C'est à Riyad, modeste capitale de la province du Nedjd, que naquit en 1876 ou un peu plus tard un certain Abdel Aziz.
Il est le lointain descendant d'un guerrier du nom d'Ibn Séoud qui unifia au XVIIIe siècle le Nedjd et imposa aux bédouins l'islam très rigoriste promu par son ami, le prédicateur Wahhab.
L'enfant est élevé à la dure par son père Abderrahman, dans le seul objectif de restaurer le royaume ancestral, revenu depuis près d'un siècle à l'anarchie et aux luttes tribales.
Il va y parvenir un demi-siècle plus tard et devenir le roi Ibn Séoud, deuxième du nom, au terme de péripéties épiques payées d'un effroyable bain de sang : on estime que ses combats contre ses rivaux auront occasionné en trois décennies un total de 200 000 à 500 000 victimes sur une population d'environ trois millions d'habitants.
La reconquête du Nedjd
Dans un premier temps, son père doit faire face à un rival du nom d'Ibn Rachid qui a pris le pouvoir à Riyad.
Sous le prétexte d'une visite de courtoisie, un lieutenant d'Ibn Rachid se rend chez Abderrahman avec l'intention de l'éliminer ainsi que sa famille. Mais le Séoudien est sur ses gardes. À l'heure du café, sur un signe, ce sont ses hommes qui tuent l'invité malveillant. Abdel Aziz, encore enfant, assiste à la scène blotti entre les genoux d'un esclave noir.
Poursuivis par Ibn Rachid, Abderrahman et les siens n'ont d'autre issue que de s'enfuir dans le redoutable désert du Rab-al-Khali avant que l'émir du Koweït ne leur offre l'hospitalité sur ordre du sultan de Constantinople. Ce geste aussi bienveillant qu'inattendu est motivé par son désir recourir aux Séoudiens si d'aventure le dénommé Ibn Rachid venait à menacer son autorité.
En août 1901, justement, ce dernier vainc l'émir du Koweït et menace de s'emparer de sa capitale. C'est alors non pas le sultan qui vient à son secours mais la flotte de Sa Majesté britannique ! Le capitaine d'un navire à l'ancre dans le port fait savoir à l'assiégeant qu'il prend l'émirat sous sa protection. Ibn Rachid n'a plus qu'à se retirer.
À Londres, c'est deux ans plus tôt qu'a été prise la décision de s'immiscer dans les affaires arabes. Il s'agit de contenir les ambitions allemandes dans la région. Celles-ci se traduisent par le projet d'un chemin de fer qui rallierait Berlin à Constantinople et Bagdad et aboutirait à Koweït. Les Anglais y voient une menace pour la route terrestre qui les relie à leur colonie des Indes.
La leçon n'est pas perdue pour le jeune Abdel Aziz, futur Ibn Séoud. Il comprend au spectacle de ce grand ballet géopolitique qu'il lui faudra composer avec les intérêts des grandes puissances planétaires pour arriver à ses fins.
Bouillant d'impatience, il quitte en catimini Koweït avec une poignée de compagnons d'armes soigneusement sélectionnés et dévoués jusqu'à la mort. Il veut s'emparer enfin du royaume qui lui revient.
Après quelques rezzou sans résultat, il se fait oublier pendant plusieurs semaines dans le désert du Roub-al-Khali qu'il ne connaît que trop bien. Puis vient l'attaque surprise de Riyad, dans la nuit du 15 janvier 1902. Ses hommes et lui pénètrent dans la petite ville. Ils entrent dans la maison du gouverneur et s'emparent de sa famille à défaut de lui.
Au lever du jour, le gouverneur sort sans méfiance du fort voisin avec une petite escorte. Abdel Aziz se précipite sur lui et le tue. Quelques minutes plus tard, le voilà maître de la ville. Il fait venir à Riyad sa femme, Jauhara, une descendante du prédicateur Wahhab, ainsi que leurs enfants et son père Abderrahman. Celui-ci, rasséréné, abdique solennellement de son titre de roi en faveur de son fils.
Mais Abdel Aziz doit encore battre Ibn Rachid et soumettre le Nedjd. Surnommé par ses compagnons et ses ennemis le « Léopard du désert » en raison de ses attaques surprise, le nouveau roi manque d'être battu le 15 juillet 1904 en affrontant son rival associé aux Turcs.
Le sultan Abdul-Hamid II somme le gouverneur de Bassora d'en finir avec lui. Abdel Aziz préfère prendre les devants et fait allégeance aux Turcs par l'entremise de son ami l'émir de Koweït. Mais au bout de quelques mois, les garnisons turques dont il a accepté l'installation sur ses terres se lassent de l'insécurité ambiante et abandonnent la partie. Abdel Aziz reprend sa liberté d'action. Ibn Rachid ne peut désormais plus compter sur la protection turque. Face à lui, le roi est en position de force. Une nouvelle fois de nuit, il pénètre dans son camp par surprise, poignarde ses hommes et s'empare enfin de lui avant de le décapiter.
L'héritier des Séoudiens et des Wahhabites tient désormais le Nedjd en son pouvoir. Il peut relever avec fierté le nom d'Ibn Séoud.
L'Arabie enfin réunifiée - ou presque -
Avec la poignée de compagnons de ses débuts, le roi du Nedjd forge une « fraternité guerrière », l'Ikwan, qui, sans avoir la puissance de feu et la technicité des armées européennes, est redoutée des tribus de toute la péninsule. Ses combattants se voient confier le défrichement et la mise en valeur de quelques oasis en vue de bien tenir le territoire, à l'image des légionnaires de la Rome antique.
Dans le même temps, les « Jeunes-Turcs », au pouvoir à Constantinople à partir de 1908, tentent de renforcer leur présence dans la péninsule.
Ils nomment un descendant du Prophète, un Hachémite du nom d'Hussein, comme gouverneur ou Chérif de La Mecque.
Ils étoffent aussi leurs garnisons à Aqaba, à la pointe de la mer Rouge, et dans le Hasa, sur le golfe Persique. C'est dans cette direction que le jeune Abdel Aziz Ibn Séoud oriente ses attaques en 1912. Profitant de ce que les Turcs sont empêtrés dans les guerres balkaniques, il obtient la reddition des garnisons du Hasa et s'empare de la province.
Quand éclate la Grande Guerre, le 2 août 1914, Ibn Séoud, attaqué par les Turcs, alliés des Allemands, est obligé de sortir de la neutralité et se rapprocher des Anglais. Il espère à tout le moins en profiter pour agresser son voisin, le Chérif de La Mecque, et s'emparer ainsi du Hedjaz, qui demeure la plus riche région d'Arabie du fait des revenus des pèlerins.
Mais à son grand désappointement, Hussein rompt avec ses protecteurs turcs, proclame son indépendance le 6 novembre 1916 et se rallie lui aussi aux Anglais, par l'intermédiaire du colonel T.E. Lawrence, représentant de l'Arabia Office du Caire.
Lawrence, dit « Lawrence d'Arabie », quelque peu exalté, fait le pari de donner aux Hachémites, Hussein et ses fils, l'ensemble de l'Orient arabe.
Ibn Séoud bénéficie quant à lui de l'appui d'un autre agent britannique, Harry Saint-John Bridger Philby, qui représente l'India Office de Bombay. Il est moins romantique et poète que son alter ego du Caire mais plus politique et a de suite pris la mesure du fort caractère d'Ibn Séoud.
Le 30 septembre 1918, les Britanniques ainsi que Fayçal, fils de Hussein, entrent en triomphe à Damas, sous les acclamations de la population. Pour les Arabes, c'en est fini de quatre siècles de colonisation turque.
Mais les Hachémites ne vont pas tarder à déchanter en découvrant que les Alliés n'ont aucune intention de recréer à leur profit l'empire de Saladin. Au lieu de cela, conformément aux accords secrets Sykes-Picot, Français et Anglais se partagent la Mésopotamie (Irak) et le Proche-Orient (Liban, Palestine, Syrie et Transjordanie).
Ibn Séoud, pendant ce temps, ronge son frein. Avec l'aide financière des Britanniques de l'India Office, il reprend la lutte contre la famille de son vieux rival Ibn Rachid, vassale des Turcs, et détruit en 1921 leur émirat du Haïl, au nord du Hedjaz. Il a désormais le champ libre pour se retourner contre Hussein, que les Britanniques ne protègent plus.
Le 5 décembre 1924, Hussein s'enfuit sans demander son reste et Ibn Séoud fait son entrée dans la ville sainte. Il s'empare l'année suivante de Djeddah et Médine. Conformément à l'éthique wahhabite, les soldats d'Ibn Séoud n'ont rien de plus pressé que de débarrasser les villes saintes de La Mecque et Médine des ornements, ex-voto et objets d'art divers qui altèrent la pureté du culte dû à Dieu (l'État islamique ne procèdera pas autrement en 2014 en détruisant les monuments tant islamiques que préislamiques).
Le 8 janvier 1926, Ibn Séoud se fait reconnaître roi du Nedjd et du Hedjaz. Vis-à-vis du Yémen rebelle, il se satisfait d'un traité d'allégeance à sa personne. Enfin, après négociation avec les Britanniques, très soucieux de la sécurité du golfe Persique et de ses gisements pétrolifères, il s'engage à respecter l'indépendance de l'Hadramaout et du sultanat d'Oman, ainsi que du petit émirat du Qatar et bien sûr du Koweït.
Arrêtant là ses conquêtes cher payées, le 8 octobre 1928, il fait reconnaître son autorité par les représentants de toutes les tribus de son royaume et, le 22 septembre 1932, à Riyad, proclame solennellement en présence des délégations étrangères, la naissance de l'« Arabie séoudite ».
Protecteur des Lieux Saints de l'islam, Ibn Séoud s'attire une grande réputation dans le monde musulman, très au-delà de la puissance effective de son royaume. Il est vrai qu'il s'acquitte très scrupuleusement de sa mission et assure la sécurité des pèlerins au prix d'une justice très rigoureuse qui ne rechigne pas à fouetter, mutiler ou décapiter les présumés voleurs et criminels.
La manne pétrolière
Le monarque tire dans un premier temps l'essentiel de ses modestes ressources des taxes prélevées sur les pèlerins. Mais tout va changer par une extraordinaire faveur du destin...
Ce conte des Mille et Une Nuits débute en 1920, dans le petit émirat de Bahreïn, près du Hasa, avec la découverte inattendue de pétrole par un prospecteur britannique du nom de Franck Holmes qui cherchait de l'eau !
L'heureux découvreur obtient une concession de l'émir de Bahreïn et la propose aux compagnies britanniques, déjà très présentes dans le golfe Persique. Mais celles-ci dédaignent l'offre et Holmes se retourne donc vers une petite compagnie américaine. Plus avisés, les Américains prospectent le sous-sol de Bahreïn et du Hasa, province d'Arabie séoudite.
Ils mettent la main sur un gisement d'une importance et d'une qualité sans commune mesure avec tout ce que l'on connaissait déjà en Mésopotamie, Perse ou encore États-Unis.
Les compagnies et les chancelleries occidentales font dès lors les yeux doux à Ibn Séoud. Et c'est finalement la Standard Oil of California qui emporte le morceau pour la somme dérisoire de 50.000 dollars.
L'exploitation pétrolière débute quand survient la Seconde Guerre mondiale. Les Britanniques reprennent pied en Irak en 1941 pour protéger les approvisionnements en pétrole. Ils chassent aussi les Allemands de la Syrie sous mandat français. Les Américains installent par ailleurs des bases logistiques dans les ports iraniens pour ravitailler leurs alliés soviétiques.
Soucieux de préserver son indépendance chèrement acquise, Ibn Séoud se tient à l'écart de ces combats mais il a besoin d'argent pour remplacer les revenus sur les pèlerinages, interrompus par la guerre. Les Américains comblent ses attentes en lui ristournant une partie des prêts accordés à la Grande-Bretagne.
Mais le président Franklin D. Roosevelt va faire encore mieux. Il va tirer parti du ressentiment des Arabes (et des Iraniens) à l'égard des Britanniques pour évincer son allié du Moyen-Orient.
C'est ainsi que le 14 février 1945, au retour de la conférence de Yalta et alors que Dresde brûle sous les bombes, il rencontre le roi Ibn Séoud sur le cuirassé Quincy, au milieu du canal de Suez, et conclut avec lui un pacte par lequel il lui assure sa protection en échange d'un accès illimité des compagnies américaines aux gisements du royaume.
Le vieux roi peut désormais se reposer sur ses lauriers, au milieu de son harem et de innombrables enfants. Après sa mort, le 9 novembre 1953, ses fils vont se succéder sur le trône de Riyad :
• Séoud ben Abdel Aziz, 12 janvier 1902 - 2 novembre 1964,
• Fayçal, avril 1906 - 25 mars 1975,
• Khaled, 13 février 1913 - 13 juin 1982,
• Fahd, 16 mars 1921 - 1er août 2005,
• Abdallah, 1er août 1924 - 23 janvier 2015,
• Salmane, 31 décembre 1935 -.
Le plus remarquable d'entre eux est le roi Fayçal, qui régna dix ans jusqu'à son assassinat par un neveu irascible.
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