Histoire universelle

États-nations : une exception historique

Au cours du dernier millénaire, les empires se sont imposés dans toutes les régions du monde qui ont dépassé le stade de la tribu ou de la cité-État !... Toutes ? Non, une ou deux régions ont échappé à la fatalité impériale.

Ces régions sont en premier lieu l’Europe occidentale et ses ramifications du Nouveau Monde, en second lieu le Japon.

Certes, ce dernier a toujours eu à sa tête un souverain qualifié d’empereur en français (Tenno en japonais) mais, comme les États-nations occidentaux, il n'a rien à voir avec notre définition d’un empire : un État multiculturel ou multinational reposant sur la force militaire.

André Larané

Rome : mort et résurrection

Gabriel Martinez-Gros a emprunté à l'historien Ibn Khaldoun une interprétation très éclairante de la façon dont naissent et meurent les empires. Elle s'applique à l'empire romain comme à la Chine impériale.

L'empire romain a sombré quand, ayant confié sa défense à des recrues venues des périphéries barbares, il n'a plus été en mesure de résister à leurs exigences. Dès le Ve siècle, sa partie occidentale a été envahie par les Germains et divisée entre plusieurs royaumes barbares, Wisigoths et Suèves en Ibérie, Ostrogoths puis Lombards en Italie, Francs en Gaule et Rhénanie.

Une vision très contemporaine et allemande des Migrations de peuples germainsContrairement à ce dont voudraient aujourd’hui nous persuader des historiens bien intentionnés, ces « Grandes Invasions » ou « Migration des peuples » (Völkerwanderung) n’ont eu rien de paisible ! L’archéologue Bryan Ward-Perkins souligne en effet la profonde dégradation des conditions de vie au tournant du Ve siècle, après l’Antiquité tardive des IIIe et IVe siècles, aux couleurs de l’automne.

Selon le schéma khaldounien : un empire meurt, un autre naît !, les Francs tentent de réunifier sous leur autorité l'ancien empire d'Occident. Leur chef Clovis fonde sa capitale dans une bourgade installée autour d’une île de la Seine, Paris ! Il établit son pouvoir sur un vaste territoire qui inclut une bonne partie de l'Allemagne et de la France actuelles, le Regnum francorum ou « Royaume des Francs ».

Mais à vrai dire, ni lui ni ses descendants, les rois mérovingiens, ne vont réussir à enrayer la ruine de l’Occident.

Il faut attendre près de trois siècles avant qu'une nouvelle famille franque essaie de relever l'empire. Ce sont les Pippinides, issus d’un certain Pépin de Herstal. Ils émergent avec Charles Martel et atteignent leur apogée avec le petit-fils de ce dernier, qui reçoit du pape le titre d’empereur d’Occident en 800. On le connaît aujourd’hui sous le nom de Charlemagne.

La chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle, résidence de CharlemagneSon empire amorce une timide « renaissance » de l’administration et de la vie intellectuelle. Mais il survit à peine plus d’un siècle à la mort de son fondateur, victime des guerres intestines, de la pression des nouveaux barbares : Vikings, Sarrasins et Hongrois, et de la pauvreté générale.

Cet empire carolingien est constitué, il est vrai, de la partie la plus déshéritée de l’ancien empire romain, lequel a laissé place à deux autres empires autrement plus riches, l’empire byzantin, centré sur Constantinople, et l’empire arabo-persan centré sur Bagdad. Qui plus est, les musulmans, en s’installant sur les rivages méditerranéens, ont pratiquement ruiné le commerce maritime entre l'Occident et l'Orient, selon la thèse développée par l’historien Henri Pirenne (Mahomet et Charlemagne, 1922).

Deuxième restauration impériale

L'empereur Otton II le Roux avec son épouse Theophano et leur fils, futur Otton III, au pied du Christ (ivoire, vers 980)Les barons allemands s’étant débarrassés des piètres descendants de Charlemagne, le Saxon Otton se fait couronner roi de Germanie à Aix-la-Chapelle, la capitale du grand empereur. Ayant ensuite vaincu les Hongrois, il met en 955 un terme définitif aux invasions barbares.

Le prestige acquis par cette victoire lui vaut d’être couronné « empereur et Auguste » par le pape en 962. Ainsi naît ce qui deviendra le Saint Empire romain germanique.

La chrétienté occidentale connaît un bel épanouissement dans les trois siècles suivants que les historiens conviennent d’appeler « beau Moyen Âge » : triplement de la population, essor de l’artisanat, du commerce et des villes, émergence du style gothique…

L'élan ralentit dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. Puis, la guerre de Cent Ans, à partir de 1337, et surtout la Grande Peste, dix ans plus tard, ravagent l’Europe… Celle-ci se remet de ses épreuves et en sort transformée.  

Rome et la Chine : même combat !

De façon a priori surprenante, la Chine suit un parcours très similaire à celui de l’empire romain.

L'empire Han, né deux siècles av. J.-C., s’effondre deux siècles après J.-C., victime comme Rome de dissensions civiles et d’agressions barbares. Ce n'est pas tout à fait une coïncidence : au début de notre ère, semble-t-il, un refroidissement climatique a contraint les Huns qui nomadisaient au coeur de l'Asie à chercher d'autres paturages pour leurs troupeaux. Ce faisant, ils ont poussé à l'Ouest les Germains à chercher refuge dans l'empire romain, à l'Est les Turcs, Ouigours et autres nomades à attaquer la Chine. 

Après une longue période de ténèbres, voilà qu’en Chine, un jeune notable ambitieux accède au pouvoir avec le concours des Turcs. Sous le nom de règne de Taizong, le « Charlemagne chinois » fonde en 626 la dynastie des Tang.

Un siècle plus tard, en 755, la Chine est frappée par l'insurrection la plus meurtrière qu’elle ait jamais connue : c’est la révolte d’An Lushan, fomentée par un général d’origine turque. Elle cause sans doute plus d’une dizaine de millions de morts sur une cinquantaine de millions d'habitants. La dynastie Tang ne s’en remettra pas.

L'empereur Song Taizu  (21 mars 927 - 14 novembre 976), musée national de Taipeh (Taiwan)À l’issue d’une nouvelle période d’anarchie, en 960 (deux ans avant le sacre d'Otton !), les chefs militaires portent sur le trône impérial l’un des leurs sous le nom de Taizu. Il fonde la dynastie des Song. La Chine va alors connaître pendant près de trois siècles une insolente prospérité et une civilisation florissante : forte croissance démographique, apparition de l’imprimerie, de la poudre, du papier-monnaie etc.

Les meilleures choses ont une fin : de la steppe surgissent cette fois les Mongols de Gengis Khan. Ils ravagent l'empire et s'emparent pour finir de Canton en 1278.

Selon la sempiternelle « loi des empires », ils fondent à leur tour une dynastie, les Yuan. Très vite sinisée et très vite affadie, elle est renversée en 1368 par une bande de rebelles bouddhistes venus du sud. Leur chef devient empereur sous le nom de Hongwu et fonde la dynastie des Ming.

On observe la même « loi des empires » en Orient : l'empire byzantin se réduit comme peau de chagrin sous la pression des Ottomans ; les Mongols de la Horde d'Or soumettent et pressurent le monde russe ; d'autres Mongols et Turco-Mongols anéantissent ce qui reste de l'empire de Bagdad et lui substituent leur propre violence ; en Inde du Nord, enfin, se succèdent les envahisseurs venus du nord-ouest.

  Empire romain Chine
-203
-146
 
Rome devient un « empire »
Gaozu fonde l'empire Han
 
221
476
 
fin de l'empire d'Occident
fin de l'empire Han
 
618
800
 
couronnement de Charlemagne
avènement de Tang Taizong
 
960
962
 
Otton fonde le Saint Empire
Hongwu fonde l'empire Song
 
1252
1268
 
mort de Frédéric II
conquête mongole
 

 

Les nations contre l’Empire

En Europe occidentale toutefois, l'Histoire prend un tournant qui échappe à l’historien Ibn Khaldoun, contemporain de cette époque.

Les successeurs d'Otton à la tête du Saint Empire n'arrivent pas à s'imposer face aux forces montantes : féodaux, Église et papauté, républiques urbaines, royaumes nationaux. La mort misérable de Frédéric II en 1252 inaugure un Grand Interrègne à l’issue duquel Rodolphe de Habsbourg est élu en 1273 à la tête de l'Empire. Une élection sans grande conséquence : lui-même et ses successeurs n’auront plus qu’un titre honorifique.

L'empire est évanescent mais l'on ne voit poindre à l'horizon aucun chef barbare, aucun sang neuf susceptible de le renouveler !

Les territoires de l'ancien empire carolingien, entre l’Èbre (Barcelone), l’Elbe (Hambourg) et le Tibre (Rome), auquel il faudrait ajouter l’Angleterre, commencent à se distinguer du reste du monde. De là va surgir la civilisation européenne dont nous sommes les héritiers, avec l’État de droit, la démocratie et la révolution industrielle...

Publié ou mis à jour le : 2023-02-25 20:12:38
charles (20-02-2017 13:05:02)

Les peuples des steppes qui ont envahi la Chine ont adopté la culture chinoise et sa géopolitique. C'est à souligner par rapport à ce qu'il s'est passé dans l'ex-empire romain.

Les peuples germains et huns qui ont envahi l'Europe ne s'adaptent qu'à une partie de la culture romaine. Ils adoptent, par exemple, la religion chrétienne devenue religion d'Etat dans l'Empire romain.

Les envahisseurs nomades arabes imposent leur culture au Proche-Orient et de l'Egypte au Maroc.
Les envahisseurs turques (nomades à l'origine) imposent leur culture dans l'empire byzantin défait.

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