Venezuela

Le pays de tous les ratages

Le drame que vit le Venezuela cinq ans après la mort du charismatique Hugo Chávez (5 mars 2013) n’a rien pour surprendre dès lors que l’on se penche sur l’histoire longue de ce pays. Celle-ci est en effet depuis un siècle et davantage rien d’autre qu’une litanie de dictatures et de coups d’État à peine entrecoupée d’épisodes démocratiques.

Il serait trop court de faire remonter les malheurs du Venezuela à la découverte et à l’exploitation du pétrole, au début du XXe siècle. En effet, dès la colonisation espagnole, la contrée est passée à côté de toutes les opportunités.

Alonso de Ojeda (1466, Cuenca ;1515, Saint-Domingue) et un cacique indien (gravure américaine du XIXe siècle)

Une colonie délaissée

Christophe Colomb aborde le delta de l'Orénoque le 2 août 1498, lors de son troisième voyage, sans y prêter grande attention. Mais l'année suivante, Amerigo Vespucci, celui-là même qui laissera son prénom au continent américain, explore la région et l'appelle Venezuela (« petite Venise » en espagnol) en raison d'une lointaine analogie entre les habitations sur pilotis du lac Maracaibo et les palais de la célèbre lagune !

Attribué à l’Espagne par Christophe Colomb, le Venezuela souffre d'un développement économique très lent faute de ressources spéculatives. Pour ne rien arranger, la ville de Maracaibo et ses voisines sont plusieurs fois au cours du XVIIe siècles pillées et ravagées par les pirates anglais et français.

À partir de 1620, l'introduction du café, du tabac et surtout du cacao va apporter des ressources bienvenues. Elle va entraîner au XVIIIe siècle l'importation d'esclaves noirs. Il va en résulter la formation d'une société métissée et très inégalitaire.

La tentation de l'indépendance

Signature de l'Acte d'indépendance du Venezuela (5 juillet 1811)Le 5 juillet 1811, la bourgeoisie de Caracas proclame l'indépendance de la Confederación Americana de Venezuela à l'instigation de Francisco de Miranda et Simón Bolívar.

Mais il faudra encore dix ans avant que les troupes espagnoles ne soient expulsées de la région. Le Libertador Bolívar établit alors une République de Grande-Colombie de Quito à Caracas.

L’ère des caudillos

Une page se tourne en 1830 avec la mort du général Sucre et celle de Bolívar. La même année en effet, le général José Antonio Páez obtient par les armes la sécession du Venezuela et en devient le président.

C’est le premier représentant du « caudillisme », de caudillo, « chef de guerre » en espagnol) : durant plus d’un siècle, une longue série de militaires vont se succéder à la tête du pays par des moyens plus ou moins légaux et avec le soutien de l’oligarchie et des grands propriétaires.

Il va sans dire que les classes populaires ne tireront durant cette période aucun bénéfice de leur indépendance retrouvée.

Cipriano Castro : un air de déjà vu

Cipriano Castro, président des États-Unis du Venezuela (carte postale de 1900)En 1899, le général Cipriano Castro s’installe à Caracas à la tête d’une armée privée de soixante hommes !

Son action à la tête du Venezuela témoigne de troublantes similitudes avec celle d’Hugo Chávez, qui accèdera à la présidence par les élections très exactement un siècle plus tard !

Le caudillo Castro doit en premier lieu faire face à l’opposition de l’oligarchie des grands propriétaires et des banquiers. Il s’ensuit une courte guerre civile, la dernière à ce jour. Elle se solde le 21 juillet 1903 par la victoire des partisans de Cipriano Castro.

Mais à cela s’ajoute un blocus maritime de l’Angleterre et de l’Allemagne. C’est que le caudillo, confronté à d’insondables difficultés financières, a suspendu le paiement de la dette extérieure.

Il a aussi nationalisé la compagnie anglaise qui fournit Caracas en électricité, en guise de représailles contre le  soutien financier accordé par l’Angleterre à ses opposants.

Le conflit est résolu grâce à la pression de l'opinion publique européenne et à la médiation du président américain Theodore Roosevelt. Mais Cipriano Castro n’a pas le temps de jouir de son succès...

L’un de ses comparses, le général Juan Vicente Gómez, vice-président et chef de l’armée, le dépose le 19 décembre 1908.

Tout en préservant les apparences constitutionnelles, il va exercer un pouvoir de plus en plus dictatorial et répressif jusqu’à sa mort en 1935. Avec ce dictateur s’achève l’époque du caudillisme.

Espérances démocratiques

En 1958, des élections générales amènent au pouvoir le démocrate Rómulo Betancourt.

Il va devoir faire face à plusieurs complots et attentats attisés de l’étranger. En dépit de tout, il arrive à lancer une réforme agraire. Son ministre des Mines et des Hydrocarbures crée l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en vue de contrecarrer la baisse du prix du pétrole (et des redevances) par les grandes compagnies pétrolières.

En 1963 a lieu une transition démocratique… pour la première fois dans l’histoire du pays ! Le vainqueur va poursuivre les réformes sociales. Il s’ensuit alors de réels progrès : alphabétisation, baisse de la mortalité infantile, hausse de l’espérance de vie…

La malédiction de l’or noir

Le président suivant doit gérer le premier choc pétrolier, consécutif à la guerre du Kippour. Sous l’action de l’OPEP, le prix du baril passe de 3 à 14 dollars. Il s’ensuit un bond pharamineux du budget vénézuélien, de 14 à 42 milliards de bolivars (la monnaie nationale).

Gagné par la folie des grandeurs, le président suivant, Carlos Andrés Pérez, va paradoxalement surendetter l’État en vue de faire enfin du Venezuela un « Grand pays » ! Il s'ensuit une brutale dévaluation de la monnaie et une politique de rigueur très violente. En 1988, des mesures énergiques, comme la fin des subventions et du contrôle des prix ainsi qu’une augmentation du prix de l’essence, se soldent par des émeutes et des pillages d’une rare violence. Le président fait suspendre les garanties constitutionnelles et engage la répression par l’armée.  Ce « Caracazo » va laisser de nombreuses victimes sur le pavé.

Émeutes et répression par l'armée en février 1988 à Caracas (Caracazo)

C’est dans cette situation sociale très tendue que survient quelques années plus tard, le 4 février 1992, un coup d’État à l’initiative de plusieurs officiers. Parmi eux figure un dénommé Hugo Chávez...

Hugo Chavez et Fidel Castro (DR)Les citoyens, sans rancune pour son putsch, vont le porter de façon régulière à la tête du pays en 1998.

Le nouveau président engage des réformes radicales en invoquant les mânes du « Libertador » Simon Bolivar. Il tisse aussi des rapports étroits avec Cuba et son ami Fidel Castro. Dans le même temps, il multiplie les diatribes contre Washington et attise dans son propre pays les dissensions de classes tout en renforçant les contrôles policiers.

Victime d’un cancer, il décède le 5 mars 2013 à 59 ans. Son dauphin Nicolas Maduro, qui n’a pas son charisme, lui succède à la tête d’un pays sinistré.

Publié ou mis à jour le : 2020-01-05 12:36:08
DEFEBVRE (10-02-2019 09:52:01)

Et rien sur le rôle des USA - CIA, pressions financières et économiques ... -, du FMI contre Chavez notamment, qui, quand il "attise dans son propre pays les dissensions de classes" ne fait que lu... Lire la suite

Pierre Brivot (09-02-2019 21:22:33)

Pour mieux comprendre la situation au Venezuela

Ayant passé de nombreux mois dans ce pays, surtout dans ses îles bien sûr mais également dans quelques villes principales et secondaires entre les années 1986 (juillet) et 1995 (début octobre) il m’est possible d’apporter un témoignage le concernant.
Il m'est arrivé d'entrer en voilier à Cumaná depuis l’île deTortuga. Malgré un faible tirant d’eau, à marée basse on raclait un peu le fond avec la quille mais c’était de la vase sableuse, pas de problème.
Le voyage valait la peine car on y remplissait le réservoir de carburant pour seulement quelques francs français : 0,54 F le litre en juillet/septembre 1986 ; 0,08 F en septembre 1987 et, du calme ! 0,06 franc français le litre en février 1989... Mais en mars de la même année le gouvernent a doublé le prix des carburants provoquant ainsi grogne et émeutes : 0,14 F le litre de diesel le 02 mars 1989 !!
C’était donc du ‘n’importe quoi’ ; mais ce n’importe quoi amusait peu les Vénézuéliens.
En mars 1989, alors que je me trouvais une fois encore à Cumaná, Carlos Andrés Péres, venait d’être réélu président le 4 décembre précédent.
Réélu car il avait à son actif un premier mandat de 1974 à 1979. La constitution bolivarienne ne permet pas deux mandats consécutifs. C’eût été d’ailleurs délicat car le premier s’était bien passé pour son compte bancaire mais assez mal pour les finances des Vénézuéliens : corruption de haute voltige et prévarication brillante. Le sieur Carlos est donc allé dépenser ses dollars aux USA, mais aussi en Europe, en Angleterre, en Espagne où la langue ne lui posait pas de problème et en France, où un certain Mitterrand lui a probablement fait bon accueil (entre malfrats on s’aime d’évidence).
Les années passèrent vite, les réserves du compte bancaire de l’ancien président, quoique énormes pour l’homme de la rue de Caracas, s’épuisèrent... Il lui fallut donc rentrer au pays et se représenter à la magistrature suprême !
Vive la démocratie !
Il paraît logique à quiconque que, si les détournements financiers et autres magouilles de 4 années n’ont pas suffi pour vivre les 4 suivantes c’est qu’il fallait faire mieux et plus fort cette fois-ci !!
Donc notre ami Carlos s’adonna avec application à puiser dans les richesses d’un pays richissime en pétrole !
Inflation, dévaluation de la monnaie, baisse des cours du pétrole, la dette extérieure qui s’envole…
Notre sympathique président venezolano se retrouva dans la prison El Junquito et suspendu par le Sénat le 21 mai 1993.
Le 30 mai 1996 le bonhomme fut condamné à 2 ans et 4 mois pour malversation aggravée. Cependant en 2001, il put s'enfuir en République Dominicaine. Le nouveau pouvoir à Caracas (Chavez) tenta de le récupérer. En vain. Carlos s’installa en Floride avec son pactole.
25 décembre 2010, mort de Carlos Andrés Péres à 88 ans. Joyeux Noël donc pour les Vénézuéliens !
Mais, et ce sera l’avant-dernier paragraphe de conclusion de cette page d’histoire sud-américaine, je me trouvais au Venezuela quelque temps après la réélection du brillant cleptomane d’Etat. Un soir, dans un restaurant de Cumaná, avec un autre navigateur, je posai la question : mais pourquoi les Vénézuéliens l’ont-ils réélu ? On me donna la réponse et pour la valider, on me conseilla de la poser sans tarder à un citoyen du cru.
Le lendemain matin, justement, il me fallait remplir de gas-oil le réservoir du voilier. Le pompiste avait l’air sympathique et assez déluré, j’en profitai pour poser ladite question : « ¡O! señor, es muy fácil, pensamos que la primera vez, él nos había tanto robado, que ahora va a estar un presidente honesto »

Premier mandat 74-79
Second mandat 89-94
Enfermé dans la prison El Junquito
21 mai 93 suspendu pour malversations par le Sénat
30 mai 96 condamné à 2 ans et 4 mois pour malversation aggravée
2001 fuite en République Dominicaine
Une demande d’extradition échoue
Exilé à Miami en Floride
25 décembre 2010 mort de Carlos Andrés Péres!!

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