Le Corbusier (1887 - 1965)

L'architecte de l'utopie sociale

Le Corbusier (Charles-Edouard Jeanneret, 6 octobre 1887 - 27 août 1965)L'architecte Le Corbusier est né à La Chaux-de-Fonds (Suisse) sous le nom de Charles-Édouard Jeanneret.

Dédaigné dans son pays d'origine, il va s'installer à Paris en 1917 et c'est en France qu'il va déployer l'essentiel de son génie... pour le meilleur et pour le pire.

Il crée en 1920 la revue L'Esprit nouveau dans laquelle apparaît pour la première fois son pseudonyme Le Corbusier, inspiré du patronyme maternel.

L'heure est à la reconstruction de la France, après les ravages de la Grande Guerre. Dans cette perspective, le jeune architecte témoigne beaucoup d'intérêt pour le béton armé, une technique nouvelle qu'il a découverte en 1907, lors d'un séjour dans l'atelier de l'architecte d'origine belge Auguste Perret.

Un théoricien d'« avant-garde »

En 1925, il fait scandale avec le « plan Voisin » dans lequel il préconise la réduction de Paris à une vingtaine de gratte-ciel.

Le Plan Voisin de 1925 : Paris vu par Le CorbusierPlus concrètement, il exprime ses vues audacieuses dans des villas destinées à de riches prescripteurs, comme la villa Savoye, à Poissy, en 1928-1931.

Il réalise également le pavillon suisse de la Cité internationale de Paris, en 1930.

Sa réputation naissante de théoricien d'avant-garde lui vaut de présider le IVe Congrès international d'architecture moderne, sur un bateau entre Marseille et Athènes, en 1933, d'où va sortir la Charte d'Athènes.

Le Corbusier promeut en particulier dans ce document le « zonage » des activités, autrement dit la création de quartiers distincts pour les activités de travail, les loisirs et la vie domestique. Il voue aux gémonies le train et les transports collectifs, jugés archaïques et recommande la généralisation de l'usage de l'automobile au nom de ce qu'il appelle le « fonctionnalisme ».

Invité au Brésil, l'architecte convertit à ses thèses Oscar Niemeyer et Lucio Costa, deux confrères qui seront à l'origine de la future capitale Brasilia, une réussite en demi-teinte : des constructions aussi intimidantes que pouvaient l'être les réalisations moscovites de l'époque stalinienne mais un urbanisme déshumanisé, sans lieu de convivialité, et une ville étale vouée à l'automobile.

La Cité radieuse de Le Corbusier (1950, Firminy), DR

La ligne droite en accord avec l'ordre fasciste

Dès les années 1920, comme beaucoup de jeunes talents de l'entre-deux-guerres, l'architecte franco-suisse manifeste une évidente empathie pour les mouvements totalitaires qui progressent partout en Europe (sauf dans son pays natal). Il fréquente les milieux antirépublicains et écrit dans leurs revues. Comme ses amis, il ne cache pas non plus son antisémitisme. En octobre 1940, de passage à Vichy, il écrit à sa mère : « Les Juifs passent un sale moment. J'en suis parfois contrit. Mais il apparaît que leur soif aveugle de l'argent avait pourri le pays » (note).

Le Corbusier, encensé par ses pairs, affirme à plusieurs reprises son admiration pour Mussolini et Hitler. Rien de plus normal à cela. Leur sens de l'ordre est en conformité avec son tempérament et la manière dont il rêve l'avenir, ainsi qu'il l'écrit en 1937 : « Créer une race solide et belle, saine » (note). En 1934, il se rend ainsi en Italie avec l'espoir de rencontrer le Duce.

Sa conception totalitaire de la société (note) se retrouve dans ses projets architecturaux. Il rejette les sédiments du passé et les traditions tant classiques que baroques, avec leurs courbes, leurs fantaisies et leur exubérance. Au diable l'Art nouveau et ses volutes joyeuses. De tout cela, il fait table rase et promeut la ligne droite et l'angle aigu, toutes choses qui n'existent que dans l'ordre minéral. C'est par cette esthétique nouvelle que doit passer la domestication des masses et leur soumission à l'ordre supérieur, comme dans la futuriste Métropolis (1926).

Après avoir tenté, pendant la guerre, de vendre ses idées au gouvernement de Vichy, Le Corbusier se rapproche du parti communiste qui a le vent en poupe et manifeste le même goût de l'ordre que ses prédécesseurs fascistes. En 1947, il écrit à ses nouveaux amis syndicalistes de la CGT : « Je fais chaque jour ma part dans la révolution machiniste... mais il faut enseigner à vos gens la discipline nécessaire ».

Un théoricien sans prise avec le réel

Sollicité de toutes parts en vue de la reconstruction au plus vite des villes sinistrées, Le Corbusier convainc les gouvernants français de l'après-guerre du bien-fondé des grands ensembles verticaux organisés autour de l'automobile.

Lui-même donne l'exemple avec le soutien actif du ministre de la Reconstruction Eugène Claudius-Petit. Dans le droit fil de l'utopiste Charles Fourier et de ses phalanstères, il conçoit et construit des unités d'habitation de 1600 personnes, les « Cités radieuses ». La première est érigée en 1947 à Marseille, où les habitants, forts de leur bon sens, la qualifient de « maison du fada ». Quatre autres suivront, à Rezé, Berlin, Briey et Firminy.

Ces immeubles, fondés sur le « Modulor », une mesure inventée par Le Corbusier à partir du nombre d'or et des suites de Fibonacci, sont supposés répondre à tous les besoins d'une communauté humaine quelle qu'elle soit, avec une rue intérieure et tous les services utiles, y compris une école et une crèche en terrasse.

L'architecte innove tout particulièrement dans la conception des appartements. Ils s'alignent à chaque étage de part et d'autre d'un couloir central mais leur conception en duplex, avec une partie haute au-dessus du couloir, permet à leurs occupants de bénéficier d'une double orientation sur les deux façades de l'immeuble.

Malgré cela, ces unités d'habitation ont du mal à convaincre les ménages populaires, insuffisamment préparés à la « discipline nécessaire » ! Aujourd'hui, elles servent de logements de transits à des familles immigrées, même si, à Marseille, il se trouve encore des ménages d'intellectuels pour souhaiter y habiter.

Chapelle Notre-Dame du Haut (Ronchamp, Haute-Saône), DRL'architecte a plus de chance avec l'archevêque de Besançon qui lui confie en 1953 la reconstruction de la chapelle Notre-Dame du Haut, à Ronchamp (Haute-Saône).

Le résultat est un édifice aux formes audacieuses conformes à l'exigence de spiritualité.

En Inde, dans les années 1950, Le Corbusier conçoit aussi la nouvelle capitale de l'État du Pendjab, Chandigarh.

L'Assemblée de Chandigarh, Pendjab (Le Corbusier, 1961)

Désillusions urbaines

Plus soucieux de diffuser ses idées que de les mettre en pratique, Le Corbusier ne s'est guère occupé de développer son agence d'architecture. Il préfère cultiver l'amitié des intellectuels, des artistes et du ministre des Affaires culturelles André Malraux. Victime d'une crise cardiaque, le 27 août 1965, pendant un bain de mer en contrebas de son cabanon estival, à Roquebrune-Cap-Martin, il bénéficie de funérailles quasi-nationales.

Par la suite, en France, dans les années 70, Émile Aillaud, l'un des disciples de Le Corbusier, va construire le grand ensemble de Grigny La Grande Borne cependant que Georges Candilis, un autre disciple, construira à Toulouse un quartier d'avant-garde : Le Mirail, sous l'impulsion du maire Pierre Baudis. Ces réalisations prestigieuses doivent selon leurs créateurs régénérer les liens sociaux et établir une nouvelle citoyenneté.

La suite en décidera autrement. Comme la plupart des grands ensembles hérités de Le Corbusier, Le Mirail et La Grande Borne sont devenus des concentrés de tous les maux urbains (chômage, déculturation, immigration). Elles témoignent de l'impuissance de l'architecte face aux réalités humaines et sociales.

Le Corbusier, célébré comme le plus grand architecte du XXe siècle, demeure un alibi commode pour les promoteurs et les architectes afin qu'ils continuent à construire des immeubles aux formes linéaires, sans fantaisie ni humanité mais dont l'avantage essentiel est d'être économiques et faciles à concevoir.

Camille Vignolle
Publié ou mis à jour le : 2022-12-03 08:39:24
Renaud (18-08-2016 19:45:52)

Un article documenté, certes, mais très subjectif (et c'est un euphémisme).

Lalain17310 (25-07-2016 06:26:55)

Effectivement, j'ai ressenti cet article comme un "déboulonnage"...
Mes.compétences en matière d'architecture sont trop limitées pour donner un avis péremptoire mais...
Mais j'ai visité la villa Savoye à Poissy, la cité Frugès à Pessac et son "brouillon" à Lège cap Ferret, parcouru Chandigarh... J'ai -un peu- échangé avec un habitant de cette capitale du Penjab Indien, dialogué aussi avec un habitant de la maison radieuse de Nantes-Rezé...
Alors j'ai l'impression qu'il y a deux Le Corbusier,.. Celui dont je viens d'évoquer les quelques réalisations que j'ai vues,. Et puis le Le Corbusier de l'article que je viens de lire...
Incompatible? En tout cas plus nuancé, non?

jean-louis salvignol (24-07-2016 21:51:52)

Le Corbusier n'a rien construit à Alger :

http://www.archi-mag.com/essai_8.php

Erik (21-08-2015 11:30:35)

On pourrait croire qu'il a influencé l'architecture soviétique.

André MARTIN (21-08-2015 10:51:30)

Élève architecte, iconoclaste dans les années 50, il était suicidaire de contester le gourou totalitaire ; Il a fallu quelques décennies pour se sentir moins seul dans l'Atelier…
Jamais trop tard ?

Jacques (13-05-2015 19:14:34)

Merci pour ce déboulonnage d'une idole trop longtemps sacrée. Et on apprend des choses: j'ai habité la Cité Radieuse de la banlieue d'Alger en ignorant qu'elle procédait de la pensée de Lecorbusier, mais je peux garantir qu'en 1973, pas beaucoup plus de 10 ans après sa construction, elle n'avait rien de radieux!

Maryvonne Le Normand (30-03-2015 17:08:56)

En 1920, Henri FRUGES, industriel paternaliste et passionné d'art contemporain, demande à Le Corbusier de construire des habitations pour ses ouvriers.
La cité Frugès est une application de ses idées : constructions modulaires , grandes baies, duplex, terrasses, couleurs claires, cuisines pensées :cela ne plait pas aux habitants qui vont défigurer ces habitations...
La ville de Pessac en a racheté et restauré l'une d'entre elles : elle se visite et permet d'apprécier le talent de Le Cobusier.
Deux maisons (toujours à l'initiative de Frugès ) existent à Lège(33950° et un château d'eau avec gloriette vitrée, sa première oeuvre construite en France en 1917 se trouve à Podensac (33720)

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