En ce début du XXIe siècle, le monde semble découvrir les Ouïghours, peuple turcophone vivant au nord-ouest de la Chine. Cette soudaine notoriété médiatique s'explique par la façon particulièrement brutale dont Pékin a choisi de traiter les membres de cette minorité musulmane.
Pour mieux comprendre ce drame, retraçons l'histoire de ce peuple avant d'étudier les enjeux actuels liés à la région du Xinjiang.
Les « Unis »
Pour chercher les origines des Ouïghours (les « Unis » ou les « Alliés »), il faut se rendre sur les rives du lac Baïkal où vivaient leurs ancêtres, des tribus nomades turques.
Au VIIIe siècle, ces guerriers prennent le pouvoir sur leurs terres de Mongolie en mettant fin au khaganat (royaume dirigé par un khan) des Gokturk.
Leur puissance est alors telle qu'ils offrent même leurs services aux Chinois de la dynastie Tang, en proie à une rébellion. Ils se transforment alors en sédentaires, contrôlant les routes commerciales qui traversent leurs oasis.
C'est à cette époque qu'ils abandonnent leurs croyances chamaniques pour adopter le manichéisme né en Perse au IIIe siècle et dont les adeptes, persécutés chez eux, s'installèrent en Chine dès le VIIIe siècle.
La nouvelle religion se diffuse également dans les bagages des marchands, notamment les Sogdiens qui servent d'intermédiaires avec le monde méditerranéen et contribuent à la naissance d'une écriture ouïghour qui sera ensuite transmise aux Mongols puis aux Mandchous.
Dans le même temps le christianisme nestorien commence à apparaître dans la région avec succès puisque le prince de Kashgar, Sergianos, en était un des adeptes.
Ces croyances cohabitaient dans une grande tolérance avec le bouddhisme transmis depuis le Ier siècle av. J.-C. par les pèlerins et les moines dont le plus célèbre, Xuan Zang, traversa la région au VIIe siècle au cours d'un périple de 17 ans.
À la croisée des chemins
En 840, les Ouïghours doivent quitter leurs terres face aux attaques des Kirghiz et descendre du côté du fleuve Tarim qui traverse aujourd'hui la région chinoise du Xinjiang.
Certains s'installent dans le corridor du Gansu, entre les montagnes noires du plateau tibétain au sud et les montagnes blanches de la Mongolie au nord, et fondent le royaume de Zhangye, tandis que d'autres choisissent d'aller plus à l'ouest, vers les Monts Célestes.
On est alors en plein âge d'or de la route de la soie, et les cités qui la jalonnent en sont autant d'étapes incontournables et de centres culturels ouïghours, comme Turfan et Kashgar... Les richesses passent de main en main, soie, céramiques, épices et les fameux « chevaux célestes » de la vallée de Ferghana, tant convoités par les Chinois. Au IXe et Xe siècle, c'est un véritable État qui voit le jour dans le Gansu, au nord-ouest de la Chine, avec comme capitale Gaochang (Kocho) établie dans le nord du désert du Taklamakan.
À cette l'époque l'Islam atteint ces contrées, vouant à l'oubli les nombreuses grottes bouddhiques peintes qui parsèment la région. La progression en terre chinoise fut rapide puisque un siècle à peine après la mort de Mahomet a été lancée la construction de la grande mosquée de Xi'an (742), l'une des plus anciennes du monde, à l'extrémité est de la route de la soie. Il semble cependant que Turfan est resté un centre chrétien d'importance jusqu'à l'arrivée des Mongols, dans la seconde moitié du XIIIe siècle.
Le khan local fit alors allégeance à Gengis Khan, apportant aux envahisseurs une administration solide et surtout une écriture. Désormais liés, c'est de concert que les deux peuples se convertissent, majoritairement au XIVe siècle, à la religion musulmane d'obédience sunnite. Ils ne sont pas les seuls puisque la région compte aussi les Dounganes ou Hui, de langue chinoise.
La partie d'échecs
Avec l'effondrement progressif de l'empire mongol, la route de la soie se fragilise avant de pratiquement disparaître face à la concurrence des trajets maritimes et de la montée des Ottomans d'un côté, et des Ming isolationnistes de l'autre.
Au XVIIIe siècle, voyant d'un mauvais œil une possible alliance avec le voisin russe, la dynastie Qing conquiert la région et y installe des colonies militaires dans ce qu'elle nomme désormais Xinjiang, c'est-à-dire « la Nouvelle Frontière ».
Des révoltes éclatent, les musulmans sont discriminés, les habitants de l'ethnie Zunghar sont massacrés. En 1864, face à une nouvelle série de révoltes, le pouvoir impérial perd pied et tolère la création d'un émirat à Kashgar jusqu'à ce qu'en 1875 les Mandchous reprennent la région.
Cependant, vue d'Europe, l'Asie centrale semble oubliée jusqu'à la seconde moitié du XIXe siècle. C'est alors que la Grande-Bretagne, souhaitant endiguer l'expansion russe vers le sud et son empire indien, redécouvre les terres du milieu du continent qui, en grande partie, n'avait même pas été cartographié.
Les deux grandes puissances vont se lancer dans des manœuvres plus ou moins secrètes et discrètes, surnommées Le Grand Jeu, destinées à étendre leur influence sur la région.
Diplomates, explorateurs et espions vont se croiser au pays des Ouïghours jusqu'à ce qu'en 1884 la Chine reprenne les choses en mains en donnant à la région le statut de province, partie inaliénable de son territoire.
Entre révoltes et répression
Avec la fin de l'empire mandchou en 1911, la région commence à rêver d'indépendance et se soulève à deux reprises, en 1933 et 1944, dans le but de devenir une « République du Turkestan oriental ».
L'arrivée des communistes au pouvoir en 1949 marque une mise au pas de la population que l'on cherche à « diluer » en incitant les membres de l'ethnie Han, majoritaire en Chine, à s'installer sur ces terres de l'ouest. Dans ce qui est depuis 1955 la « Province autonome ouïghour du Xinjiang », on ne compte désormais que 47 % d'habitants ouïghours contre 80 % dans les années 1950.
Avec l’arrivée de ces nouveaux habitants, les villes explosent et deviennent des mégapoles géantes, comme la capitale Urumqi qui compte désormais plus de 3 millions d’habitants. Ce type de « colonialisme intérieur », associé à un total contrôle des activités politiques, économiques, religieuses et culturelles, s'est accéléré à la chute de l'URSS par crainte d'une sécession. Cela ne s'est pas fait sans heurts puisqu'en 2009 par exemple des émeutes à Urumqi ont fait (officiellement) près de 200 morts.
Être ouïghour aujourd'hui, c'est vivre dans une région en état de siège : les déplacements sont minutieusement suivis, les contrôles policiers s'enchaînent, les stations-services sont enfermées derrière des barbelés. Partout, les caméras surveillent...
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