De l’Empire à la Troisième République, le XIXe siècle a été jalonné par de nombreux régimes politiques et ébranlé par de violentes secousses. C’est aussi un siècle durant lequel les grands écrivains n’ont pas hésité à s’engager, balançant entre hommes d’influence, hommes d’action et hommes de pouvoir. De ces liens qu’ils ont tissés entre littérature et politique, ils ont fait une partie de l’identité française et seront suivis par leurs successeurs lors du siècle suivant.
C’est l’histoire de ce compagnonnage parfois ambigu, souvent heurté, que nous allons retracer en trois parties. La première couvre l’Empire et la révolution de 1830. Elle évoque des figures particulièrement marquantes tels que Chateaubriand ou Alexandre Dumas, qui s’impliqueront avec fougue dans la vie politique sans pour autant recevoir les récompenses auxquelles ils aspiraient.
L’Empire et la Restauration
C’est un couple tumultueux qui trace la voie de l’engagement politique aux écrivains du XIXième siècle.
Elle, Germaine de Staël (1766-1817), collectionne amants et soupirants ; lui, Benjamin Constant (1767-1830), est un homme à femmes.
Lorsqu’ils se rencontrent en 1794, tous deux sont des enfants des Lumières ; ils n’ont pas encore trente ans, mais ils communient dans le goût des idées et de la politique.
Dès son plus jeune âge, Germaine de Staël, la fille du banquier Necker, ministre de Louis XVI avant de quitter le pouvoir en 1790, baigne dans les mondes de la finance, de la politique, et des salons, notamment celui de ses parents où elle côtoie l’intelligentsia de son temps.
Ses romans Delphine, Corinne ou l’Italie, De l’Allemagne, font d’elle une figure du préromantisme.
Ses essais politiques lui permettent d’exprimer ses convictions libérales et républicaines à partir de 1795. Si elle se montre brièvement intéressée par Bonaparte qu’elle rencontre, elle déchante rapidement...
Sur les routes d’Europe, lors de brefs passages plus ou moins clandestins à Paris ou bien dans son château de Coppet en Suisse, Germaine de Staël dénonce la « tyrannie », « le pouvoir absolu », ce « fléau de l’espèce humaine » qu’incarne ce « parvenu » (Napoléon).
Elle fait de son château de Coppet le principal foyer de l’idéologie libérale. Au centre de cette intelligentsia cosmopolite se déploie Benjamin Constant, ami et amant plus ou moins… constant de la maîtresse des lieux.
Il s’adonne lui aussi sans relâche à l’écriture de romans (Adolphe, Cécile), d’une œuvre autobiographique (Journaux intimes), de traités politiques, d’articles de presse... Nommé au Tribunat par Bonaparte, il devient rapidement un opposant au Premier Consul en qui, comme Germaine de Staël, il voit un « despote ».
Pendant la Restauration, il est élu député. Fervent défenseur du régime parlementaire, il devient le chef de file du parti libéral à la Chambre des députés.
Pendant que le couple Constant-de Staël ferraille avec Bonaparte, Henri Beyle, qui n’est pas encore Stendhal (1783-1842), s’efforce, en revanche, de s’inscrire dans l’exaltante geste napoléonienne.
En 1806, mû par une ambition forcenée, il rêve de places lucratives et de hautes fonctions, se fixant un objectif bien précis : décrocher un poste d’auditeur au Conseil d’État.
Avant d’être un écrivain reconnu, Stendhal est un commis de l’Empire qui suit la Grande Armée à travers l’Europe jusqu’en Russie.
Lors de ses séjours à Paris, il mène une vie de dandy, courant les conquêtes amoureuses en dépit d’un physique disgracieux.
En 1814, le retour des Bourbons sur le trône le plonge dans la détresse financière.
Mortifié par un déclassement humiliant, Stendhal se rallie hypocritement à Louis XVIII. En vain.
Il se replonge dans l’écriture, les voyages, les amours et la vie de salon où sa conversation brillante et ironique fait de lui un des intellectuels les plus appréciés de Paris.
L’autre grand écrivain de ce début de siècle, le vicomte François-René de Chateaubriand (1768-1848), mènera parallèlement une carrière littéraire et une activité politique plus prestigieuses.
Après un voyage en Amérique et un exil à Londres, il rentre en France en 1800 sous une fausse identité et se voit rayé de la liste des émigrés l’année suivante. Il a déjà publié l’Essai sur les Révolutions (1797), a commencé à travailler au Génie du christianisme et à ses futurs romans Atala et René.
Chateaubriand préfigure ces écrivains qui embrasseront la carrière diplomatique au siècle suivant.
Sa lune de miel avec Bonaparte ne dure guère.
L’assassinat du duc d’Enghien lui fournit une excellente raison (ou un prétexte) pour passer dans l’opposition à l’Empereur pour lequel il garde néanmoins une certaine fascination.
S’ensuit sous la Restauration une tumultueuse carrière de ministre plénipotentiaire à Berlin, d’ambassadeur à Londres, de ministre des Affaires étrangères avant d’être limogé par Villèle, de passer dans l’opposition semi-libérale, et enfin de retrouver un poste d’ambassadeur à Rome.
Parallèlement, Chateaubriand participe à la fondation du journal Le Conservateur, et travaille à son chef d’œuvre Les Mémoires d’outre-tombe, somptueuse fresque autobiographique et historique au style éblouissant.
La Révolution de 1830
La Révolution de 1830 constitue le premier grand carrefour de l’histoire du XIXe siècle où se croisent les destins des écrivains.
Pendant trois jours, sous une chaleur suffocante, la poudre parle dans la capitale, faisant couler le sang (200 morts chez les militaires, plus d’un millier chez les insurgés). Quand le roi annonce qu’il retire les ordonnances, il est trop tard. Paris est aux mains des insurgés, et Charles X abdique.
Pour Stendhal, c’est l’occasion d’en finir avec la Restauration qu’il déteste et dont il pressent la fin depuis quelques mois.
« L’événement le ravit, le libère de quinze ans de défaite, mais il ne se dérange ni pour y participer ni pour le voir », affirme son biographe Michel Crouzet. Pendant qu’on se bat quasiment sous ses fenêtres, il lit Le Mémorial de Sainte-Hélène.
Un autre écrivain se montre plus impétueux : Alexandre Dumas (1802-1870).
À 28 ans, il est déjà célèbre mais n’est pas indifférent non plus à la politique. Il se jette au cœur des combats près du pont des Arts, pas peu fier d’avoir participé à la première révolution de son siècle.
En 1830, un autre écrivain a fait ses premières classes dans la diplomatie : Alphonse de Lamartine (1790-1869). Lui aussi veut faire carrière au sein de l’État et dans les Lettres. Cet aristocrate est un royaliste qui s’est cherché durant la Restauration.
À 28 ans, lorsque Charles X quitte le pouvoir, Victor Hugo (1802-1885) est déjà reconnu dans le milieu littéraire. Il a fait connaissance de Chateaubriand, Lamartine, Nodier, Vigny entre autres. Ses œuvres Bug-Jargal, Han d’Islande, Odes et ballades, Les Orientales, le classent dans la famille des romantiques.
En février 1830, il accomplit à lui seul une révolution. Théâtrale. Il réalise un coup d’éclat avec la représentation de Hernani qui renverse les codes de la tragédie et enthousiasme la jeunesse littéraire qui voit en lui un chef d’école et en fait son idole. Pris de court, il n’a pas le temps de réagir à l’insurrection.
Comme Lamartine, il se rattrapera en 1848...
Vos réactions à cet article
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Raspoutineke (28-02-2018 11:56:17)
Passionnant cet article, merci
edzodu (20-02-2018 17:43:20)
Bonjours Amis de herodote.net et simples lecteurs Merci monsieur Jean-Pierre Bédéï pour votre article, qui à n’en pas douter, donne à penser qu’il y a chez vous, au moins, une réelle nostalgie d’une époque glorieuse des écrivains engagés et par ricochet d’un journalisme de valeur et non comme trop souvent aujourd’hui une foison de nouvelles crachées et non réfléchies annonçant un scandale pour en donner le démenti le lendemain. Vielle méthode vous me direz, née sous la Révolution mais nous sommes au XXIème siècle, et les lecteurs ont plus que par le passé besoin de vérité, tant ils ont été bernés depuis. Cet état d’esprit de cette corporation oh ! Combien indispensable, me conduit à penser que nous sommes, au risque de me tromper lourdement, au crépuscule du « journalisme vraiment indépendant» Les subventions qui sont accordées aux divers titres de presse cache à mon sens une censure qui ne dit pas son nom. D’autre part, du point de vue du contenu, j’ai connu les heures de gloire du journalisme entre les années 1950 et 2000 ou lire un journal était s’instruire des événements majeurs qui marque notre société, de ses mœurs et ses pratiques politiques. Aujourd’hui, à mon grand regret, je vais de déception en déception – sauf pour certains titres mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main respectueux encore de ses règles déontologiques – mais qui ne nous donnent à lire que les bases algorithmes de compilation de l’AFP. D’ailleurs, certains journalistes renommés l’ont bien comprit, ils écrivent presque tous des livres, comme pour se démarquer du « nouveau monde journalistique » dans lequel nous sommes entrés et afficher, chacun dans son style eux aussi leur nostalgie de ces belles années des journaux payants, mais oh ! Combien enrichissants ! Parmi ces écrivains-journalistes, je me suis intéressé à la lecture d’un ouvrage, qui dépeint notre société française et ses travers et présente de façon prémonitoire, en quelques sorte l’élection à la présidence de la République de notre président de la République actuel, Emmanuel Macron pour ne pas le nommer. Son titre : Les pathologies politiques françaises – de Alain Duhamel de l’Institut chez PLON. Je considère dans ce livre, en ne citant que celui-là, la même veine que celle de madame De Staël ou de Benjamin Constant, non pas seulement pour ce qui concerne « les libertés individuelles » et « les prémonitions du libéralisme », mais pour un retour au fondamentaux démocratiques de chaque citoyen et par ce droit fondamental l’obligation de voter, et sanctionner les comportements de nos élus pour leurs rappeler la déontologie indispensable à ces fonctions parlementaires qu’ils doivent s’obliger comme représentants du peuple. Nous attendons avec impatience la suite de vos récits sur les écrivains et journalistes du XXème et du début du XXIème siècle.