Jardins persans et orientaux

Le paradis sur terre

Le paradis sur terre ? Rien moins qu'un jardin persan...

Aujourd'hui, dans notre environnement urbain et artificialisé, les jardins offrent d'indispensables havres pour la promenade et le retour à la Nature. Rien de tel dans la haute Antiquité, quand les hommes devaient supporter une nature rude et hostile !

Sur les plateaux iraniens au climat subdésertique, les Persans ont conçu l'art des jardins, en distinguant le verger (bûstan), la cour urbaine (rîyadh), le jardin des roses (gulistân), le jardin d'agrément (hadîqa ou firdous). Ils ont inventé des lieux clos à l'abri des bêtes sauvages et des brigands, du sable et de la sècheresse.

En ces lieux rectangulaires, entourés d'une galerie couverte, les bassins et l'eau jaillissante, les fleurs et les oiseaux composent un décor propre à l'exaltation des sens. On ne s'y promène pas mais l'on s'y recueille afin de voir, sentir et écouter.

Faut-il s'étonner si l'expression par laquelle les Persans désignaient un lieu clos (pairiḍaēza) a désigné dans la Bible le jardin d'Éden et est devenue dans notre langue le « paradis » ?

Camille Vignolle

Le prince Alamshah Rustam et son amoureuse Mihr Afruz dans un pavillon de jardin (Inde, XVIe siècle, Albert and Victoria Museum, Londres)

Jardins persans

Dans l'ancienne Perse, les jardins avaient une signification religieuse qui nous reste mystérieuse, avec des plate-bandes de fleurs qui s'ordonnaient systématiquement autour d'un bassin en croix.

Ce motif géométrique se retrouve sur les tapis, avec également de nombreuses représentations de fleurs. On parle alors de tapis-jardins, comme le légendaire Bahar i Khosro (« Le printemps de Chosroès ») dont les 25 m2 ornaient la salle d'audience du palais de Ctésiphon, au sud de Bagdad, au VIe siècle.

Le jardin persan s'est diffusé autour de la Méditerranée, notamment dans l'empire romain, quoiqu'avec moins de finesse que dans son milieu d'origine. Les Hébreux devaient penser à lui quand ils ont évoqué le jardin d'Éden. Plus tard, des théologiens chrétiens plus prosaïques ont voulu voir dans sa disposition cruciforme une évocation de la croix du Christ.

Au Moyen Âge, ce « paradis » a été réinventé sous la forme du cloître, avec une galerie autour de laquelle circulent les moines en communion avec le ciel. Le climat tempéré de l'Europe a toutefois entraîné la disparition des bassins et leur remplacement par un simple puits.

Prince dans un jardin (miniature séfévide, vers 1525, Iran, Metropolitan Museum of Arts, NY)L'islam, quand il s'est implanté en Perse, a aussi adopté ses jardins. Les théologiens musulmans ont vu dans les quatre branches des bassins rituels une préfiguration des fleuves que le Coran décrit comme étant ceux du paradis (le mot est ici employé dans son sens contemporain : le séjour des bienheureux) :

« Voici la description du Jardin promis à ceux qui craignent Allah. Il y aura là des fleuves dont l'eau est incorruptible, des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent, des fleuves de miel purifié. Ils y trouveront aussi toutes sortes de fruits et le pardon de leur Seigneur » [Coran XLVII, 15].

Belle orientales

Annica Bricogne, Rose de la reine, Planche extraite de Choix des plus belles roses peintes d'après nature de Victor Pâquet, 1855, Paris, Bibliothèque de la Société nationale d'horticulture de FranceParmi les plus beaux cadeaux que nous a faits l'Orient figurent les reines de nos jardins : la rose et la tulipe.

La rose aux lointaines origines chinoises s'est épanouie en Perse où on lui a consacré un type de jardin, le golistan ou « jardin des roses ». Elle est arrivée en Europe dans les fourgons des croisés et s'y est acclimatée au point de devenir la muse des poètes.

La tulipe, quant à elle, a fait la fierté des sultans ottomans avant que des voyageurs néerlandais ne se l'approprient. Et très vite elle est devenue l'objet d'une spéculation effrénée à la Bourse d'Amsterdam. Elle est responsable du premier krach de l'Histoire mais il y a prescription.

Jardin de palais, Hyderabad (gouache, vers 1750, Paris, fondation Custodia)

Délices indiens

Babur lisant un livre (enluminure du XVIe siècle, British Museum, Londres)Quand les Perses, devenus musulmans, ont à leur tour emplanté l'islam en Inde, ils ont introduit l'art des jardins dans le sous-continent.

Le premier conquérant moghol, Babur chah, se signale ainsi par la création de magnifiques jardins d'agrément de style persan et ses rivaux hindoux ne vont pas manquer de l'imiter.

Mais c'est surtout dans le domaine funéraire que les Moghols vont se singulariser.

Les grands tombeaux de la dynastie, si belle que soit leur architecture, accèdent au sublime grâce aux jardins qui les entourent.

Ainsi du tombeau d'Humayun à Delhi et bien sûr du Taj Mahal à Agra.

Le tombeau de l'empereur Humayun à Dlhi (aquarelle du XIXe siècle, Londres)

Eaux d'Égypte

Tournons nos yeux maintenant du côté de la Méditerranée. Là, l'art persan des jardins va se dissoudre dans un ensemble de traditions venues du monde gréco-romain et de l'Égypte pharaonique.

Les Égyptiens ont inventé au milieu du désert la première grande civilisation fondée sur une agriculture intensive, grâce à une savante gestion des crues du Nil. Ils ont aussi créé dans la vallée de grands bassins d'eau tranquille destinés à l'irrigation comme à l'agrément.

Le bassin de la Menara, près de Marrakech, DRCes bassins ont séduit les conquérants musulmans sortis des rudes oasis de la péninsule arabe de sorte que l'on en rencontre aussi dans le monde musulman.

Le plus connu se situe dans l'immense oasis de Marrakech qui a donné son nom au Maroc. C'est la Ménara, vaste bassin rectangulaire destiné à l'irrigation d'une oliveraie, avec sur ses bords un délicat pavillon où venaient se prélasser le sultan et ses proches.

Eau précieuse

Norias à Hama, Syrie, 1975, DRL'art des jardins est indissociable d'une bonne gestion de l'eau. Perses et Iraniens ont ainsi mis au point de savants systèmes tels que la noria, roue à godets destinée à puiser et remonter l'eau.

On peut en voir près d'Ispahan de très vieux exemplaires encore en fonctionnement, tout comme des aqueducs monumentaux destinés à approvisionner les cités.

On doit par ailleurs aux Égyptiens d'ingénieux systèmes de puisage comme le chadouf (pompe à bascule) et le sakieh, encore aujourd'hui utilisés

Le chadouf en haute-Égypte (Léon Mouchot, 1874, Musée d'Orsay)

Sous le soleil de la Méditerranée

Le Maroc est atypique dans le monde islamique car il n'a pas connu l'influence persane et a échappé à la domination ottomane.

Sans doute est-ce pour cela qu'il a mieux qu'aucun autre pays méditerranéen perpétué dans ses riyads le souvenir des atriums gréco-romains.

Ces atriums ou cours intérieures, avec une fontaine en leur centre et un bassin où l'on recueille l'eau de pluie, avec ses vasques de fleurs sur un sol dallé, sont conçus comme une protection contre la chaleur et contre les indiscrets. Toutes les pièces de la maison donnent sur un atrium. C'est là qu'on se retrouve en famille ou entre amis.

Le jardin du Generalife (Grenade, DR)L'Espagne, qui a connu l'occupation romaine puis marocaine, a, comme sa voisine, conservé la tradition des atriums, ici appelés patios. On les rencontre en Catalogne, où les musulmans n'ont fait que passer, comme en Andalousie, où ils se sont maintenus pendant sept siècles.

C'est curieusement là, à Grenade, en Andalousie, à la pointe occidentale de l'Ancien Monde, que sont rassemblées et conservées dans leur forme la plus belle toutes les variantes des jardins dits « orientaux ».

Comme le suggère ci-dessous l'urbaniste et historien Mohamed Métalsi, la raison en est peut-être que le dernier royaume arabe d'Espagne a eu la « chance » d'être conquis par des monarques chrétiens qui ont eu à cœur de respecter son patrimoine, à la différence de bien des conquérants musulmans.

On peut ainsi admirer dans le palais de l'Alhambra l'incomparable patio des Lions et dans la résidence d'été du Generalife, contigüe au palais, des jardins à la façon persane et de beaux bassins d'eau tranquille.

Aujourd'hui, tant en Orient qu'en Occident, l'urbanisation galopante amène les urbanistes à concevoir des jardins ouverts et publics où tous les citadins peuvent se prélasser. On y retrouve, joyeusement entremêlées, toutes les formes paysagères héritées de l'Histoire.

Le patio du Canal, dans le jardin du Generalife (Grenade), DR

Les jardins arabes

Historien et urbaniste spécialiste des jardins orientaux, Mohamed Métalsi nous présente les jardins orientaux, arabes oupersans.

Dans cet entretien enregistré le 1er juin 2015, à l'occasion des premiers Rendez-Vous de l'Histoire du monde arabe (Institut du Monde Arabe, Paris), il souligne leurs caractéristiques : adaptation à un climat semi-aride, fermeture et intimité etc.

Bibliographie

Nous recommandons le hors série de Connaissance des Arts (N° 709) sur les Jardins d'Orient, de l'Alhambra au Taj Mahal, très bien illustré et d'où proviennent nombre de nos illustrations.

À lire également le beau livre de Mohamed Métalsi sur Les palais et jardins royaux du Maroc (2004, Imprimerie nationale).

Publié ou mis à jour le : 2020-03-20 10:52:35

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