Les tribulations des femmes à travers l'Histoire

Temps modernes : déceptions renaissantes

Née en Italie avec la redécouverte de l'Antiquité gréco-romaine, de ses artistes et de ses penseurs, la Renaissance gagna au XVème siècle l'ensemble de l'Europe occidentale. Dès lors que l'Homme (re)devint pour les humanistes « la mesure de toutes choses » (Protagoras), les femmes purent espérer profiter de ce regard inédit posé sur la condition humaine...

Que nenni ! Au lieu de cela, l'Âge d'or se traduisit pour la gent féminine par un durcissement de ses conditions de vie dans nombres de domaines et, pire, par un recul des droits civiques. Ce sont les corporations de métiers qui, après leur avoir ouvert leurs portes, les exclurent et les renvoyèrent dans leurs foyers. Trop faibles physiquement, trop libres dans leur couple, trop indociles... Finie, l'indépendance financière des femmes d'affaires qui s'étaient fait une place dans l'artisanat ! Les béguinages du nord de la France et des Flandres, où les femmes vivaient en autonomie, furent également fermés.

De retour chez elles, les femmes eurent encore à pâtir d'une religion devenue plus rigoureuse, qui mettait en avant le modèle de la vierge Marie et de la mère de famille soumise à son époux...

Isabelle Grégor et André Larané

Femmes devant la cheminée, Michel François Dandré-Bardon, XVIIIe siècle, Musée des Beaux-Arts, Marseille.

Les femmes exclues de la vie publique

L'Occident, au XIIIe siècle, est sorti d'une économie à dominante rurale et autarcique. Partout des villes, des foires, des marchands et des artisans généralement organisés en corporations. À la ville comme à la campagne, les femmes participent activement aux tâches de production, parfois même en tant qu'entrepreneur ou maître artisan. Mais au siècle suivant, dès la fin du « beau Moyen Âge », se fit jour dans toute l'Europe une tendance à les évincer des fonctions de responsabilité et de nombreux métiers. Les corporations, après leur avoir ouvert leurs portes, les renvoyèrent dans leurs foyers. Trop faibles physiquement, trop libres dans leur couple, trop indociles... Celles qui tentèrent de mener une activité indépendante furent traînées en justice par leurs concurrents masculins affiliés à une corporation, par exemple à Strasbourg dans le tissage (note). Dès le début du XVIe siècle, en Occident, c'en fut à peu près fini des femmes qui s'étaient fait une place dans l'artisanat !

L’Écaillère, Pierre Brébiette, XVIIe siècle, Musée Carnavalet, Paris.Comme il ne suffisait pas de les exclure des responsabilités, les corporations leur interdirent le droit de simplement pratiquer leur métier. L'historienne Julie Pilorget cite une ordonnance par laquelle les échevins (juges de paix) d'Amiens interdisent tout bonnement le 19 janvier 1511 aux sayeteurs-drapeurs de la ville d'apprendre le métier à leur femme : « Item, que doresenavant une femme lyée de mary ne puist estre apprentisse dudict mestier soubz qui que ce soit ; aultrement ledict mestier se feroit à chacun commun, qui tourneroit au détriment de la chose publicque... »

Ces interdictions se multiplièrent jusqu'à la suppression des corporations par le ministre Turgot en 1776 ! Les femmes, même les plus pauvres, se virent par exemple exclues des mines et des chantiers où elles se rendaient pourtant utiles dans des tâches subalternes (note). Les rares domaines où elles continuèrent à tenir une place à peu près honorable étaient les arts et l’enseignement, comme institutrices (dans les écoles de filles exclusivement).

Les béguinages, nombreux aux Pays-Bas et en Rhénanie, constituaient au Moyen Âge des communautés où les femmes de toutes conditions pouvaient travailler et bénéficier d'une certaine indépendance. Accusés de concurrence déloyale, ils furent fermés l'un après l'autre et disparurent presque complètement au XVIe siècle.

Renvoyées à la maison, les femmes sont encore traquées par les juristes. En 1514, la coutume officielle du Poitou introduit l'incapacité juridique de la femme mariée : elle ne peut plus signer de contrat sans l'assentiment de son mari. Cette disposition qui allait se généraliser est empruntée à Ulpien, un juriste romain du IIIe siècle auquel on doit l'expression imbellicitas sexus ou « sexe faible » pour désigner la femme. Celle-ci redevient une mineure juridique comme sous l'Antiquité gréco-romaine (et dans le reste du monde).

Cette régression a l'aval de l'Université et des humanistes qui, pénétrés de culture antique et sensibles à l'enseignement d'Aristote, tiennent la femme pour une nature imprévisible et un être de second rang.

Il en est tout de même qui pensent différemment et le disent. Déjà au début du XIVe siècle l'écrivaine Christine de Pisan et le théologien Jean de Gerson avaient défendu contre vents et marées le principe d'une égalité de l'homme et de la femme. Cette idée aussi séditieuse que folle avait été reprise un peu plus tard, en 1441, par le religieux Martin Le Franc dans son pamphlet Le Champion des dames.

Cette « querelle des femmes » rebondit au XVIe siècle et continue d'agiter les milieux intellectuels. Mais rien n'y fait. Dans les cours de la Renaissance, les femmes font figure d'ornement et on ne leur demande que de plaire. Notons toutefois quelques exceptions intellectuelles comme les poétesses Louise Labé et Marguerite de Navarre, elle-même sœur du roi François Ier. Notons également quelques femmes de pouvoir, comme en France les régentes Catherine de Médicis et Marie de Médicis et surtout en Grande-Bretagne les reines Marie Stuart, Marie Tudor et la plus grande d'entre toutes, ;Elizabeth Ière.

Un sonnet pour une mèche

Fondateur avec Pierre de Ronsard du groupe de poètes de La Pléiade, Joachim du Bellay s'est consacré à l'« exercice du blason », popularisé par Clément Marot :
O beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
O front crespe et serein ! et vous face dorée !
O beaux yeux de cristal ! ô grand'bouche honorée,
Qui d'un large reply retrousses tes deux bords !
O belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme énamourée !
O gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
O beaux ongles dorés ! ô main courte, et grassette !
O cuisse délicate ! et vous jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnestement nommer !
O beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
O divines beauté ! pardonnez-moi, de grace,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer 
(Joachim Du Bellay, sonnet 91, Les Regrets, 1556).

 Vénus avec un organiste et un chien, Titien, vers 1550, Madrid, Musée du Prado.

La Renaissance sexualise la femme 

Par un fait significatif, la Vierge n'est plus, loin de là, au début du XVIe siècle, la principale source d'inspiration pour les artistes. Tandis que l'art s'émancipe de la religion, on voit se multiplier les images de belles dames souvent fort dénudées. La femme (jeune) devient objet de désir et les artistes et poètes en font leur thème privilégié : on ne compte plus les portraits et petits poèmes ou « blasons » célébrant les appas des belles.

Gabrielle d'Estrée, estampe présentée au journal de Paris le 27 mai 1785, Jean Francois Janinet, XVIIIe siècle.Appas n'est pas un mot en l'air : aux silhouettes androgynes du Moyen Âge se substituent en effet des formes plus rondes et pulpeuses. À cela une raison que nous connaissons bien : la gourmandise ! L'exploitation du Nouveau Monde et le commerce avec l'Asie ont rendu le sucre beaucoup plus accessible et ouvert la voie à l'obésité... quatre siècles avant Coca Cola et MacDo...

« Œil attrayant, œil arresté » (Mellin de Saint-Gelais), cheveux « gentement tortillés tout-au-tour de l'oreille » (Pierre de Ronsard), « tétin qui fait honte à la rose » (Clément Marot), toutes les parties du corps sont célébrées dans les blasons des plus habiles serviteurs de la rime, avec les encouragements du roi lui-même (« Une cour sans femmes, c’est comme un jardin sans fleurs », citation prêtée à François Ier).

Pour répondre à ces hommages, les femmes s'efforcent de donner à leur teint une jolie pâleur mise en valeur par le blond vénitien de leur chevelure, épilée pour dégager leur front. Il faut absolument ressembler aux « mannequins » de la cour des Valois que sont Diane de Poitiers ou encore Gabrielle d'Estrée. Les courtisans vantent la perfection physique qui leur a permis de taper dans l’œil d'Henri II et Henri IV pour en devenir les maîtresses officielles.

Étude de fÅ“tus dans l'utérus, Léonard de Vinci, vers 1510, Bibliothèque de Windsor, Angleterre.Mais la Renaissance ne se contente pas d'admirer profils et silhouettes, elle veut également savoir ce qui se cache sous la peau de ces belles. Léonard de Vinci lui-même, passionné par le développement de l'anatomie, notamment grâce à Vésale (milieu du XVIe siècle), n'hésite plus à disséquer des corps pour mieux en comprendre le fonctionnement et le représenter. Il choisit en particulier d'étudier le système reproducteur, profitant de l'occasion qui lui est donnée d'observer une femme morte en couches. Son dessin du fœtus dans l'utérus, un des premiers de l'Histoire, indique que la femme n'est plus tout à fait considérée comme un être dégoûtant, mais tout au plus comme un mystère que la Science se doit de percer.

Dame à sa toilette, Anonyme (école de Fontainebleau), XVIe siècle, Kunstmuseum, Bâle.

Les muses de la Renaissance

« Mignonne, allons voir si la rose »... Mais qui est cette mignonne qui a traumatisé des générationsd'élèves ? On sait qu'elle s'appelait Cassandre Salviati, qu'elle était fille de banquier et certainement bienjolie pour taper dans l’œil du « Prince des poètes », Pierre de Ronsard. Celui-ci la remplacera quelques années plus tard dans son cœur par une certaine Hélène de Surgères, protégéede Catherine de Médicis. Ronsard lui rend hommage à travers un amour platonique dans la droite lignede Pétrarque vis-à-vis de sa Laure : la jeune femme est divinisée, son corps est idéalisé et son indifférence devient la sourced'une agréable souffrance. Proches en cela des troubadours du « beau Moyen Âge », ces poètes cherchaient davantage à faire chanter les mots de leurs sonnets qu'à traduire les sentiments réels de leur cœur. Il n'en reste pas moins que Laure, Cassandre, Hélène et les autres sont devenues les muses de cette Renaissance capable de célébrer le« beau tétin » comme d'appeler à un amour pur et à jamais impossible.

Mariage de Louis de France, duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie, célébré le 7 décembre 1697 par le cardinal de Coislin, Antoine Dieu, 1715. Carton de tapisserie commandé par Louis XIV pour la manufacture royale des Gobelins en 1710.

Au Grand Siècle, le mariage pour prison

Louis Le Nain, Famille de paysans dans un intérieur (détail), 1642, Musée du Louvre, Paris.Progressivement exclues de la vie publique aux XVe et XVIe siècles, les femmes entrent dans la maltraitance à la fin de la Renaissance, dans les années 1560, à l'aube de ce que les historiens conviennent d'appeler les Temps modernes (XVIIe siècle).

À cela plusieurs causes : il y a l'évolution de la religion qui, avec la Réforme protestante et la Contre-Réforme catholique, se montre plus exigeante moralement et donc plus suspicieuse à l'égard du beau sexe. 

Le concile de Trente (1545-1563) réaffirme avec plus de force que jamais la sacralité du mariage catholique et le libre consentement des époux. Mais dans le secret des confessionnaux, les prêtres ne montrent plus la même bienveillance qu'autrefois à l'égard des péchés de la chair. Gare aux épouses qui succombent trop facilement aux plaisirs du sexe, l'enfer les attend ! Même stigmatisation du côté protestant, où se développe un puritanisme glacial.

À peine le concile a-t-il rendu ses conclusions que le cardinal Charles Borromée confie au peintre Daniele da Volterra le soin de rhabiller les personnages du Jugement dernier de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine (Rome). Ce peintre y gagnera le surnom de braghettone (« culottier »). Un siècle plus tard, c'est Tartuffe qui, sur une scène parisienne, lance à Dorine :
« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées. »

Des attitudes et des propos impensables au début du XVIe siècle comme au XVIIIe.

Ce nouveau regard sur la femme et la chair change se répercute sur... la répression de la sorcellerie. Cette folie collective est apparue à  la fin du XVe siècle et sous la Renaissance, dans des périodes de crise mystique, religieuse et sociale, frappant de façon à peu près équitable les hommes et les femmes.

Hans Baldung Grien, Le Sabbat des Sorcières, 1510Mais à son paroxysme, entre 1560 et 1630, elle vire au « féminicide ». Durant ce qu'il est convenu d'appeler la « grande chasse aux sorcières », les femmes sont les premières visées. Elles représentent les trois quarts des 30 000 à 60 000 malheureux envoyés au bûcher, essentiellement dans les pays germaniques et en Suisse. Il s'agit généralement de personnes solitaires, marginales, plutôt âgées, accusées par des rivales d'avoir commerce avec le démon.

Pour témoigner de la condition des femmes en ce Grand Siècle - le XVIIIe -, il n'est pas de meilleur portraitiste que Molière. Ses pièces forment une galerie inégalée, de l'innocente Agnès élevée par son tuteur Arnolphe dans le simple but de l'épouser (L'École des femmes) à la paysanne Mathurine qui rêve de sortir de son milieu par un beau mariage (Don Juan ou Le Festin de pierre). Servantes espiègles, entremetteuses cyniques, mères de famille bigotes ou épouses cupides, ces femmes témoignent à leur façon du principal sujet d'inquiétude de toutes à l'époque : le mariage. Pour celles qui ne s'y résignent pas, la seule alternative est le couvent, un pis-aller qui vaut mieux qu'un mauvais mariage quoi que promette Don Juan : « Que de plaisirs quand vous serez ma femme » !

Molière lui-même n'épargne pas la gent féminine, comme le montre ce discours d'Arnolphe :
« Chose étrange d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses !
Tout le monde connaît leur imperfection :
Ce n’est qu’extravagance et qu’indiscrétion ;
Leur esprit est méchant, et leur âme fragile ;
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle : et malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là »
(L'École des femmes, 1663).
Il relaye ainsi les a priori de son époque qui tient les femmes en piètre estime, surtout lorsqu'elles cherchent à se faire pédantes. Mais dans ses comédies, la femme est aussi la servante qui, par son adresse et son intelligence, va contribuer à un heureux dénouement et permettre à la jeune amoureuse de se marier selon son cœur.

Mademoiselle Mars dans le rôle de Célimène, Le Misanthrope, Molière, 1812, BnF, Paris.Loin des prescriptions de l'Église, aristocrates, bourgeois et coqs de village ne respectent plus guère les prescriptions de l'Église sur le libre consentement des époux. Dès leur douzième année, les adolescentes peuvent être forcées de rejoindre le toit d'un inconnu choisi par leurs parents. Pas question de laisser parler les cœurs : « Mariages qui se font par amourettes finissent par noisettes [disputes] » (proverbe cité par Brantôme, XVIe siècle) !

L'autorité du père sur la fille et du mari sur la femme ne prête pas à discussion. À preuve la définition que donne en 1690 de la famille le célèbre dictionnaire de Furetière : « ménage composé d'un chef et de ses domestiques, soit femmes, enfants ou serviteurs ». « Du côté de la barbe est la toute-puissance », rappelle Arnolphe à Agnès (L'École des femmes). Si intelligentes qu'elles soient, les femmes s'en accommodent : « Il nous faut obéir, ma sœur, à nos parents : un père a sur nos vœux une entière puissance », explique Armande à Henriette (Les Femmes savantes).

Ce n'est que grâce à son statut de jeune veuve que Célimène (Le Misanthrope) peut tranquillement mener les hommes par le bout du nez. Avec sa maîtrise du beau langage et ses piques qui font mouche à tous les coups, elle est un charmant échantillon de ces Précieuses qui ont fait les beaux jours des salons du XVIIe siècle. À la suite de madame de Mlle de Scudéry, ces adeptes de l'art de la conversation se font arbitres du bon goût, quitte à en faire un peu trop... Elles ouvrent la voie aux Lumières.

Les Précieuses ridicules (1659), Molière, gravure de Jacques Leman, BnF Gallica, Paris.

Les femmes du Roi-Soleil

On le sait, Louis XIV a été un grand amateur de femmes, de « Cateau la Borgnesse » qui l'a dépucelé, à madame de Maintenon, qui a éclairé ses vieux jours. Parmi la vingtaine d'élues connues, la marquise de Montespan occupe une place à part, elle qui « disposa seule du maître et de sa cour, avec un éclat qui n'eut plus de voile » faisant de Versailles « le centre de l'esprit » (Saint-Simon, Mémoires, 1691-1723). Femme libre, la belle Athénaïs n'a cependant pas autant marqué l'histoire des femmes que la discrète marquise de Maintenon qui apparaît comme la première institutrice. Passionnée par les questions d'éducation, elle poussa le roi à créer un pensionnat pour jeunes filles nobles à Saint-Cyr, au fond du parc de Versailles. Elle voulut faire de ses pupilles des femmes accomplies, aussi habiles dans les arts ménagers que dans la connaissance des tragédies que Racine écrivit à leur intention. Mais l'expérience tourna court, peu de prétendants ayant envie d'épouser une « femme savante ».

Madame de Montespan et ses enfants, Pierre Mignard (d'après), XVIIe siècle, Château de Versailles, RMN Grand-Palais DR.

Au XVIIIe siècle, les Lumières à la rescousse ?

Les moeurs changent lentement, très lentement, et la haute société se montre peu à peu plus compréhensive envers sa moitié féminine. En 1673, c'est un prêtre défroqué, Poullain de La Barre, qui  a commencé d'éveiller les consciences avec son ouvrage De l'Égalité des deux sexes où il dénonce le préjugé concernant une soi-disant infériorité de naissance : « L'esprit n'a pas de sexe […], les femmes sont aussi nobles, aussi parfaites et aussi capables que les hommes ». Mais gardons-nous de parler de révolution. Cet avis reste encore très isolé !

Montesquieu, au siècle suivant, s'inscrit dans le même courant que Poullain de La Barre mais précise : « L'empire que nous [les hommes] avons sur elles est une véritable tyrannie, elles ne nous l'ont laissé prendre que parce qu'elles ont plus de douceur que nous, et par conséquent plus d'humanité et de raison », expliquant que « les forces seraient égales si l'éducation l'était aussi » (Lettres persanes, 1721).

Madame du Châtelet à sa table de travail, Maurice Quentin de la Tour, XVIIIe siècle, Collection particulière, Choisel, château de Breteuil.Sa contemporaine Émilie du Châtelet lui donne raison. Issue de la haute noblesse, elle a pu s'initier aux sciences grâce à la bienveillance de son père et mener une existence pleinement libre jusqu'à sa mort en couches, en 1749, à 43 ans.   

Mais son exemple ne suffit pas à changer les mentalités. En 1762, le doux Jean-Jacques Rousseau dresse dans sa Nouvelle Héloïse  le portrait d'une jeune fille sans aucun droit et fait de la Sophie dépeinte dans son Émile une poupée sans personnalité : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs d’une femme dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. […] Il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme […] la dépendance étant un état naturel aux femmes, les filles sont faites pour obéir. » (Émile, ou de l'Éducation, 1762).

Le Verrou, scène galante de Jean-Honoré Fragonard peinte en 1777, illustre bien l'ambivalence du statut de la femme, libre mais obligée de composer avec le désir masculin selon une pratique immémoriale qui s'apparente au viol.

Louise d'Épinay, qui anime un brillant salon de conversation, résume bien la situation paradoxale des femmes des Lumières, habitées d'une soif de savoir qu'elles doivent trop souvent étouffer : « […] une femme a grand tort et n'acquiert que du ridicule lorsqu'elle s'affiche pour savante […] mais elle a grande raison d'acquérir le plus de connaissances qu'il lui est possible » (lettre, 1771).

Une stratégie néanmoins gagnante ! À la cour de Versailles comme dans les salons parisiens, les femmes de lettres et d'esprit deviennent proprement incontournables. À défaut d'agir, elles se signalent par leur influence à l'image de la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Le philosophe Condorcet et le chimiste Lavoisier ne cachent pas non plus ce qu'ils doivent à leurs épouses respectives.

La mode, signe d'une plus grande liberté, se fait légère et même provocante, au point de scandaliser certains sujets du roi quand ils voient la reine Marie-Antoinette portraiturée par son amie Élisabeth Vigée-Lebrun en simple robe de mousseline.

Les monarchies de cette époque se montrent aussi très accommodantes à l'égard des femmes que l'hérédité et le mariage ont placé sur le trône. C'est le cas de l'impératrice Marie-Thérèse qui régna de 1740 à 1780 sur l'Autriche et la Hongrie avec une maestria sans pareille, comme des impératrices Élisabeth Ière et surtout Catherine II qui régnèrent sur la Russie de 1741 à 1761 et de 1762 à 1796, ce qui n'est pas rien. Il ne s'agit évidemment là que d'exceptions propres à l'Europe. Dans le reste du monde, en Asie, en Orient et en Afrique, on ne note aucune femme à la tête d'un grand État, ni dans ce siècle ni dans les précédents.

La Toilette, François Boucher, 1742, Musée Thyssen-Bernemisza, Madrid.

Par-delà ces phénomènes qui affectent les classes dirigeantes et les classes privilégiées, les sociétés européennes changent en profondeur. Dans la France de Louis XV et Louis XVI comme dans l'Angleterre des George Ier, II et III, le puritanisme desserre son étreinte. Les paysans et les bourgeois demeurent très pieux mais n'en savourent pas moins les plaisirs de la chair. Le film Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975) est un beau témoignage de l'Angleterre joyeuse (Merry England) de cette époque. On peut en dire autant du film Mon Oncle Benjamin d'Édouard Molinaro (1969) en ce qui concerne la France.

Soulignons aussi les progrès de l'alphabétisation dans tous les milieux. Dans les pays protestants et en particulier en Allemagne, on compte autant de femmes que d'hommes alphabétisés car tous ont le devoir de lire la Bible et l'enseigner. Dans la France catholique, par contre, on observe encore de très grandes disparités entre les sexes et surtout entre le nord et le sud. La moitié des hommes et le quart des femmes en moyenne signent de leur nom leur contrat de mariage mais les taux sont deux fois moindres au sud du royaume !

Les conditions de vie demeurent très précaires même si elles s'améliorent nettement par rapport au XVIIe siècle. Dans la société française, à dominante rurale, les femmes participent en première ligne aux activités de production. À part quelques épouses de fermiers aisés, la plupart travaillent aux champs, s’occupent des bêtes, bêchent le potager et se débrouillent tant bien que mal avec leur mari pour payer taxes et impôts et échapper à l’indigence. Seules les veuves ont un rôle actif dans les assemblées villageoises ou paroissiales en leur qualité de chef de famille ou « chefs de feu ». Moins instruites et alphabétisées que les hommes, bien moins rémunérées à travail égal, obsédées par la survie de leur progéniture, ces femmes du Siècle des Lumières ne manquent pas de motifs de plaintes. Elles sont régulièrement en première ligne dans les émeutes frumentaires ou antifiscales, qualifiées par les contemporains d’« émotions populaires ».

André Bouys, La Récureuse, 1737, Paris, Musée des Arts décoratifs.

Par-dessus tout, un changement déterminant se fait jour dans les campagnes françaises. Après une forte croissance démographique due à l'amélioration des conditions de vie, voilà que diminue la fécondité vers 1760. Les familles réduisent volontairement leur progéniture. C'est une première en Europe. Des chroniqueurs s'en inquiètent et dénoncent ces femmes qui « trompent la nature » par des moyens abortifs et plus simplement par un retard de l'âge au mariage.

À leur manière, sans en savoir conscience, les Françaises préparent la Révolution à venir. Une Révolution qui leur ouvrira la voie de la liberté avant de brutalement la refermer !

Publié ou mis à jour le : 2024-01-27 23:37:00
sonate (11-03-2018 16:00:06)

Et dire que d'aucuns considèrent l'enseignement de l'histoire comme inutile ou presque ! Alors qu'il faudrait au contraire l'amplifier, en lui donnant une dimension internationale. Cette absence de ... Lire la suite

Dallemagne (06-03-2017 10:37:32)

Très intéressant article. Etonnant de voir comme le XVIème siècle voit le pouvoir officiel des femmes diminuer alors que règnent tant de femmes sur la France : Anne de Beaujeu, Anne de Bretagne, Louise de Savoie, Marguerite de Navarre, Diane de Poitiers, Jeanne d'Albret et, évidemment, l'incomparable Catherine de Médicis.

Epicure (06-03-2017 09:24:25)

Le Droit Romain est la plus grave erreur de l'Occident qui a effacé l'héritage hébraïque de l'Eglise Apostoliqsue en la Romanisant... La JusticeCharité fut remplacé par Dura Lex sed Lex et sa d... Lire la suite

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