La Fontaine (1621 - 1695)

L'insouciant magnifique

Jean de La Fontaine par François de Troy, XVIIe siècle, bibliothèque publique et universitaire de Genève.Né il y a quatre siècles, Jean de La Fontaine a publié son premier recueil des fables en 1668, à l'âge déjà avancé de 47 ans. Qui aurait pu deviner qu'elles allaient traverser les siècles ?

Destinées tout d'abord à l'éducation du Dauphin, le fils du roi Louis XIV, elles vont connaître un succès grandissant qui ne se démentira pas. 

De nos jours, elles sont même devenues le recueil que Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale, a recommandé comme ouvrage estival de référence pour les 800 000 élèves de CM2 !

Ces fables peuplent encore notre imaginaire et constituent un fondement de notre culture nationale. Nous devons ce prodige à un petit maître des eaux et forêts que rien ne prédisposait à un tel destin. Découvrez comment notre fabuliste est devenu ce héros pour petits et grands...

Salons et cabarets...

L’ambition est au cœur de la famille La Fontaine de Château-Thierry (Aisne). Le père, Charles, rêve de quitter cet habit de bon bourgeois qu'il a hérité de ses ancêtres marchands. Le chemin vers la noblesse passe par l'acquisition de la charge de maître des eaux et forêts, et celle de conseiller du roi.

C'est cher, certes, mais notre rusé a stratégiquement épousé une veuve qui lui a apporté une jolie dot, vite investie dans une belle demeure un peu tape-à-l'œil. La famille s’agrandit avec l’arrivée de Jean, le 8 juillet 1621, suivi 2 ans plus tard de Claude.

Au collège, l'aîné se montre nonchalant, n'appréciant guère que les leçons d'Histoire et de latin. Il y découvre avec grand plaisir les fables des anciens mais ce qu'il préfère, c'est aller baguenauder dans les campagnes champenoises à la rencontre des grenouilles obèses et des hérons dubitatifs.

Réunion dans un cabaret, Valentin de Bourgogne, 1625, Paris, musée du Louvre.

En 1635, Jean est envoyé à Paris pour suivre des études de droit qui lui permettraient de reprendre les charges de son père. À lui les salons bien fréquentés, à lui les cabarets un peu moins fréquentables ! Il se tourne brièvement vers la religion mais l’attrait de l’écriture est plus fort.

Jean retrouve ses amis cabotins, ces Furetière, Pelisson et autres La Sablière avec lesquels il partage entre autres le goût des belles rimes. Inspirés par l'enseigne de La Table ronde qui trône à la façade de leur cabaret préféré, ils forment la Brigade des Paladins qui préfèrent la plume à l'épée et négligent la politique pour mieux manier la métaphore.

Nicolas Fouquet, assis, entouré de figures allégoriques, Gilles Rousselet et François Chauveau, XVIIe siècle, Paris, BnF, Gallica.

Des fables, un grenier et l'Académie française !

En 1647, son père le pousse au mariage. Désargenté, Jean de la Fontaine se tourne vers son oncle Jannart, qui le présentera à Nicolas Fouquet, procureur général au parlement de Paris, dont il devient le protégé. Les temps heureux prennent fin le 17 août 1661 avec la disgrâce de Fouquet, qui est une catastrophe pour La Fontaine : il perd à la fois son mécène et son ami.

La Servante justifiée, illustration des Contes de Jean de La Fontaine, Jean-Honoré Fragonard, 1765, Paris, Petit Palais.En 1664, enfin anobli, on le retrouve à Paris comme « gentilhomme servant » au service de la duchesse d'Orléans, veuve de Gaston de France, frère de Louis XIII. Certes, sa fonction n'est pour l'instant que de passer les plats à ce beau monde un peu triste du palais du Luxembourg mais le succès de sa première publication, les Contes et Nouvelles en vers tirés de Boccace et de l'Arioste (1665), lui laisse entrevoir un autre avenir.

À 44 ans, il est temps ! Celui que ses amis Molière, Racine et Boileau aiment à appeler « Le Bonhomme » lorsqu'ils le retrouvent au cabaret ou chez lui, rue d'Enfer, a fait preuve d'une belle audace en donnant un ton quelque peu gaillard, voire franchement rabelaisien, à ses histoires d'épouses coquines et maris cocus.

Le genre, qui n'est finalement pas neuf, ravit les salons qui s'émoustillent de ce gentil badinage fait d'un mélange subtil d'élégance et de gauloiserie, conté avec une plume tellement légère ! Rapidement, il fait paraître un deuxième recueil encore plus osé, encore plus applaudi.

La Cigale et la Fourmi, Jean-Baptiste Oudry, XVIIIe siècle, Paris, BnF. L'agrandissement présente l'illustration de la fable par Gustave Doré, 1867, Paris, BnF. 124 ! C'est le nombre impressionnant de fables que La Fontaine tire de son tiroir pour les publier en une seule fois, en mars 1668, mais ne parvenant pas à se faire admettre à la cour, ruiné par les jeux de hasard, séparé de sa femme, il trouve refuge dans le grenier de madame de La Sablière, épouse d'un de ces Paladins qui ont enchanté sa jeunesse.

Cette période impécunieuse est cependant riche de rencontres. Il côtoie La Rochefoucauld et madame de Lafayette. Après le deuxième recueil de ses fables, paru en 1678, il est choisi par l’Académie française pour occuper le fauteuil 24.

À près de soixante ans, il s'essaye à varier les styles et les genres sans succès, s’essayant même à la poésie scientifique. Il finit cependant par revenir à ses premiers amours pour publier le dernier recueil de ses fables, en 1694.

Le Chêne et le roseau, Jules Coignet, 1831, musée Jean de La Fontaine, Château-Thierry.

La vie vaut-elle une fable ?

Mais la mort commence à s'approcher. Il s'inquiète pour le salut de son âme et passe de plus en plus de temps sur les rimes d'un Dies Irae qui doit contribuer à son salut. « O mon cher, écrit-il à son ami Maurois quelques semaines avant sa mort, mourir n’est rien ; mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ?  »

Il rend finalement son dernier soupir le 10 avril 1695 sans être apaisé comme le montre le cilice de pénitent que l’on retrouvera près de lui. Inhumé au cimetière des Saints-Innocents à Paris, il laisse une « Épitaphe d'un paresseux » qui ne reflète qu'imparfaitement le parcours de celui qui créa près de 240 fables et 60 contes, avec l’exploit de ne pas avoir eu l'air de travailler. Dans son cas, on ne peut pas dire que la montagne a accouché d'une souris !

« Jean s’en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait [avait coutume] passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire »
.
(« Épitaphe d’un paresseux », Fables nouvelles, 1671)

 La lecture de la fable, 1796, Jean-Pierre Saint-Ours, musée d'art et d'histoire de Genève.

La Fontaine, un créateur inspiré !

Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ; mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même : « C’est du verjus ».

Le Renard et les raisins,                Félix Lorioux, XIXe siècle.      Gustave Doré, 1867, Paris, BnF, Gallica. L'agrandissement est l'illustration de la fable par Félix Lorioux, XIXe siècle.Pareillement certains hommes, ne pouvant mener à bien leurs affaires, à cause de leur incapacité, en accusent les « circonstances ». Cela vous rappelle quelque chose ? « Le Renard et les raisins », bien sûr ! mais dans la version  succincte héritée d'Ésope.

Connaissant sur le bout des doigts, comme tous ses contemporains, la littérature gréco-romaine, la Fontaine s'est en effet approprié ces fables qui nourrissaient ses cours de langues anciennes.

Mais il ne s'est pas contenté de les traduire : d'une belle plume, il choisit chaque mot, chaque expression pour réécrire avec légèreté des textes souvent lourds ou trop désireux d'aller rapidement à la morale.

Ses personnages sont dessinés avec une délicatesse infinie dans le rendu de la psychologie et des attitudes, le tout dans une langue si simple qu'elle est encore aujourd'hui accessible aux plus jeunes.

Le Geai paré des plumes du paon Marc Chagall, 1925, Et quel art de la narration ! En deux vers il présente le cadre, en quatre il expose l'intrigue ; le lecteur ne peut dès lors plus se détacher de l'histoire au suspense habilement travaillé, nourri d'un présent de narration qui nous plonge au cœur de l'action.

Ajoutez à cela quelques dialogues pleins de vie, une touche discrète d'humour parfois narquois mais toujours bon enfant et une morale pleine de bon sens, et vous avez la recette du succès jamais démenti d'un écrivain qui avait compris qu'il devait garder toute sa liberté : « Mon imitation n'est pas un esclavage ».

« Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires »
.
(« Le Geai paré des plumes du paon »)

Publié ou mis à jour le : 2021-05-19 00:36:24

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