Chimiste de formation, Louis Pasteur débute ses recherches sur la cristallographie avant de mener une carrière jalonnée de découvertes capitales qui feront de lui l'instigateur des plus grandes révolutions scientifiques du XIXème siècle. Biologie, agriculture, médecine ou hygiène, il se distingue dans de nombreux domaines mais l'Histoire le retient surtout comme l'inventeur de la « pasteurisation » en 1865 et du vaccin contre la rage en 1885. Il est aussi à l'origine du premier institut de recherche moderne, l'Institut Pasteur.
Pour établir sa notoriété planétaire, l'infatigable Pasteur a fait preuve d'une rage de vaincre et d'un travail acharné. Retour sur le parcours de ce scientifique passionné... et autoritaire.
Un touche-à-tout ambitieux et volontaire
Louis Pasteur est né dans la petite ville de Dôle, dans le Jura, le 27 décembre 1822, dans le ménage d'un riche négociant en tannerie. Élève doué, sans plus, il manifeste d'excellentes dispositions pour la peinture mais y renonce à 19 ans pour se consacrer tout entier à la science, contre l'avis de son père qui préfèrerait le voir reprendre les affaires familiales.
En 1842, il est classé 16e au concours d'entrée à la prestigieuse École Normale Supérieure de la rue d'Ulm (Paris). Jugeant son rang insuffisant, il dédaigne d'entrer à l'École et repasse le concours l'année suivante. Il est cette fois classé 5e. Cela le satisfait. Il entre à l'École dans la section physique et chimie.
Le jeune chercheur se lance dans la cristallographie. Avec des moyens de fortune, il met en oeuvre la méthode expérimentale qui fera son originalité et sa gloire. Il découvre ainsi l'existence de dissymétries dans la manière dont des molécules de même nature polarisent la lumière. C'est un premier succès qui lui vaut la reconnaissance de ses pairs et un poste de professeur à l'Université de Strasbourg puis de Doyen de l'Université de Lille.
1857 : de l'étude de la fermentation...
À la faculté de Lille justement, il est sollicité par l'un de ses élèves, Émile Bigo, pour élucider un dysfonctionnement de la fermentation de la bière. Dans l'usine de son père, la production d'alcool de betterave par fermentation rencontre de grosses difficultés. Alcool, pain et choucroute sont des produits courants obtenus par fermentation mais ce processus reste mystérieux aux yeux des scientifiques. La plupart d'entre eux dont Justus von Liebig pensent qu'ils s'agit d'une décomposition du sucre.
La conviction de Pasteur est tout autre. Il découvre dans les jus de fermentation alcoolique et lactique des substances dont il soupçonne qu'elles ont été créées par des microorganismes vivants. De fil en aiguille, ces premiers résultats vont le conduire de la chimie à la biologie puis à la médecine, sans perdre de vue la mise en application de ses découvertes, avec les revenus qui vont avec (« Il n'y a pas de sciences pures et de sciences appliquées, il y a la science et les applications de la science », écrit-il).
Nommé directeur des études à l'École Normale Supérieure à Paris, Pasteur poursuit ses travaux sur la fermentation dans un laboratoire de fortune aménagé dans les combles. Il publie ses premiers résultats dans un Mémoire sur la fermentation dite lactique (1857).
On peut dater de cette année-là le début de la « révolution pastorienne ». La même année, la France entre de plain-pied dans l'ère industrielle sous l'égide de Napoléon III et en Grande-Bretagne, le savant Charles Darwin jette les bases de la théorie de l'évolution dans une lettre mémorable. Aux Indes, une révolte amène les Britanniques à consolider leur domination...
... à la découverte des microbes
Le succès de Pasteur n'est pas immédiat, tant s'en faut ! Dans les milieux scientifiques, les partisans de la « génération spontanée » dénigrent tant et plus ses assertions. Parmi eux figurent d'illustres savants comme Marcelin Berthelot, Justus von Liebig et Friedrich Wöhler (auquel on doit la synthèse de l'urée). Pour eux, la fermentation se ramène à une réaction chimique en présence d'un catalyseur.
Faisant front avec un entêtement exceptionnel, Louis Pasteur va mettre plusieurs années à les convaincre de leur erreur. Il démontre que les microorganismes responsables de la fermentation, c'est-à-dire de la transformation du sucre en alcool, viennent de l'environnement et ne sont pas créés ex nihilo. Il démontre aussi que ces microorganismes - des levures (microchampignons) - utilisent la fermentation pour fabriquer l'énergie indispensable à leur survie en l'absence d'oxygène.
Ces démonstrations passent par d'innombrables expérimentations et la mise au point de procédés innovants et astucieux pour isoler les substances fermentescibles (Pasteur fait par exemple mûrir des raisins en serre, dans sa maison du Jura, à l'abri de l'air ambiant).
Fort de ce savoir-faire expérimental, le savant met au point une technique de chauffage destinée à protéger les liquides tels que la bière ou le lait contre les ferments. C'est la « pasteurisation » dont le brevet est déposé en 1865. Elle permet aux industriels d'améliorer les procédés empiriques de fermentation utilisés depuis des millénaires pour la fabrication du vin, de la bière ou du fromage ainsi que les procédés de conservation des aliments.
Ce succès vaut au savant d'être reçu par le couple impérial à Compiègne. La même année, en 1865, il est sollicité par un ancien professeur pour étudier une mystérieuse maladie qui affecte les vers à soie dans la vallée du Rhône et ruine la sériciculture ardéchoise. Le savant met en évidence l'existence d'un « microbe » responsable de la maladie des vers à soie (le mot « microbe » lui-même ne sera inventé qu'en 1878 par le chirurgien Charles-Emmanuel Sédillot à partir du grec mikros, « petit », et bios, « vie »).
Tout cela, Pasteur l'effectue au prix d'un labeur acharné doublé de terribles épreuves personnelles : la perte de trois filles sur cinq enfants et une hémorragie cérébrale qui le laisse à 46 ans partiellement paralysé d'un bras et d'une jambe (sans compter sa démission de l'École Normale Supérieure, où on le juge trop autoritaire). Les drames dont il est victime forgent son caractère déjà bien trempé, et pas toujours facile. Suite à ses excès d'autorité à l'encontre des étudiants, Pasteur est contraint de démissionner de sa charge d'administrateur à l'École normale en 1867. La même année, il est nommée à la tête de la chaire de chimie de la Sorbonne.
En 1871, apprenant le bombardement du Muséum d'histoire naturelle de Paris par la Prusse, Louis Pasteur renvoie à l'université de Bonn son diplôme de docteur honoris causa. Il dépose un brevet sur la fabrication de la bière. Par défi envers l'Allemagne, il la nomme « bière de la revanche nationale ».
1875 : promotion de l'asepsie et de l'hygiène
Ses recherches conduisent Pasteur à se rapprocher pas à pas du domaine thérapeutique. Il lui vaudra ses plus grands titres de gloire... mais aussi la haine des sommités médicales et de l'Académie de médecine, jalouses de l'incursion de ce physicien dans leur domaine de compétence.
Le public découvre qu'il est possible grâce à l'hygiène de se protéger contre les maladies transmises par les microbes. Dès 1875, un prestigieux chirurgien écossais du nom de Joseph Lister met en pratique à Edimbourg des procédures antiseptiques d'avant-garde suite à la lecture du mémoire de Pasteur sur la fermentation lactique. Il ne manque pas une occasion de rappeler sa dette à l'égard du savant français.
Celui-ci, orateur de talent, se fait le chantre de l'asepsie et de l'hygiène.
Comme avant lui le médecin obstétricien Ignace Semmelweis, il prescrit aux chirurgiens de se nettoyer soigneusement les mains avant d'entrer en contact avec un patient, geste qui nous paraît aujourd'hui relever de l'évidence... Il s'ensuit une amélioration notable de l'espérance de vie partout dans le monde.
1877 : découverte des virus et promotion de la vaccination
En 1877, Pasteur est conduit à travailler sur le « charbon », une maladie qui ravage les élevages de moutons, en concurrence avec un jeune médecin de campagne allemand, Robert Koch. Celui-ci a montré que la maladie était due à un microorganisme présent dans le sang des moutons malades et en forme de bâtonnet, d'où son nom de bactérie attribué en 1838 (d'un mot grec qui signifie « bâtonnet »).
Les moutons sont affectés par la maladie dans des « champs maudits » et Louis Pasteur découvre qu'il s'agit de champs dans lesquels ont été enterrés les animaux précédemment morts du charbon : les vers de terre ramènent à la surface les bactéries mortifères !
Dans la foulée, Louis Pasteur étudie le choléra des poules et fait à cette occasion une découverte d'une grande portée : cette maladie, comme vraisemblablement bien d'autres maladies infectieuses de l'animal et de l'homme, peut être prévenue par la vaccination, autrement dit par le procédé mis au point de façon empirique par le docteur Jenner, 80 ans plus tôt, pour immuniser les sujets contre la variole.
En étudiant également la rage, maladie qui terrorise les populations par la brutalité de ses symptômes, affecte les chiens et les renards et peut se transmettre aux humains, Louis Pasteur confirme l'existence de virus porteurs de la maladie. Beaucoup plus petits que les bactéries, les virus (ainsi baptisés par Jenner d'après un mot latin qui signifie poison) sont invisibles au microscope et, heureusement, ne se multiplient pas d'eux-mêmes dans un milieu de culture.
Fort de ses résultats, le savant développe avec le jeune médecin Émile Roux une méthode en vue d'inventer et de produire des vaccins adaptés à chaque maladie infectieuse, pas seulement la variole.
Le 5 mai 1881, animé par son sens de la communication, Louis Pasteur mène une expérience décisive sur cinquante brebis à Pouilly-le-Fort (Seine-et-Marne). Sous le regard du public et de la presse, il leur inocule la maladie du charbon et en vaccine la moitié. Celles-ci survivront et les autres mouront. C'est le triomphe de la vaccination... et de Pasteur.
Le savant français va avoir soin de dépouiller Robert Koch de ses mérites dans l'identification des causes des maladies infectieuses. Mais l'Allemand va prendre sa revanche dans un autre champ de recherche, la tuberculose. En concurrence là aussi avec l'équipe de Pasteur, il met en évidence la bactérie responsable de la maladie et lui laissera son nom, le « bacille de Koch ». Ses succès et ses travaux suivants sur le choléra lui vaudront le Prix Nobel de médecine en 1905, à 61 ans...
Le 22 septembre 1884, Pasteur écrit à l'empereur du Brésil Pedro II. Il formule une proposition stupéfiante : offrir aux condamnés à mort la possibilité d'échapper à leur sentence en devenant cobayes !
« C’est ici que pourrait intervenir très utilement la haute et puissante initiative d’un chef d’Etat pour le plus grand bien de l’humanité. Si j’étais Roi ou Empereur ou même Président de République, voici comment j’exercerais le droit de grâce sur les condamnés à mort. J’offrirais à l’avocat du condamné, la veille de l’exécution de ce dernier, de choisir entre une mort imminente et une expérience qui consisterait dans des inoculations préventives de la rage pour amener la constitution du sujet à être réfractaire à la rage.
Moyennant ces épreuves, la vie du condamné serait sauve. Au cas où elle le serait – et j’ai la persuasion qu’elle le serait en effet –, pour garantie vis-à-vis de la société qui a condamné le criminel, on le soumettrait à une surveillance à vie.
Tous les condamnés accepteraient. Le condamné à mort n’appréhende que la mort.»
Mais Pasteur s'est mal renseigné ! Au Brésil, la peine de mort pour les crimes civils a été abolie huit ans plus tôt, en 1876. Ce fut le deuxième pays d'Amérique à abolir la peine de mort après le Costa Rica... Malgré la grossière erreur du scientifique, Pedro II participera financièrement à la création de l'Institut Pasteur.
1885 : le tournant de la rage
Ses succès en cascade valent la gloire à Pasteur, y compris une élection à l'Académie française le 8 décembre 1881 au fauteuil d'Émile Littré. Mais la fortune n'est pas au rendez-vous. Le savant, en effet, a déposé des brevets sur ses inventions mais en a cédé les droits à l'État afin de leur assurer la plus grande diffusion possible (c'est ainsi par exemple que la « pasteurisation » est très vite mise en oeuvre jusqu'en Californie).
Le meilleur reste à venir. Le 6 juillet 1885, tandis que la France de la IIIe République est à son zénith, Louis Pasteur reçoit dans son cabinet de l'École Normale Supérieure un petit berger alsacien, Joseph Meister (9 ans).
Celui-ci a été mordu par un chien peut-être enragé. Contre l'avis des médecins allemands qui voulaient le garder à l'hôpital pour un diagnostic précis, sa mère a obtenu d'aller en France et de le conduire à Paris auprès du célèbre savant. Elle supplie celui-ci de le vacciner, quels qu'en soient les risques.
Louis Pasteur obtient l'assentiment de deux médecins, le pédiatre Grancher et le docteur Vulpian, spécialiste de la rage. Indifférent à notre « principe de précaution », il inocule alors à l'enfant un nouveau vaccin mis au point dans son laboratoire par le docteur Émile Roux.
Ce dernier a toutefois refusé de s'associer à l'expérience. Il est vrai que, quelques jours plus tôt, le 22 juin 1885, un premier essai sur une fillette de onze ans, Julie-Antoinette Poughon, n'a pas permis de la sauver.
Après une série de treize longues et douloureuses injections, le petit Joseph sort guéri de l'épreuve au grand soulagement de Pasteur...
Joseph Meister deviendra plus tard le dévoué gardien de l'Institut Pasteur et lorsque, le 16 juin 1940, des officiers allemands demanderont à se recueillir devant la tombe du grand homme, il choisira de se suicider plutôt que de les laisser entrer.
Louis Pasteur connaît un deuxième succès avec la vaccination d'un berger de 14 ans, Jean-Baptiste Jupille, qui s'est interposé au péril de sa vie entre un chien sauvage et un groupe d'enfants.
Avec un art consommé des relations publiques, le savant magnifie sa double victoire sur la rage (victoire toute relative sur une maladie marginale, car des chercheurs doutent aujourd'hui que ses jeunes patients aient été mordus par des chiens vraiment enragés et l'équipe pastorienne connut par la suite plusieurs échecs à l'origine de vives critiques).
Une réputation planétaire
Au comble de la gloire, Louis Pasteur satisfait son goût pour les honneurs et les décorations. Mais surtout, il arrive à capter une partie de la générosité populaire au profit de la recherche médicale. C'est ainsi qu'il lance une souscription en vue de fonder l'Institut qui portera son nom. C'est le premier institut de recherche scientifique de l'époque moderne... « Il n'est pas une pierre qui ne soit le signe d'une généreuse pensée », dit-il de l'édifice élevé au sud de Paris, dans le quartier de Vaugirard. Il le dirigera jusqu'à sa mort, le 28 septembre 1895.
La France organise des obsèques nationales pour celui que certains désignent avec quelque exagération comme « le plus grand bienfaiteur de l'humanité ». Inhumé dans son Institut, le savant continue d'inspirer ses chercheurs...
Depuis plus d'un siècle en effet, les « Pastoriens » multiplient les découvertes que sont venus couronner huit prix Nobel, dont les professeurs Jacob, Monod et Lwoff en 1965. En 1891, Émile Roux met au point le sérum antidiphtérique. En 1894, Alexandre Yersin isole à Hong-Kong le bacille de la peste. En 1921, Albert Calmette et Camille Guérin mettent au point le vaccin BCG contre la tuberculose. En 1983, le professeur Luc Montagnier et Françoise Barré-Senoussi découvrent le virus du sida...
Bibliographie
René Dubos (1901-1982) : La leçon de Pasteur (206 pages, Albin Michel, 1987). Limpide, vivant et chaleureux, il aborde à la fois les aspects humains et professionnels de la vie de Pasteur. Un livre propre à transmettre la passion de la science.
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Lionel (28-09-2024 23:40:46)
Il conviendrait de citer les professeurs Luc Montagnier et Françoise Barré-Senoussi. J'ai d'ailleurs eu la chance de rencontrer cette dernière qui est une personne admirable.
cyrille5 (05-04-2020 16:43:21)
Le suicide de Joseph Meister pour "interdire" l'accès à la Wehrmacht de la crypte où reposent Pasteur et son épouse est un mythe. Pas très sérieux de le présenter ici comme fait historique.