Le romantisme et sa foisonnante créativité ont trouvé en Lamartine leur grand homme et leur œuvre emblématique. Il a trente ans à peine lorsque sont publiées en 1820 ses Méditations poétiques. Elles connaissent un immense succès à travers toute l’Europe, le transformant aussitôt en figure de proue de ce mouvement artistique en plein essor.
Pour toute une génération, il devient l’une des plumes les plus inspirées et l’une des voix les plus écoutées. Le poète romantique compte aussi parmi les très rares hommes de plume français qui se sont engagés activement en politique...
Le libertin
Avant de devenir l’un des plus grands poètes romantiques, Alphonse de Lamartine, né le 10 octobre 1790 à Mâcon, fut un élève fugueur, étudiant séducteur et gentilhomme campagnard aimant à tâter de la plume.
Lorsqu'il quitte les terres viticoles de la famille à Milly (Saône-et-Loire), c'est pour aller se dévergonder à Paris, dans les maisons de jeu et auprès de la belle Nina, épouse d'un de ses amis. Il naîtra de cette relation un enfant adultérin, Paul, « gage vivant de sa tendresse » qu'il s'empresse de délaisser.
C'est en effet l'époque des premiers voyages puisqu'il découvre l'Italie et l'amour d’Antoniella qui deviendra, des années plus tard, le personnage principal de son roman Graziella (1849).
Désormais garde du corps de Louis XVIII, il préfère prudemment se réfugier en Suisse au moment des Cent-Jours avant de revenir sur ses terres où, déchargé de sa fonction, il mène une vie oiseuse mais pleine de poésie.
Madame de Lamartine voit tout cela d'un mauvais œil : « Si tu laisses passer tes jours à te promener, à faire des vers, à aller au spectacle, ce qui est horriblement cher et mauvais, tu ne parviendras à rien et je serai très en colère ! » (1815). C'est décidé, il est temps de chercher un emploi, mais seulement après s'être refait une santé !
Tuberculeux, Lamartine doit en effet passer quelques semaines sur les rives du lac du Bourget, là-même où se repose la très pâle Julie Charles, fille du président de l'Académie des Sciences. Elle est mariée mais rien ne peut empêcher le jeune homme d'aller lui rendre visite à Paris tous les jours, pendant quatre mois.
Obligé de repartir à Aix-les-Bains, il note pendant ses promenades solitaires les premiers vers de son plus fameux poème, « Le Lac », dédié à celle qu'il ne devait plus revoir.
Le retour à Paris s'écrit sous le signe de la mondanité, des maîtresses et du succès des Méditations poétiques qui, publiées en 1820, furent l’un des plus grands succès du XIXe siècle, à travers toute l'Europe.
Avec Lamartine, le romantisme a trouvé son chantre du lyrisme : « Ce n'était pas un art, c'était un soulagement de mon propre cœur qui se berçait de ses propres sanglots ». Ses vers fluides, musicaux, sont ceux de la sensibilité romantique poussée au plus haut point. Amour et mort, nature et regret, tout est déjà dans les Méditations poétiques (1820). Celui qui, dira de lui Robert Sabatier, « écrit comme s'il allait mourir dès le poème écrit » aura été adulé avant de devenir, avec la génération des poètes maudits de la fin du siècle, la statue à abattre. Désormais quelque peu démodé, Lamartine restera dans les mémoires comme l'auteur du fameux « lac » :
« [...] Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! " »
Le voyageur
C'est finalement à Naples que Lamartine est nommé attaché d'ambassade et où il se marie avec Marianne Birch. Sa carrière de séducteur prend fin au profit de celle de politicien.
Pendant 10 ans, Lamartine goûte un bonheur familial simple auprès de sa fille Julia. Il continue bien sûr à écrire, même si cette occupation l'amène à risquer sa vie lors d'un duel contre un colonel amateur de poésie mais mécontent de vers critiques envers l'Italie (1826).
Les dangers du métier sont heureusement contrebalancés par quelques plaisirs, comme l'annonce de son élection à l'Académie française. Cette même année 1830, à la suite de la révolution des « Trois Glorieuses », il démissionne de son poste par fidélité à Charles X et prépare un grand voyage en Orient où il se rend accompagné de toute une cour et d'une bibliothèque de 500 livres.
Rien n'est démesuré pour celui qui, à Beyrouth ou Damas, accepte avec plaisir les titres de « prince » et même « émir ». Mais à son retour de Jérusalem, il doit faire face de nouveau au deuil : sa chère fille Julia, elle-même tuberculeuse, meurt en quelques jours dans ses bras. Il ne lui reste plus qu'à rentrer en France où il rédige en toute hâte, pour faire face à ses créanciers, son Voyage en Orient (1835).
C'est également à cette époque qu'il choisit de changer de casquette : « Adieu les vers. J'aime mieux parler, […] les paroles crachées coûtent moins cher que les stances fondues en bronze » (Correspondance, 1837). Il est temps de mettre son éloquence au service de d'un « pari social » qui allierait désir d'ordre et de changement. « Honte à celui qui peut chanter pendant que Rome brûle ! » (« Poème à Némésis », 1831).
Le « vieil aigle »
Élu et régulièrement réélu député de Mâcon de 1833 à 1851, également conseiller général, Lamartine sait jouer de son charme naturel et de sa table ouverte pour s'attirer une belle popularité, encore accentuée par la publication de son Histoire des Girondins (1847).
Sa clairvoyance et son sens politique n'ont d'égal que sa maîtrise de la langue. Dans un discours prononcé au banquet qui lui est offert le 18 juillet 1847, il annonce la Révolution de Février 1828 : « J'ai dit un jour : "La France s'ennuie !" Je dis aujourd'hui : "La France s'attriste!" Qui de nous ne porte sa part de la faiblesse générale ? Un malaise sourd couve dans le fond des esprits les plus sereins, on s'entretient à voix basse depuis quelque temps, chaque citoyen aborde l'autre avec inquiétude, tout le monde a un nuage sur le front. Prenez-y garde : c'est de ces nuages que sortent les éclairs pour les hommes d'Etat, et quelquefois aussi les tempêtes. Oui, on se dit tout bas : "Les temps sont-ils sûrs ? Cette paix est-elle la paix ? Cet ordre est-il l'ordre ?..." ».
C'est logiquement vers lui que l'on se retourne lors de la révolution de 1848. Celui qui appelle de ses vœux une « République nouvelle, pure, sainte, immortelle, populaire et transcendante, pacifique et grande » devient membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères.
Il faut dire que l'homme a de la suite dans les idées, allant jusqu'à passer trois jours à camper dans un cagibi devant l'Hôtel de Ville pour sauver le drapeau tricolore, alors même que les ouvriers réclament l'adoption du drapeau rouge. Debout sur une chaise, il leur lance ce cri mémorable : « Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang et vous devriez le répudier plus que moi : car le drapeau rouge, que vous-mêmes rapportez, n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 1791 et 1793, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ».
Le 23 juin 1848, il va aussi au devant des insurgés pour les inciter à baisser leurs armes, en vain : des milliers de manifestants sont tués. Face à cet échec retentissant, Lamartine ne baisse pas les bras et se présente à l'élection présidentielle.
Belle défaite ! Il recueille à peine 18 000 voix, contre plus de 5 millions pour Louis-Napoléon Bonaparte. Désormais converti à « l'athéisme politique », il se retire au cœur de son vignoble où il va accumuler difficultés pécuniaires et travaux littéraires pour renflouer les finances.
Cela ne suffit pas : en 1858, il doit accepter qu'on organise une souscription nationale en sa faveur mais le résultat est loin d'être suffisant pour faire face à ses deux millions de dettes. Le « vieux roi » (George Sand) n'est plus que l'objet de moqueries visant ses gilets de soie et ses pantalons collants, souvenirs d'une autre époque.
Rien n'y fait, la déchéance continue : il doit vendre sa chère propriété de Milly pour s'installer dans une petite maison payée par la ville de Paris. En 1863, sa femme décède alors même qu'il est frappé par une maladie articulaire qui le fera souffrir jusqu'à sa mort. Dans les dernières années du vieil homme devenu sénile, c'est sa nièce, Valentine de Cessiat, qui reste à ses côtés avec un attachement récompensé par un mariage longtemps resté secret (1867).
« Le Vieil aigle », comme l'appelait Verlaine, meurt le 28 février 1869 après avoir connu la plus belle des gloires et la pire des déchéances.
Bibliographie
Gérard Gengembre, Le Romantisme, éd. Ellipse, 1995,
La Peinture romantique, éd. Taschen (« Époques et styles »), 1999,
L’Ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst, catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, 2012,
Musée de la Vie romantique, 16 rue Chaptal, 75009 Paris.
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