Pasteurs, chirurgiens, historiens, compositeurs, naturalistes, ingénieurs, médecins : tous les talents se retrouvent encore de nos jours chez les Monod, avec trois mille membres dans le monde. Cette famille vaudoise dont la première mention remonte au Moyen Âge s’est illustrée plus particulièrement dans l’histoire du protestantisme et des sciences.
À la fin du XVIIIème siècle, le couple Jean Monod et Louise de Coninck a donné naissance à la branche française de la famille et, au passage, à une descendance remarquable sur laquelle nous nous sommes penchés.
Les Monod apparaissent pour la première fois dans les registres du hameau d’Envy, à Romainmôtier, canton de Vaud, en 1337. Au milieu du XVème siècle, on les retrouve dans les milieux religieux et politiques : un prieur de l’abbaye, un notaire, un juge mage du pays de Gex. Entre 1484 et 1543, Pierre puis son fils Claude sont gouverneurs de Romainmôtier.
La généalogie familiale n’est attestée cependant que depuis Jean Monod, marié vers 1520 à Clauda de Mex. En 1591, son petit-fils est surnommé « Jacques de Flies », du nom d’un hameau du pays de Gex. Ce dernier vit la période « réformée » du pays de Gex, occupé par les Bernois qui ont supprimé le culte catholique en 1536.
Le Pays de Gex passe sous domination française, catholique, en 1601. Entre-temps, la famille, fidèle à sa foi protestante, s’est déplacée à Vullierens dans le canton de Vaud en 1587.
Abraham, petit-fils de Jacques, s’établit, lui, à Morges, près de Lausanne, en 1660. Son fils cadet Jean François va y exercer la prestigieuse fonction de chirurgien. Il va aussi s’allier à une fille de la noblesse, les d’Uchat, qui lui permettra de « blasonner ». Ils auront quinze enfants, dont un grand nombre morts en bas âge.
Leur aîné, David, devient bourgeois de Genève en 1703. Gaspard, son fils, inaugure une longue lignée de pasteurs. Pendant les trois siècles qui suivent, vingt-six membres de la famille Monod seront pasteurs ou théologiens !
Gaspard devient aumônier du gouverneur de l’île de Guadeloupe lors de son occupation par les Anglais en 1759. Il prêche en français pour les huguenots qui s’y sont réfugiés. Après un séjour en Angleterre, il finira ses jours à Genève.
C’est le fils de Gaspard, Jean, né en 1765 à Ambilly en Suisse, qui fonde la branche française de la famille. Vigoureux, saint d’esprit, doué d’une belle voix et d’une élocution parfaite, il effectue de brillantes études de théologie à la Faculté de Genève.
En 1790, il part pour un voyage qui marque un tournant dans sa vie, et garantit celle de nombre de ses descendants... Il doit amener à Saint-Pétersbourg sa cousine qui vient d’être nommée gouvernante du tsar Alexandre Ier. Sur le chemin du retour, il décide de visiter Stockholm puis Copenhague.
Son ami, M. Mourier, pasteur de l’Église réformée française de Copenhague lui fait visiter la ville. Mais un jour, alors qu’ils sont en promenade, une pluie torrentielle s’abat sur les deux hommes.
Ils se réfugient chez Frédéric de Coninck, un riche armateur hollandais conseiller du roi de Danemark qui les reçoit si bien que Jean ne repart plus et s’installe comme pasteur de la ville pendant plusieurs mois. Mais Frédéric n’est pas le seul à bien les recevoir…
Sa fille, Louise Philippine de Coninck, réserve elle aussi un chaleureux accueil à Jean Monod. Quelques années plus tard, le jeune pasteur sans fortune demande la main de Louise, alors âgée de dix-sept ans. Jean et Louise se marient en 1793.
Les deux tourtereaux vivent des jours heureux jusqu’en 1807, lorsque les Anglais bombardent Copenhague pendant les guerres napoléoniennes, s’emparant de toute la flotte danoise ainsi que des vaisseaux de Frédéric de Coninck. La situation est telle que Jean se sent obligé d’accepter le poste de pasteur de la nouvelle Église Réformée de Paris. Il s’engage pour un ministère qui va durer vingt-sept ans.
Le couple s'installe définitivement à Paris en 1808, alors que l’Empire napoléonien est à son apogée. Le rôle de Jean au sein de l’Église réformée devient prépondérant, l’amenant à être considéré comme le premier prédicateur de France. Son portrait trône aujourd’hui dans le temple protestant de l’Oratoire du Louvre.
La fécondité de l’union de Jean et Louise sera remarquable, tant par la quantité – treize enfants - que par la « qualité » de leur progéniture qui, elle-même, aura de nombreux enfants talentueux. Chez les Monod, l’expression : « C’est de famille ! » prend tout son sens.
Tel père, tel fils, plusieurs enfants de Jean Monod deviennent pasteurs à leur tour : Frédéric, Guillaume (fondateur de l’Église réformée de Naples), Adolphe et Horace. Ils effectuent tous de brillantes études de théologie à Genève.
L’aîné Frédéric est lui-même père de trois pasteurs : Jean, Théodore et Léopold. Et si son autre fils Charles Henri ne perce pas dans le milieu pastoral, il effectue une brillante carrière de chirurgien et deviendra préfet de Paris en 1877, sous la IIIe République, et conseiller d’État.
- Wilfred le pasteur social :
Wilfred, fils de Théodore, devient à son tour pasteur et quel pasteur !
Selon sa formule, l’Église tend à prêcher un Messie sans messianisme, tandis que le socialisme prêche un messianisme sans Messie. Pour concilier les deux, il préconise de renforcer l’action des Églises. Il est à l’origine du « protestantisme social ».
- Théodore l’explorateur :
En 1902, Wilfred et son épouse Sarah donnent le jour à Théodore, qui deviendra un célèbre savant et explorateur (mort en 2000).
Assistant au Muséum d’Histoire naturelle à Paris en ichtyologie (étude des poissons) en 1921, il part dès lors dans de fréquentes missions dans le désert, en particulier en Mauritanie.
Naturaliste et érudit, il est reconnu comme l’un des plus grands spécialistes du Sahara. Directeur de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) de 1938 à 1965, il est élu membre de l’Académie des Sciences en 1963.
Conscient d’appartenir à une illustre lignée, Théodore Monod qualifia un jour sa famille de « tribu maraboutique ».
- Lucien le peintre :
Alexandre Henri, né en 1795 au foyer de Jean, devient médecin et négociant au Havre. En 1840, sa femme donne le jour à un Gustave qui sera médecin comme son papa.
En 1867, la famille de Gustave s’agrandit à son tour d’un garçon, Lucien Hector. Sera-t-il médecin lui aussi, comme son père et son grand-père ? Il s’illustrera comme peintre symboliste, élève de Puvis de Chavannes. S’il s’écarte de la tradition en préférant l’art à la religion ou la médecine, il va exceller dans son domaine… car un Monod reste un Monod.
- Jacques le biologiste :
« Chassez le naturel, il revient au galop » comme dit le dicton. L’épouse de Lucien donne naissance en 1910 à Jacques Monod qui se distinguera en médecine ! Retour à la tradition. Ce biologiste de renom, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, va effectuer l’essentiel de sa carrière à l’Institut Pasteur. Le prix Nobel de médecine consacre son travail sur la génétique en 1965.
En 1970, Jacques Monod publie un essai intitulé Le Hasard et la Nécessité qui connaît un succès retentissant. La magnifique dernière phrase de ce livre de vulgarisation scientifique s’est imposée comme une citation à part entière : « L'ancienne alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. »
- Gabriel l’historien :
D’une autre partie de la branche française de Jean et Louise Monod est issu l’historien Gabriel Monod, directeur d’Études à l’Ecole pratique des Hautes études (EHESS) et professeur au Collège de France.
Principal animateur de la « Revue historique » depuis sa création en 1876 à sa propre mort en 1912. Gabriel Monod, grand dreyfusard, témoigne de l’implication des protestants dans l’école de la République, qui sera vivement dénoncée par Charles Maurras.
Adolphe Théodore (1802-1856), pasteur à Naples et à Lyon, se signale par ses filles pasteures, comme Sarah (1836-1912), figure précoce du féminisme. L’un de ses garçons, William (1834-1916), deviendra également pasteur. L’un de ses arrière-petits-fils est le pianiste franco-américain Jacques Louis Monod, né en 1927.
- Jérôme le politique :
William est également l’aïeul de Jérôme Monod (1930-2016), industriel, PDG de la Lyonnaise des Eaux, proche de Jacques Chirac et qui fut secrétaire général du Rassemblement pour la République (RPR).
- Jean-Luc le cinéaste :
Le pasteur William est également l’ancêtre maternel du cinéaste de la « nouvelle vague » Jean-Luc Godard (À bout de souffle, 1960 ; Le Mépris, 1963 ; Alphaville, 1965 ; Pierrot le Fou, 1965...).
La mère du cinéaste, Odile, est en effet sa petite-fille et la fille de Julien-Pierre Monod (1879-1963), un banquier proche de Paul Valéry et l'un des fondateurs de la Banque de Paris et des Pays-Bas.
Le chirurgien Frédéric Monod (1803-1890) est dit « Monod père » car à l’origine, avec son épouse, d’une dynastie de chirurgiens parmi lesquels Philippe Monod-Broca (1918-2006), lié à la famille Debré.
Autre fils de Jean Monod, Valdémar (1807-1870) engendrera aussi une lignée renommée (également masculine) avec Alfred Monod, avocat à la Cour de Cassation, lui-même père du diplomate Robert Monod.
Sa descendance compte l’un des grands industriels de la famille, Gérard Louis Monod (1887-1966), qui fut jusqu’en 1947 président du Comité des Forges, organisme le plus influent du patronat français.
Son fils Robert Georges Théodore Monod (1919-1973) représenta la France au sein de l’OTAN. Les enfants de Marie-Laure Monod et de l’économiste Jean-Marcel Jeanneney, plusieurs fois ministre du Général de Gaulle, descendent également de Valdémar Monod. Parmi eux, l’historien et ministre Jean-Noël Jeanneney.
Chaque couple de la descendance Monod a généralement engendré entre sept et quinze enfants, une manière pour ces protestants très pieux de participer à la « bataille des ventres » et consolider leur place dans la société.
En 1909, Charles Henri Monod (1843-1911), à l’occasion de la publication d’une monographie sur l’histoire de sa famille, publia ainsi un étonnant tableau comparatif entre l’évolution de la démographie française et celle des Monod : « De 1893 à 1907, dans une période de quinze années, la population totale de la France ayant augmenté de 1,60%, celle de la famille Monod a augmenté de 34,08%. »
Les Monod, à l’image de tout un pan de la bourgeoisie protestante française, n’éprouvent dans l’ensemble guère d’attirance pour les activités capitalistes. La famille a bien accompagné les régimes politiques successifs mais c’est dans le combat pour le protestantisme qu’elle s’est engagée avec le plus de constance.
D’après Christian Gennerat, qui a construit une base de données à la mesure de cette famille, elle a ainsi produit au cours des siècles 26 pasteurs et théologiens protestants, 43 médecins dont 10 chirurgiens, deux prix Nobel de médecine, 24 professeurs, un naturaliste et explorateur, Théodore Monod.
Dans la période récente, la famille a encore compté de nombreux chercheurs, au CNRS ou dans des universités étrangères, des hauts fonctionnaires de l'État (ENA, IEP), des artistes parmi lesquels une lignée de verriers d'art formés à Biot… Tant qu’il est impossible d’être ici exhaustif.
Tous les vingt-cinq ans, les descendants de Jean Monod et Louise de Coninck se réunissent pour un « petit » week-end famille.
En 2018, la famille s’est réunie à Paris pour fêter les 250 ans du mariage de leurs aïeux communs. Les organisateurs ont recensé environ 700 participants sur les quelque 3 000 descendants du couple vivant aujourd’hui dans le monde entier. « Les cousins d’Afrique du Sud n’ont pas pu faire le déplacement cette fois, mais il y a vraiment des Monod partout », plaisantait ce jour-là Catherine Veillet-Michelet, issue de cette famille par sa mère.
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