À quoi sert l'ENA ?

Une pépinière de « grands serviteurs de l’État »

Considérée à tort ou à raison comme la matrice d’une nouvelle « noblesse d’État », l’ENA (École nationale d’administration) a formé la plupart des hauts fonctionnaires de la Ve République. Elle a aussi donné à la France quatre présidents de la République (Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron) en cinquante ans.

L’École a été créée à la Libération par une ordonnance du 9 octobre 1945 prise par le gouvernement provisoire du général Charles de Gaulle, avec pour objectif de démocratiser le recrutement des hauts fonctionnaires, grâce à l’instauration d’un concours d’accès unique à la Fonction publique. Aujourd'hui, c'est justement son caractère démocratique qui est remis en cause au point de questionner son utilité. Faut-il alors supprimer l'ENA ? Retour sur l'évolution d'une institution critiquée.

Jean-Pierre Bédéï et André Larané

ENA, Promotion Voltaire, 1978-1980 (Ségolène Royal et François Hollande dans les médaillons du bas), DR

L'ENA, un recrutement sur le mérite et la compétence

Le 1er août 1936, Jean Zay, ministre de l’Education nationale, soumet au Parlement le projet d’une école nationale d’administration. Voté par la Chambre des députés en 1938, la guerre éclatera avant son examen par le Sénat. Il faudra donc attendre 1945 pour que l’ENA voie le jour, à l'initiative de Michel Debré, maître des requêtes au Conseil d'État.

La présence des hauts fonctionnaires au sommet de l’État est notable dès les débuts de la Ve République. Ces « grands serviteurs de l’État » son appréciés pour leur énergie et leur créativité. C’est que, dans ces années-là, l’État ne se prive pas d’intervenir dans la politique industrielle et l’aménagement du territoire, généralement avec de grands succès à la clé.

L’humeur change sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, lui-même issu de l’ENA. C'est que la France est atteinte par le premier choc pétrolier, l'explosion du chômage, une chute de la fécondité… La confiance dans les grands corps de l’État s’émousse bien qu’ils n’aient rien à voir avec les maux du pays et de la planète. L'école fournit en dépit de tout de grands patrons au secteur public comme au secteur privé, tels Henri de Castries, Louis Gallois, Baudouin Prot, Jean-François Cirelli, Gérard Mestrallet, Stéphane Richard... Certains recrutements, toutefois, ont altéré l'image de l'école. Ainsi de Jean-Marie Haberer, à l'origine de la faillite du Crédit Lyonnais ou de Jean-Marie Messier, qui a réussi à ruiner la Compagnie Générale des Eaux. Les institutions européennes et internationales raffolent elles-mêmes des énarques, tels Pascal Lamy, Jean-Claude Trichet, Michel Camdessus.

Réformer ou tout casser ?

À partir des années 1980, l'ENA s'efforce de s'adapter à son époque. Elle ouvre le concours aux fonctionnaires déjà nantis d'une solide expérience professionnelle (au moins cinq ans), aux  salariés du secteur privé et aux élus locaux. Autre innovation de taille visant à « décentraliser » cette école de prestige ou plutôt à l'« européaniser » : son transfert à Strasbourg en 1991. En 2004, son concours d’entrée s’ouvre aux candidats de l’Union européenne. En 2009 est ouverte une classe préparatoire au concours externe d'entrée à l'ENA pour les jeunes issus de milieux sociaux modestes. 

Les promotions comptent une centaine d'élèves chaque année. Ils sont issus des meilleurs établissements scolaires et universitaires comme dans toutes les grandes écoles, à commencer par Polytechnique et Normale Sup. Ce n’est pas au niveau des concours que se fait la sélection sociale mais bien avant, à l’entrée au lycée, voire au collège ou à l’école primaire. En effet, de moins en moins d’enfants des classes populaires ou d’origine immigrée accèdent aux grands lycées d’enseignement général qui servent de vivier aux classes préparatoires des grandes écoles et à Sciences Po. Cela dit, la promotion 2018-2019 (Molière), qui rassemble 80 élèves français et 22 étrangers (âge moyen : 31 ans), ne compte aucun enfant d'énarque, de parlementaire ou de ministre.

Publié ou mis à jour le : 2019-05-09 22:00:10
Philippe (25-04-2019 17:50:02)

La "démocratisation" du recrutement, tout en étant louable, ne résoudra rien. La puissance du "formatage" est telle qu'un fils d'ouvrier, à la sortie, sera strictement "identique" à un fils d'énarque.

Boutté (24-04-2019 16:10:06)

Une Grande Ecole d'administration ? Idée séduisante ! Echappant à tout contrôle de moralité c'est devenu un club d'admiration mutuelle, nouvelle Franc-maçonnerie qui s'est bien éloignée du service rendu à la Nation ni à la Patrie .

Liger (24-04-2019 15:34:27)

Très bon article qui " prend le temps " de resituer la question dans ses contextes historique et politique : on lit ou on entend tellement de sottises proférées sur un ton péremptoire.
Pour ma part, il me semble que, entre autres, on devrait réfléchir sur les stages suivis par les énarques ; surtout après la disparition (inévitable vue l'évolution de nos besoins en matière de Défense nationale : mais c'est un autre débat) du service militaire qui fut pour nombre de personnes issues de milieux socialement favorisés la seule occasion de côtoyer quotidiennement des personnes issues de milieux variés et très différents du leur, il me semble indispensable de prévoir l'équivalent des " stages ouvriers " qui existent dans certaines écoles d'ingénieurs. Dans cet esprit, je pense à 2 types de stages devant durer 2 à 3 mois :
- un en tant que fonctionnaire de petit niveau en contact quotidien avec le public (accueil dans un hôpital, guichetier à La Poste, etc.) ;
- l'autre dans une PME à un poste qui mette en contact - du point de vue de l'entreprise - avec l'administration (Sécu, URSSAF, Impôts, etc.), les fournisseurs et les clients... histoire de ressentir ce qu'est le quotidien d'entrepreneurs travaillant souvent énormément pour un revenu parfois (très) modeste et pour lesquels lois et administrations sont souvent des boulets, handicaps, voire des coups de poignards dans le dos.

Dans les deux cas, il ne s'agit pas de vouloir humilier les futurs hauts-fonctionnaires mais, surtout à un âge où les cerveau est encore assez " malléable ", leur faire sentir " dans leur chair " des réalités qu'ils auront vocation à " administrer " par leurs textes et décisions. Il me semble que ces expériences en feraient évoluer au moins certains qui éviteraient alors certaines erreurs.

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net