Regards sur l'enfant

Époque moderne : l’enfant éduqué et cajolé

Une mutation s’opère au XVIIe siècle. Après avoir été vénéré au Moyen Âge, l’enfant devient un objet d’affection filiale et son éducation mobilise des efforts croissants.

La société occidentale lui accorde un statut d'adulte en devenir, premier signe d’une mutation profonde que les siècles suivants poursuivront dans des proportions inédites.

Visite à la nourrice, Jean-Honoré Fragonard, 1775, Washington, National Gallery of Art, États-Unis.

Un soin permanent

L’image du petit ourson que sa mère embellit et aide à grandir jour après jour illustre la conception de l’éducation au XVIIe siècle : il faut modeler patiemment ce petit cerveau tout mou ! À l’aube de ce que l’on a aussi surnommé le Siècle de l’éducation, le futur Louis XIV bénéficie des efforts de divers précepteurs, chacun maîtrisant un domaine précis comme le montrera Le Bourgeois gentilhomme de Molière (1670).

Ces spécialistes de l’histoire, des arts ou de la religion, ces maîtres de musique ou d’escrime mais surtout ces professeurs de danse vont apporter au petit héritier du trône connaissances et adresse, aussi bien dans l’exécution des menuets qu'en matière de décisions politiques.

Notons cependant que les petites filles, malgré l’expérience du pensionnat des Demoiselles de Saint-Cyr créé par Madame de Maintenon en 1684, devront encore attendre pour sortir de chez elles !

Portrait de Marc-Étienne Quatremère et sa famille, Nicolas-Bernard Lépicié, 1780, musée du Louvre, Paris.

« Respectez l’enfance » ! (Rousseau)

Portrait du jeune Henri Bertholet-Campan avec son chien Aline, Adolf Ulrik Wertmüller, 1786, musée national de Stockolm, Suède.Le XVIIIe siècle va accentuer le virage amorcé au XVIIe. On se penche enfin avec intérêt sur ce petit qui traîne dans nos pattes, on l’observe, on le teste. L’enfant ignoré, incapable de faire preuve de raison et de se tourner vers Dieu, devient l’enfant-roi désiré et choyé par toute sa famille.

Cette évolution vient en grande partie des hommes d’Église qui valorisent l’image de l’enfant Jésus tout en multipliant les innovations en matière d’instruction, en particulier chez les jésuites, pédagogues hors pair.

Au milieu du siècle, ce sont les philosophes des Lumières qui, aspirant au bonheur pour tous, s’interrogent sur la meilleure façon d’y parvenir en donnant toutes les chances aux futurs adultes. L’Émile de Jean-Jacques Rousseau (1772) est lu dans toutes les bonnes familles.

Fini l’adulte en réduction : l’enfant doit être considéré simplement comme... un enfant ! Il suffit de cultiver lentement ses instincts naturels tout en respectant sa liberté et son innocence. Plus d’emmaillotage et de corsets, de châtiments corporels et de larmes, le corps est amené à se développer en toute autonomie loin des livres, que Rousseau lui-même prétend détester.

Infants et paysans à égalité

C’est la Révolution ! Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative ajoute une petite ligne dans ses nouvelles lois : « Toute personne âgée de vingt et un ans accomplis est majeure ».

Ce qui est nouveau, c'est que la mesure s'applique à tous les citoyens sans exception, alors que, sous l’Ancien Régime, la majorité royale était par exemple fixée à treize ans et un jour. Dans le même temps, il s’agit de limiter l’autorité paternelle quitte à introduire une prise en charge par l’État des nécessiteux.

L’Assemblée, à un moment où le pays est en grand péril, a aussi dans l’idée de faciliter le recrutement de nouveaux soldats même si ceux-ci n’ont guère de poils au menton.  Cette précocité ne scandalise pas ceux qui ont l’habitude de croiser dans les ports de très jeunes mousses et de voir les « enfants de troupes », fils de cantinières ou prostituées, suivre les régiments comme domestiques ou tambours.

La Chasse aux Papillons, Berthe Morisot, 1874, musée d'Orsay, Paris.

« Le vert paradis des amours enfantines » (Charles Baudelaire)

Pour les poètes romantiques du début du XIXe siècle, déboussolés par une époque qui ne répond pas à leurs attentes, l’enfance se fait refuge et paradis perdu. « Qui me rendra ce jour où la vie a des ailes ? » (Marceline Desbordes-Valmore, 1833).

Le roi de Rome endormi sur les genoux de son père dans son cabinet de travail des Tuileries, ?uvre présumée de Jean-Baptiste Isabey, 1815, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.Poussé par la nostalgie, on se rapproche de ces enfants qui représentent un idéal d’innocence disparue à jamais ou, pour les croyants, le « Dieu visible » cher à Victor Hugo.

On entoure les enfants, on partage leurs promenades, on cherche à leur faire plaisir en leur offrant les derniers ouvrages de la comtesse de Ségur ou de Jules Verne. C’est bien sûr l’occasion de faire intervenir le père Noël qui a officiellement quitté la Laponie pour la première fois en 1823.

Mais il n’y a pas que le jeu dans la vie : on accueille les enfants à la crèche - à partir de 1844 à Paris - puis à l’école primaire dont chaque commune a dû se doter dès 1833 sur injonction du ministre François Guizot. Les plus doués vont au lycée et accèdent au baccalauréat, institué en 1808 par Napoléon Ier.

En 1881-1882, le ministre Jules Ferry impose l’école laïque et gratuite. Commence le temps des « hussards noirs de la République », surnom donné aux instituteurs qui sont chargés de consolider la patrie, mise à mal par la défaite de 1870.

Six cent mille nouveaux élèves sont envoyés sur les bancs de la salle de classe, ce qui finit de fragiliser l’autorité des chefs de famille, notamment dans les campagnes, mais améliore aussi les conditions de vie en sensibilisant les plus petits aux notions d’hygiène et de bien-être.

En ville, en cette fin du XIXe siècle, l'enfant devient l'accomplissement du mariage d'amour revendiqué par les jeunes générations. Rien d'étonnant à ce qu'il s'invite dans la peinture impressionniste, offrant de la famille une image idéale quelque peu éloignée de la réalité.

Petits princes fragiles

On a appris d'un médecin de Vienne, célèbre pour son canapé, que tous les enfants ont plus ou moins de difficultés à devenir des grandes personnes. Pour Sigmund Freud, en effet, tout se joue dans les premières années. Si l'adulte est mal dans sa vie, c'est qu'il a vécu une expérience traumatisante étant enfant.

La psychanalyse va inspirer les pédiatres comme Françoise Dolto pour qui l'adolescent est « un homard pendant la mue […], confronté à tous les dangers » (Le Complexe du homard, 1991). De fait, malgré ou à cause du bien-être économique, les Trente Glorieuses vont se révéler pleines de tentations dangereuses pour les nouvelles générations, de la publicité aux jeux vidéos.

Avec la maîtrise de la fécondité, les enfants sont désormais non seulement désirés mais programmés. Avec le développement du salariat féminin, c'est aussi de plus en plus par la garderie et l'école que passe leur socialisation.

Dans le même temps, nombre de couples explosent et génèrent des familles dites « recomposées » où l'enfant doit se faire une place entre parents biologiques et beaux-parents en attendant de pouvoir s'émanciper.

Beaucoup d'adolescents en révolte et tentés par les comportements à risque sont susceptibles de reprendre à leur compte le cri de rage d'André Gide : « Famille, je vous hais ! » L'enfance et l'adolescence conservent leur lot de souffrances.

Publié ou mis à jour le : 2019-06-12 16:28:46
Lillya (24-12-2016 16:24:33)

Bonjour,
Au xx ieme siècle, dans les années 50, les bébés étaient encore emmaillotes dans la région lyonnaise.

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net