Aux sources de l'Histoire

Jean-Nicolas Baudier, naufragé de l'Empire

Dès 1785, Jean-Nicolas Baudier se met au service de l’État et embrasse une carrière de chirurgien militaire. Pétri des idéaux de la Révolution, il devient en 1792 maire de Morlaix et administrateur du district de cette ville. Il poursuit sous l’Empire une carrière placée sous de bons auspices. Nommé sous-préfet dans le Finistère en 1806, le zèle qu’il déploie pour remplir ses fonctions lui attire les éloges de sa hiérarchie.

La chute de Napoléon et la période des Cent-Jours sont une épreuve pour cet homme dont la carrière doit tout à la Révolution française. Revenu à Paris sous la Restauration, il obtient, grâce à ses relations, un nouveau poste en Lozère, département particulièrement isolée et pauvre qui a servi de refuge aux Huguenots persécutés un siècle plus tôt.

Pour s’extraire de cette contrée de relégation, il se lance alors dans d’innombrables démarches et mobilise de nombreux soutiens. Elles vont toutes échouer mais un événement inattendu va redonner espoir à Jean-Nicolas Baudier...

Philippe Chapelin, généalogiste

Châteaulin. Vue du pont, gravure, 1840-41, BM Rennes, DR.

Promotion impériale

Baudier est à Paris depuis novembre et apprend qu’il est nommé sous-préfet à Châteaulin, dans son département du Finistère, par décret impérial du 31 janvier 1806. Il s’y installe le 1er mars et y restera pendant plus de neuf ans. Sa hiérarchie l’apprécie beaucoup.

Jean-Nicolas Baudier, sous-préfet à Châteaulin.Pour la période 1811-1812, le Préfet est même fort élogieux : Baudier est une personne intelligente, constante, chaleureuse, instruite. Son alliance avec une famille qui « tient un rang distingué dans le commerce » lui fait gagner l’estime de ses supérieurs. Cet homme n’a qu’un souhait : être promu à la sous-préfecture de Morlaix pour se rapprocher de la famille de sa femme et améliorer les conditions dans lesquelles il éduque ses enfants.

Ses opinions sont « saines ». Il s’occupe bien de la réparation des chemins et à ces fins effectue de nombreux déplacements dans son arrondissement. Il fait preuve d’empressement pour faire exécuter la loi et pour fournir les renseignements qui lui sont demandés. Il jouit donc de la confiance pleine et entière de son préfet.

Son revenu annuel s’élève à 4 000 francs. Il est économe, y compris dans la gestion de son administration, ne possède aucun travers d’ordre moral et n’est atteint d’aucune infirmité. Une seule ombre viendra troubler cette vie paisible, à l’écart des mouvements militaires : en janvier 1812, Baudier perd une partie de ses biens ainsi que ses papiers dans l’incendie de sa maison.

Baudier s’insurge contre son administration

Pendant les Cent-Jours, il est difficile pour le personnel politique et son entourage de se positionner clairement. Faut-il crier « Vive l’Empereur » ou « Vive le Roi » ? C’est l’ère de la girouette politique (note).

Pour ces cadres formés par la Révolution, mais peu engagés politiquement ou qui ont tiré un trait sur la Révolution à l’ombre de Napoléon, le choix est difficile. Trancher politiquement, c’est prendre un risque.

Costume des sous-préfets, 17 février 1800, Paris, BnF, Gallica. L'agrandissement montre le détail de l'uniforme du sous-préfet comportant de nombreuses broderies de feuilles de chêne et d’olivier qui symbolisent l’autorité et le souci de la paix publique.Baudier s’est senti particulièrement flatté d’avoir été choisi par les respectables électeurs (au suffrage censitaire) pour siéger à la Chambre des Cent-Jours. Il est élu le 15 mai 1815 à la Chambre des Représentants, qui siégea au Palais Bourbon et s’installe à Paris, 6 rue d’Antin. Cette situation lui sied.

À peine un mois après son élection, le 10 juin, huit jours avant la défaite de Waterloo, il est nommé sous-préfet de Quimper à la demande du commissaire extraordinaire de Napoléon pour la 13ème division militaire, le comte Caffarelli (note).

Mais Baudier aurait préféré obtenir la sous-préfecture de Morlaix. Il avait même obtenu à cet effet le soutien du comte d’Empire Canelaux, ancien commissaire de l’Empereur, de Bouvier, Dumolard et Abrial, anciens préfets du Finistère ainsi que de l’ensemble des députés du département.

Réticent à accepter cette nomination, il sollicite une audience auprès du ministre Lazare Carnot le 17 juin pour ne pas avoir à quitter Paris. Cinq jours plus tard, le 22 juin, le préfet du Finistère, qui s’impatiente, lui ordonne de venir au plus tôt prendre ses fonctions (note).

Baudier jouera sur ce litige pour se faire bien voir au moment de la Seconde Restauration. Dans un courrier en date du 26 juin 1815, déterminé, il prie le ministre de le laisser siéger à la Chambre. Mais l’abdication de Napoléon met un terme à ce projet.

Première proscription (1815-1820)

Avec la chute définitive de Napoléon, la famille Baudier sait qu’elle quitte pour longtemps la Bretagne. Le nouveau Parisien va se consacrer à l’éducation des enfants et s’installe au 11 rue Saint-Pierre (aujourd’hui rue Paul-Lelong), à Montmartre.

Pour s’assurer un revenu, il n’aura de cesse d’entreprendre des démarches afin d’obtenir une place dans son ministère de tutelle. Il va chercher le soutien du duc d’Angoulême, émigré célèbre et fils du futur roi Charles X. Il est appuyé par de nombreux préfets dont le baron d’Empire Didelot, préfet de Dordogne pendant les Cent-Jours, Francisque Joseph Rudler, préfet de Charente sous l’Empire, Miollis, préfet du Finistère et André Pierre Étienne Abrial, préfet du Finistère en 1813 puis préfet du Gers sous les Cent-Jours.

Lettre de recommandation du préfet Moreau.Baudier réunit malheureusement tous les stigmates du proscrit. Le personnel politique et administratif issu de l’Empire peine à se convertir au nouveau système dont il subit l’ostracisme. Et pour cause : les émigrés revenus au pouvoir caressent le rêve de restaurer l’Ancien régime.

Il finit par être expédié dans les bureaux de la préfecture de la Lozère, à Mende, grâce à la nomination de son compatriote morlaisien, Joseph Marie François Moreau, frère du Général d’empire et dont le père avait été arrêté par Baudier en 1792 (note).

En vérité, il s’agit d’un exil : la Lozère est l’un des départements les plus pauvres et les moins peuplés du pays, au sud du Massif Central. Le siècle précédent, il a servi de defuge aux Huguenots persécutés. Baudier tente aussitôt de se rapprocher de Paris.

En janvier 1818, soutenu par les trois députés du Finistère, il sollicite un emploi dans les bureaux du ministère. Le 18 mars, ledit Moreau adresse une supplique au Ministre en faveur de Baudier. Le 6 avril, tandis qu’il réside temporairement au 6 rue des Fossés, à Montmartre, Baudier rédige un courrier désespéré, appuyé par le baron Brun de Villeret, député de Lozère, centriste mais connu pour sa sensibilité de gauche.

Il est également soutenu par le président du collège électoral du département de la Lozère, le général Charles Borrelli, baron d’Empire, chef d’État-major de la garde nationale de Paris pendant les Cent-Jours : on le voit, ses appuis sont eux-mêmes des égarés au pays de la bête du Gévaudan.

Jean-Nicolas Baudier sollicite le ministre de l'intérieur Élie Louis Decazes.Enfin, il trouve un soutien conséquent auprès du comte Joseph-Jérôme Siméon. Acteur politique considérable, alors préfet du Pas-de-Calais, celui-ci indique, dans son courrier de recommandation, connaître Baudier depuis son enfance (note).

En effet, Siméon est né comme lui à Aix-en-Provence. De 17 ans son aîné, il était le fils d’un professeur de droit à la faculté d’Aix, ce qui peut expliquer le rapprochement entre les deux familles. Devenu avocat puis ancien député au Conseil des Cinq-Cents, Siméon ne s’est pas du tout montré favorable à la Révolution.

Exilé en 1793, il passa pour contre-révolutionnaire avant de devenir un haut personnage de l’Empire. Plusieurs fois ministre, il siégera en 1815 à la Chambre des Cent-Jours avec Jean-Nicolas Baudier.

Le 13 janvier 1819, c’est le comte de Kératry, député du Finistère, pair de France et qui fut conseiller de la sous-préfecture de Quimper au début de la Restauration, qui écrit au ministère pour demander un poste pour Baudier, de préférence pas trop éloigné de Paris.

Tous ces efforts n’auront finalement aucun effet. En mai 1820, Baudier, recommandé par la Maréchale Moreau (veuve du Général Moreau) et par Mme de Bussy de Saint-Romain, sollicite à nouveau un poste. Il explique au ministre que l’année 1815 fut fatale pour l’élan de sa carrière, fauché au faîte de son parcours politique, tandis qu’il élevait encore des enfants en bas âge.

Par chance, le nouveau ministre de tutelle n’est autre que Joseph-Jérôme Siméon, son compatriote d’Aix, nommé depuis le 20 février. Tous les espoirs sont donc permis pour relancer sa carrière.

Sources

AD29 : archives départementales du Finistère (Quimper) ;
SHD : Service Historique de la Défense (Vincennes)
Archives nationales, dossiers de carrière des sous-préfets, F1b/156/9.

Le tuyau du généalogiste

Les dossiers de carrière des sous-préfets sont à rechercher aux Archives nationales. Et les dossiers des sous-préfectures aux Archives départementales.

Publié ou mis à jour le : 2019-05-24 17:46:54

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