D'où viennent nos communes? Leur existence et leurs droits politiques remontent aux alentours de l'An Mil, tout comme d'ailleurs la structuration de la France et de l'Europe occidentale autour d'un réseau dense de villes et de villages.
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La « démocratie » villageoise aux temps médiévaux
Pendant les périodes sombres du haut Moyen Âge, sous les Mérovingiens et les Carolingiens, jusqu'à l'An Mil, les campagnes occidentales ignorent encore le village comme nous le connaissons aujourd'hui. Elles ne sont constituées que de hameaux, fermes isolées et grandes exploitations seigneuriales ou abbatiales.
Cette période est aussi marquée par la christianisation progressive des campagnes. Les ruraux tendent à se regrouper autour des églises et chapelles créées par les seigneurs et les abbés, à proximité des châteaux et monastères, en des lieux plus ou moins protégés de la violence endémique.
Après l'An Mil, dans une société féodale en voie de pacification, les campagnes prennent l'aspect que nous leur connaissons encore, avec un réseau serré de villages groupés autour de leur clocher, à l'ombre du château protecteur.
Les habitants vivent sous la protection spirituelle de leur curé, ce qui vaut à leur communauté d'être qualifiée de paroisse. En ce qui concerne les affaires courantes, comme la gestion des parcelles communes ou l'entretien des chemins, ils s'administrent eux-mêmes. Chaque fois que nécessaire, la cloche de l'église convoque l'assemblée des hommes afin qu'ils prennent les décisions adéquates et nomment les responsables, que l'on désigne de différents noms selon les régions. Cette démocratie primitive va perdurer très longtemps jusque dans les cantons suisses actuels.
La révolution communale
Aux XIIe et XIIIe siècles, dans une période de radoucissement climatique et de forte expansion démographique, la chrétienté occidentale entre dans ce que l'historien Jules Michelet aime appeler le « beau Moyen Âge ».
Le développement du commerce et l'artisanat engendrent de belles villes sur les gués des grands fleuves, au pied des cols et au cœur des plaines fertiles. Dans ces villes se réfugient des paysans chassés par la misère et la guerre ou simplement désireux d'entreprendre.
Ces bourgeois, très vite, sont gagnés par le désir de s'émanciper du seigneur local, ce qu'ils font en lui versant de l'argent en échange d'une charte de franchise ou charte communale. Ils peuvent dès lors s'administrer en toute indépendance. Comme dans les villages mais de façon plus élaborée, les bourgeois se réunissent en assemblée et élisent les officiers du corps de ville qui vont pourvoir à l'intérêt général : sécurité, justice, droit commercial, perception des taxes...
Dans la France d'oïl, au-dessus de la Loire, ces élus qui gèrent les « communes jurées » sont appelés jurés, pairs ou échevins. Le président du conseil municipal porte généralement le nom de maire, vieux mot médiéval dérivé du latin major (« plus grand »). Dans la France d'oc, les élus et leur président sont appelés consul. Toulouse entretient le terme fleuri de capitouls.
En Italie, où il a débuté dès le XIIe siècle, le mouvement communal a conduit à la formation de républiques urbaines proprement indépendantes, telles Florence et Pise. Même chose en Allemagne. En France et en Angleterre, il a été contenu dans d'étroites limites du fait de l'autorité royale, qui n'a jamais cessé de s'exercer au-dessus des seigneurs locaux. À Paris, la rébellion du prévôt des marchands Étienne Marcel a fait long feu en 1358.
À la fin du Moyen Âge, les citadins les plus humbles délaissent leurs droits civiques et l'administration devient l'affaire exclusive des corporations d'artisans et des plus riches citadins.
Sous le règne de Louis XI, tandis que se renforce l'État monarchique, les bourgeois cèdent au roi de France ou à son représentant le soin de désigner le maire parmi les candidats qu'ils ont eux-mêmes désignés. Ainsi s'étiole la démocratie municipale.
Vers la centralisation
Au XVIIe siècle, sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, l'autonomie des villes est pratiquement brisée par les intendants, tout-puissants représentants du roi dans les provinces. Les officiers municipaux, soucieux de conserver ses faveurs, s'en remettent à lui pour tout ce qui concerne leur ville.
La démocratie communale sombre définitivement en 1692, quand le Roi-Soleil, en manque d'argent, transforme la fonction de maire en office vénal, que tout bourgeois peut acheter à l'État en échange de privilèges et d'exemptions diverses. Dès lors, les officiers municipaux ne sont plus que des jouets entre les mains du roi. Celui-ci, dans le siècle qui suit, s'amuse une demi-douzaine de fois à leur rendre le droit d'élection pour le leur reprendre peu après. À chaque fois, en transformant la fonction de maire de charge élective en charge vénale, il a le bonheur de faire rentrer un peu d'argent frais dans les coffres de l'État.
Ainsi, au Siècle des Lumières, l'administration française glisse-t-elle sur la pente de l'arbitraire et de l'impuissance.
Les paroisses rurales connaissent une évolution similaire avec la montée en puissance de l'administration royale, représentée à la fin du Moyen Âge par le bailli dans la France du Nord et le sénéchal dans la France méridionale. Les paysans se détournent des affaires publiques et la gestion des affaires courantes, aux XVIIe et XVIIIe siècles, n'est plus assurée que par un syndic, souvent désigné par le subdélégué de l'intendant.
Qui plus est, la mise en place des premiers impôts permanents au XIVe siècle va mettre à l'épreuve les solidarités villageoises...
En effet, le Conseil du roi établit le montant de la taille et des autres impôts pour le royaume et leur répartition selon les provinces. Les intendants et les subdélégués font à leur tour une répartition paroisse par paroisse. Au bout de la chaîne, les habitants de chaque paroisse sont invités chaque année à désigner un collecteur ou « asséeur » qui a l'écrasante responsabilité de répartir entre toutes les familles l'impôt paroissial. Il est responsable sur ses biens de la bonne exécution de sa mission ! On imagine les tensions qu'il peut en résulter...
Bien avant que n'éclate la Révolution, de bons esprits perçoivent les insuffisances de l'administration locale. En 1775, Pierre Dupont de Nemours, secrétaire du contrôleur général des finances Turgot, publie un Mémoire sur les municipalités dans lequel il introduit un mot nouveau : municipalité, dérivé du latin municipium (cité de droit romain), et préconise d'étendre aux propriétaires terriens le droit de vote. Ce principe de vote censitaire est repris par l'édit de 1787 qui uniformise toutes les communautés, villes et villages, en prescrivant partout l'élection du « corps de ville » par les hommes de plus de vingt-cinq ans qui paient au moins dix livres d'impôt.
La Révolution invente le maire républicain
Quand éclate la Révolution, les esprits sont déjà préparés à l'idée d'une réforme municipale propre à l'ensemble des collectivités : paroisses rurales et villes, soit au total 44.000 communes (36.000 aujourd'hui). Dans leur grande loi du 14 décembre 1789, les députés de la Constituante instituent une élection du conseil municipal au suffrage censitaire, par tous les hommes de plus de vingt-cinq ans qui paient un impôt équivalent à au moins trois journées de salaire ouvrier. Le conseil municipal élit à son tour son chef pour deux ans, sous le nom de maire.
Les premières élections se tiennent en février 1790 et très vite les maires apparaissent comme des acteurs essentiels dans la société politique ; ils sont la courroie de transmission entre les citoyens et l'État.
Important : la fonction de maire demeurant gratuite, elle est de fait réservée aux personnes assez aisées pour n'avoir pas besoin de travailler par ailleurs, en bref aux notables. C'est seulement à l'orée du XXe siècle que les républicains s'en émouvront et il faudra attendre... 1942 et le régime de Vichy pour que les maires obtiennent enfin d'une indemnité qui ouvre la fonction à des militants issus des classes populaires.
Le 20 septembre 1792, avant de se séparer pour laisser la place à une première République, l'Assemblée législative confie aux officiers municipaux la tenue des registres d'état-civil (naissances, mariages, décès). Cette fonction sociale majeure, précédemment dévolue aux curés, donne aux nouveaux conseils municipaux et aux maires un surcroît de légitimité et de prestige.
Dans les années qui suivent, les maires président aux cérémonies civiques, vêtus d'un bel uniforme avec une écharpe rouge à franges tricolores.
Mais ils sont aussi à la peine. Ils doivent en particulier gérer l'impopulaire levée en masse et la mobilisation des conscrits à partir de mars 1793. Ils doivent superviser les réquisitions qui tiennent lieu d'impôts. Ils doivent également réprimer la mendicité, une obligation qui leur incombera jusqu'à la fin du XXe siècle.
Après la chute de Robespierre (27 juillet 1794), beaucoup sont démis d'office et parfois victimes de vengeances personnelles.
Méfiants à l'égard des anciennes municipalités montagnardes, les Thermidoriens qui prennent le pouvoir instituent des regroupements de communes sous la forme de dix mille municipalités cantonales (une par canton) avec, à leur tête, un président élu au suffrage universel et assisté d'un commissaire du gouvernement.
Un notable très peu démocratique
Napoléon Bonaparte met un terme à la Révolution et aux velléités de décentralisation des députés de la Législative. En installant le Consulat, il rétablit les quarante mille communes originelles tout en maintenant certaines fonctions comme la justice de paix au chef-lieu de canton.
Le Premier Consul choisit les maires des villes de plus de cinq mille habitants et leur adjoint sur une « liste de confiance » établie par les électeurs. Pour les communes plus petites, ce choix est laissé au préfet qui, à la tête du département, a remplacé l'intendant comme représentant de l'État central.
À la chute de l'Empire, le roi Louis XVIII se garde de remettre en cause la France des notables ! Il conserve dans les grandes lignes l'organisation communale héritée de l'Empire et se contente de changer quelques têtes. La stabilité de l'administration communale et la souplesse d'échine des maires font office d'amortisseurs à l'agitation parisienne. Elles permettent à la France de s'offrir une succession accélérée de régimes sans troubles majeurs, de la Restauration (1814-1815) à la IIIe République (1870-1875) en passant par la Monarchie de Juillet (1830), la Seconde République (1848) et le Second Empire (1851-1852).
Les maires prennent une part décisive à la modernisation du pays et à la consolidation du tissu social.
Dès la Monarchie de Juillet, ils entretiennent les chemins vicinaux comme le prescrit la loi. Ils s'appliquent aussi à relier leur commune aux réseaux routier et ferroviaire en plein essor, à l'équiper en services de voirie (adductions d'eau...) et ouvrir une école primaire pour tous les enfants comme les y oblige la loi Guizot de 1833. Ils assument les secours aux nécessiteux et se soucient aussi d'asseoir leur prestige avec des hôtels de ville et des mairies plus somptueux les uns que les autres.
La chute du Second Empire aboutit au triomphe définitif de la République (la IIIe du nom). La grande loi municipale du 5 avril 1884 consacre l'élection des conseils municipaux au suffrage universel et l'élection du maire par les conseils municipaux. Cela vaut pour toutes les communes à l'exception de Paris, qui n'a qu'un président du conseil avec des attributions restreintes.
Le triomphe de l'institution s'affirme avec les banquets des maires organisés à l'occasion des Expositions universelles de 1889 et surtout de 1900. Le 22 septembre 1900, pas moins de 22.000 maires répondent à l'invitation du président Émile Loubet, dans le jardin des Tuileries.
L'automne des maires
La suite est plus éprouvante. Au XXe siècle, le tissu communal est gravement affecté par les guerres mondiales, la dénatalité et l'exode rural. À côté de l'église, de la mairie et de l'école, voilà que s'insère dans le village un autre repère dont on se serait passé : le monument aux morts. Il devient le nouveau lieu rituel où s'exprime la mémoire collective.
La dépopulation des campagnes, qui a débuté sous le Second Empire, s'accélère avec la Première Guerre mondiale et plus encore l'expansion industrielle des « Trente Glorieuses ». Sur environ 36.500 communes, 31500 (85%) ont moins de 2000 habitants, dont une forte proportion de retraités, ce qui complique le recrutement du personnel communal et la gestion des services publics.
Mais à la différence de ses voisins européens, la France recule depuis un siècle devant le regroupement forcé des petites communes. S'étant engagée trop tôt dans cette voie avec les municipalités cantonales du Directoire, elle en a gardé la phobie et lui préfère la coopération intercommunale, assurément plus coûteuse et moins efficace - du fait de services redondants et d'une chaîne de commandement plus longue -, et aussi moins démocratique - les citoyens n'ont pas de prise directe sur les directeurs de ces intercommunalités -.
Les premières coopérations intercommunales remontent à la loi du 22 mars 1890 qui a créé le syndicat de communes, un établissement public chargé de gérer certains services publics intercommunaux (collecte des ordures ménagères, distribution de l'eau potable...). Dans les dernières décennies se sont créées d'autres structures d'intercommunalité, officiellement dans un but de simplification administrative, la dernière en date étant la « Métropole », mise en place par la loi du 27 janvier 2014.
Ces structures technocratiques brassent beaucoup d'argent et leur autonomie de gestion leur permet d'échapper assez facilement à la surveillance de l'État et des maires.
Les maires qui n'ont pas la chance de présider une intercommunalité s'accrochent à leurs dernières prérogatives, essentiellement l'état-civil, les permis de construire, l'aide sociale, la police municipale et l'animation culturelle, tout en vivant dans la crainte qu'un citoyen victime d'une mauvaise chute sur la voie publique ne les traîne devant les tribunaux !
Même s'ils échappent encore au discrédit qui frappe la classe politique depuis le début du XXIe siècle, les maires savourent de moins en moins le prestige de leur fonction. Aux élections du 23 mars 2014, pour la première fois, il s'est trouvé plusieurs communes rurales sans liste candidate.
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jeurissen (20-04-2014 19:21:59)
Article très clair et très éclairant sur l'évolution des municipailtés