Les femmes en terres d'islam

L'émancipation entravée

Le monde musulman s'étend de l'océan Atlantique à l'Extrême-Orient et rassemble près de deux milliards d'êtres humains. Du Maghreb à la Malaisie et à l'Afrique soudano-sahélienne, les pays qui le composent appartiennent à des aires culturelles très diverses. Ils ont aussi connu des histoires différentes, avec une arrivée de l'islam tantôt ancienne, tantôt très récente. Il est donc impossible d'appréhender ce monde comme une entité homogène, et la condition des femmes y varie beaucoup d'une contrée à l'autre, même si quelques traits fondamentaux du droit islamique imprègnent presque partout les législations familiales.

Sophie Bessis

NB : cliquez avec la souris sur les illustrations pour obtenir la version agrandie de celles-ci.

Le port d'Alger, Frederick Arthur Bridgman, 1881, New York, Brooklyn Museum. L'agrandissement montre une photographie de la manifestation des femmes à Alger le 8 mars 1965 pour l'égalité des droits, Michel Martini, droledetrame.com, DR.

Entre l'Histoire et le droit

Pour parler des droits des femmes en terres d'islam - le pluriel est ici de rigueur - il convient de tenir compte de la diversité et de la complexité des influences anciennes et plus récentes qui ont marqué l'histoire des pays musulmans. Les femmes du monde musulman présentent toutefois une parenté de condition faite de discriminations et d’inégalités, légitimées par l’invocation d’une sacralité du droit musulman, prétendu immuable.

Eugène Giraud, Orientale, XIXe siècle, musée national du Château de Compiègne. Toutes ces discriminations, qui ne sont d'ailleurs pas propres au monde musulman, ont pour résultat une tension grandissante entre la norme patriarcale légitimée par la religion et le désir d’émancipation, entre la référence aux normes universelles et l'assignation à un dogme censé être supérieur aux lois terrestres.

Tenons-nous-en ici au monde arabo-turco-persan. De la péninsule arabique à l'Iran, du Moyen Orient au Maghreb, la condition des femmes y a connu des destins différents. Du « féminisme d'État » tunisien au dogmatisme conservateur saoudien, de la laïcité kémaliste qui a prévalu en Turquie jusqu'à une période récente à la régression iranienne consécutive à la révolution islamique de 1979, nous analyserons les avancées et les reculs des droits des femmes à l'époque contemporaine en rendant compte des luttes qu'elles mènent partout pour étendre le champ de ces derniers.

- Un vieux débat

Le monde arabe, dont la quasi-totalité a fait pendant plusieurs siècles partie de l'empire ottoman, de même que ce dernier et son vieux concurrent l'empire perse devenu l'Iran, ont une longue histoire de rapports avec la modernité qui a commencé à infléchir leurs lois à partir des années 1830-1840. Cependant, la question du rapport entre condition des femmes et modernisation des sociétés s'est posée plus tard, à partir des années 1880. Elle n'a plus cessé, dès lors, d'occuper le centre des débats, contrairement à l'idée qu'on s'en fait généralement en Occident.

Portrait de Hoda Charaoui vers 1900 (23 juin 1879 - 12 décembre 1947), l'une des pionnières du mouvement féministe égyptien, fondatrice de l'Union féministe égyptienne.

Dès le début du XXe siècle, dans la foulée du mouvement réformiste de la Turquie à l'Iran, à l'Égypte, à la Syrie et à la Tunisie principalement, des femmes ont commencé à réclamer des droits. Sans toujours s'opposer frontalement à la norme religieuse, elles ont revendiqué leur droit à l'éducation ainsi que l'accès à la sphère publique, et demandé l'abrogation des dispositions juridiques les plus discriminatoires comme la polygamie et le privilège masculin de répudiation, de même que l'abandon de l'obligation du port du voile.

On peut parler, pour ces pays, de l’existence d’un premier féminisme dès les années 1920, porté par quelques figures tutélaires comme Hoda Chahrawi en Égypte, Manoubia Ouertani et Habiba Menchari en Tunisie. De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, des penseurs « féministes » égyptiens comme Kacem Amin, Mansour Fahmi et Tahar Haddad condamnent vigoureusement le sort fait aux femmes en islam.

Considéré comme l’un des pères du féminisme en Tunisie, Tahar Haddad publie en 1930 Notre femme dans la loi et dans la société dans lequel il explique que les sociétés musulmanes ne pourront avancer si la condition des femmes ne change pas profondément. C’est l’époque au cours de laquelle émergent des organisations féminines.

Depuis des décennies, tous les penseurs modernistes de cette région se sont donc posé la question du changement de la condition féminine comme prérequis du progrès. Mais, l’exception turque mise à part, la déconnexion entre les sphères politique et religieuse n'a pas eu lieu.

Épouses de personnalités tunisiennes, dont Jalila Hafsia au premier plan, journaliste et écrivaine, saluant Habib Bourguiba au palais du Bardo, le 25 juillet 1957, jour de la proclamation de la République.	Même les mouvements sécularisants, qu'ils aient été de facture nationaliste comme les différentes versions du nationalisme arabe, ou réformiste comme l'expérience bourguibienne en Tunisie et celle des Pahlavi en Iran, se sont contentés, pour les plus audacieux, de pousser aussi loin que possible des démarches relevant de l'ijtihad (effort d’adaptation législative procédant de l’intérieur de l’islam et répondant aux exigences du temps présent).

Plus qu'à un renvoi de la religion dans la sphère privée, on a assisté à un contrôle de la religion par l'État. Résultat : la norme religieuse, d'essence absolutiste, a continué de jouer un rôle hégémonique. En outre, à partir de la fin des années 1970, les dictatures en place dans la plupart de ces pays ont cru pouvoir lutter contre des mouvements islamistes en plein essor en les réprimant férocement d'une part et en réactivant le primat du religieux de l'autre, mais sans offrir aux populations de discours alternatif.

Loin d'affaiblir l'islam politique, ces stratégies ont contribué à une réislamisation par le haut du corps social. De fait, hormis les monarchies du Golfe, les droits des femmes ont connu des trajectoires sinueuses, faites de périodes d'avancées, parfois de recul, et souvent de stagnation.

- L’impasse du droit

L’islam est plus ou moins clairement religion d’État dans tous les pays arabes sauf au Liban, république multiconfessionnelle. Il l'est également en Iran avant 1979. Seule la Turquie est officiellement un État laïque où les lois sont égalitaires, ce qui n'empêche pas l'hégémonie sociétale de la norme religieuse dans les régions les plus conservatrices comme l'Anatolie et le Kurdistan.

Dans les pays qui ont été colonisés par l'Occident, les élites se sont réclamées de l'islam comme instance de légitimation et aucun pouvoir arabe, pas même le très moderniste bourguibien, n’a osé répudier explicitement l’instance religieuse comme ressource légitimatrice.

Beaucoup de Constitutions arabes ne se contentent pas d’énoncer que l’islam est religion d’État à l’instar de celles du Maroc ou de la Tunisie. Elles énoncent aussi que la charia est une source voire la source principale ou encore la source unique de la législation. Découlant de cette filiation, la loi codifie donc l’infériorité des femmes. Quelles que soient les avancées juridiques que certains de ces pays ont connu au cours du dernier demi-siècle, aucun ne l’a modifiée jusqu’à la rendre égalitaire.

Les sociétés arabo-musulmanes, bien qu'ayant connu pour la plupart de profondes évolutions, n'ont donc été juridiquement sécularisées qu'à la marge en matière de statut personnel et de droit de la famille. La religion, il faut le noter, n'étant invoquée que dans ce domaine. Dans tous les autres, économie, commerce ou autres, les lois sont parfaitement profanes et ne font référence à aucune sacralité. Comme ailleurs, religion et patriarcat ont donc partie liée en terres d'islam.

Naziha al-Dulaimi (1923-2007), première femme à occuper un poste ministériel au Moyen-Orient arabe en 1959, pionnière du mouvement féministe irakien, cofondatrice et présidente de la Ligue des femmes irakiennes. L'agrandissement reflète les conditions de vie dramatiques des femmes irakiennes soumises aux contrôles de l'EI à Mossoul ou dans ses environs, © Amnesty International, 2018, DR.Pourtant, au moment des indépendances, dans l’euphorie de la souveraineté recouvrée et de la volonté générale de modernisation, les lois évoluent, sauf dans les monarchies du Golfe imperméables à toute forme de modernisation du droit : L’Égypte (1936), la Jordanie (1951), la Syrie (1953), la Tunisie (1956), le Maroc (1957), l’Irak (1959) se dotent de codes de statut personnel. Dans d’autres pays le processus est moins marqué comme en Algérie, avec le code très conservateur de la famille de 1984, ou la Mauritanie en 2001.

À des degrés différents, ces codes sont en rupture avec l’ancien, transformant les rapports au sein de la famille sur le modèle conjugal et sécularisant la vie juridique. Mais ils n’ont pas coupé les attaches d’avec le système de normativité islamique, auquel, sous des modalités diverses, il est constamment fait référence et ils reconduisent avec un plus ou moins grand réaménagement du droit traditionnel les institutions de la famille patriarcale et patrilinéaire.

Citons quelques exemples :

• Le code algérien de la famille de 1984 : «  En l’absence d’une disposition dans la présente loi, il est fait référence aux dispositions de la chariâ » (Article 222 du code de la famille algérien). Lors de la réforme homéopathique du code, le président Boutefilka déclarait en 2005 : « Vous avez revendiqué l’amendement du code de la famille, vous l’avez eu, mais je ne pouvais faire plus… Il m'était impossible de suivre la voie de certains pour désobéir à Dieu. Je ne peux marchander avec les versets; aux hadiths peut-être que l’on peut trouver différentes interprétations mais pas aux versets ».

• La loi égyptienne du statut personnel (2001) : «  Les décisions sont prises conformément aux lois du statut personnel… En cas de silence des textes, il est fait recours à l’opinion prévalente de la doctrine de l’Imam Abu Hanifa » (note), Article 3 (traduction de la juriste tunisienne Sana Ben Achour).

• Le code mauritanien du statut personnel 2001 : «  En cas de difficultés d’interprétation, il est fait référence aux enseignements de l’opinion dominante du rite malékite ».

• Le code marocain de la famille après la révision de 2004 : « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du rite malékite et /ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel » (article 400, la Mudawana de la famille, promulguée le 3 février 2004). En donnant le coup d'envoi à la réforme de la Mudawana, Mohamed VI dans son discours du 10 octobre 2003 insistait sur l’usage de l’ijtihad, mais ajoutait « Je ne peux en ma qualité d’amir el mu’minin, autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très Haut a autorisé ». Si la Mudawana de 2004 est un progrès, elle n'abolit cependant pas la polygamie et l'autorité parentale demeure une exclusivité du père.

• Une exception tunisienne ? Seule la Tunisie, dans le CSP (code du statut personnel) de 1956, a rompu avec certains dogmes : il surprend alors tous les milieux par son audace et ce que l'on appellera vite un « féminisme d'État ». Les nombreuses innovations sont pour la plupart étrangères au système de normativité islamique, transgressant parfois ce qui est réputé intangible : citons comme exemples l’interdiction expresse de la polygamie et les sanctions pénales qui s’y attachent ou encore l’initiative du divorce accordée dans les mêmes conditions aux conjoints sans discrimination entre les sexes.

Mais les innovations législatives et les avancées sociales ont été présentées comme le fruit d’un ijtihad. La référence à l’ijtihad est récurrente dans le discours bourguibien. Tous les ressorts de l’islam libéral et du réformisme religieux ont été mobilisés pour justifier cette importante réforme, qui sécularise sans être laïque. Enfin, on constate que la quasi-totalité des États musulmans, bien au-delà des pays dont on parle ici, ont émis des réserves à la Cedaw (Convention des Nations unies contre toutes les discriminations à l'égard des femmes promulguée en 1979) au nom du respect des principes du droit musulman.

Depuis 2010, le Maroc et la Tunisie ont levé leurs réserves, sans pour autant incorporer la totalité des dispositions de la Convention à leur législation interne. Là encore, ils ne sont pas les seuls et tous les États dont le droit de la famille est calqué sur le référent religieux ont fait la même chose, comme Israël dont les réserves sont à peu près identiques à celles des États musulmans.

Jeune femme iranienne en 1930, photographie de Parîsâ Damandân Nafîsî, extraite de Portraits photographiques d'Ispahan :  Visages en transition 1920-1950

Les bouleversements contemporains : avancées et régressions

Et pourtant, la place des femmes dans cette partie du monde a radicalement changé en une soixantaine d'années. Entre avancées considérables et régressions tout aussi graves, les rapports de genre ont été bouleversés, pour le meilleur et pour le pire.

- Les bouleversements sociétaux

Partout, certes à des degrés divers, les pays les plus conservateurs demeurant à l'arrière (Yémen, zones rurales du Sahel subsaharien ou du Soudan), mais de l'Iran au Maroc, la place des femmes dans les sociétés concernées a évolué.

École de jeunes filles en Algérie, Félix-Jacques-Antoine Moulin, vers 1856-1857, Paris, BnF.La scolarisation des filles a d'abord constitué une révolution. Aujourd'hui, y compris en Arabie saoudite, elles représentent la majorité des bachelières et sont plus nombreuses que les étudiants dans les universités. Dans de nombreux pays, le comportement démographique a changé et l'on a enregistré en une génération une chute drastique du taux de natalité et de l'indice de fécondité (dico). Il faut toutefois faire ici une différence entre d'une part le Maghreb, la Turquie et plus tardivement l'Iran et le Machrek (Orient arabe) qui, lui, garde des taux de natalité élevés.

Toutefois, la scolarisation, l'élévation de l'âge au mariage des filles, leur entrée sur le marché du travail salarié et l'évolution de la cellule familiale vers une famille de type nucléaire tendent à faire baisser ces taux. Dans des pays comme la Tunisie, par exemple, une politique très active de planification familiale a été mise en œuvre.

Même si le monde arabo-musulman reste la région du globe où le taux d'emploi des femmes est le moins important, leur autonomie financière s’est peu à peu accrue et a fait évolué les rapports au sein de la famille. Malgré les résistances, l'hégémonie de la présence masculine dans le domaine public perd du terrain.

Il en est de même pour les mondes de l’entreprise et de la politique qui voient une entrée timide des femmes dans les sphères de décision. Moins qu'ailleurs peut-être, dans la douleur sans aucun doute, les rapports de genre sont en train d'être bouleversés dans la plupart des pays musulmans.

En Jordanie, une femme ne peut transmettre sa nationalité à son enfant si elle est mariée à un étranger, 2018. L'agrandissement montre une fresque réalisée par l'artiste Lucie Legrand lors de la septième édition du Baladk Festival du 26 avril au 3 mai 2018 à Amman en Jordanie, @AFD, DR.

- Mais des régressions plus ou moins graves

Les régressions auxquelles on assiste depuis le début des années 1980, avec le signal de la révolution islamique iranienne en 1979 et l'arrivée sur le devant de la scène des partis islamistes sont-elles une réaction à ce bouleversement des rapports de genre ?

En partie oui, et les mouvements réactionnaires qui agitent cette partie du monde ont une dimension viriliste qui s'exprime sous des formes diverses, du refus de toute évolution juridique chez les plus « modérés » jusqu'aux manifestations les plus extrêmes de la violence misogyne, comme chez les talibans afghans ou Daech.

Pour les secteurs les plus conservateurs, le nouveau désordre du monde s'incarne dans le changement du statut des femmes et il convient de rétablir les normes antérieures pour que les sociétés retrouvent l'équilibre perdu.

Cependant, dans bien des cas, l’alibi religieux est invoqué pour légitimer des coutumes plus conservatrices encore que le texte sacré. C’est le cas, par exemple, de l’institution du tuteur matrimonial (wali), qui subsiste dans plusieurs pays, sans la présence duquel une femme ne peut se marier. Or nulle mention n’est faite de cette institution dans le Coran (dico). Elle est propre à certains droits positifs de l’aire musulmane, dont le droit sunnite malékite majoritaire au Maghreb, l’un des plus conservateurs, mais on ne la trouve pas dans d’autres écoles juridiques comme celle du droit hanéfite.

C'est le cas aussi des crimes d'honneur ou de la réclusion des femmes. La charia, concept aux contours flous autorisant toutes les manipulations, a donc bon dos quand elle permet de justifier le maintien des coutumes. De fait, ce sont des productions juridiques parfaitement humaines, ayant évolué dans le temps, qui ont plus ou moins d’incidences dans la vie des musulmans. Cette diversité des droits positifs explique que l’invocation du Coran couvre des réalités juridiques différentes d’un pays à l’autre.

On ne peut ici faire l'inventaire de toutes les raisons qui ont fait entrer le monde, et pas seulement le monde musulman, dans une période de réaction religieuse, dont les femmes sont toujours et partout les premières victimes. En ne rompant pas avec la source religieuse, les dirigeants musulmans présentent toutefois la particularité de ne pas avoir créé les « anticorps » qui permettraient aujourd'hui de lutter plus efficacement contre cette réaction, anticorps que des sociétés plus sécularisées ont su fabriquer.

La faute aux élites, aux sociétés ? C'est un débat qui est loin d'être clos. Quoiqu'il en soit, le processus contemporain d'enfermement de l'identité dans la religion et de réduction de cette dernière au répertoire moral sert une fois de plus à sacraliser l'inégalité sexuelle. 

Deux femmes afghanes arrosent le sol au Département des affaires féminines de Qalat, province de Zabul, Afghanistan, le 8 mai 2011, Photo de l'US Air Force.

La résurgence du conservatisme religieux obère les droits des femmes

Aux lectures libérales de la norme qui avaient prévalu dans de nombreux pays entre les années 1950 et 1970, ont succédé des lectures conservatrices qui ont changé la donne. Les explications sont nombreuses :
• Le prosélytisme wahhabite saoudien, à partir de l'envolée des prix du pétrole dans les années 1970, est l’une des causes principales de la wahhabisation de l'islam dans toutes les régions du monde musulman, avec les conséquences catastrophiques que l'on connaît.
• La révolution islamique iranienne de 1979 a balayé les avancées juridiques de l'ère Pahlavi. La première loi du régime khomeyniste a été l'abaissement de l'âge légal du mariage des filles à 9 ans (il a depuis été augmenté à 13 ans). Et, bien sûr, la stricte obligation du port du voile.
• Les fondamentalismes d'État contre la montée de l'islam politique, comme dans l'Égypte de Hosni Moubarak qui a abrogé quelques lois libérales adoptées à l'époque de Hanouar el-Sadate.
• Les coups d'État militaro-islamistes comme au Soudan en 1989.
• La victoire électorale de partis islamistes dont l'objectif a été de reconfessionnaliser des sociétés trop sécularisées à leurs yeux : l'AKP d'Erdogan en Turquie.
• L'Occident n'est pas sans responsabilité dans la reconfessionnalisation du monde musulman. D'abord en ayant noué des alliances privilégiées avec les pays les plus conservateurs du monde arabe comme les monarchies du Golfe sans critiquer ni leurs violations systématiques des droits humains ni l'état de sujétion dans lequel ils maintiennent les femmes, puis en ayant soutenu les mouvements jihadistes dans l'Afghanistan des années 1980 contre l'URSS.

Le cas de l'Irak est encore plus symptomatique. L'intervention américaine de 2003 a totalement confessionnalisé la vie politique de ce pays en détruisant les institutions d'un État, certes dictatorial mais relativement séculier, pour donner le pouvoir à une majorité politique chiite liée à l'Iran.

Dès 2005, la charia a été proclamée source principale de la législation. Or l'introduction de la charia passe toujours et d'abord par le code de la famille. Le nouveau pouvoir irakien a abrogé en 2005 le code de la famille de 1959 et la vie des Irakiennes est désormais régie par les règles juridiques des confessions auxquelles elles appartiennent dans leur lecture la plus conservatrice.

Quant aux chiites (dico), aux sunnites et aux Kurdes, divisés sur à peu près tout, ils ont cependant réussi aisément à se mettre d'accord sur cette question. L'article 14 de la Constitution de 2005 établit que les modalités concernant le mariage, le divorce et l'héritage sont réglées sur la base de la charia, selon l'interprétation sunnite ou chiite.

Les femmes actrices et les batailles actuelles

La régression serait-elle donc inévitable ? Si elle est un fait dans de nombreux pays, surtout là où loi et coutume se renforcent l'une l'autre, les changements sociétaux que l'on a évoqués ont introduit un acteur de poids dans la bataille, les femmes elles-mêmes. Partout, y compris dans les régimes les plus répressifs, elles luttent pour l'obtention ou l'élargissement de leurs droits et contre les régressions qui les menacent. Elles remportent ici des victoires et subissent ailleurs des défaites.

Un exemple parlant de cette bataille est donné par l'Arabie saoudite, dont la Loi fondamentale de 1992 dispose que : « La Constitution du pays est le Livre de Dieu le Très Haut et la Tradition [sunna] du Prophète ». En dépit des signes d’ouverture donnés ces dernières années par la « nouvelle génération » de dirigeants incarnée par le prince héritier Mohamed Ben Salman, les femmes continuent d'être enfermées dans un carcan juridique répressif et discriminatoire.

Mais le pays connaît depuis 2016 une mobilisation sans précédent des femmes pour la défense de leurs droits les plus élémentaires. Aujourd’hui, on compte des milliers de cyber-militantes, dont la plupart agissent au travers de comptes anonymes sur les réseaux sociaux par crainte de représailles. La répression est cependant rude et plusieurs figures féministes saoudiennes ont été emprisonnées pour avoir réclamé davantage que ce que veut bien leur concéder un régime soucieux de donner une illusoire image de modernité.

- Femmes et printemps arabes, une révolution ?

Les bouleversements révolutionnaires de 2011 et leurs suites dans le monde arabe ont eu des effets contrastés sur la situation des femmes, libérant à la fois une parole émancipatrice et une parole conservatrice. Sans parler des pays ayant sombré dans la guerre, les femmes ont alternativement gagné et perdu dans les pays demeurés en paix.

Mais une chose est importante : partout, elles ont massivement participé aux contestations et ont tâché de s'y faire entendre. Elles ont pu faire aboutir, au moins partiellement, leurs revendications là où une société civile féminine constituée existait déjà et s'est renforcée à la faveur de la démocratisation. C'est le cas de la Tunisie où les femmes ont pris une part active à la chute de la dictature en 2011 et à la mise en place des institutions démocratiques, dont la Constitution de 2014.

Elles y ont gagné entre autres la reconnaissance formelle de l'égalité des sexes dans la Constitution, l'obligation de la parité sur les listes électorales qui a élargi leur participation à la vie politique, la promulgation en 2017 d'une loi cadre pénalisant toutes les formes de violence contre les femmes, et l'abrogation d'une disposition discriminatoire interdisant à la musulmane d'épouser un non musulman. En revanche, malgré une forte mobilisation, elles n'ont pu imposer l'égalité successorale (conformément à la loi religieuse, les filles reçoivent une part d'héritage moitié moindre de celle des garçons).

L’arrivée sur la scène politique de partis se réclamant de l'islam politique et l'influence qu'ils exercent sur la sphère sociale a en effet renforcé le conservatisme d'une partie de la société, qui s'exprime par le refus d'accorder de nouveaux droits aux femmes, invoquant la nécessité du respect des textes sacrés. Ces formations ont également une influence régressive sur des pratiques sociales qui s'étaient largement modernisées.

Ainsi, le taux de couverture contraceptive a chuté de façon drastique entre 2012 et 2018, de 62,5% à 50,7%. Une partie grandissante du corps médical et paramédical dissuade les femmes de pratiquer l'IVG, pourtant légal et gratuit, en les culpabilisant au nom de la religion. Résultat : l’indice synthétique de fécondité a réaugmenté depuis 2010 pour passer de 2 en 2007 à 2,4 en 2017.

- La régression égyptienne

Les femmes ont pris une part active à l'insurrection de février 2011, mais elles ont immédiatement été reléguées au second plan et ont subi de multiples formes d'agression sexuelle de la part des forces de l'ordre. L'arrivée au pouvoir des Frères musulmans lors des élections de 2012 a davantage encore fragilisé leur situation.

Et contrairement à ce que l'on croit une fois de plus en Occident, le coup d'État militaire de juillet 2013 est synonyme de graves régressions. En effet, le régime dictatorial du maréchal Sissi reconduit les pratiques des dictatures précédentes en réprimant férocement les islamistes tout en ayant recours à un fondamentalisme d'État pour se légitimer.

Les situations sont d'autant plus contrastées que le conservatisme religieux et la réaction à coloration islamiste n'est pas sans exercer une certaine influence dans le milieu féminin. Et il serait naïf de croire que les femmes sont unanimement acquises à la cause de leur propre émancipation.

Il existe de nombreux témoignages qui prouvent cette attraction. Pour autant, des batailles se mènent partout : en Turquie contre la réislamisation des lois et de la société par l'AKP, le parti du président Erdogan, comme en Iran où les femmes sont présentes dans toutes les mobilisations sociales.

La seconde vague insurrectionnelle que connaît le monde arabe depuis 2019, de l'Algérie au Liban, à l'Irak et au Soudan offre également de nouvelles opportunités aux femmes dans la mesure où, à l’exception de l’Algérie où les choses sont plus complexes, une des principales revendications est la déconfessionnalisation des sociétés concernées.

Il convient de clore ce tableau par un constat : si de nombreuses forces s'élèvent pour empêcher un changement global de paradigme concernant les droits des femmes, c'est essentiellement du fait de l'impasse juridique que crée le lien jusqu'ici indissoluble entre sphère législative et juridique et religion. On sait, et de nombreux exemples le montrent, à commencer par la France, que la laïcité n'est pas une condition suffisante pour établir l'égalité entre les sexes, même si elle en est cependant une condition nécessaire.

Certes, les interprétations libérales du corpus textuel religieux ont permis dans l'histoire du monde musulman depuis la seconde moitié du XXe siècle de beaucoup améliorer le statut juridique des femmes et, partant, leurs conditions de vie et l'économie générale des rapports de genre. Mais lever l'impasse juridique implique une rupture entre les lois et le dogme, ce qui ne semble pas être à l'ordre du jour.

Le monde musulman, une exception ?

Depuis le début des années 1980, on assiste partout dans le monde à un retour en force du discours religieux, érigé par les entrepreneurs néo-fondamentalistes en invariant de la culture et en socle des identités collectives. Cette résurgence se produit sous la forme d'une utilisation des lectures les plus réactionnaires des corpus religieux par ces forces politiques.

Elle s'observe de l'Amérique à l'Europe et à l'Afrique, dans les pays où, en plus des vieilles Églises dominantes, les nouvelles sectes évangélistes ont fait du retour aux rôles respectifs traditionnels des sexes l’un de leurs principaux fonds de commerce.

Les grands mouvements contemporains de réaction religieuse, de la Pologne aux États-Unis, du monde musulman au fondamentalisme hindou, ciblent d'abord les femmes et leur liberté. Ils nomment aujourd'hui un ennemi qu'ils ont eux-mêmes en partie inventé : la fameuse théorie du genre. Et, sur ce plan, tous les néo-fondamentalismes s'accordent.

Ce n'est donc pas le contenu de la norme dominante qui fait la spécificité arabo-musulmane - la loi mosaïque ou les épîtres de saint Paul ne sont pas moins misogynes - mais le fait que cette norme ait gardé une grande partie de sa vigueur. Et qu'il soit difficile aujourd'hui, dans un moment d'histoire où triomphe le culturalisme, de la remettre en question.

Mais ces sociétés sont loin d'être immobiles et l'évolution des rapports de genre constitue l’un des lieux essentiels où se mènent les batailles sociétales d'aujourd'hui.

Publié ou mis à jour le : 2021-04-16 08:52:57

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