Albi, dites-vous ? Moins « bling-bling » que Courchevel ou Cannes, la ville n'en possède pas moins une richesse patrimoniale qui en fait l'une des plus belles de France.
La ville est née sur une colline (« puech » en langue d'oc) au-dessus du Tarn, un affluent de la Garonne. Il s'agissait à l'origine d'un oppidum (cité fortifiée) fondé par des Gaulois de la tribu des Ruthènes. Ceux-ci ont laissé leur nom à Rodez, chef-lieu du département voisin de l'Aveyron.
Albi reçoit quant à elle son nom après la conquête romaine, peut-être d'un grand propriétaire local (Albius ?) ou d'une référence à la couleur blanche (alba en latin). Elle prend son essor grâce à un pont sur le Tarn, aujourd'ui le Pont Vieux. Après les invasions barbares, elle devient le siège d'un évêché, voit passer les Sarrasins en 730, peu avant la mythique bataille de Poitiers, enfin est occupée par Charles Martel en 765 et érigée en comté. Aux abords de l'An Mil, elle est rétrogradée au rang de vicomté et tombe dans l'orbite du comté de Toulouse. Elle n'en conserve pas moins un influent évêque.
La ville, à mi-distance de l'austère Rodez et de la radieuse Toulouse, est en tous points semblable à cette dernière, quoique aujourd'hui dix fois plus petite avec environ 50 000 habitants.
31 juillet 2010 : l'UNESCO inscrit Albi au patrimoine mondial de l'humanité. La cité épiscopale, sise sur le Tarn, est le 34e site français à recevoir cette marque de reconnaissance. Saisissons cette occasion pour aller à la découverte de quelques-uns des plus beaux panoramas urbains qui soient (note)...
Comme Toulouse, Albi mérite le surnom de « Ville rose », induit par l'usage à grande échelle de la brique et de la tuile romaine.
Ces matériaux se retrouvent dans la cathédrale Sainte-Cécile, le palais de l'archevêché et les maisons de la cité médiévale. Joliment restaurées, nombre de celles-ci présentent des colombages apparents avec des murs constitués de croisillons en bois et remplissage en briques.
On retrouve la brique dans la première église de la ville, la collégiale Saint-Salvi, du nom du premier évêque de la ville, un compagnon de Grégoire de Tours (VIIe siècle).
Comme la cathédrale - l'église de l'évêque -, la collégiale abrite au Moyen Âge des chanoines (jusqu'à 37, contre 120 dans la cathédrale).
Inaugurée à l'époque carolingienne, la collégiale et son cloître ont connu de nombreuses transformations au cours des âges.
Chaudes et gaies, les couleurs d'Albi dissimulent aussi une histoire cruelle qui va colorer de sang le terme d'Albigeois. Tout commence au milieu du XIIe siècle, alors que l'Occident médiéval est en pleine expansion économique et découvre l'art gothique.
Au château de Lombers, près d'Albi, sur les terres du vicomte Raymond-Roger Trencavel, se réunissent en 1165 quelques représentants d'une secte mystérieuse, qui se considèrent comme de « vrais chrétiens » et que l'on appellera plus tard Cathares.
Suite à cette réunion, ces hérétiques sont qualifiés faute de mieux d'« Albigeois » par leurs adversaires bons catholiques bien que leur zone d'extension dépasse très largement la région d'Albi.
Comme tout le Midi toulousain, Albi va cruellement souffrir de la croisade contre les Albigeois. La ville est occupée dès 1209 par Simon de Montfort, qui bénéficie du soutien de l'évêque contre le vicomte. En 1247, le vicomte Raymond II Trencavel accepte la cession de la ville au roi de France Louis IX (saint Louis).
La vicomté est réunie à la couronne capétienne en 1284. La croisade est alors officiellement terminée depuis belle lurette mais des foyers d'hérésie perdurent dans l'Albigeois et en d'autres lieux, ce qui ne manque pas de préoccuper le Saint Siège.
Le 7 mars 1276, le pape nomme à la tête de l'évêché un juriste brillant qui l'a assisté au concile de Lyon, deux ans plus tôt. Il s'agit de Bernard de Castanet. Celui-ci, sans attendre, engage la reconstruction de la cathédrale Sainte-Cécile dans le style gothique méridional inauguré par l'église des Jacobins, à Toulouse.
Il s'agit d'exprimer l'aspiration à l'élévation vers Dieu avec une nef aussi haute et lumineuse que possible, ce qui est le propre du gothique, mais aussi d'éduquer les foules avec une nef unique, large et spacieuse, propre à la prédication.
Enfin, pour échapper aux critiques des hérétiques, le sanctuaire se doit d'être austère, construit en un matériau humble, la brique. Il doit éviter l'ornementation ostentatoire que l'on peut reprocher au gothique parisien.
Le résultat est un monument d'une puissance sans équivalent, dont l'extérieur évoque davantage une forteresse qu'un lieu de prière.
Les arcs-boutants de l'art français disparaissent ici au profit de robustes contreforts et les verrières ou vitrails n'occupent guère plus que le tiers de chaque travée.
On ne peut manquer d'être saisi de vertige en levant les yeux sur les hautes parois lisses de la cathédrale, surélevées au XIXe siècle pour une meilleure protection des voûtes (les gargouilles indiquent la hauteur originelle).
Du fait des aléas du XIVe siècle (guerre de Cent Ans et Grande Peste), l'édifice n'est achevé qu'en 1380. Sa consécration a lieu le 23 avril 1480 seulement.
À la même époque, l'intérieur de la nef est décoré de façon somptueuse avec notamment, sur le mur ouest, sous l'orgue, une immense fresque de 200 m2 qui représente le Jugement dernier dans tous ses détails.
Trente ans plus tard, en pleine Renaissance, l'évêque aménage sur le côté une somptueuse entrée en pierre dans le style gothique flamboyant et réalise les fresques de la voûte dans le style italianisant.
Albi s'honore de plusieurs très beaux hôtels de la première Renaissance, contemporains du roi François Ier.
On peut voir ci-contre la cour intérieure de l'hôtel Reynès, du nom d'un riche commerçant qui fut aussi consul de la ville (magistrat municipal).
L'opulent marchand érige une tour dans son hôtel en vertu d'un privilège dû à son rang. Il agrémente aussi la cour d'une loggia à l'italienne, en bonne pierre richement sculptée.
Des hôtels comme celui-ci, semblables en tous points aux hôtels des bourgeois toulousains de la même époque, traduisent la prospérité de l'« or bleu », autrement dit le pastel.
Cette plante tinctoriale, cultivée dans le triange Toulouse-Albi-Castelnaudary, a fait la fortune des marchands locaux, du milieu du XVe siècle au milieu du XVIe siècle.
L'expression « pays de cocagne », qui désigne dans le langage courant un pays heureux et prospère, viendrait même de là, la coque étant le nom donné à la boule de pastel prête à la commercialisation.
À partir de 1561, le pastel toulousain est victime de la concurrence de l'indigo, une plante venue d'Indonésie, mais aussi d'une baisse de la demande, suite à un krach boursier à Anvers et à l'irruption des guerres de religion.
Albi n'en poursuit pas moins son développement.
En 1678, sous le règne de Louis XIV, Hyacinthe Serroni, promu au rang d'archevêque, embellit le palais épiscopal de la Berbie, dont le nom est dérivé du français d'oc bisbia (évêché).
Il s'agit de l'un des plus anciens châteaux forts de France. Il a été érigé à côté de la cathédrale au XIIIe siècle, en pleine croisade contre les Albigeois, par l'évêque Durand de Beaucaire.
L'archevêque aménage un magnifique jardin à la française d'obédience italienne, sur l'ancienne place d'armes du château, avec une vue sublime sur les berges du Tarn et le Pont Viel.
Par ce pont se font depuis l'Antiquité les échanges entre les deux rives. Les citadins le franchissent librement ; les marchandises sont soumises à péage, de même que les étrangers et les juifs.
Au XIXe siècle, un pont ferroviaire franchit également le Tarn, amenant à Albi le charbon extrait dans la ville voisine de Carmaux. Carmaux, la ville de Jaurès !...
Albigeois illustres
Jean Jaurès est né en 1859 à Castres, l'autre grande ville du Tarn, et a enseigné la philosophie au lycée Lapérouse d'Albi.
Après de timides débuts dans la politique, il est appelé au secours des mineurs de Carmaux, lesquels se sont mis en grève en 1892 pour défendre l'un des leurs, licencié après avoir été élu maire de la ville. Cette expérience va décider Jaurès à s'engager activement dans le camp socialiste.
Henri de Toulouse-Lautrec, né en 1864 dans une maison bourgeoise de la cité épiscopale (ci-contre), se situe aux antipodes de Jaurès, son contemporain.
Victime des liens consanguins d'une illustre lignée, il est atteint d'une maladie génétique qui fragilise ses os. Adolescent, il fait une chute qui lui fracture le bassin et interrompt la croissance de ses jambes.
Il se voue dès lors à la peinture et abandonne très vite les sujets chevalins et bucoliques pour les modèles de Montmartre. Adonné à la boisson, il dessine et peint comme un forcené les cabarets et les bordels parisiens, témoignant d'une grande sensibilité pour le petit peuple de la nuit.
Adepte d'un style « post-impressionniste » annonciateur de la « Belle Époque »et du XXe siècle, il découvre la lithographie et donne ses lettres de noblesse à un média nouveau, l'affiche publicitaire.
À sa mort prématurée, à 37 ans, le 9 septembre 1901, sa mère, la comtesse Adèle de Céleyran, qui ne l'a jamais abandonné, propose ses oeuvres aux musées parisiens mais ceux-ci rejettent l'offre et s'en tiennent à quelques oeuvres de jeunesse.
La ville d'Albi se montre plus réceptive. Ses édiles décident de consacrer la Berbie à leur enfant prodige et le musée Toulouse-Lautrec est inauguré en 1922. C'est ainsi que le palais des austères archevêques offre aujourd'hui à notre regard la plus belle collection qui soit de Toulouse-Lautrec, avec des prostituées en veux-tu en voilà !...
L'autre grand homme d'Albi est le navigateur Jean-François de Galaup de Lapérouse (1741-1788), né au manoir du Gô, à deux pas de la cité épiscopale.
Il a disparu dans l'océan Pacifique, au cours d'une mission scientifique commanditée par le roi Louis XVI.
Sa ville natale lui a consacré un musée dans un ancien moulin, près du vieux pont, ainsi qu'une place agrémentée d'une remarquable statue due au sculpteur Nicolo Bernardo Raggi (1843).
Rappelons aussi que le président Georges Pompidou a été élève du lycée d'Albi. Il a laissé son nom aux lices qui longent ledit lycée.
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