Le retour des grosses chaleurs est l'occasion rêvée d'alléger nos tenues... et le prétexte idéal pour se pencher sur ce que cachent d'habitude les corsages, pantalons et jupes.
Bouts de tissu parfois minuscules mais éléments primordiaux de nos garde-robes, les sous-vêtements en disent long sur l'évolution de nos sociétés. Ouvrons les tiroirs de nos aïeux pour aller fouiller dans leurs dessous...
Il suffit de peu...
Sans risque, on peut penser que nos ancêtres de la Préhistoire n'avaient pas encore l'usage des sous-vêtements. Peu confortable, la peau de bête !
Attendons donc la naissance du tissu au Néolithique et la généralisation des pagnes, puis laissons passer les siècles pour voir apparaître les premières formes de soutien-gorge, chez les Grecques du Ier millénaire av. J.-C.
Simple bande, l'apodesme, qui deviendra fascia chez les Romains, était noué sous ou sur les seins pour permettre aux jeunes filles d'effectuer notamment des activités sportives.
Les plus malchanceuses avaient recours à un mamillare de cuir pour réduire quelque peu une poitrine trop formée au goût de l'époque.
Pour les femmes des peuples barbares, la liberté est de mise, et le restera jusqu'à la fin du Moyen Âge. Côté soutien, notons l'arrivée de ce qui ressemble à un premier corset pour mettre en valeur la poitrine des déesses crétoises. Efficace !
Le Moyen Âge nu sous sa chemise !
Le Moyen Âge ne craignait pas la nudité ni le mélange des sexes : jusqu'à la Renaissance et même au-delà, aucun baigneur n'aurait eu l'idée de se rafraîchir dans une rivière ou aux bains publics en gardant un vêtement sur soi ou en s'isolant de l'autre sexe !
Pourtant, c'est à cette époque que commence à s'imposer l'usage de la chemise portée sous les vêtements, voire dans le bain.
Généralement en lin et confectionnée à la maison, « la chainse » avait pour rôle de servir de « zone tampon » entre les habits de tous les jours et la peau qu'elle protégeait du désagrément des frottements avec des tissus souvent rugueux.
Solide, elle présentait aussi l'avantage d'être aisée à nettoyer : à elle de recevoir toute la crasse ! L'eau était en effet encore vue d'un œil soupçonneux et on préférait changer de chemise plutôt que risquer sa santé à se laver...
Finalement, la chemise parvint à dépasser ce rôle ingrat en acquérant au fil des siècles broderies et manchettes, et en se faisant de plus en plus visible, voire même en s'incrustant la nuit et se couvrant de dentelles à partir du XVIe s.
Hommes et femmes : la scission
À la fin du Moyen Âge, vers le XIVe s., la mode commence à différencier les deux sexes, de plus en plus désireux de mettre leurs atouts en valeur.
Côté femme, c'est la réapparition du principe du corset sous la forme d'une « cotte ».
Cette tunique à lacets serre la taille sans pour autant mettre les seins en valeur : parce qu'ils doivent être petits, ils sont souvent enserrés dans des bandelettes.
Pour finaliser l'ensemble, rien de tel que le vertugadin ou garde-infant inventé par les Espagnols.
Jeanne de Portugal aurait été la première à porter cette robe renforcée par une armature à cerceaux en bois. C'était afin de dissimuler une grossesse.
Pour les messieurs, le raccourcissement audacieux du pourpoint qui ne couvre plus le haut des chausses (sorte de bas) oblige à trouver une solution d'urgence : ce sera la « braguette » (le mot aurait été inventé par Rabelais).
C'est à l'origine pièce de tissu triangulaire ajoutée aux chausses.
Mais, rapidement, elle prend une forme proéminente plus suggestive grâce à un peu de rembourrage, notamment sous l'influence de la soldatesque, parée d'armures qui mettent en valeur toute la silhouette !
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! » (Molière, Tartuffe, 1664)
Championne de la Contre-Réforme catholique, c'est l'Espagne de Charles Quint qui impose aux femmes une tenue à la rigidité sévère grâce à un curieux outil, le busc, sorte de lame épaisse amovible glissée dans le revêtement avant du corset. Fini les formes souples de la Renaissance ! Il faut désormais montrer par sa prestance les qualités de son âme.
Et la tendance n'est pas près de disparaître grâce à la diffusion des baleines, plus malléables, dont l'usage se répand jusqu'aux classes inférieures de la société. Leur nom vient de ce qu'elles sont confectionnées à partir des fanons de cétacés.
Sous Louis XIV, le corset se fait outil de séduction avec la gourgandine qui se lace sur le devant, véritable invitation à la découverte avec ses petits nœuds baptisés « boute-en-train » ou « tatez-y »...
En 1675, l'autorisation enfin accordée aux couturières de réaliser les corsets, jusqu'alors chasse-gardée des tailleurs, donne un peu d'air aux coquettes qui peuvent s'en remettre à des mains féminines plus compréhensives.
Mais les épidémies de malaises ne cessent pas pour autant : comment supporter, en pleine digestion, un plexus comprimé ? Vite, apportez les sels !
Avec ou sans culotte ?
Pour les messieurs, plus de confort : on se contente du pantalon pour le peuple et de la culotte (sorte de corsaire) pour les nobles. Pourquoi s'encombrer avec une autre épaisseur ? En 1792, la prise du pouvoir par les sans-culottes (le peuple, donc, qui ne porte pas ce type de vêtement), ne change rien à l'affaire.
C'est des femmes que vient à la fin du XVIIIe siècle la Révolution… du sous-vêtement : déjà libérées (pour quelques années) du corset grâce à la mode néo-classique, ces dames finissent par imposer la culotte dans leur garde-robe. C'est l'aboutissement d'un long parcours !
Introduit, dit-on, en France par Catherine de Médicis qui était bien décidée à pratiquer l'équitation sans crainte des « chutes heureuses » qui dévoilaient la partie normalement cachée de l'anatomie, le « bride-à-fesses » n'est présent qu'en deux exemplaires dans les valises de Joséphine de Beauharnais, perdu au milieu de 500 chemises.
Il faut attendre le premier quart du XIXe s. pour que les petites filles, comme avant elles les danseuses et les patineuses des pays du Nord, en profitent.
Jugé d'abord inconvenant à cause de ces audacieuses qui n'hésitaient pas à en faire apparaître la dentelle sous leurs jupons, il devient l'« indispensable » lorsqu'on réalise qu'il permet de dissimuler les jambes, jugées affriolantes, en particulier lorsque dans la position assise, la crinoline remonte... Il est ainsi adopté largement en tant que « tuyau de modestie », alors que son modèle masculin peine à trouver son public.
« Le seul fait de se mettre en dame […], le fait de se vêtir et se dévêtir de ces robes représentait une procédure compliquée, absolument impossible sans une aide étrangère. Tout d'abord, il fallait boucler, par-derrière, de la taille jusqu'au cou, une foule d'agrafes et d'oeillets. La femme de chambre devait déployer toutes ses forces pour serrer le corset ; les longs cheveux […] étaient frisés, appliqués, brossés, arrangés, dressés en tour par une coiffeuse qui apparaissait chaque matin avec une légion d'épingles, de barrettes et de peignes […]. Enfin, on déguisait son apparence en l'enveloppant de toutes ces pelures d'oignon, les jupons, les camisoles et les jaquettes, jusqu'à ce que le dernier vestige de formes féminines et personnelles eût complètement disparu » (Stefan Sweig, Le Monde d'hier, 1944).
Collet monté à tous les étages
Après les extravagances à l'antique du Directoire et du Premier Empire, le temps est à la Restauration, et donc au retour des vieilles habitudes. Avec le triomphe de la bourgeoisie d'affaires, les femmes sont reléguées au rôle de potiche. Et revoilà le corset ! Sous le Second Empire et la Troisième République, il règne en maître, répondant à l’exigence d'une « taille de guêpe ».
Qui plus est, on élargit le bas du corps avec des robes à crinoline (il s'agit d'une armature en crin de cheval à l'origine puis en baleines). Sous la Troisième République, les crinolines sont remplacées par des tournures et autres « faux-cul » ou « queue d’écrevisse » pour obtenir une silhouette en S.
Ficelée dans cette forteresse et incapable de se déplacer sans effort avec ses multiples jupons, la jeune bourgeoise doit avoir recours à des pinces accrochées à des ficelles autour de sa jupe pour pouvoir la relever !
Mais l'on est aussi dans un siècle du progrès technique : on invente le laçage « à la paresseuse » pour éviter d'avoir recours à quelqu'un, innovation qui, dit-on, facilita grandement la vie des femmes adultères... Finies les réflexions désobligeantes du type : « Ah ! Par exemple ! Voilà qui est bizarre !… Ce matin, j’ai fait un nœud à ce lacet-là, et ce soir, il y a une rosette !» (tiré d'une gravure de Gavarni du recueil Les Parisiens – Paris le soir).
« Quand Renée entra, il y eut un murmure d'admiration. Elle était vraiment divine. Sur une première jupe de tulle, garnie, derrière, d'un flot de volants, elle portait une tunique de satin vert tendre, bordée d'une haute dentelle d'Angleterre, relevée et attachée par de grosses touffes de violettes ; un seul volant garnissait le devant de la jupe où des bouquets de violettes, reliés par des guirlandes de lierre, fixaient une légère draperie de mousseline. Les grâces de la tête et du corsage étaient adorables, au-dessus de ces jupes d'une ampleur royale et d'une richesse un peu chargée. Décolletée jusqu'à la pointe des seins, les bras découverts avec des touffes de violettes sur les épaules, la jeune femme semblait sortir toute nue de sa gaine de tulle et de satin, pareille à une de ces nymphes dont le buste se dégage des chênes sacrés ; et sa gorge blanche, son corps souple, était déjà si heureux de sa demi-liberté, que le regard s'attendait toujours à voir peu à peu le corsage et les jupes glisser, comme le vêtement d'une baigneuse folle de sa chair » (Émile Zola, La Curée, 1871).
Réconcilier médecins et coquettes
Le XIXe s. s'interroge : comment faire cohabiter esthétique et hygiène, qui prend de plus en plus de place en médecine et dans la vie quotidienne ? Faut-il par exemple dispenser les femmes enceintes du port du corset ? Pas sûr...
On commence cependant à s'inquiéter de ses effets sur la santé, notamment les déformations du corps dont sont victimes les jeunes filles. Les spécialistes font également la promotion des caleçons féminins, toujours longs et souvent ouverts entre les jambes.
Il s'agit de « protéger ces organes exposés aux poussières et aux intempéries par les jupons et les robes ouvertes ou flottantes » (Dr Becquerel, Traité élémentaire d'hygiène privée et publique, 1873). Quel succès pour les danseuses du french-cancan !
Dans le même temps, grâce à la bonne idée d'un certain Maillot, bonnetier à l'Opéra de Paris inquiet pour ses petits rats, un modèle de caleçon long en tricot couleur chair, couvrant tout le corps, est adopté par toute la famille. Peu élégante, cette grenouillère se fait remarquer au milieu des pièces de lingerie toujours plus nombreuses et travaillées.
Nous sommes en effet en plein développement de la grande distribution et les Printemps et autres grands magasins rivalisent d'inventivité pour écouler leurs stocks de chemises brodées. Qui veut rubans et fanfreluches pour agrémenter ses dessous ?
« La respiration chez la femme n'est modifiée que par le fait du corset, et pendant le temps qu'elle le porte, mais la cage thoracique à sa base surtout est amoindrie définitivement chez les personnes qui font usage de ce vêtement depuis le jeune âge, et le champ respiratoire est, par suite, en tout temps diminué, ce qui présente des conséquences sérieuses au point de vue de la nutrition générale. […] Comme nous l'avons vu, la région antérieure du tronc est comprimée concentriquement et refoulée vers la colonne vertébrale en se rapprochant de plus en plus de celle-ci à mesure que l'on descend vers la taille. La compression est circulaire, par conséquent, en même temps que verticale, de sorte que si à tout prendre l'estomac pouvait séjourner dans cette région à l'état de vacuité, aussitôt après le repas il serait forcé d'en sortir. Je puis dire déjà qu'il n'y séjourne plus jamais entièrement lorsqu'il a subi les effets provoqués par le port du corset. […] Enfin il est une lésion fréquente déterminée par le corset d'une façon certaine, c'est l'abaissement du rein droit ». (Inès Gaches-Sarraute, Le Corset. Étude physiologique et pratique, 1900)
L'histoire de la lingerie a été bouleversée par une idée toute simple : si, au lieu de repousser les seins par le bas, avec le corset, on les soutenait à partir du haut ? Et voilà comment une ancienne « communarde », Herminie Cadolle, libéra le diaphragme des femmes avec son « corselet-gorge », ancêtre du soutiens-gorge. L'invention est présentée à l'Exposition universelle de 1889.
Il était temps puisque, sept ans plus tard, était créée la robe « Lola Montes » de Paul Poiret, à porter sans corset, mais toujours avec des bas au bout des tout nouveaux porte-jarretelles. La mode change, et les sous-vêtements suivent avec la diffusion de brassières et culottes-gaines plus discrètes sous les vêtements, mais plus voyantes : fini le blanc hygiénique !
Adeptes des bains de mer et activités physiques pour les plus aisées, obligées de travailler pendant la Grande Guerre pour les plus pauvres, les femmes du début du XXe s. se décorsettent pour aller vers plus de simplicité avec la silhouette filiforme « à la garçonne ».
Elles finissent même par s'approprier dans les années 30 le caleçon sans jambes inventé pour les enfants en 1918 par la marque Petit Bateau. L'apparence du corps n'est cependant pas oubliée : les gaines sont là pour rappeler qu'il faut continuer à avoir une certaine allure...
Pour les hommes, le slip (de l'anglais « glisser ») traverse l'Atlantique à la même période pour s'imposer dans les tiroirs, avec sa variante, le slip-kangourou directement inspiré des marsupiaux, qui nous rappelle les avantageuses « braguettes » de la Renaissance. Dans le même temps, les pantalons peuvent enfin coller plus près du corps et l'expression « être cul et chemise » devient obsolète !
« – Que voulez-vous, madame ! Autrefois la femme portait du linge, du beau linge de fil qui lui essuyait la peau ; à présent, quand elle quitte sa robe en la retournant comme un lapin qu’on dépouille, vous voyez quoi ? Un coureur pédestre, madame, en petit caleçon. Un mitron en tenue de fournil. Ni chemise, ni pantalon de linge, ni jupon, ni combinaison, quelquefois un soutien-gorge – souvent un soutien-gorge... Avant de venir à l’essayage, ces dames ont marché, dansé, goûté, transpiré... et je m’arrête là... Il est loin, leur bain du matin ! Et leur robe, portée à même la peau, qu’est-ce qu’elle sent, leur robe de deux mille balles ? Le combat de boxe, madame, et le championnat d’escrime ! « Douzième round, parfum troublant »... Ah ! Dieux !» (Colette, Le Voyage égoïste, 1928).
À l'aise, d'accord, mais avec raffinement !
Au milieu du XXe siècle, le confort reste la priorité, mais quand même associé à une touche de frivolité grâce à la combinaison qui cache le tout.
Après les pénuries de la guerre, on ose exposer le nombril avec le maillot de bain deux pièces, appelé bikini en référence à un atoll du Pacifique rétréci par des essais nucléaires !
Guêpières et balconnets arrivent en force, associés au fameux bas nylon remplacé à la fin des années 50 par le collant. L'accessoire arrive à point : voici venir le triomphe de la mini-jupe, juste avant que les féministes ne jettent leurs soutien-gorge à la poubelle.
Les années 1980 sont marquées par le retour du frou-frou dans les bacs et les avancées de la technologie appliquée à la création : soutiens-gorge à armatures, à coussinets, pigeonnants...
Concernant le bas, si les femmes découvrent le style minimaliste avec le string (de l'anglais « ficelle »), les hommes au contraire se laissent séduire par le caleçon court, échappé du monde de la boxe, après avoir renoncé à leur fameux débardeur « petit marcel ».
Aujourd'hui, malgré de nombreuses délocalisations, le secteur de la lingerie reste stable grâce au dynamisme du marché du luxe, mais aussi à celui des acheteuses françaises, les premières en Europe.
Sources bibliographiques
Grazietta Butazzi, La Mode. Art, histoire et société, éd. Hachette, 1983.
Béatrice Fontanel, Corsets et soutiens-gorge. L'épopée du sein de l'antiquité à nos jours, éd. de la Martinière, 1992.
Chantal Thomass et Catherine Örmen, Histoire de la lingerie, éd. Perrin, 2009.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Ghislaine (24-10-2013 10:00:02)
Merci pour cet article fort intéressant !
jacqueline (01-09-2013 19:08:41)
Bel article, agréable à lire à l'aise dans sa liquette un beau Dimanche soir !....:-)
valthojav (25-08-2013 17:56:14)
Article intéressant ; par contre absence récurrente des sources des images en illustration (auteur, date, lieu de conservation), comment les retrouver pour un éventuel usage pédagogique ? (valable pour les autres articles).
Louis (25-08-2013 08:08:39)
Les tissus pour les gens du peuple étaient souvent très épais,donc rugueux .Le plus souvent, ils les achetaient d'occasion car trop chers, ils étaient ainsi plus souples.
Les nobles se distinguaient par la douceur des tissus de leurs habits et leurs couleurs chatoyantes. Il est curieux de constater comme le corps n'a jamais été "naturel" mais "culturel" même au temps des hippies.Seuls, Adam et Ève avaient dû jouir du privilège d'une liberté totale de leurs corps, i différents et si semblables...
RPJ (25-08-2013 06:52:21)
"Et la tendance n'est pas prête de disparaître" : hou quelle horrible faute …
mary (24-08-2013 18:46:13)
ahhhhh! oui enfin! je me disais aussi....