L’explosion de l’usine Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019 est venue rappeler que la France demeure un pays industriel. L’usine de retraitement des eaux usées de Saint-Germain-en-Laye, classée à risque, a également subi le 3 juillet 2019 a subi un incendie entraînant une forte pollution de la Seine.
Mais ces accidents industriels, qui n'ont fait aucune victime, ne sont rien en comparaison de ce qu'a connu le Vieux Continent et de ce que connaissent aujourd'hui les pays émergents d'Asie, en premier lieu la Chine, pour ne rien dire de l'explosion d'un dépôt de nitrate d'ammonium qui a ravagé Beyrouth le 4 août 2020.
Ainsi, le 21 mars 2019, une explosion faisait 78 victimes et 566 blessés dans l’usine de produits chimiques de la Jiangsu Tianjiayi Chemical (JTC), à Yancheng, à 250 kilomètres de Shanghaï. Elle faisait suite à d'autres explosions le 28 novembre 2018 à Zhangjiakou, dans le Hebei (23 morts), le 12 juillet 2018 à Yibin, dans le Sichuan (19 morts) etc.
Les risques liés à l’implantation urbaine des industries sont apparus avec les fabriques de poudre à canon. Après les explosions survenues sur le site de l’Arsenal, à l’est de Paris, en 1538 et 1563, ces installations ont été éloignées des villes (celle de Paris a été transférée à Essonnes et explosera du reste plusieurs fois au cours du XVIIIe siècle), mais en 1794, dans le contexte de la levée en masse, le Comité de Salut public décide de concentrer la fabrication des armes à Paris.
Une poudrerie est installée au château de Grenelle, près du champ de Mars, à l’intérieur du mur des Fermiers généraux. Installée à la hâte sous la direction de Chaptal, elle rassemble plus de 1000 ouvriers. Le matin du 31 août 1794, une gigantesque explosion la dévaste et fait environ 600 morts. Les fenêtres volent en éclat dans presque tout Paris... Plusieurs autres poudreries explosent dans les mois qui suivent. Lors d’une autre crise politico-militaire, le 17 mai 1871, une cartoucherie explose avenue Rapp, à l’ouest de Paris, faisant plusieurs dizaines de morts parmi les ouvriers. D’autres explosions ont encore eu lieu dans des poudreries au XXe siècle.
Toutefois, jusqu’aux années 1970, les catastrophes industrielles seront moins urbaines que minières. Le coup de grisou de Courrières du 10 mars 1906 a profondément marqué la mémoire ouvrière (plus de mille victimes). Un cas particulier est celui de l’Ocean Liberty. Ce navire norvégien, qui transporte du nitrate d'ammonium, prend feu et explose dans le port de Brest le 28 juillet 1947. Toute la ville, qui avait déjà été rasée durant la guerre et était encore composée de baraquements, est frappée par des débris, et les incendies.
La peur de la chimie se réveille avec le drame de Seveso. Cette commune de la zone industrielle de Milan est touchée le 10 juillet 1976 par une importante fuite de vapeurs toxiques dans une usine du groupe pharmaceutique suisse Hoffmann-Laroche. Le groupe cache durant plusieurs jours cette toxicité aux autorités et expose ce faisant les habitants des alentours à des risques graves, même si aucun mort direct ne sera à déplorer.
À la suite de cette alerte, la Commission européenne adopte en 1982 une première directive, dite « Seveso I » (deux ont suivi depuis). Elle impose des mesures de prévention aux entreprises en fonction des risques encourus. Les limites de ces injonctions apparaissent toutefois le 21 septembre 2001 lorsqu’une cuve de nitrate d'ammonium entreposée dans l’usine AZF de Toulouse explose, faisant 31 morts et 2500 blessés, ainsi que des dégâts matériels considérables. L’usine a été par la suite rasée pour laisser place à un laboratoire de recherche sur le cancer, avec toute la symbolique que revêt l’installation d’équipements médicaux sur le site d’un tel accident.
En ce début du XXIe siècle, malgré tout, l'Europe peut se féliciter de ce que les catastrophes liées à l'industrie deviennent relativement exceptionnelles sur son sol. C'est essentiellement dû à ce que les activités dangereuses et sales ont été délocalisées dans les pays émergents d'Asie.
Un premier aperçu de ce phénomène nous a été donné par la catastrophe de l'Union Carbide, à Bhopal, en Inde, le 2 décembre 1984 (3 800 morts et plusieurs centaines de milliers de personnes affectées). Plusieurs pays d'Asie du Sud reçoivent aujourd'hui les déchets industriels toxiques de l'Occident cependant que la Chine, devenue l' « atelier du monde », hérite des problèmes qui étaient ceux de l'Europe à la fin du XIXe siècle, pollution atmosphérique, pollution chimique, catastrophes minières et industrielles.
Ces dernières sont récurrentes. Si la dangerosité des mines de charbon chinoises se réduit lentement du fait de la modernisation des installations, il n'en va pas de même des complexes chimiques qui, initialement construits à l'écart des agglomérations, sont peu à peu rattrapées par celles-ci, ce qui rend d'autant plus dramatiques les accidents dans ces usines. Les drames récurrents dans le secteur chimique, qui représente 14% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Chine, signent l'échec des mesures réglementaires prises après le drame de Tianjin, qui, le 12 août 2015, avait fait 173 morts et près de 800 blessés. La déflagration avait été qualifiée par certains de « Seveso chinois » (Le Monde diplomatique, février 2020).
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