le hissera à la hauteur d'un Saint-Exupéry. « Cela marche, court, s'élève, éclate et retentit ! » lui écrit un de ses admirateurs, le général de Gaulle.
Au Kenya, le lion King a grandi en compagnie de la petite Patricia dans un parc du Kilimandjaro. Mais l’arrivée d’un jeune Masaï, qui doit combattre un fauve s’il veut montrer son courage et se marier, va bouleverser cette relation...
« La petite fille soudain plia les genoux, sauta aussi haut qu'elle put et se laissa tomber, les deux pieds nus réunis, sur le flanc du lion. Puis elle martela le ventre à coups de poing, à coup de tête. Puis elle se jeta sur la crinière, la saisit des dix orteils et se mit à secouer en tous sens le mufle terrible. La patte formidable, au lieu de s'abattre sur Patricia et la mettre en pièces, s'approcha d'elle tout doucement, les griffes rentrées, cueillit la petite fille et la coucha par terre avec gentillesse ».
Mais pas question pour Kessel de se reposer sur ses lauriers ! Reprenant la vieille valise de Sandi qui ne le quittait pas, il s'engage dans un périlleux tour de l'Asie sur la piste de l'or rouge, ces rubis qui font la richesse de la Birmanie. De ces 6 semaines de reportage naîtront pas moins de 55 articles, un récit de voyage (La Vallée des rubis, 1955) et une belle amitié pour Pierre Schoendoerffer, futur réalisateur du Crabe-tambour (1976).
Ensemble, ils décident de faire un reportage sur l'Afghanistan (1956), pays des grands espaces et de l'aventure par excellence. Accueillis par le roi lui-même, ils n'ont aucune difficulté à assister à un bouzkachi, ce jeu ancestral qui consiste, pour les cavaliers, à s'emparer d'une chèvre décapitée. Ici, tous les coups sont permis ! D'une rare brutalité, ce spectacle fait rêver Kessel qui y verrait bien un sujet de roman... Les Cavaliers verront le jour en 1967, après 6 ans d'efforts.
Cet extrait des Cavaliers met en scène la rivalité du jeune Ouroz, sur son cheval Jehol, et de Maksoud.
« Cependant Jehol forçait encore son galop. La proie était à sa portée. Il jouait de nouveau pour lui seul. Ouroz sourit de son sourire de loup. Jehol était l'arme la meilleure. Pour s'en servir il n'eut pas à penser. L'instinct le fit à sa place. Du côté droit -celui où il voyait Maksoud-, il libéra sa jambe, puis vida la selle, puis tenu par un seul étrier, accroché à la crinière, et collé, aplati contre le flanc gauche de Jehol, il poussa dans l'oreille de l'étalon, au creux même, le cri le plus strident, le plus dément qu'il put arracher à sa gorge. Un bond énorme enleva Jehol. Ouroz hululait, hululait sans répit. En même temps, il orientait cette charge de façon à prendre le cheval de Maksoud en biais pour que, à l'instant du choc, l'épaule de Johel le frappât à la jugulaire de plein fouet, comme un boulet.
Maksoud l'entendit. Il tourna la tête et lui, le Terrible, il prit peur... » (Les Cavaliers, 1967).
Le « vieux lion », qui avait l'habitude d'écrire vite, est fatigué non par ses excès de bon-vivant, mais par les soucis que lui cause sa femme Michèle. Celle-ci a sombré dans l'alcoolisme et multiplie les esclandres, n'hésitant pas à traiter l'écrivain plus bas que terre en public avant de redevenir le lendemain la plus attentionnée des épouses.
Pour fuir, il accepte de nouvelles missions, comme un voyage en Asie de Calcutta à Kaboul pour faire connaître le travail de l'Organisation Mondiale de la Santé. Le revoici sur les pistes cabossées, sous les tentes des nomades, au milieu du désert, à près de 70 ans.
Ce « témoin parmi les hommes », pour reprendre le titre de la compilation de ses reportages (1969), veut avant tout aller à la rencontre des autres, les écouter, les comprendre. C'est ainsi qu'on le retrouve en 1961 sur un banc de la Maison du peuple de Jérusalem où a lieu le procès du criminel nazi Adolf Eichmann, qu'il voit comme « une espèce d'araignée humaine exposée en vitrine ». Cet épisode l'intéressa certainement plus que son élection à l'Académie française en 1962 : non seulement ce grand timide refusa de faire nombre des visites traditionnelles pour obtenir les votes, mais il fit rédiger par un autre son discours d'hommage à son prédécesseur, le duc de La Force, dont il ignorait tout de l'œuvre.
Ce fut une des dernières facéties du colosse infatigable de 81 ans dont le corps finit par abandonner soudainement la partie, le 23 juillet 1979. « Le monde est extraordinaire, regarde comme c'est beau ! » furent les derniers mots de cet éternel curieux qui n'avait qu'une ligne de conduite : « viser haut, ne s'attacher à rien ni personne, enfreindre les normes et vivre jusqu'au délire ».
« Une seconde vie. Je me demande ce qu'ont bien pu faire les gens avant Gutenberg. […]
Dans ma vie, il m'est arrivé de manquer d'argent et même d'avoir des dettes, mais je n'ai jamais été vraiment inquiet parce que je savais qu'en quelques semaines je pouvais écrire un roman, faire un grand reportage et me renflouer. Quand ça arrivait, je me retirais pour travailler. Souvent, j'ai écrit trop vite, pour de l'argent, surtout des articles. Je n'ai cependant jamais été l'esclave du besoin d'écrire, pas plus que de l'alcool ou de la drogue […].
Au début, c'est un travail. Mais, à partir du milieu, le roman devient une espèce de fête. A un certain moment, il y a vraiment quelqu'un qui s'installe à votre place et qui vous conduit. Ça vient peut-être de la fatigue. Autrefois, lorsque j'approchais de la fin d'un livre, je travaillais quarante, cinquante heures de suite, pratiquement sans m'arrêter. J'ai écrit beaucoup de mes livres en trois semaines » (L'Express, 26 mai 1969).
Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du lion, éd. Plon, 2004.
Michel Lefebvre, Kessel, Moral. Deux reporters dans la guerre d'Espagne, éd. Taillandier, 2006.
Olivier Weber, Kessel, le nomade éternel, éd. Arthaud, 2006.
Vos réactions à cet article
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GUEYDAN (04-08-2024 23:33:21)
Merci pour votre chronique sur J.Kessel... Ces auteurs emblématiques du 20°Siècle sont trop souvent négligés, voire ignorés dans nos lycées...! Or, avec le Lagarde et Michard, c'est la base essentielle de notre culture littéraire... J'ai ainsi adoré Ronsard et Du Bellay, Molière, Lafontaine et Racine, Victor Hugo, Balzac, Stendhal, Flaubert et Zola... (j'ai horreur de Proust), etc... Mais (à 80ans) je n'ai pas encore lu les romans du grand Jeff... je vais m'y mettre...!!!
Catherine Florence (22-06-2023 15:50:13)
Je recommence car mon message n’a pas du vous parvenir. Je disais donc que votre article est passionnant comme l’auteur et me donne envie d’explorer davantage. Existe-t-il un club Kessel ou des amis de Kessel. Une de mes amies fait partie des « amis de Pierre Loti » et circule autant qu’elle le peut dans les lieux où il est passé. Loti est aussi passionnant mais je préfère Kessel car les lieux où il est passé sont plus contemporain et se doit être formidable de les retrouver presque intact. Mille merci pour votre réponse. J’espère que ça marche !
Herodote.net répond :
Je n'ai pas de réponse mais peut-être pouvez-vous vous adresser directement à l'auteure de l'article ; son email figure dans sa notice biographique.
Lola (27-09-2020 19:30:29)
Votre article m'adonné envie de lire quelque chose de Kessel; en effet, je viens du monde universitaire où Kessel n'existait pas