Il y a déjà quatre siècles que William Shakespeare a quitté la scène de la vie. Ce géant du théâtre laisse derrière lui une œuvre simplement immense, à la fois universelle et pleinement ancrée dans son époque. Mais qui est vraiment « Will le magnifique » ?
Shakespeare se montre excellent connaisseur de la nature aussi bien que des hommes (il cite pas moins de 108 plantes dans Roméo et Juliette). Il fréquente les tavernes avec la même aisance que les châteaux. Ses succès théâtraux et ses qualités d'investisseur lui permettent de jouir d'un coquet patrimoine.
Traversons le temps et retrouvons-le du côté de Stratford-upon-Avon et de Londres pour comprendre comment il est devenu un génie reconnu par-delà les siècles.
Tu seras gantier, mon fils
Chez les Shakespeare, on rêve de promotion sociale. En 1557, John Shakespeare, le père de William, est conseiller municipal de la petite ville de Stratford-upon-Avon, dans le centre de l'Angleterre. Il gravit patiemment les marches du pouvoir et se retrouve, onze ans plus tard, au poste de bailiff (maire).
Il a aussi du succès dans les affaires. Il fait fructifier son commerce de gantier mais aussi la fortune de son épouse, Mary Arden, liée à une prestigieuse famille de la région. Il arrondit également ses fins de mois, semble-t-il, par l'activité quelque peu illégale de trafic de laine dans l'arrière-boutique.
Une belle ascension qui s'arrête brutalement en 1577 : il n’obtient pas le titre de gentleman et se retrouve soudain couvert d'amendes et de dettes.
C'est dans cet univers de la ganterie que naît le petit Gulielmus, dit Guillaume ou William, troisième d’une fratrie qui comptera huit enfants. D'après la tradition, il est baptisé le 26 avril 1564 dans l'Église de la Sainte Trinité.
Après avoir appris à gambader dans les forêts des environs qu'il peuple d'elfes et de fées, il se retrouve sur les bancs de l'école du quartier à écouter les leçons de l'abecedarius, le maître. Latin et grec, grammaire et rhétorique, les cours occupent l'essentiel de ses journées.
Sa seule évasion : les représentations des troupes de théâtre qui viennent réjouir la population. Mais il faut penser à l'avenir : à dix-huit ans, Will devient apprenti gantier. Son chemin semble tout tracé.
Courage, fuyons !
C'était sans compter sur les charmes de la belle Anne Hathaway... Lorsqu'il y succombe, William ignore qu'il tombe dans le piège d'un mariage express, célébré en 1582, alors que la promise est enceinte de 3 mois.
Le chef de famille est bien jeune. Il n'a que 18 ans et Anne déjà 26. De ce couple étrange naîtront trois enfants, une petite Susanna puis des jumeaux, Judith et Hamnet.
Notre futur écrivain a-t-il pris peur face à ses nouvelles responsabilités ? Pour Hugo, « Il n'a fait que traverser le mariage ».
Le voici en effet qui disparaît des annales pendant toute une décennie, baptisée « les années perdues » (1582-1592).
On sait qu'il n'a pas, à la différence des autres grands dramaturges de l'époque, suivi d'études universitaires, certainement du fait des soucis financiers et religieux qu'a connus son père.
L'époque est en effet plus que troublée pour ceux qui souhaitent rester fidèles au catholicisme romain.
Montée sur le trône d'Angleterre en 1558, Elizabeth 1ère poursuit la réforme anglicane amorcée par son père Henri VIII. Les complots catholiques, vrais ou supposés, la conduisent à envoyer à l'échafaud nombre de « séditieux ».
Le père de Shakespeare a-t-il eu peur de subir le même sort ? Même si, lorsqu'il était maire, il s'est empressé d'ordonner que les fresques catholiques de l'église de la ville soient recouvertes de chaux, on pense qu'il faisait partie des « récusants » restés papistes.
A-t-il confié son fils comme précepteur à un riche propriétaire catholique, protecteur d'une troupe de théâtre ? Ou le jeune homme turbulent s'est-il fait braconnier, palefrenier, boucher, jardinier, médecin puis, pourquoi pas, marin ?
Autant d'hypothèses fantaisistes sur « les années perdues » pour tenter d'expliquer l'immense savoir du futur poète et dramaturge. Finalement, elles ne font que nourrir le mystère d'un autodidacte de génie !
La fine équipe
Après une décennie d'éclipse, nous retrouvons donc notre héros déambulant en 1592 dans les rues de Londres.
Alors en pleine expansion, la ville a soif de vivre et de découvrir les nouveaux spectacles offerts par ces troupes de théâtre que chaque grand seigneur se soucie d'entretenir. Et même si l'industrie du spectacle reste localisée à la périphérie sous l'influence des puritains, même si les épidémies de peste obligent à tout moment la fermeture des lieux de divertissement, rien n'arrête l'expansion incroyable du théâtre.
Plus de 2 000 pièces auraient vu le jour à cette époque ! Pour faire face à la demande on peut compter sur les « university wits » (« les beaux esprits des facultés »), un groupe de jeunes auteurs au talent aussi brillant que leur comportement est dissipé.
Parmi eux citons Thomas Kyd et surtout Christopher Marlowe, fils de cordonnier, devenu à 29 ans le symbole de cette Renaissance des Lettres anglaises, avant qu'un coup de poignard dans l'œil ne mette fin, au fond d'une taverne, à une carrière qui aurait pu faire de l'ombre à Shakespeare.
Mais lorsque ce dernier arrive à Londres, cette première génération a déjà presque totalement disparu : il a les mains libres pour se faire une place au soleil, quitte à être raillé par le très caustique Robert Greene (...).
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JPL (24-04-2016 17:06:51)
Par une coïncidence amusante de l'histoire, W. Shakespeare et M. de Cervantès sont mort tous deux le 23 avril 1616, il y a donc tout juste 400 ans. N'en déduisons cependant pas qu'ils sont morts le même jour ! Que nenni ! L'Espagne (et les contrées catholiques) avaient adopté le calendrier "grégorien" (instauré par le pape Grégoire XIII en 1582) pour remettre les saisons en accord avec le soleil. En effet le calendrier en usage depuis le début de l'ère chrétienne (calendrier julien instauré par J. César) avançait de +/- 3/4 jour par siècle par rapport à la course de la Terre autour du Soleil. Au XVIme siècle il y avait donc un décalage de ± 10 jours entre le calendrier et la position de la Terre sur son orbite (écliptique). En pratique, le pape a décidé que le que le jeudi 4 octobre 1582 serait immédiatement suivi par le vendredi 15 octobre 1582 et qu'en conséquences, les 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 octobre 1582 seraient des dates aussi inexistantes que le 29 février 2006.
L'Espagne, catholique, a adopté d'emblée le calendrier grégorien, suivie de près par la France, presque tout aussi catholique. Mais l’Angleterre, « antipapiste » le « passage dut attendre 1752 : le 2 septembre 1752 fut suivi par le 14 septembre 1752 : 11 jours ont dû être supprimés et non 10, car en 1752, le décalage entre les calendriers julien et grégorien était passé à 11 jours.
Notons que la Suède a voulu passer PROGRESSIVEMENT ( !) du julien au grégorien en 11 ans à partir de 1700. Système propre à la Suède et tellement compliqué que personne ne l’appliqua et la Suède revint au julien et passa au grégorien en 1753. Le saut de 11 jours fut effectué en faisant immédiatement suivre le 17 février par le 1er mars.
En Russie (URSS !), le 31 janvier 1918 fut suivi par le 14 février 1918.
Le « petit dernier » est la Turquie (1er janvier 1926).
Margane (17-04-2016 21:30:18)
Très beau rappel, on ne se lasse pas de Shakespeare! Merci. Comment expliquer une telle créativité ! Dommage pour ces 10 années inconnues. Cela fait penser à Molière et l'énigme Corneille!
GM
Erik (16-04-2016 12:33:20)
"Mon cheval pour un royaume"?
Vous êtes sûr?
Très intéressant article néanmoins.
jean-Yves (11-04-2016 18:14:05)
Une de mes pièces favorites Coriolan n'a pas été citée. Je le regrette
George Lewis Easton (11-04-2016 12:02:43)
Bravo pour ce dossier complet sur William Shakespeare. Je suggere que vous ajoutiez a la bibliographie l'ouvrage d'Henri Fluchere,'Shakespeare dramaturge contemporain'.
aldo (10-04-2016 19:51:58)
magnifique article,merci
Marie (10-04-2016 13:36:37)
J'ai découvert Shakespeare vers l'âge de vingt ans et toute seule ; j'ai tout de suite aimé la poésie qui se dégageait de ses textes, d'autant plus que j'avais commencé par Roméo et Juliette : sa lecture était un véritable enchantement pour l'ambiance , les noms de fleurs, les comparaisons , l'emploi des mots;,un vrai régal .... Pendant des années il est resté le premier poète pour moi;