Féminisme

Les métiers ont-ils un sexe ?

Alors que de plus en plus de femmes intègrent les différents secteurs du salariat au XXIème siècle, la langue française semble comporter une lacune au vu du faible nombre de noms de métier féminins.

Auteur ou autrice ? Docteur ou doctoresse ? Après de longs mois de réflexion, l’Académie française a donné, ce jeudi 28 février 2019, son feu vert à la féminisation des noms de métiers. C'est l'ultime épisode de la relation compliquée entre la langue française, l'usage que nous en faisons et la tentation de fixer cet usage par voie d'autorité...

Charlotte Chaulin
Une revendication nouvelle ?

Dans son rapport, l’Académie affirme qu’il n’existe « aucun obstacle de principe » à la féminisation des noms de métiers et de professions. C’est une petite révolution lorsqu’on se rappelle qu’elle s’était insurgée dans les années 90 contre les emplois des termes « la ministre » ou bien « la députée ».

Détail d’une miniature de l’artiste grecque Thamyris (Timarete) peignant un portrait de la déesse Diane, N. France, (Rouen), entre 1400 et 1425. L'original se trouve dans la collection de la British Library à Londres.Frédéric Vitoux, membre de l’Académie française et président de la Commission d’enrichissement de la langue française explique qu’ « il n’y a pas d’opposition dogmatique mais des problèmes pratiques. » Comment féminiser par exemple le métier de celle qui pratique la médecine ? Rajouter un « e » à la fin du nom masculin risquerait de confondre l’exerçante et la discipline. Le médecin ne peut donc pas devenir la médecine. Faut-il dire « la médecin » ou encore « la femme médecin » ?

La féminisation a néanmoins fait des progrès depuis plusieurs années. « Chancelière »« présidente du Conseil » ou « pharmacienne » sont entrés sans grande difficulté dans l’usage et ne posent aucun problème de compréhension.

Mais parce que « Première ministre » ou « doctoresse » n’ont pas fait leurs preuves, les passions se déchaînent contre le français accusé non pas d’être le reflet d’une inégalité entre les hommes et les femmes, mais d’en être à l’origine.

Auparavant, les femmes revendiquaient la dénomination masculine de leur métier pour marquer l'égalité des compétences et de mérite entre hommes et femmes. Aujourd'hui, la tendance s’est inversée et les femmes, qui ont déjà prouvé qu'elles étaient les égales des hommes, veulent marquer leur identité dans le langage.

Femme « écrivaine », Giovanni Boccaccio, De Claris mulieribus, traduit en français Livre des femmes nobles et renommées, 1403, BnF, Paris.

La féminisation éphémère des noms de métier

Féminiser les noms de métier ne fait pas outrage à la langue française. La preuve en est qu'au Moyen Âge, la distinction de genre se faisait déjà dans de nombreuses professions. Il est vrai que les femmes avaient alors un accès aux métiers artisanaux et intellectuels autrement plus facile qu'aux époques suivantes ! Ainsi, on trouvait les appellations suivantes : « inventeure », « chirurgienne », « commandante » ou encore « venderesse », « mairesse » et « chanteresse ».

Autoportrait sur bois, Giovanni Boccaccio, De Claris mulieribus, traduit en français Livre des femmes nobles et renommées, 1403, BnF, Paris. L'agrandissement montre l'autoportrait de Catharina van Hemessen,1548, Kunstmuseum, Bâle.Le terme « autrice » est attesté du XVIème au XIXème siècle, avant d'être supplanté par « autoresse ». Quant au terme « peintresse », il a été employé dès le XIIIème siècle au sens d' « épouse d'un peintre ».

Il a ensuite désigné une femme qui s'adonnait à la peinture aux XVIème et XVIIIème siècle. Étonnamment, au XVIIème siècle, seul l'article du nom masculin était féminisé donnant ainsi « la peintre ». Les deux termes ont disparu au XIXème siècle.

La décision de l’Académie française pourrait faire revenir ces termes sur le devant de la scène. D’après la linguiste Eliane Viennot, nous allons ainsi « revenir aux usages normaux de notre langue. Quand on a l’impression qu’il manque un mot, il suffit d’aller piocher dans notre langue. »

« Ça se dit/ça ne se dit pas », comment trancher ?

Frontispice du Dictionnaire de l'Académie Française pour sa première édition du Dictionnaire en 1694, Jean Mariette, Jean-Baptiste Corneille, collections du château de Versailles. L'agrandissement montre la première édition du Dictionnaire de l'Académie française, DR.L’Académie française le rappelle : il y a des règles à respecter, au risque de « bouleverser le système de la langue. » Par exemple, les terminaisons en « -euse » ne s'ajoutent que sur des noms auxquels correspond un verbe. Une « contrôleuse » est correct car « contrôler » existe, mais « docteuse », comme « rédacteuse » n'existent pas (et c'est tant mieux !)

Si on ne sait comment féminiser le mot professeur (la professeur ou la professeure ?) autant utiliser l'apocope (ou abréviation) familière « la prof » (qui est très ancienne). Avec une ouverture d'esprit dont on ne l'aurait pas cru capable, l'Académie a donné son agrément à cette solution. Elle-même reconnaît qu'il lui est impossible d'imposer des règles de féminisation des noms de métiers. Ces métiers et leurs pratiquants évoluent trop vite à son gré et qui peut jurer de l'avenir de certains termes aujourd'hui « autorisés » comme « doctoresse » et « autrice » ?

Plus noble, le masculin ?

Francois de Malherbe, Robert Lefèvre, XIXe siècle.Jusqu’au XVIème siècle, la règle grammaticale dite « de proximité » était couramment appliquée. C’est-à-dire que les adjectifs s’accordaient au nom qui leur était voisin dans une phrase, donnant par exemple : « Les garçons et les filles sont belles. »

Dans sa pièce de théâtre Iphigénie (1674), Racine suivit cette règle en écrivant le vers « Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête. »

Au siècle suivant, des auteurs comme Malherbe et Vaugelas la critiquèrent, reconnaissant une plus grande « noblesse » au genre masculin.

Le grammairien et académicien français Nicolas Beauzée (1717-1789) réitéra cet argument mettant en exergue la domination masculine dans la société de son temps : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »

L’usage persista un temps mais le masculin finit par l’emporter sur le féminin, comme nous l’ont répété nos maîtres et maîtresses d’école. Mais cette formule tend aujourd’hui à être proscrite.

Un questionnement franco-français ?

Dans la langue anglaise, si proche à certains égards de la nôtre, la grammaire privilégie le neutre. Les articles définis et indéfinis « the » et « a » désignent aussi bien le masculin que le féminin « le, la » et « un, une ». Mais comme en France certains noms de métiers féminins ont disparu à la fin du Moyen Âge, ne laissant place qu’au masculin. C’est par exemple le cas de « lawyeress » le féminin de « lawyer » et de « doctress » le féminin de « doctor ».

Plutôt que de féminiser les noms de métier, nos cousins anglo-saxons préfèrent en conséquence privilégier le genre neutre. En Amérique du Nord, c’est le cas par exemple de « firefighters » qui a remplacé « firemen » avec pour résultat de décloisonner la profession de pompier jusqu’alors exclusivement masculine.

Les Italiens ont aussi ouvert le chantier de la féminisation. Dès 1987, l’essayiste Alma Sabatini proposait ses « recommandations pour un usage non sexiste de la langue italienne. »

Mais l’Accademia della Crusca, plus ou moins l’équivalent de l’Académie française, jugea en 2002 que féminiser les noms de métiers risquait de rabaisser les fonctions exercées... Comme en France, sa position a évolué. En 2013, l’Accademia a par exemple accepté l’emploi de « ministra » alors que seul « ministro » était utilisé jusqu’alors. Depuis lors, comme les Anglais, c’est en privilégiant le genre neutre que les Italiens cherchent à corriger une orientation trop masculine du langage.

Mais ne nous emballons pas. Génération après génération, la langue se soumet à l'usage. Ne lui demandons pas de corriger nos dérives morales. Le fait qu’une femme exerce la fonction de « chauffeur » ou de « maire » et la priorité du masculin dans les accords grammaticaux ne sont pour rien dans le harcèlement indigne de quelques représentants de la Ligue du Lol... Notons au passage que, bien plus neutres que la nôtre, les langues turque et japonaise n’expriment pas la distinction entre le féminin et le masculin. Pourtant, force est de constater que la condition des femmes dans ces pays n’est pas plus enviable que celle des Françaises.

Finalement le combat doit se porter ailleurs. Il ne faut pas se tromper d’adversaires et attaquer la langue française avant de s’attaquer à ceux qui font qu’auteurs, auteures ou autrices, chefs, cheffes ou cheftaines, docteurs, docteures ou doctoresses, se sentent en insécurité dans les rues de leur pays.. 

Faut-il masculiniser les noms de métier... féminins ?

Même s'ils sont bien plus rares, certains noms de métiers, jusqu'à présent exercés exclusivement par des femmes, ne sont employés qu'au féminin. Un homme qui exerce le métier de sage-femme, est-il un sage-homme ? Non, le mot n'existe pas bien que le métier se soit ouvert aux hommes en 1982 ! Toutefois, pour les hommes, la langue française admet l'article masculin devant « sage-femme ». Il faut dire que « femme », dans « sage-femme » ne concerne pas la personne qui exerce la profession mais la mère que l'on fait accoucher ! Et si l'ordre des médecins a refusé le terme « maïeuticien », c'est qu'il le considère trop restrictif.

Notons aussi que sous l'Ancien Régime, les soldats chargés de la garde des édifices de Paris faisaient partie du régiment des gardes-françaises. Une charge exclusivement masculine mais dont le nom était féminin. Pour y remédier, un article masculin lui était également accolé pour faire de chacun de ces soldats « un garde-française ». Si les hommes y ont droit, pourquoi ne pas accepter, au moins, de faire des noms de métiers des mots à la fois féminin et masculin en adaptant l'article qui les précède au genre de la personne qui les professe ?

Publié ou mis à jour le : 2021-03-02 10:39:14
Marie-France (27-03-2019 21:25:51)

Vous écrivez : Les terminaisons en "euse" ne s'ajoutent que sur des noms auxquels correspond un verbe et vous continuez en vous demandant s'il faut écrire à propos d'une femme "la professeur" ou "la professeure".
Mais pourquoi ne pas dire "professeuse" qui correspondrait au verbe "professer" ?
C'est une suggestion mais je n'attends pas de réponse de votre part.
Bien cordialement.

vasionensis (27-03-2019 10:13:15)

Bonjour, Il y a un demi-siècle, nous avions déjà eu droit à une poussée féminisante, qui se traduisait par exemple par l'usage fortement recommandé de 'doctoresse'. Indice de notre affadisseme... Lire la suite

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