Une brève histoire de l'écologie

Relever les défis de l'âge industriel

La science de la maison. Tel est le sens du terme écologie, construit à partir du grec oikos, maison, et logos, science. Le terme apparaît en 1866, sous la plume du biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919). Il qualifie une science, qui ambitionne d’étudier les interactions entre les êtres vivants et les milieux.

Dans les années 1960, des experts et militants prennent conscience de ce que les milieux de vie (écosystèmes) sont dégradés par nos activités. Ils alertent sur la disparition d’espèces animales ou végétales, la déforestation, les pollutions… Les mouvements issus de cette prise de conscience, en s’impliquant dans le champ politique, forment une écologie politique. Celle-ci est à distinguer de l’écologie scientifique.

Pour mieux distinguer écologie politique et écologie scientifique, on peut dire qu’un écologiste est un militant, alors qu’un écologue est un savant en biodiversité et écosystèmes. Les deux peuvent occasionnellement se rejoindre.

Laurent Testot

Traitement d'un champ de pommes de terre au DDT, en Allemagne de l'Est, en 1953, Koblenz, Bundesarchiv. L'agrandissement montre un Stearman effectuant une ulvérisation aérienne de DDT pour l'éradication des insectes, Western Forest Insect Work Conference (WFIWC) archives.

Premières luttes contre les pesticides

Une des étapes les plus symboliques de la prise de conscience écologiste est la publication, en 1962, du livre Printemps silencieux par la biologiste Rachel Carson (1907-1964) : « Ce fut un printemps sans voix. À l’aube qui résonnait naguère du chant des grives, des colombes, des geais, des roitelets et de cent autres chanteurs, plus un son désormais ne se faisait entendre ; le silence régnait sur les champs, les bois et les marais... »

Portrait de Rachel Carson réalisé par Minnette D. Bickel exposée en 1987 lors du 25ème anniversaire de la publication du livre Printemps silencieux, Pennsylvanie, Chatham University. L'agrandissement montre Rachel Carson en 1962, National Portrait Gallery, Washington, Smithsonian Institution.Pour combattre une invasion de fourmis de feu, le ministère (Department) de l’Agriculture fait pulvériser par des avions du DDT et d’autres toxines sur d’immenses étendues Rachel Carson constate que ces produits se concentrent au sol, dans les eaux, empoisonnent les oiseaux. Ils fragiliseraient notamment les coquilles de leurs œufs, pourraient causer leur extinction, éteindre leurs chants à jamais. Elle laisse entendre que les biocides pourraient constituer une menace sanitaire pour les êtres humains, et propose leur limitation au strict minimum possible.

L’ouvrage est un succès. La réaction maladroite des lobbies industriels, qui tentent de faire passer Rachel Carson pour une illuminée alors qu’elle est bien connue du grand public pour ses ouvrages antérieurs sur l’océan, les discrédite. La mobilisation de l’opinion publique aboutit à l’interdiction du DDT aux États-Unis en 1972.

Le DDT a depuis été classé comme probable cancérigène et reprotoxique. Il a été responsable d’un déclin des populations d’oiseaux d’Amérique du Nord, probablement lié à sa trop grande efficacité : en décimant les insectes, il affamait les oiseaux.

Pourtant, l’utilisation par l’agriculture de produits similaires, organochlorés, a explosé depuis la publication de Printemps silencieux. Et leur toxicité a fortement augmenté, les insectes étant soumis à une sélection privilégiant les gènes leur permettant de résister à ces poisons.

Cette première mobilisation du mouvement écologiste a peut-être constitué une victoire à la Pyrrhus. En faisant interdire un produit efficace dans la lutte contre les insectes, il a poussé à le faire remplacer par de plus toxiques.

Le problème était plutôt une question d’échelle, ce qu’avait anticipé Rachel Carson. L’efficacité de ces substances était telle que nul politique ou industriel ne pouvait envisager alors de s’en passer. Il aurait fallu imposer des pratiques limitant leur épandage au strict nécessaire, ce qui n’a pas été fait.

Inquiétudes démographiques

En 1968, les époux Paul et Anne Ehrlich publient La Bombe P, P pour Population, dans lequel ils estiment qu’il n’y a pas assez de surface agricole pour nourrir l’humanité. Ils pronostiquent qu’une famine massive va décimer la Terre dès les années 1970-1980, et recommandent aux États de prendre des mesures fortes et immédiates afin de limiter la croissance démographique.

Le livre est un succès d’édition. Les famines prophétisées n’ont pas lieu. Le bilan est en demi-teinte : ceux qui sont hostiles à l’écologie s’en servent comme l’illustration de ce que les craintes écologiques sont irrationnelles. Les auteurs du livre jurent que leur prise de position a attiré l’attention sur le problème démographique.

De fait, si la progression démographique de l’espèce humaine est phénoménale (1 milliard vers 1807, 2 milliards en 1925, 3 milliards en 1960, 4 milliards en 1975, 5 milliards en 1987, 6 milliards en 1999, et 7,7 en 2020…), l’empreinte environnementale de l’humanité est fonction de son mode de vie autant que son nombre.

Esther Duflo et Abhijit V. Banerjee rappellent, dans leur dernier livre (note), que « 10 % de la population mondiale (les plus gros pollueurs) contribuent à la moitié environ des émissions mondiales de CO2, et les 50 % qui polluent le moins n’y contribuent qu’à un peu plus de 10 % ». Des rapports similaires valent peu ou prou pour toutes les pratiques dommageables à l’environnement.

Le simple fait de vivre dans un pays riche comme la France fait de ses habitants, même s’ils ne bénéficient que de revenus minimaux ou d’aides sociales, des personnes utilisant beaucoup plus de ressources que s’ils vivaient au Mali. Ne serait-ce que parce que l’État et les entreprises créent et entretiennent des infrastructures urbaines, de transport, de communication…

Le temps des mobilisations

Le 22 avril 1970 est célébré aux États-Unis le premier Earth Day. L’événement est promu par le sénateur du Wisconsin Gaylord Nelson. Il encourage les étudiants à se mobiliser pour obliger le gouvernement à adopter des lois de protection environnementale.

Gaylord Nelson, 21 avril 1970, Wisconsin Historical Society. L'agrandissement montre l'affiche utilisée pour le Jour de la Terre du 22 avril 1970 met en vedette le personnage de bande dessinée Pogo, créé par Walt Kelly. On peut y lire « nous avons rencontré l'ennemi, et c'est nous », Houston Chronicle.L’audience qu’ont réunie Rachel Carson et les époux Ehrlich alimente le succès de cette mobilisation, sur fond de prédictions apocalyptiques mêlant famines, pénuries et pollution. 22 millions de personnes manifestent aux États-Unis, ce qui pousse le gouvernement de Richard Nixon à créer l’Agence fédérale de Protection de l’Environnement.

En 1990, le Jour de la Terre devient mondial.

Un débat médiatique oppose dans les années 1970 Paul Ehrlich à l’économiste libéral Julian Simon. Ce dernier est persuadé que le marché libre résoudra tous les problèmes. Les échanges sont tellement polarisés qu’ils paralysent tout jugement. L’apocalypse prévue pour les années 2000 n’aura pas lieu, pas plus que n’adviendra le paradis de prospérité annoncé par J. Simon.

La Révolution verte, qui permet à plusieurs pays pauvres de produire plus de ressources agricoles en intensifiant les pollutions, a peut-être permis d’éviter les famines alors que la population croissait fortement en Asie. En Afrique, l’agriculture vivrière a suffisamment progressé pour accompagner une forte croissance démographique, sans augmentation forte des intrants chimiques, mais par conquête de zones agricoles au détriment des milieux sauvages.

L’extension du libre-échange a dynamisé le commerce, et enrichi une classe moyenne devenue mondiale. La croissance économique, elle, a fortement ralenti.

Les annonces scientifiques

En 1972, une équipe de scientifiques du MIT publie un rapport à la demande du club de Rome, une association de décideurs internationaux préoccupés par la question des limites planétaires. La synthèse, connue comme rapport Meadows (du nom de son directeur de publication, Dennis Meadows), est très innovante en termes prospectifs. Elle repose sur un modèle mathématique traitant un grand nombre de paramètres par ordinateur (une première pour l’époque).

Contrairement à ce qui est souvent dit, le document ne pose aucune prédiction datée. Sa conclusion générale laisse simplement entendre que la croissance économique et démographique de l’humanité mènera tôt ou tard, en tout cas avant les années 2100, à une dislocation des paramètres planétaires sous-tendant nos conditions de vie.

Plusieurs scénarios sont élaborés. Ils font varier et interagir des paramètres fondamentaux, tels notre capacité à recycler des ressources minérales, à contrôler la pollution, à trouver de nouvelles sources d’énergie… À terme, diagnostiquent les experts, l’humanité connaîtra une récession démographique causée par une dégradation de ses conditions de vie.

Cet effondrement démographique, causé par de moindres disponibilités matérielles et alimentaires, sera d’autant plus brutal que les politiques se seront montrés imprévoyants dans l’usage des ressources planétaires (note).

En 1973, l'agronome René Dumont publie L’Utopie ou la Mort !, qui popularise en France les conclusions du rapport Meadows. Il évoque la possible fin de la civilisation au XXIe siècle, et préconise pour y échapper de respecter la fertilité des sols, d’imposer des économies d'énergie, d’aider les pays pauvres à se développer et de contrôler la démographie. L’année suivante, il est le premier candidat écologiste à se présenter à l’élection présidentielle. Il récolte 1,32 % des votes.

« Vue du glacier et de l’aiguille d’Argentière dans la vallée de Chamounis », gravure, Samuel Grundmann, XIXe siècle, Conservatoire d’Art et d’Histoire, Annecy. L'agrandissement montre une photographie des glaciers d'Argentière en 2017 : couverture neigeuse disparue très haut, très crevassés, des effondrements rocheux aux endroits où la glace ne recouvre plus la roche.

Un point de non-retour ?

À en croire une belle enquête du journaliste Nathaniel Rich en 2019, le point de non-retour aurait été atteint en 1979. Il raconte comment quelques scientifiques, militants, fonctionnaires et politiques états-uniens se sont efforcés de mobiliser la communauté internationale autour du risque posé par le changement climatique. Mais le lobbying de quelques industriels aurait suffi à désintéresser les opinions publiques du problème. L'occasion a été alors perdue de mener une autre mondialisation, imposant un développement moins brutal, plus égalitaire, plus durable (note).

C'est ainsi qu'en 1979 est publié le rapport Charney, du nom de son directeur de publication le météorologue Jule Gregory Charney, sur commande de l’administration Carter. Ses conclusions sont éloquentes. Si rien n’est fait pour entraver le réchauffement planétaire, celui-ci aura des conséquences dévastatrices.

Le rapport souligne aussi que les gaz à effet de serre (GES), responsables du dérèglement climatique, opèrent sur le temps long. Que les émissions d’aujourd’hui dictent le climat dans vingt ou trente ans. Il préconisait d’agir avant que les changements soient perceptibles, car il serait trop tard.

Illustrons ce que nous dit le rapport Charney : nous avons un climat qui résulte des émissions des années 1990, et qui se situe à +1,2 °C au-dessus des températures de références mesurées à la fin du XIXe siècle. Et nous savons avec une quasi-certitude que nos enfants vivront sous un climat augmenté de 2 °C à l’horizon 2040-2050.

La seule minoration possible paraît devoir passer par des techniques de géoingénierie susceptibles de refroidir artificiellement le climat à l’échelle planétaire. Séquestration carbone, épandage d’aérosols dans la stratosphère… Autant de techniques aux résultats pour l’instant très incertains, et potentiellement dangereux.

Les réunions internationales commencent précisément en 1979, avec la tenue de la première conférence mondiale sur le climat à Genève. Ironie de l’histoire : c’est aussi en 1979 que le philosophe allemand Hans Jonas publie Le Principe responsabilité. Il s’y montre inquiet d’une prolifération incontrôlée de la technologie, et avertit que nous sommes responsables de nos actes devant les générations futures en ces termes : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur Terre. »

L’Organisation météorologique mondiale a publié le 25 novembre 2019 son rapport annuel sur la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre (GES).  Non seulement un nouveau record a été battu en 2018, mais aucun signe de ralentissement n’est actuellement visible.

Les promesses des politiques

En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU publie Our Common Future (« Notre avenir à tous »), plus connu comme rapport Brundtland, du nom de la présidente de la commission, la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Ce rapport popularise un concept présenté comme solution aux risques environnementaux globaux : le développement durable, défini comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

En 1988 est créé le GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. La même année, le climatologue James Hansen frappe les esprits. Dans une salle surchauffée, dont la climatisation vient de tomber en panne, il témoigne devant le Congrès étasunien qu’il est certain à 99 % que le climat se réchauffe. Et que les humains en sont responsables.

À partir de 1992 s’enchaînent les COP (Conférences des Parties), des conventions internationales censées obliger les États à agir, contre le changement climatique et plus largement les dégradations du système-Terre. Les politiques vont s’efforcer de rassurer, prenant régulièrement des engagements forts en faveur du climat, tout en les subordonnant aux intérêts économiques.

Du fait de la primauté accordée aux nécessités économiques sur les inquiétudes écologiques, les politiques de développement durable se révèlent inefficaces. Le volume des GES croît de manière incontrôlée depuis 1979. Rester sous la barre des 2°C de température durant la seconde moitié du XXIe siècle implique désormais des sacrifices conséquents : diminuer de 6 ou 7 % nos émissions de GES chaque année, à partir d’aujourd’hui, jusqu’à 2050.

Pour mémoire, cela ne s’est jusqu’ici vu qu’en cas de désastre économique : la récente crise résultant des mesures prises pour entraver la progression de la Covid-19 a amené, entre janvier et avril 2020, une baisse de 9 % des émissions de GES. Cette baisse n’est pas structurelle. Les États prenant tous des mesures pour relancer l’économie en dopant en priorité les industries émettrices (cimentiers, automobiles, aéronautique…), il y a fort à parier que cette minoration des émissions sera transitoire.

Peter Bruegel l'Ancien, Le triomphe de la mort, vers 1562, Madrid, musée du Prado.

Vers l’effondrement ?

En France, la notion d’effondrement civilisationnel est popularisée dès 2006 par un premier best-seller le livre de Jared Diamond, Effondrement ou Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005, traduit de l’anglais par Agnès Botz et Jean-Luc Fidel, Gallimard, 2006).

L’auteur, un biologiste américain, décrit de nombreuses sociétés confrontées à des limites environnementales, du Montana contemporain au Groenland des Vikings. L’atteinte de ces bornes entraîne généralement une dislocation de la société, souvent en combinaison avec un changement climatique, des voisins hostiles, des partenaires commerciaux qui font défection, et des mauvaises décisions des élites.

À partir de l’été 2018, le grand public plébiscite, trois ans après sa parution, l’ouvrage Comment tout peut s’effondrer cosigné par l’ingénieur agronome Pablo Servigne et le consultant écologue Raphaël Stevens (note). Les deux auteurs y expliquent que notre société se dirige vers une destruction systémique, où pénuries alimentaires, défaillances des États, destruction des écosystèmes, etc., s’amplifieront mutuellement. Ils préconisent de pratiquer une appréhension globale de ces risques, qu’ils appellent collapsologie – du latin collapsus, chute, et du grec logos, science, discours.

L’ouvrage est postfacé par Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement, qui a défini l’effondrement comme une situation dans laquelle « les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. »

Suite au succès de Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne délivre de nombreuses conférences, souvent devant un public jeune. Il se rend compte que le constat anxiogène de l’effondrement peut entraîner des émotions négatives. S’inspirant des techniques de développement personnels promues par la militante écologiste et bouddhiste Joanna Macy, il cosigne en 2018 un nouvel ouvrage, avec Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens (note).

Ils y théorisent diverses façons de traverser la fin de notre civilisation, fin qu’ils jugent quasi inéluctable. Ils appellent à la pratique de la collapsosophie (du grec sophia, sagesse) : apprendre à prendre soin des autres et des écosystèmes, à se soucier du psychique autant que du physique, à fonder de petits collectifs autonomes en mesure de survivre dans un contexte de grande pénurie.

À l'occasion de la Cop25 qui s'est déroulée en décembre 2019 à Madrid, le musée du Prado s'est associé à la WWF afin de rappeler les conséquences dramatiques du réchauffement de la Terre sur notre environnement. Le tableau Enfants à la plage (1910) de Joaquín Sorolla devient Enfants dans la mer morte pour souligner l’extinction des espèces.

Ou une descente aux enfers light ?

L’idée d’effondrement civilisationnel n’est évidemment pas nouvelle – la fin de Rome a nourri son lot de considérations généralement en lien avec les préoccupations des auteurs desdites considérations. Celui de notre civilisation thermo-industrielle (adjectif servant à rappeler le caractère extraordinaire de notre société dans l’Histoire, car elle est la première à mobiliser autant de savoirs techniques, de puissance énergétique, et la seule à avoir connu une extension réellement mondiale) n’est pour autant pas acquis.

Au-delà des collapsologues, des penseurs effondristes, tel l’ingénieur Philippe Bihouix, théorisent une fin possible faite d’érosion des ressources, d’horizons qui se bouchent, de régimes politiques qui se durcissent face aux limites planétaires.

« Plutôt qu’attendre ou craindre le “grand soir” de l’effondrement, écrit Philippe Bihouix dans Collapsus (note), il va falloir apprendre à serrer les dents. Mais le shifting baseline syndrom aidera les générations futures à encaisser les dégradations environnementales, un monde toujours plus artificialisé, des conditions sans doute plus précaires, en décalant la perception de ce qu'on appelle une vie bonne. Une sorte de descente aux enfers light – imperceptible ou presque. »

Le transhumanisme prône l'usage des sciences et techniques pour améliorer la condition humaine.

D’autres visions du futur

Dans un registre radicalement opposé, des essayistes défendent un récit futuriste, celui du posthumanisme : par la science et la technologie, nous pourrions accélérer notre évolution, transformer les humains en des êtres adaptés à la nouvelle donne écologique.

Les sciences de la cognition aideraient à booster notre intelligence, les nanotechnologies doperaient nos corps et nos machines, l’intelligence artificielle augmenterait nos capacités mentales, la biologie nous permettrait de considérablement rallonger nos vies… Le posthumanisme met souvent en avant l’acronyme NBIC (N pour nano-, B pour biologie, I pour information, C pour cognition), qui renvoie à un rêve de possibilités infinies.

Pour ses promoteurs, ces quatre champs disciplinaires ont vocation à entrer en synergie et à créer une humanité augmentée, détachée des contingences environnementales. Voire capable, qui sait ? d’opérer une conquête interplanétaire, en permettant par exemple à l’humanité de perpétuer son aventure sur la planète Mars quand la Terre sera épuisée.

Soutenu par de riches donateurs, en Californie (tel Elon Musk) ou en Chine, ce mouvement dispose d’une certaine capacité à influer sur la recherche scientifique ou les investissement des firmes. Qu’il soit capable de réaliser ses promesses de transcender les limites par la technologie est une autre paire de manches.

Enfin, des penseurs conservateurs disqualifient l’effondrisme et la collapsologie comme une inquiétude millénariste, reposant sur l’interprétation extrême des données des textes scientifiques. Ces mêmes penseurs combattent également le posthumanisme comme une tentative contre-nature d’altérer la nature humaine.

Elon Musk

La crainte du pire

Du côté catholique, le pape François a posé en 2015, avec son encyclique Laudato Si, un bilan que ne renieraient pas les effondristes. Celui-ci entre en résonnance avec les constats dressés par de multiples ouvrages récents, tels David Wallace-Wells (note), Fred Vargas (note), Jean-Marc Gancille Note (note), Aurélien Barrau (note), Corinne Morel Darleux (note), Nathanaël Wallenhorst (note)…

Résumons le consensus scientifique : la désintégration des écosystèmes terrestres et océaniques est commencée ; le réchauffement climatique pourrait rendre inhabitable tout ou partie de la planète à l’horizon de quelques décennies ; les ressources minérales et énergétiques sur lesquelles nous asseyons notre puissance technologiques sont en état de surexploitation.

Ces éléments mènent à des tensions géopolitiques prévisibles. Le tout sur fond d’inégalités croissantes entre êtres humains, de pollutions majeures, et maintenant… de risques pandémiques.

En quête de solutions

Avant l’irruption de la Covid-19, les lanceurs d’alerte se trouvaient confrontés à un problème : expliquer, dans un livre ou une conférence, pourquoi notre civilisation est menacée à terme de destruction, amène inévitablement une question. Quelle solution préconisez-vous donc ?

Or les problèmes sont multiples, dans leurs échelles (du global au local) comme dans leurs rétroactions. La pollution peut aggraver ici la destruction des écosystèmes, tout en refroidissant là une région entière. C’est le cas en Asie orientale. Mettre fin à certaines pollutions reviendrait alors à aggraver la crise climatique, tout en allégeant un peu la pression sur les écosystèmes…

Face à la complexité, il n’y a donc pas une seule solution. Il doit y en avoir plusieurs, et elles doivent faire système. Quelques livres permettent d’avancer dans cette approche.

Dans Déclarons l’état d’urgence écologique, les économistes Cédric Chevalier et Thibault de La Motte (Éd. Luc Pire, 2020), proposent de changer ce que l’on prend comme allant de soi, dans plusieurs registres de nos vies : l’éducation devrait cultiver l’autonomie des enfants plutôt que leur docilité ; le politique devrait être plus participatif, et imposer aux gouvernements de faire passer l’écologie avant l’économie ; l’économie devrait mettre en place un revenu de transition permettant l’autonomie des plus vulnérables ; il faudrait en sus émanciper la presse de la sphère marchande, donner à l’expertise scientifique davantage de place, accorder des droits aux vivants non-humains pour enrayer le déclin des écosystèmes.

Dans Comment sauver le genre humain (Fayard, 2020), l’anthropologue et économiste Paul Jorion et l’étudiant de Science po Vincent Burnand-Galpin proposent également de changer les cadres dans lesquels s’exercent nos existences : remettre les États au premier plan, en les réinvestissant dans leur capacité à planifier ; taxer les machines remplaçant les êtres humains ; assurer la gratuité pour l’indispensable, garantissant à chacun des conditions de vie dignes ; imposer à l’échelle planétaire une « Constitution universelle pour l’économie » qui permettrait de lutter contre la spéculation ; réorienter les capitaux financiers vers la transition écologique, notamment en changeant les règles comptables, par exemple pour que le travail soit considéré comme un actif plutôt qu’une charge.

Ces deux derniers ouvrages, comme l’ensemble des essais portant sur ce domaine publiés ces dernières années, se montrent hélas plus convaincants dans leur première partie, quand ils dressent le constat d’un désastre potentiel, que dans la seconde partie, quand ils esquissent la façon idéale d’empêcher les catastrophes.

Les auteurs ont néanmoins le mérite de dessiner des voies de sortie en associant différentes sciences sociales, ce qui semble être la seule approche à même de prendre en compte la complexité et l’interdépendance des problèmes.

Lacs créés par le dégel du permafrost arctique comme autant de sources d’émission de gaz à effet de serre, © Louise Farquharson, Université d’Alaska Fairbanks, DR.

Passer à l’action

On ne fera pas l’économie de devoir penser à nouveaux frais un désastre qui affecte déjà une partie de la planète, des forêts australiennes carbonisées, au Bangladesh ravagé par les cyclones, en passant par la Sibérie où fond le permafrost. Il faudra soulager le désarroi qui saisira les personnes confrontées à la destruction accélérée de leur environnement, ce que s’emploie à penser le philosophe australien Glenn Albrecht (note).

Mais l’espace de l’action n’est pas fermé, et nous devons l’investir : de nombreuses voies de sortie ont été posées par nombre d’autres auteurs et mouvements que ceux évoqués ici :
• Économie permacirculaire (qui vise à réduire notre empreinte écologique par le recyclage, parfois moquée pour un manque supposé de réalisme), biomimétisme et agroécologie&,
• Villes en transitions (mouvement théorisé par l’écologiste britannique Rob Hopkins, illustré par le consultant Julien Dossier (note),
• Énergie renouvelable gratuite et illimitée grâce à l’optimisation de leur distribution par les smart grids (défendue par le consultant Jérémy Rifkin, contestée dans ses fondements par plusieurs acteurs du monde de l’énergie, tel le consultant Jean-Marc Jancovici, qui invite à se tourner plutôt vers le nucléaire),
• Géoingénierie (préconisée par le journaliste britannique Mark Lynas, dénoncée comme utopie technicienne par le philosophe australien Clive Hamilton),
• Réensauvagement-restauration des écosystèmes, promu en France par l’écologue Gilbert Cochet (note).

En ce moment de relance de l’activité économique, la première décision de nos politiques devrait être de recenser toutes ces solutions, de les faire quantifier scientifiquement afin de savoir ce qui pourrait marcher, de s’efforcer de les articuler, de discerner leurs possibles interactions et points de friction. À cet égard, le projet Drawdown dirigé par l’essayiste Paul Hawken (note), qui étalonne l’impact positif et négatif sur le climat d’une centaine de mesures économiques et sociales, constitue un modèle dont pourraient s’inspirer nos dirigeants.

Dans le même esprit, Esther Duflo et Abhijit V. Banerjee (note) proposent un compendium argumenté des expériences menées partout sur la planète en vue de réduire la pauvreté, accroître la mobilité, aider au développement… En voulant faire de l’économie expérimentale une véritable science, ce travail permet de questionner un certain nombre de présupposés de l’économie ultralibérale. Il souligne notamment à quel point un marché non régulé met en péril l’humanité, ne serait-ce qu’en accélérant le rythme du changement climatique.

Reste que la construction du monde d’après semble consister aujourd’hui à faire de la résurrection du monde d’avant, les premières mesures annoncées par le gouvernement français consistant à renflouer Renault et Air France. D’où l’urgence, avant toute chose, de concevoir une fiscalité redistributive qui entravera la montée inexorable des inégalités.

Cette fiscalité, c’est une évidence, passera par l’encadrement de l’économie, à commencer par la taxation des activités émettant du CO2. D’où l’intérêt de lire Sauver le climat et gagner plus. Cet essai didactique d’André Larané (fondateur et gestionnaire d’Herodote.net) articule de manière cohérente redistribution des richesses et taxation de l’énergie.

Une telle proposition devrait inspirer les politiques à penser un monde d’après qui ne serait plus imposé d’en haut, mais ferait l’objet d’une prise en compte des avis et des intérêts des citoyens. Faute de quoi nous devrons nous résigner à donner raison à l’écrivain Michel Houellebecq : le monde d’après sera le même que celui d’hier, en un peu plus pire.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-22 07:23:57
Jean Paul MAÏS (07-06-2020 12:12:06)

MALTHUS, au secours, reviens !
Je reste profondément affligé en constatant que la croissance exponentielle de l' humanité est peu ou pas du tout prise en compte par toutes ces études, comme si le sujet était tabou ! Serait-ce pour ne pas faire de peine à toutes les religions du monde qui prêchent toutes : " Croissez et multipliez-vous " ? Car on n' a jamais fait mieux en matière de prosélytisme que de fabriquer des petits chrétiens, musulmans, israélites, hindouistes,... Je pleure !

Herodote.net répond :
Le monde du XXIe siècle n'est plus celui du XXe. La croissance "exponentielle" est derrière nous et la population mondiale ne devrait plus croître que de 2 milliards d'ici à 2100 selon les projections onusiennes. Toute la croissance sera le fait de l'Afrique noire qui n'a par contre aucune responsabilité dans le dérèglement climatique. A l'opposé, les populations des régions développées (Occident et mer de Chine) sont appelées à décroître plus ou moins vite, tout en restant et de très loin les premières responsables du dérèglement climatique. Rien n'est simple...

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