Dès l'élection qui fait de lui en 1848 le premier président de la République française, Louis-Napoléon Bonaparte témoigne d'un art remarquable des relations publiques qui va faire oublier son passé d'aventurier et d'agitateur révolutionnaire.
1852 : s'étant proclamé Empereur des Français à l'issue d'un coup d'État, il accompagne la France dans une transformation comme elle n'en a jamais connue dans son Histoire. En deux décennies, sous le Second Empire, le pays saute à pieds joints dans la révolution industrielle et toutes les classes de la société voient leur bien-être s'accroître.
Ces transformations se déroulent dans une atmosphère festive destinée à éblouir l'Europe, légitimer son régime et rallier tant les élites traditionnelles que la bourgeoisie et la classe intellectuelle, royalistes et républicains inclus.
Une splendide exposition, au Musée d'Orsay (Paris), jusqu'au 16 janvier 2017, nous replonge dans ce spectaculaire Second Empire (Photos : Sophie Boegly, Musée d'Orsay):
Un expert en relations publiques
Avant quiconque, Louis-Napoléon Bonaparte a compris l'enjeu de la communication. Il se sert des relations publiques comme d'un instrument politique.
Instruit par ses tribulations antérieures, il est aussi sans préjugés à l'égard des innovations de son temps.
Il a découvert en Angleterre l'intérêt du timbre-poste pour sa propagande et, comme la jeune reine Victoria, fait imprimer son portrait de président puis d'empereur sur les petites vignettes.
Il utilise aussi, plus classiquement, la peinture pour faire passer ses messages. L'une des premières toiles de son règne montre une réception de l'ambassade du Siam au palais de Fontainebleau. C'est un clin d'œil à l'ancienne monarchie, la dernière toile officielle représentant Louis XIV se rapporte également, en effet, à une réception du Siam.
Les peintres mettent en avant aussi le souverain thaumaturge, qui guérit et console à l'image de ses illustres prédécesseurs. On le voit ainsi porter secours à des victimes d'inondations à Lyon. L'impératrice Eugénie se met aussi en scène en dame de charité.
Jean-Baptiste Carpeaux est le grand sculpteur du Second Empire. On se dispute les copies en réduction de sa statue du Prince impérial avec son chien Néro. Avec ses culottes bouffantes et sa houppette, on croirait une représentation de « Tintin » en plus jeune !
Le Second Empire est marqué aussi par la révélation de la photo. Nadar s'illustre dans le portrait artistique. Son contemporain André Disdéri (1819-1889) préfère quant à lui le public bourgeois et populaire. Il invente et brevète la photo-carte de visite en 1854. Grand succès pendant quinze ans. En 1852, Napoléon III fait réaliser la première photo officielle ; ce n'est pas un franc succès vu les contraintes de pose qui ne flattent pas le sujet.
Paris en chantier, Tuileries en fête
Tous les événements du règne et de la famille impériale donnent lieu à des fêtes populaires et bourgeoises. Courus du tout-Paris, les bals du palais des Tuileries réunissent trois mille à quatre mille invités en hiver. Ils font aussi les délices de l'aristocratie européenne. De Londres comme de Berlin, on se précipite à Paris pour en savourer les plaisirs, au milieu des chantiers du baron Haussmann.
Napoléon III veut inscrire son règne dans la pierre. Il poursuit au Louvre le « grand dessein » de la monarchie, inauguré par Henri IV... et conclu par François Mitterrand.
L'aspect actuel du palais lui doit beaucoup, avec ses deux ailes sur la Seine et la rue de Rivoli, si ce n'est la disparition du palais des Tuileries, brûlé pendant la Semaine Sanglante et rasé ensuite.
En 1855 s'ouvre entre les Champs-Élysées et la Seine la première Exposition universelle, inspirée de l'exemple anglais.
Le centre en est le Palais de l'Industrie, qui sera détruit en 1897 et remplacé par le Grand Palais et le Petit Palais.
En 1867, une deuxième Exposition universelle, de bien plus grande ampleur, entre les Champs-Élysées et le Champ de Mars, permet à l'empereur d'accueillir fastueusement toutes les têtes couronnées.
Le cur de l'exposition est un anneau géant qui entoure un jardin, sur le Champ de Mars, entre la Seine et l'École Militaire. Parmi ses concepteurs figure un jeune ingénieur du nom de Gustave Eiffel. Il fera plus tard parler de lui.
En marge de l'exposition, les visiteurs peuvent aussi admirer le nouveau Paris élargi en 1860 à vingt arrondissements, avec ses larges avenues, ses immeubles aux fières façades néo-classiques, ses cités ouvrières d'avant-garde et ses gares aux allures de palais.
L'empereur n'est pas à bout d'idées. Il a encore commandé un nouvel Opéra sur les plans d'un jeune inconnu, Charles Garnier. Théophile Gautier le qualifie de « cathédrale mondaine de la civilisation ». Destiné avant tout à la représentation, il ne sera inauguré que sous la IIIe République, laquelle reprendra sans mal les traditions festives inaugurées par le Second Empire.
Le cousin de l'empereur, le prince Napoléon-Jérôme, surnommé Plonplon, a également le goût du faste. Il fait construire dans l'avenue Montaigne une Maison pompéienne pour sa maîtresse, l'actrice Rachel. La maison sera rasée en 1890.
Tout cela ne coûte pas si cher malgré ce qu'en disent les mauvaises langues comme le républicain Jules Ferry qui publie en 1868 une diatribe ironiquement intitulée : Les Comptes fantastiques d'Haussmann, en clin d'oeil à l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach, Les contes fantastiques d'Hoffmann. C'est que les travaux d'urbanisme sont financés par la croissance économique et les promoteurs. Quant aux fêtes, elles sont pour l'essentiel financées sur la liste civile de l'empereur (deux millions de francs par an, rien d'excessif au demeurant).
Aimez-moi !
L'urbanisme et le mobilier de cette époque n'engendrent pas un style Napoléon III. On a plutôt affaire une orientation stylistique qui revisite les styles du passé : le style Louis XIV pour la réception, Louis XVI pour l'intime, néogothique pour le religieux. L'impératrice Eugénie se prend quant à elle de passion pour le style Louis XVI et pour Marie-Antoinette en particulier.
Napoléon III n'a pas la fibre artistique ou intellectuelle. Ses passions le portent vers l'économie et le social plus que le mécénat. Du coup, il est sans a priori et par exemple ouvert aux tendances nouvelles comme l'impressionnisme.
En 1863, quand Édouard Manet est exclu du Salon officiel en raison du caractère jugé impudique de son Bain (le Déjeuner sur l'herbe), l'empereur fait en sorte qu'il puisse être accueilli avec d'autres artistes maudits dans un « Salon des refusés ».
Soucieux de rallier à son régime et à sa dynastie toutes les élites françaises, sans esprit de classe, l'empereur organise chaque année dès l'automne 1856 des « séries » d'invitations au château de Compiègne, chacune d'une semaine.
Il y en a pour les gens de lettres, pour les industriels, les diplomates etc. Prosper Mérimée, l'auteur de Carmen et Colomba, fait partie des proches du couple impérial et c'est à l'occasion de ces invitations qu'il propose une fameuse dictée pour égayer les soirées...
À chaque « série », on ne manque pas non plus d'aller voir l'avancement du chantier de Pierrefonds, un château médiéval proche de Compiègne dont l'architecte Viollet-le-Duc a entrepris la « restitution » à la demande de Napoléon III.
Le comte de Nieuwerkerke, directeur général des musées, assume sa part des relations publiques de l'empereur.
Avec sa maîtresse, la princesse Mathilde, fille de Jérôme Bonaparte et nièce de l'empereur, il reçoit à Paris aussi bien Gustave Flaubert que les frères Goncourt, Paul Bourget, Sainte-Beuve, Théophile Gautier ou le peintre Baudry. Peu importe que certains hôtes soient républicains ou sujet, comme Flaubert, à des tracasseries judiciaires.
Franc succès au final. Aucun artiste ou écrivain de talent ne reste insensible à ces cajoleries. À une exception près... Pas de chance pour Napoléon III : il s'agit du plus grand poète de son siècle, Victor Hugo !
Il réussira par la seule force de son verbe (Les Châtiments) à effacer le souvenir de la « fête impériale » et les indéniables succès du Second Empire (c'est comme d'imaginer que Picasso soit entré en révolte contre le général de Gaulle...).
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Magrou (13-12-2016 17:25:00)
Il n'y a que les résultats qui comptent et historiquement Napoléon lll a été un homme extraordinaire
La transformation de Paris dans l'état magnifique qu'on lui connaît, Nice et la Savoie: deux perles dont la France peut se magnifier grâce a lui. Incroyable époque. Il fut dénature par Victor Hugo vexé de ne pas être devenu ministre. Minable!
Quelle chance pour la France d'avoir été gouvernée par cet homme et quelle ingratitude de sa part de ne pas l'avoir reconnu.
Mais de tout temps la France a eu ce grave défaut d'être une affreuse ingrate!
Le fait d'homme politiques indignes, surtout a gauche par pure idéologie. Des gens stupides et vindicatifs.
GM
Sand (13-12-2016 16:24:41)
J'aimerai avoir une précision. Dans une des revues de l'exposition au musée Orsay, il est indiqué que la réception de l'ambassade du Siam avait eu lieu à Fontainebleau. Dans votre article vous évoquez le palais de Tuileries. Quid du lieu de cette superbe toile ?
Merci pour la réponse
Magrou (09-12-2016 19:51:25)
Il n'y a que les résultats qui comptent et historiquement Napoléon lll a été un homme extraordinaire
La transformation de Paris dans l'état magnifique qu'on lui connaît, Nice et la Savoie: deux perles dont la France peut se magnifier grâce a lui. Incroyable époque. Il fut dénature par Victor Hugo vexé de ne pas être devenu ministre. Minable!
Quelle chance pour la France d'avoir été gouvernée par cet homme et quelle ingratitude de sa part de ne pas l'avoir reconnu.
Mais de tout temps la France a eu ce grave défaut d'être une affreuse ingrate!
Le fait d'homme politiques indignes, surtout a gauche par pure idéologie. Des gens stupides et vindicatifs.
GM
Percy (13-11-2016 12:12:51)
"Esprit chagrin /.../ aux raisonnements convenus" selon Jack, je me sens plus proche de Proudhon et d'Hugo que des gaietés parisiennes. Je m'étonne que l'on puisse encore justifier l'expédition du Mexique dont l'échec est patent et le bilan lourd : 1 960 tués au combat, un peu plus de 7 000 morts de dysenterie, paludisme et fièvre jaune.
UN grand politique aurait mieux fait de secourir l'Autriche à Sadowa ou de rechercher l'alliance de la Russie (comme l'a fait la IIIème République) au lieu de sacrifier ses meilleures troupes sur les glacis de Sébastopol.Bilan de la guerre de Crimée : 309 000 hospitalisés, 80 590 morts des suites de blessures ou de maladies (paludisme, dysenterie et fièvre jaune), + 15 055 morts après le rapatriement en France.
Certes conscient que personne ne changera d'avis, je cesse ici cette discussion...
Jack (10-11-2016 12:34:09)
A lire certains commentaires on peut constater que l'esprit de Victor Hugo, formidable poète et piètre politique,et celui de Proudhon l'anarchiste, imprègnent toujours quelques mentalités aux raisonnements convenus et leur confisquent la justesse du jugement sur Napoléon III : bien sûr le XIX è siècle a été pour l'Europe entière une période extraordinaire qui a vu naître et se
développer un monde industriel puissant et conquérant et, en parallèle, sa conséquence, soit la naissance et le développement d'un prolétariat dû à la dure condition ouvrière et à l'afflux des campagnes vers les villes: c'est exactement ce que nous voyons aujourd'hui chez les pays abordant leur industrialisation au XXIè siècle,principalement en Asie, dans un mouvement surpuissant de domination économique mais au prix, ici encore, de quels sacrifices en hommes !! Ce sont là des faits historiques, mais qu'ils ne nous cachent pas et ne ternissent pas l'avers brillant pour notre pays que fut dans cette Europe et dans ce monde en effervescence du XIXè siècle, le règne de Napoléon III, ses avancées sociales dues à son intérêt pour ces problèmes (CF: L'extinction du paupérisme), ses interventions constantes dans la modernisation de la France,industrialisation, infrastructures, protection du patrimoine...etc. Quel chef d'état français a eu une telle vision du rôle de la France en Europe (Italie notamment)et dans le monde, Canal de Suez notamment, mais aussi intervention au Mexique, sottement décriée par ces petits esprits chagrins qui regardent toujours par le petit bout de la lorgnette,qui ne voient que des verres à moitié vides ou, comme Voltaire, que "quelques arpents de neige" dans la perte de l'immense Canada ..., menée pour barrer la route au formidable expansionnisme américain qui venait d'avaler plus de la moitié du Mexique et s'apprêtant peut-être à faire mieux encore(ils l'ont fait un peu plus tard avec Cuba et les Philippines...). Ce fut là, malgré la fin tragique du 3è Empereur du Mexique, une très belle action de d'une France responsable sur la carte du monde. Cette haute vision de notre pays ne se retrouvera plus chez un chef d'état français qu'avec Charles De Gaulle.Alors, par pitié, ajustons nos paroles à la réalité des faits, sans a priori, SVP.
Percy (09-11-2016 11:41:57)
Triste second Empire...
Un empereur bâtard (ou tout au moins de légitimité douteuse), conspirateur et usurpateur.
Une politique étrangère désastreuse : la ridicule expédition du Mexique, les milliers de morts du typhus et du scorbut de la stupide guerre de Crimée, la boucherie de Solferino, le désastre de Sedan, prélude de toutes les catastrophes du XXème siècle.
La condition ouvrière restée misérable : lire par exemple la thèse de P. Pierrard sur la condition ouvrière à Lille sous le second Empire.
M. Estrosi voudrait faire revenir en France les cendres de Napoléon III, de l'impératrice et du prince impérial. La République serait bien mal inspirée de rendre un honneur quelconque à ce président élu au suffrage universel et qui s'est empressé de la saborder, par un coup d'état sanglant (au contraire du 18 brumaire).
Oui, la fête n'était pas pour tout le monde...
Michel Dupré (08-11-2016 16:46:35)
Juste un petit anachronisme dans votre article : "les comptes fantastiques d'Haussmann" écrits en 1868 ne peuvent faire référence à l’œuvre d'Offenbach écrite dans les années 1880 (en partie inachevée à la mort du compositeur)
Linaura Catalina (07-11-2016 13:30:42)
Monsieur Robbe Saul Bernard, vous avez raison; mais cette manière existentielle est visible au cours de l Histoire depuis des milliers et milliers d années...
PENSEZ VOUS QUE CELA CHANGERA ??? et sous quelle forme et avec quel fond de société et système...?
Robbe Saul Bernard (07-11-2016 08:14:52)
"Ces transformations se déroulent dans une atmosphère festive"mais pas pour tous dans cette France qui s'industrialise.Ne pas oublier le déracinement,les conditions de travail,de logement et de salaire déplorables des ouvriers masculins féminins et des enfants.L'atmosphère festive n'est que pour quelques uns.