De l’Empire à la Troisième République, le XIXe siècle a été jalonné par de nombreux régimes politiques et ébranlé par de violentes secousses. C’est aussi un siècle durant lequel les grands écrivains n’ont pas hésité à s’engager, balançant entre hommes d’influence, hommes d’action et hommes de pouvoir. De ces liens qu’ils ont tissés entre littérature et politique, ils ont fait une partie de l’identité française et seront suivis par leurs successeurs lors du siècle suivant.
C’est l’histoire de ce compagnonnage parfois ambigu, souvent heurté, que nous allons retracer en trois parties. La première couvre l’Empire et la révolution de 1830. Elle évoque des figures particulièrement marquantes telles que Chateaubriand ou Alexandre Dumas, qui s’impliqueront avec fougue dans la vie politique sans pour autant recevoir les récompenses auxquelles ils aspiraient.
L’Empire et la Restauration
C’est un couple tumultueux qui trace la voie de l’engagement politique aux écrivains du XIXième siècle.
Elle, Germaine de Staël (1766-1817), collectionne les soupirants ; lui, Benjamin Constant (1767-1830), est un homme à femmes.
Leur liaison orageuse est émaillée de ruptures, de retrouvailles, de querelles et de réconciliations. Mais elle est entretenue et sauvée par une complicité intellectuelle qui fera d’eux l'un des couples les plus illustres de l’histoire littéraire.
Lorsqu’ils se rencontrent en 1794, tous deux sont des enfants des Lumières ; ils n’ont pas encore trente ans, mais ils communient dans le goût des idées et de la politique.
Dès son plus jeune âge, Germaine de Staël, la fille du banquier Necker, ministre de Louis XVI avant de quitter le pouvoir en 1790, baigne dans les mondes de la finance, de la politique, et des salons, notamment celui de ses parents où elle côtoie l’intelligentsia de son temps.
Mariée à l’ambassadeur de Suède en France le baron de Staël dont elle aura plusieurs enfants en dépit de leur mésentente manifeste, elle vibre aux premières années de la Révolution. Favorable à une monarchie constitutionnelle, proche du club des Feuillants, hostile aux royalistes contre-révolutionnaires comme aux Jacobins, elle est effrayée par la Terreur et condamne les démagogues qui poussent le peuple à la violence.
Malgré toute la condescendance avec laquelle il envisage la condition féminine, il admet l’« utilité » des femmes qui, certes, rendent la vie agréable aux homme mais peuvent aussi les conseiller, ce qui revient parfois à orienter leurs actions. C’est ce à quoi s'essaient les habituées des salons.
Elle se démène alors courageusement pour sauver ses amis de la prison ou de l’échafaud. Ses romans Delphine, Corinne ou l’Italie, De l’Allemagne, font d’elle une figure du préromantisme. Ses essais politiques De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, De la littérature considérée dans ses rapports avec l’institution sociale, ou bien encore Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France inédit jusqu’en… 1906, lui permettent d’exprimer ses convictions libérales et républicaines à partir de 1795.
« Il faut travailler de tout son pouvoir à rallier tous les hommes honnêtes au système républicain ; il le faut parce que les principes qui en font la base sont éminemment bons en eux-mêmes ; il le faut parce que les traces de l’affreux régime révolutionnaire ne peuvent être effacés que par la juste application des principes démocratiques et la direction qui leur sera donnée par les véritables républicains », écrit-elle. Selon elle, il faut terminer la Révolution.
Si elle se montre brièvement intéressée par Bonaparte qu’elle rencontre, elle déchante rapidement. Celui-ci ne la supporte pas – une femme n’a pas à se mêler de politique !-, l’exile en Suisse et la fait surveiller constamment par sa police, convaincu qu’elle complote contre lui.
Sur les routes d’Europe, lors de brefs passages plus ou moins clandestins à Paris ou bien dans son château de Coppet en Suisse où elle trouve refuge une grande partie de sa vie, Germaine de Staël dénonce la « tyrannie », « le pouvoir absolu », ce « fléau de l’espèce humaine » qu’incarne ce « parvenu » (Napoléon).
Elle milite pour la liberté individuelle, la liberté d’expression persuadée que « la littérature ne peut rien produire de grand maintenant sans la liberté ». Car pour elle, l’émancipation passe plus par la liberté, à savoir la primauté de l’individu sur l’institution, que par l’égalité. Elle condamne l’esclavage dans les colonies, défend la cause des femmes à travers un courageux plaidoyer en faveur de Marie-Antoinette.
Elle rejette tout dogmatisme, le sectarisme des Églises, et elle estime que la raison doit l’emporter sur la foi. Si elle n’affiche pas la grâce et la beauté de son amie Juliette Récamier, elle séduit par sa culture, la force de ses convictions et son sens de l’amitié.
Mme de Staël fait de son château de Coppet, où elle accueille avec générosité des intellectuels venant de toute l’Europe, le principal foyer de l’idéologie libérale qui nourrira plus tard la pensée d’autres libéraux tels que Tocqueville ou Guizot.
Au centre de cette intelligentsia cosmopolite, se déploie Benjamin Constant, né à Lausanne, ami et amant plus ou moins… constant de la maîtresse des lieux.
Cet homme longiligne aux allures de dandy avec ses boucles blondes qui descendent sur ses épaules, s’adonne lui aussi sans relâche à l’écriture de romans (Adolphe, Cécile), d’une œuvre autobiographique (Journaux intimes), de traités politiques, d’articles de presse, poussant même l’engagement jusqu’à remplir des mandats parlementaires qui lui donnent l’occasion de prononcer de nombreux discours.
Cette intense activité ne l’empêche pas tout au long de sa vie de se passionner pour l’histoire des religions. Il condamne la Terreur et ne rejette pas le coup d’État du 18 Brumaire, ce qui lui vaut d’être nommé au Tribunat par Bonaparte.
Mais il devient rapidement un opposant au Premier Consul en qui, comme Germaine de Staël, il voit un « despote ». Il est alors écarté du Tribunat. Sa relation à l’Empereur est complexe puisqu’il se ralliera ensuite à lui avec opportunisme, lors des Cent-Jours, pour rédiger l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire.
Pendant la Restauration, il est élu député en 1819 et sera réélu jusqu’à sa mort en 1830.
Fervent défenseur du régime parlementaire, Constant devient le chef de file du parti libéral à la Chambre des députés. Car toute sa vie, il aura œuvré à l’émergence de ce courant de pensée qui marquera la vie politique française.
Il conçoit la liberté comme une liberté individuelle qui implique une interdiction de l’immixtion de l’État dans la vie privée. « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargeons de notre bonheur », explique-t-il.
Cette vision de la liberté qui englobe la liberté d’expression, de la presse, de réunion, de culte, de déplacement va de pair avec la liberté économique.
« J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l’ordre : mais tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est qu’intérieur, comme l’opinion ; tout ce qui, dans la manifestation de l’opinion, ne nuit pas à autrui, soit en provoquant des violences matérielles, soit en s’opposant à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait d’industrie, laisse l’industrie rivale s’exercer librement, est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social », résume Benjamin Constant en forme de plaidoyer, au crépuscule de sa vie en 1829 dans la préface de Mélanges de littérature et de politique.
Pendant que le couple Constant-de Staël ferraille avec Bonaparte, Henri Beyle, qui n’est pas encore Stendhal (1783-1842), s’efforce, en revanche, de s’inscrire dans l’exaltante geste napoléonienne.
À 18 ans, il entre au ministère de la Guerre, sous la protection de son cousin Pierre Daru puis fait la campagne d’Italie en tant que sous-lieutenant au 6ème dragon. Il découvre ce pays pour lequel il éprouvera une passion durant toute sa vie. Stendhal commence à écrire son Journal.
En 1806, mû par une ambition forcenée, il rêve de places lucratives et de hautes fonctions, se fixant un objectif bien précis : décrocher un poste d’auditeur au Conseil d’État. Cette position avantageuse lui offrirait la possibilité d’approcher l’Empereur et constituerait un marchepied pour une carrière plus prestigieuse encore parmi l’élite du nouveau régime.
À l’inverse de Constant ou de Germaine de Staël, Stendhal n’est pas un théoricien de la politique ou un adepte d’une idéologie.
Il admire plus l’Empereur que l’Empire. Il est même persuadé que la Révolution n’a pas réussi à changer en profondeur les mentalités et les mœurs d’une société française restée conservatrice à ses yeux.
Toujours patronné par son cousin Pierre Daru, il intègre l’administration impériale qui le nommera à divers postes (adjoint provisoire aux commissaires des guerres, intendant de l’Empereur, auditeur au Conseil d’État, et enfin inspecteur de la comptabilité et des bâtiments de la Couronne).
Avant d’être un écrivain reconnu, Stendhal est un commis de l’Empire qui suit la Grande Armée à travers l’Europe jusqu’en Russie.
Lors de ses séjours à Paris, il mène une vie de dandy, courant les conquêtes amoureuses en dépit d’un physique disgracieux, fréquentant les salons, rédigeant des œuvres autobiographiques et s’attelant à une Histoire de la peinture en Italie.
En 1814, le retour des Bourbons sur le trône le plonge dans la détresse financière car il perd ses titres et ses places d’auditeur, de commissaire des guerres… et son train de vie.
Mortifié par un déclassement humiliant, Stendhal se rallie hypocritement à Louis XVIII et cherche des protecteurs au sein du nouveau régime afin d’obtenir des fonctions dans l’administration royaliste. En vain.
L’épisode des Cent-Jours lui redonne une bouffée d’espoir car il mise sur le retour de l’Empereur. Mais il déchante rapidement et, après l’abdication définitive de Napoléon, il doit supporter la Restauration, ce régime des « vieilleries monarchiques ».
Il se replonge dans l’écriture, les voyages, les amours et la vie de salon où sa conversation brillante et ironique fait de lui un des intellectuels les plus appréciés de Paris.
L’autre grand écrivain de ce début de siècle, le vicomte François-René de Chateaubriand (1768-1848), mènera parallèlement une carrière littéraire et une activité politique plus prestigieuses.
Après un voyage en Amérique et un exil à Londres, il rentre en France en 1800 sous une fausse identité et se voit rayé de la liste des émigrés l’année suivante. Il a déjà publié l’Essai sur les Révolutions (1797), a commencé à travailler au Génie du christianisme et à ses futurs romans Atala et René.
En 1801, la publication d’Atala rencontre un énorme succès populaire. Bonaparte, en quête d’intellectuels de renom susceptibles de cautionner son image, l’introduit dans la diplomatie comme secrétaire de légation à Rome où il entre en conflit avec son supérieur hiérarchique, le cardinal Fesch.
À travers ce modeste emploi, Chateaubriand préfigure ces écrivains qui embrasseront la carrière diplomatique au siècle suivant. En guise de remerciement pour sa nomination, il dédicace au Premier Consul, « cet homme puissant qui nous a retirés de l’abîme », une deuxième édition du Génie du christianisme.
Chateaubriand ambitionne un brillant destin politique que son statut d’écrivain reconnu lui autorise, selon lui. Il s’insurge contre le préjugé selon lequel « les gens de lettres ne sont pas propres au maniement des affaires ».
Dans un article publié par Le Mercure en 1806, il argumente : « Chose étrange que le génie nécessaire pour enfanter L’Esprit des lois, ne fût pas suffisant pour conduire le bureau d’un ministre ! (…) Mieux vous connaîtriez les hommes, moins vous seriez capables de les gouverner ! » Et de conclure par une conviction que partageront de nombreux intellectuels après lui, celle d’appartenir à une élite à laquelle le pays est redevable : « On ne leur fait point une grâce en les investissant des charges de l’État ; ce sont eux, au contraire, qui, en acceptant ces charges font à leur pays une véritable faveur et un très grand sacrifice. »
Chateaubriand apprendra vite à ses dépens que les hommes de lettres peinent à trouver leur place dans le monde cynique et violent de la politique. Sa lune de miel avec Bonaparte ne dure guère. Il trouve le prétexte de la mauvaise santé de sa femme pour refuser de se rendre à Sion, dans le Valais, où il est nommé chargé d’affaires.
En réalité, il estime que cette mutation dans une petite république, n’est pas à la mesure de son talent. L’assassinat du duc d’Enghien lui fournit une excellente raison (ou un prétexte) pour démissionner. Il passe donc dans l’opposition à l’Empereur pour lequel il garde néanmoins une certaine fascination.
Il voyage, se replonge dans ses écrits. Mais il n’en a pas fini avec Napoléon… qui le fait élire à l’Académie. Une fois de plus, Chateaubriand se montre récalcitrant : il refuse de lire son discours censuré par l’Institut. Contrairement à Stendhal, la Restauration vient à point nommé pour lui.
Monarchiste, thuriféraire des Bourbons, il est nommé ambassadeur en Suède en 1814 mais ne rejoint pas son affectation, accompagne Louis XVIII à Gand, est promu ministre d’État sans portefeuille et pair de France. S’ensuit une tumultueuse carrière de ministre plénipotentiaire à Berlin, d’ambassadeur à Londres, de ministre des Affaires étrangères avant d’être limogé par Villèle, de passer dans l’opposition semi-libérale, et enfin de retrouver un poste d’ambassadeur à Rome.
Ce parcours politique est émaillé de conflits avec Decazes, Villèle, de démissions, de coups d’éclats, de maladresses diplomatiques et de représentations fastueuses de la France, avec en toile de fond une vie amoureuse désinvolte complétée par la publication de pamphlets, d’écrits politiques (De Bonaparte et des Bourbons, La Monarchie selon la Charte où il s’offre l’impertinence de critiquer la politique de Louis XVIII).
Parallèlement, Chateaubriand participe à la fondation du journal Le Conservateur, et travaille à son chef d’œuvre Les Mémoires d’outre-tombe, somptueuse fresque autobiographique et historique au style éblouissant dans laquelle il se met en scène avantageusement quitte à prendre des libertés avec l’Histoire.
Fidélité aux Bourbons et défense des libertés, notamment celle de la presse, caractérisent l’engagement politique de Chateaubriand qui n’a jamais considéré la Révolution française comme nulle et non avenue.
Espérant succéder à Martignac à la tête du gouvernement, il enrage à la nomination de Polignac en 1829, le qualifiant d’« esprit borné, fixe et ardent ». Il n’a pas tort car le régime court à sa perte.
La Révolution de 1830
La Révolution de 1830 constitue le premier grand carrefour de l’histoire du XIXe siècle où se croisent les destins des écrivains.
Le 25 juillet, par une journée chaude et lumineuse qui baigne le château de Saint-Cloud, Charles X signe quatre ordonnances préparées dans le plus grand secret. Elles suppriment la liberté de la presse, dissolvent la nouvelle Chambre dominée par l’opposition, modifient la loi électorale en réduisant le collège des votants et prévoient un nouveau scrutin pour le mois suivant. Elles constituent un véritable coup de force de la part d’un régime monarchique ultra et revanchard.
Le lendemain, ces décrets sont publiés par Le Moniteur. Scandalisés, les journalistes sont les premiers à réagir. Ils se réunissent dans les bureaux du National et décident de continuer à faire paraître leurs publications. Sous la houlette d’un petit homme rond promis à un grand avenir, Adolphe Thiers, qui anime Le National, ils rédigent et signent une protestation.
Dans les rues, les étudiants se livrent à des lectures publiques des ordonnances. Les ouvriers imprimeurs, craignant de perdre leur emploi en raison du rétablissement de la censure et de l’autorisation préalable alertent les autres corporations du prolétariat. L’agitation commence à gagner Paris.
Le lendemain, les premières fusillades retentissent dans Paris entre les soldats et les manifestants. Des barricades se dressent : c’est le début des Trois Glorieuses. Une trentaine de parlementaires libéraux et républicains se concerte chez Casimir Perier. Surpris par la tournure prise par les événements, ils s’interrogent sur l’attitude à adopter face aux ordonnances.
Le soir, d’anciens carbonari et de jeunes chefs républicains comme Cabet, Marrast, Godefroy Cavaignac réactivent promptement les réseaux des sociétés secrètes afin d’amplifier la révolte. Tous les protagonistes de cette insurrection sont en ébullition. Seul Charles X ne prend pas la mesure de la violence du rejet dont il fait l’objet de la part des manifestants.
Pendant trois jours, sous une chaleur suffocante, la poudre parle dans la capitale, faisant couler le sang (200 morts chez les militaires, plus d’un millier chez les insurgés). Quand le roi annonce qu’il retire les ordonnances, il est trop tard. Paris est aux mains des insurgés, et Charles X abdique.
Quelle attitude adoptent les écrivains dans cette révolution déclenchée par l’irréalisme et l’autoritarisme d’un monarque trop sûr de lui, incapable de comprendre son temps ? Pour Stendhal, c’est l’occasion d’en finir avec la Restauration qu’il déteste et dont il pressent la fin depuis quelques mois.
Se mêle-t-il à l’insurrection pour contribuer activement au renversement de Charles X ? Non. « L’événement le ravit, le libère de quinze ans de défaite, mais il ne se dérange ni pour y participer ni pour le voir », affirme son biographe Michel Crouzet. Pendant qu’on se bat quasiment sous ses fenêtres, Stendhal lit Le Mémorial de Sainte-Hélène.
Il consent tout de même à faire une sortie dans le quartier de la rue Richelieu et du Palais-Royal. Il faut dire qu’il est également absorbé par une tâche littéraire d’importance : la relecture des épreuves de Le Rouge et le Noir qui sera publié au mois de novembre.
Le 29 juillet, il se déplace néanmoins chez son amour du moment, Giulia Rinieri, effrayée par le peuple en armes et qui a besoin d’être rassurée. Il y passe la nuit. Comme étranger à des événements qui pourraient influer sur sa carrière interrompue de diplomate. Car après chaque changement de régime, il y a des places à prendre.
Un autre écrivain se montre plus impétueux : Alexandre Dumas (1802-1870).
À 28 ans, il est déjà célèbre depuis que, l’année précédente, il a remporté un énorme succès avec Henri III et sa cour représenté à la Comédie-Française. Bibliothécaire adjoint du duc d’Orléans, il n’est pas indifférent à la politique. Il se jette dans la bataille des Trois Glorieuses.
Fougueux, généreux, intrépide. Fils d’un général républicain, il se sent républicain lui aussi. Bon sang ne saurait mentir ! Le 26 juillet, lorsqu’il lit les ordonnances dans Le Moniteur, il appelle son domestique : « Joseph ! Allez chez mon armurier ; rapportez-en mon fusil à deux coups et deux cents balles du calibre vingt ! » Il annule sur le champ un voyage prévu en Algérie et troque la plume contre la carabine.
Toute la journée Dumas hume dans Paris une atmosphère pré-insurrectionnelle. Le lendemain, il est le témoin des premiers affrontements dans le quartier du Palais-Royal. Le 28 juillet, armé de son fusil, il participe à l’édification de barricades, rue de l’Université. Près de l’Hôtel de Ville, il est pris sous la mitraille avec un groupe d’insurgés.
Pendant ce temps, une ultime tentative de conciliation entre le gouvernement et des représentants des parlementaires emmenés par Guizot, échoue, Polignac refusant de recevoir les députés. Le 29 juillet, Dumas livre bataille victorieusement contre un corps de garde, puis il se retrouve au cœur des combats près du pont des Arts.
Des jeunes meurent autour de lui. Il réussit à se sauver de cet enfer de poudre et de bruit, se repose un moment à l’Institut, puis accourt pour se réjouir de la prise des Tuileries. La victoire ne semble plus devoir échapper au peuple. Elle est désormais dans les mains des politiques.
Dumas file chez le banquier Laffitte où sont réunis des parlementaires de toutes tendances qui entendent récupérer à leur profit une victoire du peuple désormais inéluctable, tout en repoussant la République qu’ils assimilent à « l’anarchie ». Il y trouve l’insubmersible La Fayette (73 ans) qui accepte le commandement de la garde nationale.
Dumas redescend dans la rue et s’époumone : « Place au général La Fayette qui se rend à l’Hôtel de Ville ! » Thiers et Laffitte, aidés par un Benjamin Constant affaibli par la maladie, manœuvrent pour installer sur le trône le duc d’Orléans, Louis-Philippe. C’est la solution médiane qui permet d’éviter la République tout en mettant au pouvoir un monarque qui a intégré les principes de la Révolution.
Mais dans l’hypothèse où, dans un ultime sursaut, Charles X serait tenté de rentrer dans Paris, Dumas se fait désigner pour aller chercher de la poudre à Soissons car les munitions commencent à manquer aux insurgés dans la capitale.
Expédition inutile puisque le roi abdique et prend le chemin de l’exil après que le 31 juillet le duc d’Orléans a reçu le titre de lieutenant général du royaume. Mais le bouillant écrivain aura voulu s’assurer jusqu’au bout du succès de cette « révolution bourgeoise ».
Le 7 août, les Chambres décernent au duc d’Orléans le titre « roi des Français » sous le nom de Louis-Philippe Ier. Dumas n’est pas peu fier d’avoir participé à la première révolution de son siècle.
Dumas qui vibre, Chateaubriand qui déprime. Lorsqu’il apprend la publication des ordonnances, Chateaubriand est à Dieppe où il a retrouvé Juliette Récamier. Il rentre aussitôt à Paris pour tenter de jouer les médiateurs et en profiter pour revenir aux affaires.
Mais il constate qu’il est trop tard pour endiguer la révolution. Il écrit à Juliette Récamier : « Je ne trahirai pas plus le roi que la Charte mais pas plus le pouvoir légitime que la liberté. Je n’ai donc rien à dire et à faire, attendre et pleurer sur mon pays. »
Louis-Philippe lui propose le ministère des Affaires étrangères ou l’ambassade à Rome. Mais Chateaubriand refuse de servir le nouveau régime et, se drapant dans sa fidélité aux Bourbons en dépit de sa rancœur envers eux, il démissionne de la Chambre des pairs le 7 août au terme d’un discours plein de dignité :
« Inutile Cassandre, j’ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés ; il ne me reste plus qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit (…) Après tout ce que j’ai fait, dit et écrit sur les Bourbons, je serais le dernier des misérables si je les reniais au moment où, pour la troisième et dernière fois, ils s’acheminent vers l’exil. »
Il vote contre la ratification de la désignation de Louis-Philippe comme Roi des Français. « L’Enchanteur » est désenchanté.
Un dernier pamphlet contre le gouvernement en 1831, puis une brève incarcération en raison de ses liens avec la duchesse de Berry (1832), constituent l’épilogue de sa vie politique qu’il quitte dans le ressentiment pour se consacrer entièrement à l’écriture.
La France perd un diplomate mais en regagne un autre : Stendhal. Dès l’avènement de Louis-Philippe, il fait jouer ses relations jusqu’à rencontrer, dès le 3 août, Guizot, nouveau ministre de l’Intérieur. Il vise un poste de préfet ; il sera finalement consul.
Il renoue avec la diplomatie mais dans des villes italiennes d’intérêt mineur : Trieste, puis Civitavecchia. Stendhal s’y ennuie ou entretient des relations conflictuelles avec ses supérieurs hiérarchiques avant d’obtenir un congé de trois ans (1836-1839).
Pas de quoi laisser une trace marquante dans l’histoire de la diplomatie française. Il se consolera avec les succès du Rouge et le Noir et de la Chartreuse de Parme avant de mourir à Paris en 1842.
En 1830, un autre écrivain a fait ses premières classes dans la diplomatie : Alphonse de Lamartine (1790-1869). Lui aussi veut faire carrière au sein de l’État et dans les Lettres.
Cet aristocrate est un royaliste qui s’est cherché durant la Restauration. « Il y a longtemps que les ultras m’appellent libéral et les libéraux ultra : je ne suis ni l’un ni l’autre car je voudrais être gouverné et non pas gouverner moi-même », écrivait-il en 1819.
En réalité, le jeune Lamartine se situe à droite de l’échiquier politique au contact des différentes sensibilités monarchistes, y compris les ultras. L’essentiel pour lui est de « réussir », peu importe l’appartenance politique des appuis qu’il recherche. En 1830, il a déjà acquis une renommée. Son ascension a été facilitée par le succès de ses Méditations poétiques en 1820 qui ont vu l’auteur faire ses premières gammes romantiques.
Une année faste puisque Lamartine a été nommé second attaché à l’ambassade de France à Naples auprès de Ferdinand Ier, roi de Naples et des Deux-Siciles. S’ennuyant dans ses fonctions et malade, il a quitté Naples en 1821, et retrouvera ensuite un poste à Florence. De retour en France, loin de Paris, il ne participe pas à la révolution de 1830.
Il reconnaît la responsabilité des Bourbons dans leur propre échec, « un suicide de la monarchie » dira-t-il, sans pour autant éprouver la moindre sympathie pour Louis-Philippe. Il démissionne de ses fonctions diplomatiques tout en prêtant « serment de fidélité au roi des Français », convaincu « qu’il serait aussi absurde que coupable de se frapper à jamais d’incapacité civile et politique en refusant d’adhérer à un pouvoir nouveau ».
En clair, Lamartine se retire provisoirement de la scène mais ne renonce pas à une carrière politique. La preuve : il sera élu député en 1834. Il parviendra à l’acmé de son ambition en 1848.
À 28 ans, lorsque Charles X quitte le pouvoir, Victor Hugo (1802-1885) est déjà reconnu dans le milieu littéraire. Il a fait connaissance de Chateaubriand, Lamartine, Nodier, Vigny entre autres. Ses œuvres Bug-Jargal, Han d’Islande, Odes et ballades, Les Orientales, le classent dans la famille des romantiques.
Hugo a commencé aussi à côtoyer au plus haut niveau le monde politique. Il a été pensionné deux fois par Louis XVIII. Charles X l’a invité à son sacre, lui a décerné la Légion d’Honneur -il n’avait alors que 23 ans !- et l’a reçu en audience après son Ode sur le sacre de Charles X.
Pendant la Restauration, Hugo est donc bien en cour au sein de la mouvance royaliste, notamment chez les ultras. Mais ses relations avec le pouvoir se dégradent en 1829 lors de l’interdiction de sa pièce Marion Delorme. Hugo refuse un poste officiel que le régime lui propose en compensation, ainsi que l’augmentation de sa pension.
En février 1830, il accomplit à lui seul une révolution. Théâtrale. Il réalise un coup d’éclat avec la représentation de Hernani qui renverse les codes de la tragédie et enthousiasme la jeunesse littéraire qui voit en lui un chef d’école et en fait son idole.
Hugo ne redescendra pas de son piédestal lors des Journées de juillet dont il est totalement absent. Pris de court, il n’a pas le temps de réagir à l’insurrection et préfère mettre sa famille à l’abri en dehors de Paris. Comme Lamartine, il se rattrapera en 1848.
Vos réactions à cet article
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Raspoutineke (28-02-2018 11:56:17)
Passionnant cet article, merci
edzodu (20-02-2018 17:43:20)
Bonjours Amis de herodote.net et simples lecteurs Merci monsieur Jean-Pierre Bédéï pour votre article, qui à n’en pas douter, donne à penser qu’il y a chez vous, au moins, une réelle nostalgie d’une époque glorieuse des écrivains engagés et par ricochet d’un journalisme de valeur et non comme trop souvent aujourd’hui une foison de nouvelles crachées et non réfléchies annonçant un scandale pour en donner le démenti le lendemain. Vielle méthode vous me direz, née sous la Révolution mais nous sommes au XXIème siècle, et les lecteurs ont plus que par le passé besoin de vérité, tant ils ont été bernés depuis. Cet état d’esprit de cette corporation oh ! Combien indispensable, me conduit à penser que nous sommes, au risque de me tromper lourdement, au crépuscule du « journalisme vraiment indépendant» Les subventions qui sont accordées aux divers titres de presse cache à mon sens une censure qui ne dit pas son nom. D’autre part, du point de vue du contenu, j’ai connu les heures de gloire du journalisme entre les années 1950 et 2000 ou lire un journal était s’instruire des événements majeurs qui marque notre société, de ses mœurs et ses pratiques politiques. Aujourd’hui, à mon grand regret, je vais de déception en déception – sauf pour certains titres mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main respectueux encore de ses règles déontologiques – mais qui ne nous donnent à lire que les bases algorithmes de compilation de l’AFP. D’ailleurs, certains journalistes renommés l’ont bien comprit, ils écrivent presque tous des livres, comme pour se démarquer du « nouveau monde journalistique » dans lequel nous sommes entrés et afficher, chacun dans son style eux aussi leur nostalgie de ces belles années des journaux payants, mais oh ! Combien enrichissants ! Parmi ces écrivains-journalistes, je me suis intéressé à la lecture d’un ouvrage, qui dépeint notre société française et ses travers et présente de façon prémonitoire, en quelques sorte l’élection à la présidence de la République de notre président de la République actuel, Emmanuel Macron pour ne pas le nommer. Son titre : Les pathologies politiques françaises – de Alain Duhamel de l’Institut chez PLON. Je considère dans ce livre, en ne citant que celui-là, la même veine que celle de madame De Staël ou de Benjamin Constant, non pas seulement pour ce qui concerne « les libertés individuelles » et « les prémonitions du libéralisme », mais pour un retour au fondamentaux démocratiques de chaque citoyen et par ce droit fondamental l’obligation de voter, et sanctionner les comportements de nos élus pour leurs rappeler la déontologie indispensable à ces fonctions parlementaires qu’ils doivent s’obliger comme représentants du peuple. Nous attendons avec impatience la suite de vos récits sur les écrivains et journalistes du XXème et du début du XXIème siècle.