Les « gueules cassées »

Les visages défigurés de la Grande Guerre

Francis Bacon, Autoportrait, 1969, Collection privéeAucun des soldats engagés dans la Première Guerre mondiale ne revint indemne : le traumatisme fut intense pour les corps comme pour les esprits.

Parmi les millions de blessés physiques, certains ne pouvaient même plus être reconnus par leurs proches, tant leurs visages étaient défigurés.

Ces « gueules cassées » sont devenues le symbole des douleurs provoquées par ce conflit.

À un siècle de distance, il est temps de partir à leur rencontre pour rendre hommage à leur courage.

Les Poilus, au cœur de la cible

Dans la Grande Guerre, l'artillerie et les mitrailleuses infligèrent les 2/3 des blessures.

On estime que 40% du contingent français fut touché de façon invalidante et que 11 à 14% de ces blessés l'ont été au visage.

Lorsque la blessure arrive, il faut attendre la nuit pour que les brancardiers, guidés par les cris, puissent intervenir. Puis c'est le poste de pansement pour les premiers soins permettant de lutter contre l'asphyxie et l'hémorragie, avant l'acheminement au poste de secours du régiment où officie un médecin.

Dès 1914 on met en place des ambulances chirurgicales : très rapidement en effet, on se rend compte qu'il est plus efficace de commencer à traiter directement sur le terrain au lieu de s'empresser de convoyer les blessés à l'arrière.

Reconstruire les corps

Près de 15.000 grands blessés de la face parviennent dans les hôpitaux. Pris en charge par des centres spécialisés installés loin du champ de bataille, les blessés vont, à leur corps défendant, inaugurer une spécialité inédite, la chirurgie maxillo-faciale. 

Des prothèses à but médical ou esthétique furent aussi proposées, souvent avec peu de succès : beaucoup de blessés, ayant vu leurs camarades souffrir du poids ou des irritations provoquées, les refusèrent, tout comme furent refusées de nombreuses opérations de reconstruction.

Photographies d'un soldat avant et après la pose d'un masque sculpté, 1920, Anna Coleman Ladd papers, Archives of American Art, S.I.

À l'intérieur des têtes

Obusite (ou shell shock en anglais, « le choc de l'obus ») : c'est avec cette expression que les chercheurs désignèrent les pathologies psychiatriques post-traumatiques créées par les combats.

Apparue en 1915, elle montre que, très vite, les troubles mentaux furent pris en charge par des médecins spécialistes eux-mêmes présents au front. Mais pour une gueule cassée, au choc des combats s'ajoutait celui de la perte de son reflet, de sa personnalité.

Isolés dans une chambre pour ne pas choquer les autres patients, ces blessés n'ont bien souvent à leurs côtés pour les rassurer que l'infirmière, plus présente que le médecin qui doit garder sa réserve de professionnel.

Elle est auprès d'eux lorsqu'a lieu l'épreuve de la visite des familles, avec les risques de rejet qui l'accompagne. Combien de gueules cassées ont préféré couper tout lien avec leurs proches plutôt que de leur infliger un visage difforme ?

Grâce à ces soutiens mais aussi à la camaraderie qui se met en place entre victimes, aidant à l'autodérision, on estime que les suicides furent finalement peu nombreux.

Que devenir ?

La guerre étant finie pour eux, que faire ? Comment parler de réinsertion à des hommes souvent très handicapés ?

Ils vont choisir de s'isoler en se regroupant dans l'Union des blessés de la face et de la tête, fondée en 1921 par des anciens de la Ve division du Val-de-Grâce.

Pour faire face aux frais, on multiplie les appels à souscription et les tombolas avant de créer en 1933 une grande loterie : la Loterie Nationale est née. Aujourd'hui, l'association, toujours très active, continue à venir en aide aux grands blessés de guerre et à leurs familles tout en multipliant les actions en faveur de la mémoire des broyés des combats.

Publié ou mis à jour le : 2020-11-18 10:54:55
Denis Beaudin (14-10-2014 17:32:28)

Affreux ce que les hommes peuvent se faire de mal entre eux.
Pourquoi pour le pouvoir.Quand les hommes vivront d'amour
il n'y aura plus de guerre.

Claudine Degoul (22-09-2014 16:14:12)

Cet article est particulièrement intéressant, tant par son étude des divers cas, par l'étude des efforts des chirurgiens, que par l'évocation des réactions des blessés et de la société qui les entoure.. Les témoignages sont précieux pour bien faire sentir tout l'aspect odieux de ces situations.
La guerre est une horreur; quand les hommes s'en débarrasseront-ils? Il ne semble pas , malheureusement, qu'on en prenne le chemin, même si dans un article précédent vous annoncez que la dernière décennie a été la moins meurtrière depuis un siècle! Je n'y crois guère.

jeanine Jumet-Bellière (21-09-2014 11:49:28)

. Je suis une ancienne kiné belge et j'ai soigné à la fin de la guerre de 40 des grands brûlée... Je n'ai jamais oublién et j'ai presque 90 ans...

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