Le Paris d'Henri IV

Le « premier maçon du royaume »

Henri IV, qui a régné sur la France de 1594 à 1610, a remis le royaume en ordre après les troubles des guerres de religion. Il a aussi engagé la modernisation de Paris et amorcé le « Grand Dessein » auquel la ville doit son incomparable grandeur.

« On dit que je suis chiche mais je fais trois choses bien éloignées de l'avarice, car je fais la guerre, l'amour et je bâtis », écrit le roi en 1607 à son ami Sully. Il dit vrai et ses réalisations urbanistiques valent bien ses exploits guerriers et amoureux.

Parmi les innovations que l'on doit au « Vert-Galant » et à son ministre figurent les deux premières places de la capitale : place Royale (aujourd'hui place des Vosges), place Dauphine, le premier pont de pierre : le Pont Neuf, l'agrandissement du Louvre, etc. À découvrir sur le plan Mérian ci-dessous (note). Le roi est aussi à l'origine du  premier règlement d'urbanisme. .

Le plan  de Paris en 1615 (plan Mérian)

Paris médiéval

Quand Henri IV entre à Paris, en 1594, la ville est sans doute la plus grande d'Europe occidentale avec 300.000 habitants sur 600 hectares. Mais elle a conservé son caractère médiéval, avec ses rues insalubres et surpeuplées, d'où émergent les tours de Notre-Dame, les nombreux clochers et les tours des enceintes, de la Bastille (plan Mérian 4) au Louvre.

Frans Pourbus le Jeune, Henri IV, XVIIe siècle, Florence, Galerie Palatine.L'enceinte construite par Philippe Auguste avant son départ à la croisade, à la fin du XIIe siècle, s'appuie à l'ouest sur la forteresse du Louvre. De l'autre côté de la Seine, elle rejoint la tour de Nesle (à l'emplacement de l'actuel Institut de France). L'enceinte de Philippe Auguste, dont il subsiste de nombreux vestiges, par exemple dans le quartier du Marais, à l'est, mesure 2800 mètres sur la rive droite et 2300 mètres sur la rive gauche, avec une tour tous les 60 mètres environ. Un siècle et demi plus tard, la croissance de la ville amène Charles V à doubler l'enceinte sur la rive droite (nord) (plan Mérian 3).

Sous le règne des Valois, du XIVe au XVIe siècles, la cour réside le plus souvent dans les hôtels du Marais, comme l'hôtel Saint-Paul. Mais François Ier et son fils Henri II, princes de la Renaissance, se lassent de ces lieux malodorants et malfamés. Ils prennent l'habitude de se déplacer avec la cour dans les belles demeures du val de Loire ou du bassin parisien, construites dans le goût italien de l'époque.

Paris renaissant

En 1546, le roi commande à l'architecte Pierre Lescot et au sculpteur Jean Goujon la rénovation de la forteresse du Louvre (plan Mérian 2).

Lescot va concevoir un projet de cour carrée monumentale, avec des façades très ornementées qui les différencient des réalisations italiennes de la même époque. Il n'aura le temps que d'achever une demi-aile occidentale, côté Seine. Mais au siècle suivant, le roi Louis XIV aura à coeur de poursuivre et achever son projet sans en trahir l'harmonie.

La mort tragique du roi Henri II à l'hôtel des Tournelles suite à un accident de tournoi va bouleverser la donne. Sa veuve Catherine de Médicis ne veut plus entendre parler du Marais et fait même démolir l'hôtel des Tournelles. Elle entreprend de construire un nouveau palais hors les murs, au-delà de l'enceinte de Philippe-Auguste et du Louvre, en un terrain vague occupé par... des tuileries (plan Mérian 1) !

Faisant fi de son ressentiment pour le plus grand architecte français de l'époque, Philibert Delorme, qui a eu l'audace de construire le château d'Anet pour sa rivale Diane de Poitiers, elle fait appel à lui pour dessiner son futur palais.

Philibert Delorme, né à Lyon en 1510 comme Lescot, est un fils de maçon formé à l'école italienne. Il dessine pour les Tuileries un beau et vaste quadrilatère très ornementé dans le goût français, mais il meurt en 1570. Son successeur poursuivra son travail mais ne réalisera qu'une aile au lieu du quadrilatère prévu. Les Tuileries hébergeront plus tard Louis XVI, Napoléon Ier, les derniers rois et Napoléon III avant d'être brûlées par les Communards en 1871.

Paris classique

Le roi Henri IV, visionnaire, va ordonner ce beau désordre. Il va créer de belles places géométriques, desservies par de grandes voies rectilignes ; une nouveauté révolutionnaire importée d'Italie et inspirée de Bramante.

Il va aussi engager la construction d'un grand ensemble palatial le long de la Seine, orienté vers l'Ouest ; c'est le « Grand Dessein » : poursuivi par tous les dirigeants français, il aboutira au XXe siècle à la perspective qui mène de la colonnade du Louvre à l'Arche de la Défense.

La gravure ci-dessous, qui date de 1600, montre le projet initial, avec la galerie du bord de l'eau, le Louvre de Lescot et les Tuileries.

- La galerie du bord de l'eau :

Pour commencer, en 1594, Henri IV fait construire le long de la Seine une longue galerie, couverte, à un étage. Sa construction est confiée à Jacques II Androuet du Cerceau, fils du dessinateur Jacques Androuet du Cerceau. Elle mesure pas moins de 460 mètres et relie les Tuileries au Louvre de Lescot en coupant l'enceinte de Charles V. Cette « galerie du bord de l'eau » est décorée de tableaux pour distraire les nobles personnes qui la traversent (plan Mérian 6).

Elle sera reconstruite et élargie dans le même style sous le règne de Napoléon III par l'architecte Lefuel. L'empereur achèvera surtout le projet initial en clôturant l'ensemble palatial du Louvre et des Tuileries avec une aile symétrique au nord, le long de l'actuelle rue de Rivoli.

- Le Pont Neuf :

Après ce hors-d'oeuvre, Henri IV reprend et amplifie un projet de son prédécesseur Henri III : la construction du premier pont de pierre de la capitale.

Jusqu'à cette date, tous les ponts étaient construits en bois et surmontés de maisons et de boutiques, destinés entre autres choses à en renforcer l'assise. Considérant ces constructions inutiles, Henri IV les élimine du projet initial pour que les passants puissent apprécier la vue sur le fleuve.

Le nouveau pont est implanté à l'endroit où la Seine s'élargit, à l'extrémité de l'île de la Cité, en un lieu magnifique tourné vers le couchant, lieu habituel des festivités nautiques et feux d'artifice.

Le pont, large et solide, sur de larges piles en pierre, offre une vue dégagée sur le fleuve et la capitale. Il permet à des carosses de se croiser. Henri IV le dote également de trottoirs et d'espaces de repos. Ses flancs sont ornés de centaines de mascarons (d'après un mot italien qui signifie masque).

Le roi fait installer aussi une fontaine monumentale à l'entrée du pont. Décorée d'une statue représentant la Samaritaine donnant à boire au Christ, elle va, au XIXe siècle, donner son nom au grand magasin voisin.

Au milieu du Pont Neuf, à l'endroit où celui-ci chevauche l'île de la Cité, on prévoit, fait nouveau, d'installer la statue équestre du roi lui-même. C'est la première fois que se fait représenter un roi vivant. La statue et le pont ne seront inaugurés que par son successeur, le 23 août 1614. Très vite, le pont devient le lieu de rendez-vous des élégants et des élégantes de la capitale (plan Mérian 8).

La vue ci-dessus montre le Pont Neuf depuis le Louvre. À gauche, on reconnaît les bâtiments en briques et pierre qui marquent l'entrée de la place Dauphine, sur l'île de la Cité. À droite, la statue du roi Henri IV, deux fois détruite et reconstruite (cette version-ci remonte à 1818).

- La place des Vosges et la place Dauphine :

Henri IV et Sully, soucieux de remettre l'économie en marche, décident de bâtir une manufacture de tissage de la soie à l'emplacement de l'ancien hôtel des Tournelles, à l'est de la capitale. Mais ils ne s'en tiennent pas là. Pour faciliter la commercialisation de ladite soie, ils décident aussi de lotir les alentours de la manufacture.

C'est ainsi qu'ils ouvrent une grande place moderne de 140 mètres de côté, avec des façades en briques et pierres, au style strictement réglementé. Cette place est destinée à héberger les marchands et leurs boutiques. C'est la première place de la capitale, jusque-là dépourvue d'espace aéré.

Ses maisons sont construites selon un plan homogène, au-dessus d'une galerie voûtée. Elles présentent sur les côtés des piliers en pierre. Mais les façades proprement dites ont été construites à l'économie en pans de bois, avec des enduits de plâtre peints de façon à prendre l'aspect de la brique ou de la pierre !

La place sera inaugurée par le fils et successeur du roi, Louis XIII, du 5 au 7 avril 1612, à l'occasion de son mariage avec Anne d'Autriche sous le nom de place Royale (elle est rebaptisée en 1798 place des Vosges, du nom du premier département qui a acquitté ses impôts cette année-là). Très vite, les marchands vont en être chassés par les nobles, ravis d'habiter en ce lieu spacieux et ouvert (plan Mérian 9).

À la différence des hôtels aristocratiques de l'époque, avec un corps de logis « entre cour et jardin », à l'abri des bruits de la rue, les hôtels de la place Royale sont « sur le devant ».

Là-dessus, dans la continuité du chantier du pont Neuf, le roi fait lotir les jardins monastiques de la rive droite, au débouché du pont. Il ouvre la rue Dauphine, dont le nom rappelle l'une de ses filles. Il aménage aussi une deuxième place sur l'île de la Cité, ouverte sur le pont (et sa statue), la place Dauphine. La topographie impose à cette place originale une forme triangulaire...

François Miron, « petits », « dodus » et mixité sociale

On ne saurait évoquer l'oeuvre d'Henri IV et Sully sans citer François Miron (1560-1609). Ce fils de magistrat suit une belle carrière : maître des requêtes, lieutenant civil (autrement dit responsable de la sécurité à Paris), enfin prévôt des marchands. Il édicte des règlements sévères pour améliorer la salubrité de la capitale. Il aménage des fontaines, pave les bords de la Seine, réglemente l'apparence des façades et l'alignement des rues... Il interdit en particulier les façades en saillie, avec des encorbellements qui peuvent s'effondrer et provoquer des drames. Il confie aussi à l'entrepreneur Christophe Marie le lotissement de l'île Saint-Louis, derrière Notre-Dame. Bien campé sur ses principes, François Miron fait pendre des bourgeois qui refusent de lui céder un terrain contre indemnisation pour ses besoins d'aménagement urbain.
Mais quand le roi décide d'aménager la place Dauphine et d'en réserver les habitations à des bourgeois et des commerçants, à l'exclusion des artisans, le prévôt se rebiffe. Dans une lettre au roi, il s'indigne de ce projet de « zonage » et, en avance de plusieurs siècles, plaide pour la mixité sociale : « Cher Syre, permettez que je me retire ; en jurant fidélité au Roy, j'ai promis de soustenir la royauté ; or Votre Majesté me commande un acte pernicieux à la royauté...Je refuse ; je le répète à mon cher maistre et Souverain bien-aimé : c'est une malheureuse idée de bâtir des quartiers à l'usage exclusif d'artisans et d'ouvriers. Dans une capitale ou se trouve le Souverain, il ne faut pas que les petits soyent d'un côté et les gros et dodus de l'autre, c'est beaucoup et plus sûrement mélangés ; vos quartiers pôvres deviendraient des citadelles qui bloqueraient vos quartiers riches. Or comme le Louvre est la partye belle, il pourroit se fait que les balles vinssent ricocher sur votre couronne... Je ne veulx pas syre estre le complice de cette mesure ».

Henri IV va encore concevoir le projet d'une troisième place, plus majestueuse que les précédentes, la place de France. Selon les principes de l'architecte italien Bramante, il prévoit un espace semi-circulaire adossé à l'enceinte, à l'est de la ville, avec de grandes voies qui en partent en étoile. Il mourra trop tôt pour mener ce projet à bien.

Le projet de place de France (Paris)

Pour ne rien oublier, le roi et son ministre Sully lancent aussi des chantiers dans le reste du royaume. Le plus connu est le canal de 54 kilomètres qui relie la Loire au Loing, de Briare à Montargis, en franchissant la Loire sur un pont-canal d'une beauté grandiose. Confié à un ingénieur hollandais, Humphrey Bradley, le chantier, maintes fois interrompu, s'étalera de 1606 à 1642.

Le roi sera surnommé à sa mort le « premier maçon du royaume », un surnom moins connu que « Vert-Galant » mais tout aussi mérité.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-06-30 12:36:48

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