Tout comme la droite, la gauche est née en 1789, et tout comme son adversaire historique, elle est plurielle. Elle a toujours été composée de nombreux courants, socialiste, communiste, autogestionnaire, gauchiste, anarchiste, aux stratégies divergentes, voire opposées, entre réformistes et révolutionnaires.
Au fil de l’Histoire, certaines de ces familles ont su parfois s’unir pour conquérir le pouvoir, mais l’exercice des reponsabilités a aussi creusé les antagonismes, au point qu’aujourd’hui certains évoquent des « gauches irréconciliables ».
L’acte fondateur
L’acte fondateur intervient au début de la Révolution, lors de la séance de l’Assemblée constituante qui débat du droit de veto du Roi. « Ce fut à la suite de cette séance que l’Assemblée se sépara définitivement en côté gauche et côté droit. Tous les partisans du veto allèrent s’asseoir à droite du président ; tous les antagonistes se groupèrent dans la partie opposée », écrivent Buchez et Roux dans leur Histoire parlementaire de la Révolution française en 1833.
Ainsi sont nées simultanément les deux forces qui allaient structurer pendant plus de deux siècles le paysage politique moderne, l’une se définissant par rapport à l’autre et inversement. Mais durant la Révolution, des reclassements liés à la dynamique de cette période troublée brouillent quelque peu les identifications.
Sous la Convention, les députés aux idées les plus radicales siègent dans les travées à gauche de la salle des séances mais aussi dans les plus élevées de la « Montagne », alors que les « Girondins » se retrouvent à droite et les représentants du Marais ou de la Plaine, ces modérés qui font office de centristes avant la lettre, prennent place sur les bancs inférieurs. La topographie parlementaire comme traduction des identifications et des évolutions politiques !
Quand le fossé se creuse au cours de l’année 1793 entre Girondins et Montagnards au sujet de l’alliance avec les sans-culottes que rejettent les premiers alors que les seconds y sont sensibles, la gauche révolutionnaire se divise : les Girondins sont catalogués à droite et les Montagnards à gauche, sous l’influence des Jacobins et du Club des Cordeliers, car ils s’affichent comme plus « révolutionnaires ».
Déjà émerge le clivage entre une gauche modérée et une gauche radicalisée. Sur l’échiquier politique, plus à gauche que la Montagne éructent les Enragés, emmenés par Jacques Roux, et les Hébertistes.
Au terme de la Révolution, Gracchus Babeuf prône un système visant à la suppression des classes sociales et de la propriété privée, ainsi que l’administration des terres en commun. En 1796, il fomente la conspiration des Égaux qui entend renverser le Directoire. Arrêté, il est guillotiné mais reste dans l’histoire comme le premier concepteur d’un système relevant du communisme.
La Révolution a ainsi produit toute une gamme de sensibilités de gauche, ferment de celles qui s’entrechoqueront aux XIXème et XXème siècles.
Les libéraux et les socialistes utopiques
Sous le régime autoritaire de Napoléon, toute opposition est muselée, et la gauche n’a guère la possibilité d’exister.
Elle refait surface durant la Restauration puis la monarchie de Juillet sous la forme du libéralisme politique, dont Benjamin Constant constitue la personnalité la plus marquante.
Ces libéraux ne veulent plus revenir à l’Ancien Régime, reconnaissent la « souveraineté du peuple » ainsi que le régime représentatif même s’ils sont partisans d’un système électoral censitaire et restent attachés à l’institution monarchique. Ils sont de peu de poids sur le plan parlementaire.
Pas question d’un retour en arrière non plus pour les « doctrinaires » autour de Royer Collard, de Broglie et d’une étoile montante, Guizot.
Mais ils organisent eux-aussi le système politique autour de la Charte. Ils sont plus hostiles à la « souveraineté du peuple », préférant se fier à la raison. Leur magistère s’exerce surtout dans le domaine intellectuel. Guizot, adepte du « juste milieu », finira par être paré d’une image de droite de 1840 à 1848 lorsqu’il dirigera le gouvernement de la monarchie de Juillet, en raison du conservatisme de sa politique centrée sur les classes moyennes.
L’héritage de la Révolution se retrouve aussi dans une nébuleuse républicaine proche des sociétés secrètes sous la Restauration et qui fomentent des complots contre la monarchie. Dans les années 1820 émerge ce qui pourra être qualifié de « socialismes originels ou utopiques ». Plus que le renouveau institutionnel qui domine chez les libéraux, il s’agit de créer une nouvelle organisation de la société.
- Le comte de Saint-Simon conçoit un système qui oppose les « producteurs » (banquiers, commerçants, agriculteurs, industriels) aux « oisifs » (noblesse, clergé, grands propriétaires) car « c’est dans l’industrie que résident toutes les forces réelles de la société ». Selon lui, seuls les premiers sont habilités à diriger le pays.
Bien qu’il n’ait pas l’égalité comme objectif, ce bouleversement de l’ordre social qui se base également sur la fraternité, avec pour but « l’amélioration la plus rapide possible de la classe la plus pauvre », fait du saint-simonisme l’un des précurseurs du socialisme.
- Charles Fourier, personnage quelque peu fantasque, prône une vie en commun dans le Phalanstère, sorte de cité utopique fondée sur la coopération et la libre association des individus et les passions humaines plutôt que sur le capitalisme marchand ; il invente ainsi une doctrine et un mode de vie s’inscrivant dans des valeurs que pourra revendiquer la gauche. Mais leurs applications trop encadrées ou loufoques aussi bien en France qu’aux États-Unis se soldent par des échecs.
- Étienne Cabet, dans son Voyage en Icarie, propose une utopie égalitaire qui relève du totalitarisme, régissant les membres de la communauté jusque dans leur vie privée dans une uniformité sinistre.
À la fin des années 1830, ces théories connaissent un grand succès parmi les catégories populaires qui voient dans ce communisme un idéal social et démocratique. Mais les expériences concrètes de la doctrine de Cabet tournent à l’échec.
Saint-Simon, Fourier, Cabet, trois formes de socialisme utopiques qui font figure d’ancêtres de la gauche. On peut également y ajouter Pierre-Joseph Proudhon qui, avant d’incarner le courant anarchiste ou socialisme libertaire, se fait le critique virulent de la propriété avec sa formule « La propriété, c’est le vol », empruntée à Brissot. Rien, selon lui, ne peut la justifier. Mais par la suite, il se montre des plus sévères envers les socialistes de son époque.
1848 et l’irruption de la question sociale
C’est dans la deuxième partie du XIXème siècle que la gauche commence vraiment à prendre de la consistance dans le cadre de la double émergence de la société industrielle et du prolétariat.
Durant la Restauration, les sociétés « républicaines » (étudiantes, militaires, populaires) dont la plus célèbre est la Société des amis du peuple, œuvrant plus ou moins dans la clandestinité, s'inscrivent également dans le spectre politique de la gauche par leur opposition à la monarchie bourbonienne. Elles mettent à leur programme l'enseignement primaire gratuit, l'impôt progressif, la réforme de la justice, le suffrage universel.
Certaines d'entre elles, comme la Société des saisons animée par Auguste Blanqui, penchent pour l'action armée révolutionnaire. Pour lui, seule la violence peut permettre le changement politique. Il passera sa vie entre complots et emprisonnement, devenant le premier véritable révolutionnaire professionnel.
Mais c'est partir de 1848 que la gauche commence à se modeler selon des sensibilités qui imprégneront sa culture jusqu'à nos jours. La révolution de 1848 porte au pouvoir un gouvernement dirigé par Lamartine qui comporte des républicains modérés, un « démocrate-socialiste », autrement dit un radical (Ledru-Rollin) et seulement deux socialistes (Louis Blanc et l’ouvrier Albert).
Originellement mue par des revendications politiques (réforme du système censitaire), elle est débordée par des aspirations sociales émises par le peuple qui a chassé Louis-Philippe du pouvoir. La proclamation de la République et les avancées politiques (abolition de l'esclavage, liberté de la presse, suffrage universel masculin, abolition de la peine de mort en matière politique…) ne suffisent pas à satisfaire un peuple parisien qui pose brutalement la question sociale. C'est sur celle-ci que la révolution de 1848 se fracasse.
La fermeture des Ateliers nationaux provoque les journées de juin qui voient le gouvernement républicain tirer sur la foule sous la houlette d’un républicain authentique, le général Cavaignac. Gouvernement de gauche réformiste contre gauche populaire et révolutionnaire, l'antagonisme perdurera jusqu'à nos jours sous des formes renouvelées et prend racine dans la répression de juin qui fait 1 600 tués et blessés dans les forces de l’ordre et 3 000 parmi les insurgés, sans oublier les 1 500 fusillés sans jugement et les 4 000 « transportés » en Algérie.
Cette tragédie nourrira une défiance tenace entre la « gauche bourgeoise » et la « gauche ouvrière » en s’ancrant durablement dans la mémoire de cette dernière, confortée par l’écrasement de la Commune en 1871. Plus tard, Jules Vallès résumera la frustration du prolétariat par cette formule : « Ce n'est pas la Marianne qui est tout, c'est la Sociale. »
Marxisme et République
C’est dans la deuxième partie du XIXème siècle que la gauche va s’identifier principalement au socialisme, mot popularisé par Pierre Leroux. Cette doctrine repose sur l’idée de progrès, visant à transformer le monde de manière positive sur la base d’une société égalitaire par l’organisation de la production sur un mode collectif. Il doit permettre l’instauration de la démocratie réelle tant sur le plan politique qu’économique et social, c’est-à-dire dans la Cité comme dans les usines.
Karl Marx est le grand théoricien de cette doctrine qui aura un retentissement mondial et dont le premier grand représentant en France est Jules Guesde qui, en 1882, fonde avec Paul Lafargue, le gendre de Marx, le Parti ouvrier. Il prône un marxisme rigide, la révolution et la dictature du prolétariat.
Mais cette formation politique ne tarde pas à engendrer de nouveaux partis qui incarnent des sensibilités différentes : la Fédération des travailleurs socialistes de Paul Brousse, de laquelle émane le groupe d’Allemane qui fonde le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.
Enfin, s’ajoutent à cet essaim deux autres pièces : les blanquistes d’Édouard Vaillant (Parti socialiste révolutionnaire), et enfin des socialistes indépendants comme Alexandre Millerand, Jean Jaurès et d’autres intellectuels qui veulent adapter le marxisme à la réalité politique et républicaine française.
Dès la fin du XIXème siècle, la marque de fabrique des socialistes, à savoir leur division en d’innombrables courants, est inscrite dans leurs gènes ; elle les caractérise encore de nos jours. Ces tendances se divisent lors de l’Affaire Dreyfus, les guesdistes refusant de s’impliquer dans cette affaire « entre bourgeois », les socialistes indépendants finissant par prendre le parti du capitaine au nom des droits de l’Homme.
L’entrée de Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau en 1899 indigne bon nombre de socialistes qui, en 1900, se passionnent pour une controverse entre Guesde et Jaurès, dite « des deux méthodes », l’une « révolutionnaire », l’autre « réformiste » comme un condensé de leur propre histoire présente… et à venir.
Il faut toute l’habileté et les concessions de Jaurès pour que ces différentes organisations se regroupent enfin dans la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) en 1905. Mais ce parti se construit sur des bases révolutionnaires : il n’est pas un « un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution ».
Radicalisme, anarchisme, syndicalisme
Au tournant du XIXème siècle, deux autres courants peuvent se revendiquer de la gauche. Bien que réfutant le clivage gauche-droite, les anarchistes, dont le principal théoricien est Proudhon, se situent dans le premier camp, ne serait-ce que parce qu’ils ont des ennemis communs, la « réaction » et la bourgeoisie.
Chaque fois qu’il a fallu faire barrage à l’une, à l’autre et au fascisme, les « anars » se sont retrouvés au côté de la gauche. Mais leurs méthodes violentes, notamment lors des attentats des années 1890, qui se veulent une sorte d’avant-garde de la révolution sociale, sont vite réprimées. Ils s’engagent ensuite dans les actions plus collectives des syndicats.
Plus paisible, le radicalisme s’inscrit aussi dans la gauche au début du XXème siècle. Il plonge ses racines dans les années 1840 ; il est alors incarné par Alexandre Ledru-Rollin. Les radicaux veulent une démocratie politique, basée sur l’instauration du suffrage universel qui pourrait amener de « justes amélioration sociales » dans le cadre d’une troisième voie entre libéralisme et socialisme.
Durant la Commune, ils s’efforcent de jouer les conciliateurs entre les insurgés et le gouvernement de Versailles. En vain. Puis, ils s’affirment comme des opposants au régime de l’Ordre moral avec Léon Gambetta comme figure de proue. Ils se situent à l’aile gauche du parti républicain, reprochant leurs compromissions aux « républicains de gouvernement » qui dirigent la France après les élections de 1876.
Très implantés dans la société, en province, à travers de nombreux comités locaux et la franc-maçonnerie, ils sont plus divisés au sommet. En juin 1901 se tient un congrès fondateur qui unifie tous les réseaux dispersés du radicalisme. Ainsi naît le premier parti politique français moderne : le Parti républicain, radical et radical-socialiste.
Il s’identifiera à la culture républicaine, à la défense de la laïcité, à un réformisme progressif, à la solidarité sociale, à la défense nationale, opposé « au bellicisme des nationalistes et à l’antipatriotisme de certains socialistes et syndicalistes » (Serge Berstein, Histoire des gauches en France).
La puissance du Parti radical est sans égale puisqu’il compte près de 200 000 adhérents et devient une force parlementaire incontournable. En 1902, il remporte les élections, devient le pivot du Bloc des gauches sur fond d’anticléricalisme, et arrive au pouvoir à travers la nomination d’Émile Combes à la présidence du Conseil. C’est le début d’une période faste qui le conduit à participer à presque tous les cabinets de la Troisième République.
En 1908, Maurice Barrès constate sombrement, comme à regret : « La France entière est radicale ». Le déclin du parti radical, qui entretiendra souvent des relations conflictuelles avec ses grandes figures (Georges Clemenceau, Pierre Mendès France), commence sous la IVème République. Il continuera à se situer dans le giron de la gauche jusqu’à nos jours, en s’opposant au gaullisme, puis en faisant partie des différentes coalitions de gauche autour du PS, notamment après le ralliement au centristes en 1971 de certains de ses membres conduits par Jean-Jacques Servan Schreiber.
La gauche politique sera accompagnée tout au long du XXème siècle par la gauche syndicale qui prend son essor avec, en 1895, la naissance de la CGT qui regroupe les fédérations d’industries et de métiers, les bourses du travail, des syndicats locaux et autres organisations ouvrières. Sous l’influence de militants anarchistes et marxistes, le « syndicalisme révolutionnaire » imprègne la culture syndicale avec comme objectifs la Révolution et « l’expropriation capitaliste », et comme moyen la grève générale.
Cette conception ne laisse pas de place au compromis vécu comme une compromission. Elle ne convainc pas tous les adhérents de la CGT à l’époque, mais il en reste encore des traces aujourd’hui dans la culture de ce syndicat. En 1906, la Charte d’Amiens, adoptée par la CGT, affirme l’autonomie du syndicalisme français en laissant les militants adhérer au parti de leur choix.
Au XXème siècle, entre créations, scissions, recompositions, le syndicalisme donnera naissance à diverses organisations aux sensibilités différentes (CFTC, FO, CFDT entre autres) mais qui resteront dans l’ensemble dans l’orbite de la gauche et lui apporteront souvent une mobilisation pour peser sur sa politique ou renforcer son opposition à la droite.
Mais la grande date de la gauche politique intervient en 1920 au congrès de la SFIO. Les divisions antérieures des socialistes se transforment en schisme entre socialistes et communistes. Alors que jusqu’en 1914, l’influence humaniste et réformatrice de Jaurès gagne du terrain au sein de son parti, la prise du pouvoir de Lénine en Russie pour fonder l’Union des républiques socialistes soviétique (URSS), galvanise au sein de la SFIO les partisans de l’adhésion à la Troisième internationale.
Au congrès de Tours, qui se tient du 25 au 30 décembre 1920, ceux-ci l’emportent sous l’influence de Marcel Cachin et de Ludovic Frossard, de retour de Moscou. La majorité accepte les 21 conditions de Lénine, garde le contrôle de L’Humanité, le journal fondé par Jaurès, et donne naissance au parti communiste français (PCF), tandis que la minorité reste à la SFIO et se dote d’un organe de presse, Le Populaire.
À la tribune, Léon Blum lance aux « bolcheviks » de son parti la formule qui lui restera indéfectiblement accolée : « Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. » Blum gardera donc la « vieille maison » de la SFIO.
À partir de cette date, communistes et socialistes deviennent les frères ennemis de la gauche. Les premiers resteront inféodés à Moscou politiquement et financièrement jusqu’au départ de la tête du parti de Georges Marchais en 1994, les seconds exerceront le pouvoir à plusieurs reprises dans le cadre de coalitions jusqu’à nos jours, avec ou sans le PC.
Socialistes et communistes : frères ennemis
Au lendemain de la scission de Tours, le parti communiste (110 000 adhérents) domine la SFIO (40 000 militants). Mais à partir de 1921, le rapport de force s’inverse. Alors que les tentatives révolutionnaires en Europe échouent et que Lénine lance la « Nouvelle politique économique », les communistes français commencent à déchanter.
Aux élections de 1924, la SFIO obtient plus de 20% des voix alors que le PC ne franchit pas la barre des 10%. Les communistes disposent pourtant d’un puissant relais puisqu’ils bénéficient de l’éclatement de la CGT en 1922, dont une partie de ses membres fonde la CGTU qui mêle syndicalistes révolutionnaires et communistes sur une ligne proche du PC.
Ainsi, après Tours, la gauche est à nouveau divisée, tant sur le plan politique que syndical. De quoi aviver les tensions entre les deux partis. Notamment au début des années 1930, lorsque l’Internationale communiste (le Komintern) fait de la social-démocratie son adversaire prioritaire à travers la stratégie « classe contre classe » qui considère les socialistes comme des « social-fascistes » plongeant la classe ouvrière dans une honteuse « collaboration de classe » !
Maurice Thorez écrit alors : « Il n’y a pas de différence de nature entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Ce sont deux formes de la dictature du Capital. » Mais à partir de 1934, changement de pied de la part du PC. Une fois de plus, il se cale sur la ligne de Staline qui prend conscience de la menace que représente Hitler pour l’URSS. L’heure est désormais à la constitution de fronts populaires face au fascisme.
Une tactique que souhaitent les bases communiste et socialiste en France face à la montée en puissance de l’extrême-droite. Elle mène à la victoire du Front populaire en 1936 qui rassemble socialistes, communistes et radicaux sous la houlette de Léon Blum, président du Conseil, et produira des conquêtes sociales qui marqueront l’histoire du pays et la culture de la gauche. Les communistes soutiennent le gouvernement sans y participer. Ils deviennent un grand parti de masse, dépassant 15% aux élections et engrangeant de nombreux militants, relayé par une CGT qui se réunifie.
Cette euphorie est de courte durée. La fin prématurée du Front populaire provoque de nouvelles dissensions au sein de la SFIO et de ses indépassables tendances. En 1938, c’est le courant « trotskyste » de Marceau Pivert qui est exclu.
Après les accords de Munich, les socialistes se divisent ensuite sur la politique étrangère entre défenseurs du pacifisme avec Paul Faure et partisans d’une guerre avec l’Allemagne nazie autour de Léon Blum.
La Seconde Guerre mondiale plonge la gauche dans de nouveaux déchirements. Le PC est, une fois de plus, secoué par les manœuvres de Staline qui signe le pacte germano-soviétique en 1939 ; les communistes français tournent une nouvelle fois casaque. Ils abandonnent la ligne « antifasciste » pour dénoncer « la guerre impérialiste ».
Le PC est interdit, il entre dans sa phase la plus sombre. Mais lorsque l’Allemagne attaque l’URSS, les communistes entrent dans la Résistance et donnent une aura à leur parti qui bénéficiera, de surcroît, à la Libération, du prestige de la participation de l’Union soviétique à la victoire sur le nazisme.
Quant à la SFIO, bien qu’elle ait également alimenté les rangs de la Résistance, elle pâtit de son comportement munichois et pacifiste avant 1939 et du vote des pleins pouvoirs à Pétain de certains de ses parlementaires. À la Libération, elle est nettement supplantée par le PC qui est au sommet de sa popularité et de son implantation dans la classe ouvrière.
Lors des premières élections d’après la guerre, en 1945, il dépasse les socialistes (26% contre 24,5%). Un an plus tard, il frôle les 29%. Le tripartisme (alliance de la SFIO, du MRP et du PC) lui permet d’accéder aux responsabilités gouvernementales jusqu’en 1947. Sous la direction de Maurice Thorez, il reste sous la coupe de Moscou.
Engluée dans la Quatrième République, les alliances avec la droite et la guerre d’Algérie, la SFIO, sous la direction de Guy Mollet, continue à perdre de la substance militante ouvrière et ne parvient pas à se redresser.
La domination du PS, l’effondrement du PC
Il faut attendre la Cinquième République pour que l’incessant chassé-croisé entre les deux partis tourne à nouveau à l’avantage des socialistes. Pourtant ceux-ci commencent cette période en se divisant à nouveau. Une partie des membres de la SFIO fait scission pour fonder le PSA (Parti socialiste autonome) - qui prendra le nom de PSU (Parti socialiste unifié) en 1960- afin de protester contre la politique algérienne de Guy Mollet.
Il défend l’autogestion, la décentralisation, la priorité donnée au contrat sur la loi mais prône aussi une certaine rigueur économique. Michel Rocard s’impose comme le leader de ce parti brouillon qui n’obtiendra guère d’implantation locale. Mais c’est un autre homme plus expérimenté et plus stratège qui commence son OPA sur la gauche dans les années 1960.
Après avoir mis en ballottage le général de Gaulle en 1965, François Mitterrand s’efforce de rassembler la gauche dans le cadre de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) qui groupe le Parti socialiste, le Parti radical, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) et des clubs comme la Convention pour les institutions républicaines de Mitterrand. Mais cette coalition vole en éclats après Mai-68.
Une fois de plus, la gauche est à reconstruire. Une tâche à laquelle s’attelle à nouveau François Mitterrand qui, en 1971, prend le contrôle du Parti socialiste en tenant un discours relevant de la vulgate marxiste, avec comme objectif « la rupture avec la société capitaliste » ! En bâtissant une stratégie d’union de la gauche, François Mitterrand, veut étouffer le PC… et il va y parvenir.
Celui-ci se situe encore à un niveau honorable aux élections législatives de 1967 (22,53%) et à la présidentielle de 1969 (21,5% pour son candidat Jacques Duclos). Mais la signature du programme commun (PS-PC-Radicaux de gauche) en 1972 engage la gauche dans une dynamique qui profite au PS et nuit au PC qui commet l’erreur stratégique de ne pas présenter un candidat à la présidentielle de 1974, préférant se ranger derrière Mitterrand.
L’effondrement progressif du PC s’explique aussi par d’autres raisons (échec du communisme dans les pays de l’Est alors que le niveau de vie augmente en Europe, critiques du stalinisme par les intellectuels, décalage avec la pensée libertaire des jeunes après mai-68). La chute du mur de Berlin et du communisme en URSS ne fera que porter un coup de grâce au PC.
En revanche, les socialistes se régénèrent. En 1974, ils intègrent Michel Rocard et ses amis ainsi que des militants de la CFDT. Au sein du PS commence alors une bataille idéologique entre d’une part « la première gauche » menée par Mitterrand volontiers jacobine et qui défend le primat du politique sur l’économie, et d’autre part la « deuxième gauche » incarnée par Michel Rocard.
Cet affrontement sur le plan des idées, les « deux cultures » selon Rocard, se double d’une rivalité personnelle pour la désignation du candidat socialiste à la présidentielle de 1981, que Mitterrand décroche. Le 10 mai 1981, il est élu président de la République après 23 ans de règne de la droite.
Le pari de Mitterrand est réussi malgré des relations tumultueuses avec le PC. Pour la gauche, c’est une victoire historique. Des communistes entrent au gouvernement. Pendant deux ans, Mitterrand mène une politique redistributive qui apporte des avancées sociales et accroît les libertés. Mais à partir de 1983, « la politique de rigueur » commence à décevoir le « peuple de gauche » qui se détache des socialistes. Les communistes quittent le gouvernement en 1984.
Le long règne de Mitterrand se poursuit jusqu’en 1995 à travers notamment deux cohabitations (1986 et 1993), mais les politiques menées par la gauche, malgré quelques avancées sociales avec Michel Rocard comme Premier ministre de 1988 à 1991, sont surtout marquées par le sceau d’un « réalisme » bien éloigné des espoirs de la base sociologique de la gauche.
Le retour de la droite au pouvoir, de 1995 à 2012, est marqué par la parenthèse de la cohabitation qui voit le socialiste Lionel Jospin être nommé à Matignon de 1997 à 2002.
L’émergence des écologistes
Alors que le PC s’enfonce dans le déclin, une nouvelle sensibilité politique apparaît à gauche : l’écologie. Elle aussi est traversée par différentes sensibilités et est constituée de militants le plus souvent venus de mouvements associatifs proches de la gauche ou de l’extrême-gauche.
Les écologistes obtiennent des scores dérisoires aux élections présidentielles (5, 25% au maximum avec Noël Mamère en 2002) mais s’implantent dans les collectivités locales au point de devenir, à partir des années 1990, des partenaires incontournables des socialistes avec lesquels ils concluent des accords électoraux. Ils participent à tous les gouvernements de gauche depuis 1988.
Ils ont réussi à sensibiliser les Français aux questions environnementales et ont contraint les partis à intégrer une vision écologiste dans leurs programmes. Mais leur fonctionnement anarchique et une base en grande partie gauchiste rendent leur parti souvent ingouvernable et compliquent leurs relations avec les socialistes. Ils n’en constituent pas moins une composante de la « gauche plurielle » qui s’intercale entre le PS et le PC.
Lors de l’élection présidentielle de 2017, le candidat socialiste, Benoît Hamon, au terme d’un accord avec les écologistes, conférera à son programme une dimension environnementale qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait intégrée.
Preuve à la fois de l’influence croissante des Verts au sein de la gauche et de la faiblesse d’un PS contraint à des concessions importantes afin que le candidat écologiste, Yannick Jadot, se retire de la compétition élyséenne au profit de Benoît Hamon. Car entre 2012 et 2017, la gauche en général et les socialistes en particulier subissent des échecs à toutes les élections locales.
Le quinquennat de François Hollande marque une nouvelle phase de division de la gauche qui la conduit à une décomposition que devrait sanctionner la présidentielle de 2017. Il a commencé sous la pression du Front de gauche menée par l’ancien socialiste Jean-Luc Mélenchon allié au Parti communiste et qui réalise 11% en 2012.
La politique de plus en plus « social-libérale » mise en place par le président Hollande provoque le départ des écologistes du gouvernement, l’émergence de « frondeurs » au sein du PS ainsi qu’une hostilité des plus violentes de la part des communistes et de Jean-Luc Mélenchon. La fracture est tellement béante au sein de la gauche que Manuel Valls, Premier ministre, évoque « des gauches irréconciliables » entre le PS d’une part, et une partie des écologistes et « la gauche de la gauche » de Jean-Luc Mélenchon d’autre part.
La primaire de la gauche à laquelle participent le PS, le parti radical de gauche, et des écologistes soutenant le gouvernement, est remportée par un « frondeur » socialiste, Benoît Hamon. Il existe moins de différences entre son programme et celui de Mélenchon qu’il n’y en avait entre ceux du PS et du PC dans les années 1970-1980.
Mais les deux hommes ne parviennent pas à contracter une alliance pour la présidentielle. Malgré sa victoire, Hamon ne représente pas l’ensemble du PS et n’en constitue pas le point d’équilibre comme avait pu l’être Hollande lors de la primaire de 2011 ; il se trouve même en porte-à-faux par rapport à la majorité de son parti, et notamment le pôle « social-libéral » qui refuse de faire campagne pour lui.
Cette frange se tourne vers un mouvement créé par l’ancien ministre de l’Économie Emmanuel Macron qui, à la tête du mouvement « En Marche », se veut « ni de droite ni de gauche » ou bien « de droite et de gauche ». Il capte des élus et des militants venus du centre, de la droite mais aussi du Parti socialiste.
L’engagement des participants à la primaire de soutenir le vainqueur de cette compétition vole en éclats puisque deux d’entre eux, Manuel Valls et l’écologiste François de Rugy, appellent à voter pour Macron. De quoi torpiller à l’avenir le processus des primaires, affaiblir et diviser encore plus le Parti socialiste, organisateur de cette compétition dont il s’avère incapable de faire respecter les règles jusqu’au bout.
Plus que jamais, le PS, épine dorsale de la gauche, est écartelé, sans chef incontesté, une partie de ses troupes n’assumant pas le réformisme et la culture de gouvernement qui atténuent les frontières entre la gauche et la droite sur le plan économique et qui l’ont éloigné des couches populaires. À l’évidence, le « cycle d’Epinay » inauguré par François Mitterrand au PS arrive à son terme, à bout de souffle.
Au-delà, comme un reflet de son histoire depuis près de deux siècles, la gauche est aujourd’hui morcelée, toujours aux prises avec les mêmes écueils : la question sociale et l’exercice du pouvoir. Elle doit se réinventer tant sur les plans idéologique que structurel, et trouver un homme qui incarnera ce renouveau en la fédérant. La présidentielle de 2017 peut lui en fournir l’occasion si elle débouche sur une recomposition du paysage politique.
Bibliographie
Histoire des gauches en France, sous la direction de Jean-Jacques Becker et de Gilles Candar, 2 volumes, La Découverte, 2004,
Les communautés utopistes au XIXème siècle, Jean-Christian Petitfils, Pluriel, 2011,
Les gauches françaises, Jacques Julliard, Flammarion, 2012,
Le socialisme en France et en Europe, Michel Winock, Points Seuil, 1992.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Danielle (27-10-2023 18:59:18)
Excellent article ; à quand la suite ? 2017 : depuis nous vivons des évènements très préoccupants. Nous avons besoin de cohérence et d'unité. La Gauche actuelle n'en prend pas le chemin.