Lire et écrire... tout un programme !

Temps modernes : l'école au service de la politique

Dans l'histoire de l'école, le milieu du XVe siècle marque une étape capitale. Fini les livres hors de prix parce que rédigés à la main, l'imprimerie est arrivée !

Ethiques d'après Aristote : présentation des enfants par leurs parents à leur professeur, XVe siècle, Chantilly, musée Condé. L'agrandissement L'agrandissement montre Flavius Josèphe dans son cabinet, Flavius Josèphe, Les Antiquités judaïques, Belgique, XVe siècle, Paris, BnF.Les ouvrages se multiplient et avec eux les personnes désirant y accéder. Cette soif de connaissances est nourrie par la Réforme protestante qui insiste sur l'importance de la découverte personnelle des textes sacrés. Dans le camp adverse, l'alphabétisation devient une arme : il faut rapidement améliorer la formation du clergé et moraliser les plus jeunes pour lutter contre la nouvelle hérésie.

Les bourgeois qui s'enrichissent à cette époque trouvent donc des écoles pour offrir à leurs enfants ces connaissances qui leur semblent désormais indispensables. Il faut dire qu'un vent de renouveau souffle sur l'école.

D'un côté le pouvoir se fait centralisateur et incite, notamment par l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539) à rédiger, en français, les actes officiels. De l'autre les humanistes ne veulent plus de l'enseignement scolastique qui a fait la gloire du « beau Moyen Âge » mais est devenu purement livresque et basé sur la mémorisation.

La Manière de bien traduire d'une langue en aultre, d'advantage… Etienne Dolet, France, 1540, Paris, BnF.  L'agrandissement montre une illustration de Gustave Doré (XIXe siècle) pour le roman de Rabelais Gargantua (XVIe siècle) : L'éducation de Gargantua.Il faut former un homme complet en élargissant les horizons de la connaissance, en alliant théorie et pratique, en associant corps et esprit. De Montaigne qui demande « Qu’on lui [à l'enfant] mette en fantaisie une honnête curiosité de s’enquérir de toutes choses » (Essais, 1572) à Rabelais qui impose à son Gargantua une étude continuelle pour acquérir un savoir encyclopédique, des leçons de choses et des exercices physiques, l'éducation idéale est au centre des préoccupations.

Dans la réalité, les précepteurs ou les maîtres font ce qu'ils peuvent pour apprendre à lire, en latin, aux petits. Ensuite seulement on passe à l'apprentissage de l'écriture et du calcul. Mais petit à petit l'instruction gagne du terrain au point que près d'un quart des adultes sont capables de signer un document au début du XVIIe siècle.

Pieter Brueghel le Vieux, L'Âne à l'école, 1556, Berlin, Kupferstichkabinet.

L'école, « une vraie geôle de jeunesse »

Montaigne consacre bien sûr une partie de ses Essais à l'éducation. Il y attaque les anciennes méthodes de pédagogie...

« [J]e ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon, je ne veux pas qu’on l’abandonne à la colère et humeur mélancolique d’un furieux maître d’école ; je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la gêne et au travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix ; ni ne trouverais bon, quand, par quelque complexion solitaire et mélancolique, on le verrait adonné d’une application trop indiscrète à l’étude des livres, qu’on la lui nourrît ; cela les rend ineptes à la conversation civile, et les détourne de meilleures occupations. […] C’est une vraie geôle de jeunesse captive. Arrivez-y sur le point de leur office ; vous n’oyez que cris, et d’enfants suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère. Quelle manière pour éveiller l’appétit envers leur leçon, à ces tendres âmes et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains armées de fouets ! Inique et pernicieuse forme ! […] Combien leurs classes seraient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées, que de tronçons d’osier sanglants !  » (Montaigne, Essais, 1572)

Michel Ange Houasse, Intérieur d'école, XVIIe siècle, Ségovie, Real Palacio de La Granja de San Ildefonso.

Un Soleil peu inspiré

« Le droit d'écolage » : c'est ainsi qu'on appelle au XVIIe siècle ce que les parents versent au maître, peu formé, pour assurer la scolarité de leurs enfants.

Egbert van Heemskerck le Jeune, Le Maître d'école, 1687, Rouen Musée national de l'Éducation.Quelques sous, quelques œufs suffisent pour que les petits apprennent la Bible, la politesse et quelques notions de lecture dans un coin du presbytère. C'est souvent suffisant pour les paysans qui attendent Pâques et le retour de leurs enfants à la ferme, jusqu'à la Toussaint.

En ville, tout un réseau de « petites écoles » continue à se mettre en place, notamment à destination des plus pauvres grâce à l'œuvre de Jean-Baptiste de La Salle. Fondateur de l'Institut des Frères des écoles chrétiennes, il essaime à partir de 1680, en grande partie dans le nord de la France, ses « Frères ignorantins » qui vont permettre de scolariser gratuitement les enfants.

Les Frères conduisant les Enfants, à Saint Nicolas des Champs, Jean-Henri Marlet, XVIIIe siècle, Paris, BnF.

Du côté des filles, ce sont les congrégations féminines comme les Ursulines ou les Visitandines qui vont s'en charger, trouvant là l'occasion de faire œuvre charitable.

Claude Lefebvre, Un Précepteur et son élève, XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre. L'agrandissement présente le tableau de Jean Siméon Chardin, La Bonne éducation, 1753, Museum of Fine Arts, Houston. Hostile à l'alphabétisation, qu'il soupçonne de vider les campagnes, l'État se montre longtemps peu intéressé par le problème, laissant l'affaire aux religieux, jusqu'à ce que Louis XIV se laisse convaincre par Mme de Maintenon d'ouvrir en 1686 dans le parc de Versailles une maison d'éducation destinée aux jeunes filles pauvres de la noblesse.

Le Roi-Soleil ne va finalement pas s'arrêter à la création d'une pension tout confort, vite déménagée à Saint-Cyr : il promulgue le 13 décembre 1698 une ordonnance demandant « que l’on établisse autant qu’il sera possible des maîtres et des maîtresses dans toutes les paroisses où il n’y en a point pour instruire tous les enfants au catéchisme […] pour apprendre à lire et à écrire à ceux qui pourront en avoir besoin ».

Ce beau projet n'est pas sans arrière-pensées puisqu'il s'agit ici, 13 ans après la révocation de l'édit de Nantes, de placer toutes les écoles entre les mains du clergé et ainsi lutter contre le protestantisme. L'éducation est plus que jamais un outil politique. Malgré l'indifférence des curés et l'hostilité des parlements, les « petites écoles » prescrites par le roi vont peu à peu s'établir dans les campagnes (note).

Émile saura-t-il lire et écrire ?

En 1762 paraît un livre qui va bouleverser les familles : dans Émile ou De l'éducation, Jean-Jacques Rousseau propose une nouvelle vision de l'enfance. Mais que pense-t-il de l'alphabétisation ?

« En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer. […]
L’intérêt présent, voilà le grand mobile, le seul qui mène sûrement et loin. Émile reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, de ses amis, des billets d’invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique. Ces billets sont courts, clairs, nets, bien écrits. Il faut trouver quelqu’un qui les lui lise [...] on voudrait essayer de les déchiffrer ; on trouve tantôt de l’aide et tantôt des refus. On s’évertue, on déchiffre enfin la moitié d’un billet : il s’agit d’aller demain manger de la crème... on ne sait où ni avec qui... Combien on fait d’efforts pour lire le reste ! je ne crois pas qu’Émile ait besoin du bureau. Parlerai-je à présent de l’écriture ? Non, j’ai honte de m’amuser à ces niaiseries dans un traité de l’éducation »
(Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762).

École française du début du XVIIIe siècle, d'après Abraham Bosse, Le Maître d'école coll. particulière.

La liberté par l'écriture

Le XVIIIe siècle se démarque par une volonté de plus en plus marquée, de la part des communautés rurales, d'accéder non seulement à la lecture mais aussi, fait nouveau, à l'écriture.

Il s'agit non seulement d'acquérir un bagage minimum pour aller travailler en ville, mais aussi d'accéder à une certaine forme d'autonomie vis-à-vis des autorités, qu'elles soient politiques ou religieuses.

Pour les jeunes filles, écrire permet d'échapper quelque peu à l'autorité du père, du mari ou du curé. Cette aspiration populaire rejoint les rêves de certains philosophes comme Emmanuel Kant qui y voit un moyen d'échanger les idées et donc de s'émanciper.

Le Maître d'école, École française du XVIIIe siècle (Salon de 1751). L'agrandissement montre un tableau de Nicolas Toussaint Charlet, Le Maître d'école, 1828, Paris, musée du Louvre.Rien de moins utile pour Voltaire ou encore Rousseau qui est très clair : « Les pauvres n’ont pas besoin d’éducation, celle de son état est forcée ; il n’en saurait avoir d’autres. » Il rejoint en cela l'idée courante qu'il ne faut pas inciter les jeunes paysans et artisans à adopter une autre profession. Chacun sa place ! Mais rien n'arrête le processus : à la veille de la Révolution, on trouve des petites écoles dans la majorité des paroisses, et le taux d’analphabètes, incapables de signer leur nom, est tombé à 60 %.

Poussés par une nouvelle conception du peuple, composé de citoyens et non plus de sujets, les réformateurs de 1789 se lancent dans la formation de l'homme nouveau sous l'égide de l'État et non plus des religieux. Pour Condorcet, l'école doit être laïque, gratuite et ouverte aux deux sexes.

Robespierre imagine des internats obligatoires pour séparer l'enfant de sa famille et faire ainsi table rase du passé. Mais ces belles ambitions se heurtent à la réalité et à la méfiance des familles. En 1795, l'instruction élémentaire est donc confiée aux départements qui, faute de moyens et d'accord sur les programmes, laissent les projets d'éducation généralisée au stade d'ébauche.

Les écoles privées, confortées par le Concordat de 1802 qui permet le retour des congrégations enseignantes, ont le champ libre.

Deux tableaux de Jean-Jacques de Boissieu, Le grand maître d'école puis Le petit maître d'école, 1736-1810, Bibliothèque municipale de Lyon.

Isabelle Grégor
L'analphabétisme ? La première cause d'inégalité

C'est Condorcet qui, le premier, imagina une école publique. Voici un extrait de ses Cinq mémoires sur l'instruction publique de 1791 :

« L’instruction publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens.
Vainement aurait-on déclaré que les hommes ont tous les mêmes droits ; vainement les lois auraient-elles respecté ce premier principe de l’éternelle justice, si l’inégalité dans les facultés morales empêchait le plus grand nombre de jouir de ces droits dans toute leur étendue. […] Cette obligation consiste à ne laisser subsister aucune inégalité qui entraîne de dépendance. Il est impossible qu’une instruction même égale n’augmente pas la supériorité de ceux que la nature a favorisés d’une organisation plus heureuse.
Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance.
Ainsi, par exemple, celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l’arithmétique, dépend réellement de l’homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir. Il n’est pas l’égal de ceux à qui l’éducation a donné ces connaissances ; il ne peut pas exercer les mêmes droits avec la même étendue et la même indépendance »
(Nicolas de Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791).

Publié ou mis à jour le : 2020-03-16 17:15:35
daniel adam-salamon (02-09-2023 14:06:51)

Sur le « Plan d’éducation nationale de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau »

L’école sous la Révolution s’inscrit dans l’histoire politique et religieuse des années 1760 – 1880, qui sont celles d’un État s’émancipant progressivement de l’Église.

L’enseignement s’inscrit dans cette continuité qui va de l’exclusion des enseignants jésuites en 1762 à la promulgation de la loi sur l’enseignement primaire obligatoire de Jules Ferry, le 28 mars 1882, qui préfigure l’avènement de l’école contemporaine.

Cette présentation de la question éducative énonce une succession hiérarchisée, avec une idée de progression, de progrès. Dans ce sens, Talleyrand, Condorcet, Lepeletier, Bouquier, Guizot, Fallioux et Ferry appartiendraient au même espace de pensée.

Comme tous les textes fondateurs sont l’expression d’une intention et d’une stratégie politique de leurs auteurs, il faut opter pour une analyse plus épistémologique (théorie de la connaissance), au sens archéologie du savoir. Il s’agit d’aller chercher au fond de la pensée, dans ses racines, dans ce qui la conditionne, l’autorise, la détermine tout à la fois ; sa structure générative en quelque sorte.

Les problématiques de Talleyrand à Ferry sont différentes et le socle même sur lequel s’élèvent leurs théories peut être distingué. Ainsi, Lepeletier est dans la filiation de Condorcet; et Ferry n’en est pas le continuateur !

Le choix de l’éditeur n’est donc pas innocent, puisqu’il n’est question que d’instruction et d’éducation publiques. En 1789, seul le second terme était employé et figurait dans tous les cahiers des États généraux. Sous l’Ancien Régime (Régime politique de la monarchie absolu), l’éducation était comprise par son ancien mot : nourrir. Son mode opératoire étant un vase à remplir de connaissances et de considérations morales [1] .

La même année fût votée la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, disposant que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits… ». Par cet acte majeur, l’individu n’est plus sujet d’un roi, mais théoriquement un citoyen à égalité de droits. Il est à la base de la République de 1792, après la suppression des titres de noblesse par la Constituante, le 17 juin 1790. C’est à l’invite de Louis - Michel Lepeletier, marquis de Saint Fargeau, que les nobles reprirent leur vrai nom de famille, abandonnant leur titre.

Cette idée d’un droit appartenant à l’homme en tant qu’Homme, avant toute organisation sociale, d’un droit “naturel”, était inscrite dans une longue tradition de pensées et de doctrines, bien différenciée à l’époque des Lumières. Par” Homme”, il faut bien entendu comprendre la femme, l’enfant ou… l’homme.

L’affirmation de l’être l’humain comme une fin en soi et comme un sujet digne de raison, de perfectibilité, de liberté, comme de conscience morale, est au fondement de la pensée pédagogique de Condorcet[2] et de Lepeletier[3]. Tous deux partageaient la même indignation de l’ignorance et le même constat que la religion éduquait en déformant.

En décembre 1792, Condorcet présenta un plan d’organisation de l’instruction publique[4], qui préconisait cinq degrés, dans une instruction “permanente” du citoyen :

— école primaire

— école secondaire (école primaire supérieure)

— institut (collège)

— lycée (faculté)

— société nationale des sciences et des arts, chargée de la direction de la direction générale de l’enseignement.

Suivant la recommandation des Encyclopédistes, les programmes étaient laïcisés. L’instruction du premier degré se devait d’être rigoureusement universelle, puisque « les principes de la morale enseignée sont fondés sur la Raison et les sentiments naturels sont communs à tous les hommes ».

C’est à l’occasion de la présentation du rapport de Condorcet que Lepeletier rédigea son mémoire sur « l’Éducation commune de l’enfance »[5]. Robespierre en fît lecture à la tribune de la Convention, le 13 juillet 1793, à la place de « son grand ami » (assassiné le 20 janvier 1793). Et ce 13 juillet, hasard de l’histoire, fut la mort tragique de leur autre ami commun : Marat (auteur de « Les chaînes de l’esclavage »). Et si Marat était «l’ami du peuple», Lepeletier en était le défenseur inconditionnel.

Pour sa compréhension, le plan de Lepeletier est inséparable de celui de Condorcet, auquel il devait servir de complément, plus particulièrement en ce qui concerne l’éducation. Pour lui, cette dernière faisait défaut : l’instruction s’enseigne alors que l’éducation s’apprend par un autre mode d’action du maître. Il proposa donc, pour le premier degré, « une maison de l’éducation où tous les enfants (garçons et filles) seraient élevés en commun». Son originalité était d’emprunter à l’utopie, qui concevait un système social dont l’équilibre dépendait d’une planification des activités et des mœurs. Avec la gratuité totale de l’enseignement, il désirait compenser l’inégalité de fait induite de la répartition des richesses. La pauvreté était une contrainte structurelle de son plan, car elle avait pour conséquence le travail des enfants. Ce qui nécessitait l’intrusion de la puissance publique dans l’administration scolaire — contrairement à Condorcet.

Pour le défenseur du peuple, l’inégalité des talents était le produit des structures sociales. Il fallait donner à chacun et à tous la libre disposition de soi-même.

Ce qui caractérise la pensée de Lepeletier peut se résumer à l’unicité des savoirs, alors que celle de Condorcet les fragmente au sein de différentes disciplines !

Le mot de la fin appartient à Condorcet : « Il viendra, sans doute, un temps où les sociétés savantes (cinquième degré NdE), instituées par l’autorité, seront superflues, et dès lors dangereuses...». Que sont devenues l’ENA, Polytechnique et Science Po?

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