Regards sur l'enfant

Moyen Âge : le Salut vient de l’Enfant

L'entrée dans l'ère chrétienne bouleverse la vision portée sur l’enfant. Celui-ci n'est plus un gêneur que l'on abandonne, expose ou sacrifie. Instruits par le Nouveau Testament, le clergé et les élites le regardent désormais, dans sa fragilité et son innocence, comme un préposé au Royaume de Dieu.

Les artistes ne s’y trompent pas en privilégiant les scènes de tendresse entre le fils du Créateur et ses proches.

Isabelle Grégor

Christ bénissant les enfants, vers 1545, Lucas Cranach Le Jeune, New York, Metropolitan Museum of Art.

L'enfant, symbole d'innocence

Jésus lui-même ne cesse de valoriser le jeune âge, synonyme d’innocence : « Laissez venir à moi les petits enfants ! Ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu » (Évangile de saint Marc, Ier siècle).

Le puer (qui viendrait du latin puritas, « pureté ») est vu comme un être à part, semblable aux anges auxquels il va donner son apparence. Son innocence en fait un intermédiaire tout trouvé entre l’homme et Dieu, et il n’est donc pas étonnant qu’à partir du XIIe siècle le culte de l’enfant Jésus se développe avec le point d’orgue des fêtes de Noël.

C’est aussi à cette époque que l’on s’inquiète du sort des nouveau-nés non baptisés et donc condamnés à l’Enfer, puisqu’ils sont comme tout un chacun marqués par le péché originel.

Pour éviter cette cruauté, on commence à évoquer les limbes (« bordures »), lieu un peu flou qui leur éviterait les tourments éternels sans pour autant que leur soit accordé l’accès au Paradis. Cette création montre toute la bienveillance accordée à l’enfant au Moyen Âge, même si la réalité était moins douce.

Pour le monde médiéval en effet, l’enfant reste un petit être inachevé qu’il va falloir rapidement modeler. On commence par l’enfermer dans un cocon en l’emmaillotant de la tête aux pieds pour lui éviter toute liberté de mouvement afin qu’il ne déforme pas ses petits membres.

Présentation de Jésus au Temple, Giovanni Bellini, 1460, Pinacothèque Querini-Stampalia, Venise.

Quelle tranquillité aussi pour les parents ! Et tant mieux si la crasse s’y complaît puisqu’il était entendu jusqu'au XVIIe siècle qu’elle avait un rôle protecteur. On comprend mieux que le taux de mortalité infantile est longtemps resté très élevé et que les familles ne s’attachent guère à ces « pouparts » trop fragiles (dans l’Ancien Régime, un enfant sur quatre meurt dans ses premiers mois et près de la moitié n'atteignent pas l'âge adulte).

« J’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regrets, mais sans fâcherie » fera dire Molière à son Malade imaginaire, preuve que ce sentiment a longtemps perduré. On ne voit souvent dans l’enfant qu’une source de distraction, un « passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes » (Montaigne, Essais, XVIe siècle).

Vierge avec le Christ endormi, Andrea Mantegna, 1465, Berlin, Gemäldegalerie. Le garçon ne commence sa véritable existence qu’à sept ans, le fameux « âge de raison » où il peut enfin apprendre et obéir. Il est alors poussé vers la condition adulte en assimilant le métier de son père ou en intégrant un monastère.

Dans la société féodale, le monastère est un refuge pour beaucoup d'enfants pauvres et une voie d'ascension prestigieuse pour les plus doués. C’est ainsi que le jeune Gerbert, fils de paysans, fut accueilli à douze ans chez les bénédictins d’Aurillac, début d’un parcours qui le conduisit à la papauté en 999 sous le nom de Sylvestre II.

Les garçons de milieux nobles poursuivent leur formation sous l’autorité d’un pédagogue jusqu’à dix ans, lorsqu'ils doivent acquérir les valeurs chevaleresques.

Du côté des filles, la fausse étymologie de mulier (« femme ») qui, selon certains malintentionnés, viendrait de mollis aer (« air mou »), montre à quel point on ne montrait que peu d’intérêt pour leur devenir. Elles devaient se contenter de devenir gracieuses et honnêtes en attendant le mariage ou l’entrée au couvent.

N’en déduisons pas que les enfants n’étaient pas aimés : les nombreuses images de Marie - mais aussi de Joseph « redécouvert » à la fin du Moyen Âge - nous prouvent que complicité et tendresse au cœur de la famille étaient des valeurs importantes pour tous...

Cérémonie de confirmation d'un jeune chrétien, guidé par son père, son parrain et un clerc, Le dyalogue dou pere et dou filz, France, XIVe siècle, Paris, BnF, département des Manuscrits.

Des enfants sur la route de Jérusalem ?

En 1212, deux croisades populaires partent d’Allemagne et de France pour rejoindre la Terre sainte. Elles sont composées de pueri, terme que l’on peut traduire par « enfants » mais aussi par « miséreux », laissant le doute sur l’âge véritable des participants au cortège.
« Cette année, il y eut une expédition assez miraculeuse d'enfants venus de partout. Lorsqu'ils furent environ 30 000, ils allèrent à Marseille, voulant traverser la mer pour lutter contre les Sarrasins. Les ribauds et d'autres hommes mauvais qui s'étaient joints à eux souillèrent toute l'armée, de telle sorte que pendant que certains périssaient en mer, et que d'autres étaient vendus, seuls quelques-uns d'une telle multitude rentrèrent chez eux. […] On dit que ceux qui trahirent ces enfants furent Hugues Ferreus et Guillaume Porcus, marchands de Marseille. Comme ils étaient capitaines de navires, ils étaient censés les transporter gratuitement outre-mer pour la cause de Dieu, comme ils le leur avaient promis. Ils remplirent sept grands navires avec eux ; et après deux jours de voyage, une tempête se leva, deux navires furent perdus, et tous les enfants à bord noyés. Les traîtres pendant ce temps conduisirent les cinq autres navires à Bourgie et Alexandrie, et là vendirent tous ces enfants. Dix-huit ans après l'expédition, ajoute mon informateur, Mascemuch d'Alexandrie en possédait toujours sept cents, non plus des enfants mais des hommes faits » (Alberyc de Trois-Fontaines, Chronique, 1232).

La Vierge et deux anges, Sandro botticelli, vers 1468, musée nationale de Capodimonte, Naples, Italie.

Gentil géant et petits anges

Avant le XVIe siècle, on ne trouve hors contexte religieux que très peu de représentations d’enfants en bas âge, comme si l’on attendait d’être sûr de leur survie pour songer à en garder le souvenir. Mais avec les progrès de la sensibilité, on commence à regarder autrement ces créatures étranges.

Ce ne sont plus de futurs adultes dont il faut attendre patiemment l’évolution, ce sont des individus qu’il faut former. Se multiplient à la Renaissance les traités pédagogiques donnant des conseils aussi bien pour l'apprentissage  des humanités (langues anciennes) que de la vie en société, avec une attention inédite donnée à la condition physique. C’est le retour du principe antique : « Un esprit sain dans un corps sain » (Juvénal, Ier siècle) !

Et voici comment le jeune Gargantua se retrouva avec un emploi du temps qui ferait peur à nombre de nos écoliers : lecture, arithmétique, astronomie, musique… Il doit tout maîtriser pour devenir un homme complet, image en devenir de « l’honnête homme » du XVIIe siècle. Dans le même temps, en 1548, Ignace de Loyola ouvre à Messine le premier collège jésuite où discipline rime avec religion et connaissance des textes de l’Antiquité.

Certes, on continue à voir dans les tout-petits des objets de divertissement, mais l’épisode devenu légendaire du « bon roi » Henri IV à quatre pattes avec ses enfants sur le dos illustre à quel point même le plus grand des souverains ne craint plus de montrer toute son affection. Les angelots entament leur conquête des églises.

Le dyalogue dou pere et dou filz, France, XIVe siècle, Paris, BnF, département des Manuscrits. Le père apparaît ici comme éducateur et donneur de leçons.

Comment devenir un parfait humaniste

« Gargantua se réveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on l’astiquait, on lui lisait une page de la divine Écriture, à haute et intelligible voix et avec une diction claire ; mission confiée à un jeune page natif de Basché, nommé Anagnostes. En fonction du thème et du sujet de ce passage, il se consacrait à vénérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, dont la lecture montrait la majesté et le jugement merveilleux. Puis il se retirait aux lieux d’aisances pour se purger de ses excréments naturels. Là son précepteur répétait ce qui avait été lu en lui expliquant les points les plus obscurs et difficiles. En revenant, ils considéraient l’état du ciel : s’il se présentait comme ils l’avaient noté le soir précédent, dans quelle partie du zodiaque entraient le soleil et la lune pour la journée. Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, adorné [embelli] et parfumé ; pendant ce temps on lui répétait les leçons de la veille. Lui-même les récitait par cœur et en tirait quelques conclusions pratiques sur la condition humaine ; ils y passaient parfois jusqu’à deux ou trois heures, mais d’habitude ils s’arrêtaient lorsqu’il avait fini de s’habiller. Puis pendant trois bonnes heures on lui faisait la lecture.
Cela fait, ils sortaient, en conversant toujours du sujet de la leçon et allaient se récréer [se détendre] au Jeu de Paume du Grand Braque ou dans une prairie ; ils jouaient à la balle ou à la paume, s’exerçant le corps aussi lestement qu’ils l’avaient fait auparavant de leur esprit. […]
Ainsi, il se prit de passion pour la science des nombres, et tous les jours, après dîner et souper, ils y passaient leur temps aussi agréablement qu’il le faisait avant avec des dés ou les cartes. […] Et [il n'étudiait] pas seulement l’arithmétique, mais des autres branches des mathématiques, comme la géométrie, l’astronomie et la musique ; en effet, en attendant l’assimilation et la digestion du repas, ils réalisaient mille joyeux ensembles et figures de géométrie, et de même pratiquaient les règles de l’astronomie. Après, ils s’amusaient à chanter avec accompagnement de musique à quatre ou cinq parties, ou avec des variations libres sur un thème »
(François Rabelais, Gargantua, 1534).

Bibliographie

Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, éd. du Seuil, 1973,
« L’Enfant et la famille », Les Collections de l’Histoire, juillet-septembre 2016,
Les Grands événements de l’Histoire des enfants, éd. Larousse (« La Mémoire de l’Humanité »), 1995,
Sébastien Allard, Nadeije Laneyrie-Dagen, Emmanuel Pernoud, L’Enfant dans la peinture, éd. Citadelles et Mazenod, 2011.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-15 09:49:41

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