La « mer au milieu des terres », comme l’indique l’étymologie, sillonnée aujourd’hui par les croisiéristes et où s’ébrouent les adeptes des quatre S (sea, sun, sex and sky), fut pendant plusieurs millénaires le cœur battant du monde occidental et le lieu de rencontre des trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam.
D’une étendue somme toute modeste, 2,5 millions de km2 en incluant les mers intérieures (Adriatique, Égée), la Méditerranée a des atouts exceptionnels qui expliquent son destin historique, en premier lieu sa situation au carrefour des trois continents de l’Ancien Monde : Asie, Afrique, Europe ; en second lieu, de nombreuses échancrures (baies, promontoires, îles) propices au cabotage (navigation à vue).
Dès la fin du Paléolithique, des hommes traversèrent le détroit de Messine et occupèrent la Sicile. D’autres s’installèrent en Crète et à Chypre dès avant le VIIe millénaire av. J.-C. Sur les rivages de la Méditerranée orientale s’épanouirent dès lors quelques-unes des plus belles civilisations de la haute Antiquité.
L’empire romain et ses lointains héritiers, Byzance et l’Italie de la Renaissance, firent de la Méditerranée le centre du monde… jusqu’à ce que l’ouverture des routes atlantiques la rejettent à sa périphérie.
Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l'Afrique et les migrations. Il est aussi spécialiste de la littérature de jeunesse et a publié chez Herodote.net une biographie de l'éditeur Hetzel et une synthèse sur la littérature de jeunesse. Épris du monde méditerranéen, il nous convie dans cet essai à un périple de la haute Antiquité à notre siècle, truffé de menaces, d'espérances et d'exploits.
La Méditerranée de tous les dangers
Pour les Anciens, la Méditerranée faisait figure de mer rebelle, colérique, indomptable, bordée de montagnes abruptes sur la côte Nord et de plaines inhospitalières sur la côte sud, parcourue de vents sauvages qui cèdent la place à des étés torrides où la mer huileuse immobilise les bateaux. Une zone de fracture de l’écorce terrestre source d’inondations, d’éruptions volcaniques et de tremblements de terre. Un cimetière marin pour des bateaux mal préparés à en affronter les dangers et dont les équipages ne pouvaient que s’en remettre à la faveur des dieux.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’activité des ports phéniciens et la geste d’Ulysse, premier héros méditerranéen.
La Phénicie correspond à peu près au Liban actuel avec les ports bien abrités de Byblos, de Sidon ou de Tyr. Elle connaît une civilisation prospère dès le XIVe siècle av. J.-C., fondée sur le commerce avec des « succursales » en Afrique du Nord, en Espagne et dans les îles de la Méditerranée pour exporter une production agricole et artisanale excédentaire. Mais la flotte phénicienne à faible tonnage, au gréement rudimentaire, et avec un équipage restreint sans équipements de combat limite ses ambitions à du cabotage sur les côtes et à des traversées risquées en période de temps clément.
Quand les Grecs et Homère sortent de l’anonymat, la Phénicie n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même.