Les rangs des loups solitaires comptent un grand nombre d’anarchistes, notamment italiens. Leur « tableau de chasse », bien fourni, exprime avant tout leur volonté acharnée d'abattre toute forme de pouvoir, par essence source d'oppression à leurs yeux.
Tel n’est pas le cas des fanatiques. Au nom de la défense de la liberté ou pour protéger des vies, ils ne cherchent pas à détruire l’autorité mais à supprimer un dirigeant qui commet une infamie en s’appuyant sur le pouvoir de l’État. Se voyant en « justiciers », ces loups se déclarent animés par une cause et sont prêts à se sacrifier. Les exemples, là encore, abondent.
Les anarchistes de la Belle Époque
Durant la Belle Époque, pas moins de sept loups solitaires se revendiquant de l’anarchisme, en majorité des Italiens, ont assassiné des personnalités publiques au nom de leur cause.
Le premier à parvenir à ses fins est un boulanger lombard : Sante Geronimo Caserio.
Déserteur, il fuit l’Italie et s’installe en France où il ambitionne d’accomplir un exploit retentissant pour la cause de l’anarchisme.
Le 24 juin 1894, profitant de la venue à Lyon du président de la République, Sadi Carnot, à l'occasion de l'exposition universelle, internationale et coloniale, Caserio assassine le chef de l’État, en le poignardant avec un couteau au manche rouge et noir (couleurs de l'anarchie), alors que celui-ci quitte un banquet par une sortie dérobée.
Le président français était dans la ligne de mire des anarchistes pour avoir refusé de gracier Auguste Vaillant, condamné à mort quelques mois plus tôt pour l’attentat de la chambre des députés.
Lors de son procès, Caserio refuse de plaider la folie et assume sans aucun regret son geste, déclarant notamment : « Nous répondons aux gouvernements avec la dynamite, la bombe, le stylet, le poignard. En un mot, nous devons faire notre possible pour détruire la bourgeoisie et les gouvernements ». Condamné à mort, il est guillotiné le 16 août 1894.
Trois ans plus tard, un autre anarchiste italien, Michele Angiolillo, réussit à son tour un coup d’éclat.
Le 8 août 1897, dans la station balnéaire basque de Santa-Agueda, il abat de quatre coups de révolver le président du Conseil espagnol, Antonio Cánovas del Castillo, responsable quelques mois plus tôt de la torture et de l'exécution d’anarchistes catalans.
Se laissant arrêter, Angiolillo est condamné à la peine capitale et garroté deux semaines plus tard.
Le 10 septembre 1898, un nouvel anarchiste italien, Luigi Lucheni, défraye la chronique en poignardant à Genève, Élisabeth d’Autriche, épouse de l’empereur François-Joseph, connue sous le surnom de « Sissi ». Faute de couteau, il a utilisé une lime triangulaire par accomplir son crime.
Lors de son procès, il avoue avoir prémédité son meurtre pour promouvoir la cause anarchiste et révèle avoir initialement projeté d’assassiner le duc d’Orléans avant d’opter pour l’impératrice, afin de frapper à travers elle « les persécuteurs des ouvriers ».
Lucheni est condamné à la prison à vie et sera retrouvé pendu dans sa cellule en 1910, sans doute assassiné.
À peine deux ans après le meurtre de Sissi, une autre tête couronnée est assassinée par un anarchiste transalpin : le roi d’Italie, Humbert Ier.
Son meurtrier, Gaetano Bresci, est un ouvrier émigré aux États-Unis qui a décidé de revenir en Italie en 1898 à la suite du massacre de Milan au cours duquel le général Bava-Beccaris avait fait tirer au canon sur une foule d’ouvriers manifestant contre la hausse des prix, faisant plus d’une centaine de victimes.
Afin de venger les émeutiers, Bresci décide d’assassiner le roi qui a décoré le général Bava-Beccaris et lui a offert un siège de sénateur peu après le massacre. Le 29 juillet 1900, lors d’une visite d'Humbert Ier à Monza, l’anarchiste l’abat de trois coups de revolver.
Condamné aux travaux forcés, il sera, comme son prédécesseur Lucheni, retrouvé pendu dans sa cellule, probablement assassiné.
L’année suivante, c’est outre Atlantique qu’un chef d’État tombe sous les balles d’un anarchiste.
Le 6 septembre 1901, lors de l’exposition panaméricaine de Buffalo, le président des États-Unis, William McKinley, se rend dans une salle de concert, baptisée « The Temple of Music », où une réception publique est prévue.
Il en profite pour se livrer à un bain de foule et les visiteurs font la queue pour le saluer. Au moment de serrer la main du président, un visiteur tire deux balles dans le ventre de McKinley. Mal soigné, celui-ci mourra 8 jours plus tard.
L’assassin, Leon Frank Czolgosz, est un anarchiste américain d’origine polonaise, ouvrier au chômage. Condamné à mort, il sera exécuté sur la chaise électrique.
Après une dizaine d’années d’interruption, les assassinats de personnalités publiques perpétrés par des anarchistes reprennent.
Le 12 novembre 1912, le président du Conseil espagnol, José Canalejas, est abattu de trois balles dans le dos, devant la vitrine d’une librairie de Madrid. Le meurtrier, Manuel Pardiñas Serrano, est un peintre décorateur de 26 ans ayant séjourné en Amérique et en France. Cerné par la police, il préfère se suicider avec l’arme dont il s’était servi pour tuer Canalejas.
Six mois plus tard, c’est en Grèce qu’un régicide est commis par un anarchiste.
Le 18 mars 1913, le roi Georges Ier est abattu d’une balle dans le dos alors qu’il se promène à Thessalonique, près de la Tour Blanche. Le meurtrier, Aléxandros Schinás, est un anarchiste grec ayant vécu aux États-Unis et viscéralement antimonarchiste.
Torturé, il refuse de dénoncer ses supposés complices. Schinás ne sera jamais jugé et se tuera en se jetant par la fenêtre du poste de police de Thessalonique, sans doute défenestré par les policiers.
Les « justiciers »
Plusieurs assassins politiques qui n’avaient pas le profil de fanatiques, ont agi pour éliminer un oppresseur, convaincus qu’en supprimant une vie, ils allaient en sauver des milliers d’autres.
Seule représentante du beau sexe parmi les assassins solitaires, Charlotte Corday est une descendante directe du grand Corneille. Issue de la petite noblesse normande, elle est placée à l’âge de 13 ans dans l'abbaye aux Dames à Caen. Après la fermeture du monastère en 1791, elle part vivre chez sa tante et se rallie à la Révolution.
En juin 1793, un grand nombre de députés girondins chassés de la Convention se réfugient à Caen où ils n’ont de cesse de dénoncer le tournant autoritaire pris par la Révolution. Pour ces proscrits, le premier responsable de la situation est Jean-Paul Marat, président du club des Jacobins et qui n’a eu de cesse d’appeler à toujours plus de sang dans les colonnes de son journal, L’Ami du peuple.
Pour sauver la Révolution, des députés exhortent à son l’élimination, tels Jean-Pascal Rouyer qui proclame : « Il faut que sa tête tombe pour en sauver 200 000. » Décidant de répondre à leur appel, Charlotte Corday quitte Caen avec la ferme intention de tuer le leader jacobin. Son plan initial est d’assassiner Marat à l’Assemblée mais dès son arrivée à Paris, elle apprend que le député est malade et ne parait plus à la Convention.
Le 13 juillet 1793, elle se rend donc à son domicile où elle parvient à être reçue en affirmant vouloir le prévenir de l’imminence d’un complot. Le député lui donne audience alors qu’il est en train de prendre son bain quotidien au souffre pour soigner sa maladie. À ce moment, la normande le poignarde mortellement. Elle est arrêtée sur le champ.
On retrouve sur elle son testament politique dans lequel est écrit : « Je veux que mon dernier soupir soit utile à mes concitoyens, que ma tête portée dans Paris soit un signe de ralliement pour tous les amis des lois ! Que la Montagne chancelante voie sa perte écrite avec mon sang ! Que je sois leur dernière victime, et que l’univers vengé déclare que j’ai bien mérité de l’humanité ! ». Comparaissant devant le Tribunal révolutionnaire, le 16 juillet elle est condamnée à mort et guillotinée le lendemain.
Parmi les assassins politiques les plus atypiques figure incontestablement l’autrichien Friedrich Adler.
Né en 1879, il est le fils de Victor Adler, fondateur et dirigeant du Parti social-démocrate d'Autriche, parti dont il devient à son tour l’un des responsables. Également physicien réputé, il est proche d’Albert Einstein.
En 1911, Karl Stürgkh est nommé ministre-président d’Autriche et va diriger l’empire austro-hongrois d’une main de fer. Partisan de l’alliance avec l’Allemagne, il se prononce en juillet 1914 pour l’entrée en guerre contre la Serbie, précipitant le premier conflit mondial.
Au fil des mois, l’impopularité de Stürgkh n’a de cesse de s’accroître, d’autant que celui-ci se laisse dicter sa politique par l’état-major.
Adler est un ardent pacifiste et a démissionné de son parti lorsque celui-ci a soutenu la guerre. Prêt à tout pour faire cesser la boucherie, le physicien prend une décision radicale : le 21 octobre 1916, il abat Stürgkh dans un restaurant de Vienne.
Son procès est une véritable tribune contre la guerre. Condamné à la peine de mort, il se voit finalement gracié par le nouvel empereur, Charles Ier.
Après l’abdication de ce dernier en novembre 1918, le gouvernement républicain l’amnistie. Adler retrouve la liberté et est nommé… vice-président du Parti social démocrate !
Sa popularité est telle qu’on lui propose de devenir le président du Parti communiste d’Autriche, tout juste créé. Adler refuse mais n’abandonne pas le combat politique. Au cours des années suivantes, il occupera des fonctions importantes au sein de l'Internationale ouvrière socialiste (ancêtre de l’Internationale socialiste). Il s’éteint à Zurich en 1960, à l’âge de 80 ans.
Le 8 décembre 1917, le général Sidónio Pais fomente un coup d’État au Portugal et renverse le président Bernardino Machado. Il dissout ensuite l’assemblée et met en place un régime autoritaire et conservateur.
Après avoir instauré le suffrage universel, il est élu président de la République en avril 1918. Mais rapidement, le régime se transforme en véritable dictature, reposant sur le culte de la personnalité, ce qui vaut à Pais le surnom de « président-roi ». Les manifestations ouvrières sont férocement réprimées tandis que la censure et la torture sévissent.
Le mécontentement s’accroit d’autant plus que le Portugal s’est engagé militairement aux côtés de la France mais que Pais a refusé d’envoyer des renforts à la division portugaise lors de la bataille de la Lys au printemps 1918.
Résultat : les Portugais ont perdu plus du tiers de leurs hommes. C’est dans ce contexte que le dictateur est abattu, le 14 décembre 1918, à la gare du Rossio à Lisbonne.
Son meurtrier, José Julio da Costa, est un ancien militaire, provenant d’un milieu aisé et ardent militant républicain. Accusant Pais d’avoir trahi son peuple et abandonné les soldats portugais combattant en France, il proclame avoir voulu par son geste mettre fin à la dictature et à l’oppression des classes ouvrières. Condamné à la prison à vie, da Costa mourra en 1946.
En 1924, Plutarco Elías Calles est élu président du Mexique. Athée convaincu, il décide de faire appliquer à la lettre les dispositions laïques de la Constitution de 1917 (inspirées de la France) et promulgue de nouvelles lois anticatholiques. Cette politique provoque en 1926 un soulèvement armé des catholiques, connu sous le nom de révolte des Cristeros.
Le 10 juillet 1928, Allvaro Obregón, ancien chef révolutionnaire est élu président. Ayant déjà occupé le fauteuil présidentiel de 1920 à 1924, il partage les convictions anticléricales de son prédécesseur.
Sept jours plus tard, alors qu’il fête son élection dans un restaurant de Mexico où ses supporters ont organisé un banquet, il est abattu par José de León Toral, un catholique de 28 ans, proche des Cristeros.
Marqué dans son enfance par les destructions d’églises ordonnées par les révolutionnaires, le jeune homme a choisi de devenir un martyr de la cause chrétienne, estimant que la mort d'Obregón mettrait fin aux persécutions anticatholiques. Toral est exécuté huit mois plus tard.
Après la Première Guerre mondiale, la Fédération révolutionnaire arménienne met en place l’opération Némésis (déesse grecque de la juste colère et de la rétribution céleste) afin de châtier les responsables du génocide arménien qui ont échappé à la justice. Plusieurs de ses membres vont ainsi assassiner des dignitaires turcs exilés, condamnés à mort par contumace. Le 15 mars 1921, Soghomon Tehlirian abat à Berlin l’ex ministre de l’Intérieur et grand vizir de l’empire ottoman, Mehmet Talaat Pacha, principal organisateur du génocide arménien et qui avait fui la Turquie à la chute du régime. Durant son procès, la responsabilité de Talaat dans le génocide est longuement évoquée et Tehlirian est acquitté par le tribunal berlinois.
Quelques mois plus tard, le 5 décembre 1921, c’est Saïd Halim Pacha, petit-fils de Méhémet Ali et grand vizir ottoman durant le génocide arménien qui est assassiné, dans un taxi, à Rome, par un arménien de 21 ans, Archavir Chiragian. L’année suivante, ce dernier récidivera en assassinant avec un complice deux autres responsables du génocide à Berlin. Il émigrera ensuite aux États-Unis. Les assassins des deux grands vizirs sont aujourd’hui considérés comme des héros nationaux en Arménie.
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