Adolf Hitler, dans l'Allemagne démocratique des années 1920, est un chef de parti extrémiste parmi beaucoup d'autres.
Après l'échec piteux du « putsch de la Brasserie », le 9 novembre 1923, on pourrait croire que sa carrière va prendre fin.
À sa sortie de prison, en décembre 1924, il ambitionne désormais de conquérir le pouvoir par la voie légale et non plus par la force. Il reconstitue son parti dès le mois de février 1925 et publie le 18 juillet 1925 le premier volume de son pensum Mein Kampf, à la fois mémoire et programme politique. Il crée la SS puis la Jeunesse hitlérienne en mai 1926.
Le redémarrage est très lent. En 1928, le parti nazi n'a encore que douze députés au Reichstag. Mais la crise économique mondiale de 1929 lui vaut d’être entendu par des millions de chômeurs et de pauvres qui aspirent à une revanche sur le destin. Hitler devient une personnalité reconnue (à Munich, il vit désormais dans un appartement de 300m2 et 9 pièces).
Et c'est ainsi qu'aux élections législatives du 14 septembre 1930, il envoie 107 députés au Reichstag.
Il devient le deuxième parti en importance, derrière le parti socialiste et devant le parti communiste, et constitue avec le parti national du peuple allemand d'Alfred Hugenberg un front de droite, le front de Harzeburg, destiné à s'opposer au cabinet Brüning.
Porté par cette résurrection politique, le Führer surmonte un drame personnel, le suicide trouble de sa nièce « Geli » (23 ans) dont il a fait son jouet.
Enfin naturalisé allemand, le 24 février 1932, il ne craint pas de se présenter aux élections présidentielles du 13 mars 1932 face au président sortant, le maréchal Paul von Hindenburg (85 ans).
Il mène une campagne très active, se déplaçant en avion dans tout le pays, prononçant trois à quatre discours par jour dans autant de villes différentes, vantant le socialisme et attaquant aussi bien le bolchévisme que les Juifs et les « traitres de Novembre » (1918).
Hindenburg, monarchiste et conservateur, n'est réélu que grâce au soutien des socialistes. Il obtient 18,7 millions de voix contre 11,3 millions de voix (30% du total) pour Hitler. Ernst Thälmann, secrétaire général du parti communiste, le KPD, obtient pour sa part 3,7 millions de voix.
Le chancelier Brüning, faute de mieux, dissout les milices paramilitaires nazies, SA et SS, qui comptent tout de même 400 000 hommes. Mais il est là-dessus démis par le Reichspresident le 30 mai 1932.
Le très influent major Kurt von Schleicher suggère à Hindenburg de nommer à sa place, à la chancellerie, un député quasi-inconnu du Zentrum, Franz von Papen, aristocrate proche des milieux d'affaires et des nationalistes. Lui-même obtient le ministère de la Guerre.
Le nouveau ministère a obtenu le soutien de Hitler et de ses députés en échange de la réhabilitation des milices nazies et de législatives anticipées. Las, le 31 juillet 1932, celles-ci amènent 230 députés nazis au Reichstag, deux fois plus que précédemment. Le NSDAP devient avec 37% des suffrages le premier parti allemand !
Rebelotte. Franz von Papen obtient de nouvelles élections. Elles se soldent cette fois, le 6 novembre 1932, par un recul du parti nazi avec 196 sièges et 33% des suffrages. Les sociaux-démocrates d'Otto Vels obtiennent 20% des suffrages, les communistes 17%, le Zentrum 12% et le Parti national allemand 8%. À Paris, le leader socialiste Léon Blum exulte et pense que, pour le coup, Hitler est fini ! Il n'est pas seul, loin de là, à manifester cette prescience...
Incapable de former une coalition stable, von Papen est récusé par Hindenburg qui appelle à la chancellerie, le 17 novembre 1932, le général von Schleicher. Celui-là, qui a l'appui de l'armée, la Reichswehr, demande rien moins que les pouvoirs spéciaux pour en finir avec les nazis. Mais les manoeuvres en coulisses de von Papen, devenu son vice-chancelier, l'en empêchent et l'obligent à démissionner. Hindenburg se laisse convaincre d'appeler Hitler à former le gouvernement de la République allemande le 30 janvier 1933. Il devient alors chancelier, incroyable revanche sur le destin pour le vagabond de Vienne.
Dès le mois suivant, le 28 février 1933, saisissant le prétexte de l'incendie du Reichstag, attribué aux communistes, il entreprend la « mise au pas » (Gleichsschaltung) du pays en dépit d'une opinion et d'un électorat majoritairement hostiles aux nazis et à leurs foucades antisémites. Profitant des maladresses des démocrates, il s'empare de tous les pouvoirs avec le titre de Führer (Guide).
Il installe un État totalitaire calqué sur celui de Mussolini, en Italie, mais en bien plus brutal, et se fixe deux objectifs maléfiques : agrandir l'Allemagne au prix d'annexions et de conquêtes ; débarrasser d'une façon ou d'une autre le pays de ses Juifs.
Après l'installation de la dictature (élimination des opposants, fusion des syndicats au sein d'un Front du Travail allemand inféodé aux nazis, dissolution des loges maçonniques, etc.), le service militaire est rétabli et la rive gauche du Rhin réoccupée en violation du traité de Versailles, cependant que les Juifs se voient dépouillés des attributs de la citoyenneté.
Là-dessus, fort d'un pouvoir illimité, Hitler multiplie les agressions extérieures : intervention dans la guerre d'Espagne, annexion de l'Autriche puis de la Tchécoslovaquie, jusqu'à ce que la France et l'Angleterre, poussées à bout, lui déclarent la guerre.
La guerre, très vite, devient mondiale. En 1941, à défaut d'expulser les millions de juifs présents dans les territoires conquis par son armée, Hitler entreprend de les exterminer par des exécutions collectives puis par la déportation et les chambres à gaz. Le Führer se suicide misérablement peu avant la capitulation sans conditions de l'Allemagne.
Eugenio Pacelli, nonce du Vatican à Munich puis à Berlin, futur pape Pie XII, découvre Hitler à travers la lecture de Mein Kampf. Clairvoyant, il dit à soeur Pasqualina, sa confidente : « Cet être-là est entièrement possédé de lui-même (...). Tout ce qu'il dit et écrit porte l'empreinte de son égoïsme ; c'est un homme à enjamber des cadavres... ».
Comme Pacelli l'a deviné, Hitler n'est en rien chrétien. L'amour fraternel étendu à tous les hommes, très peu pour lui. Il s'accommode tout au plus de la croyance en un Dieu transcendant au service exclusif de la race aryenne et des desseins nazis, qui protège le peuple allemand et le console dans les épreuves.
Le Führer résume sa pensée dans une conversation avec Hermann Rauschning (« Hitler m'a dit », 1939) : « Pour notre peuple, la religion est une affaire capitale. Tout dépend de savoir s'il restera fidèle à la religion judéo-chrétienne et à la morale servile de la pitié, ou s'il aura une foi nouvelle, forte, héroïque en un Dieu immanent dans la nature, en un Dieu immanent dans la nation même, en un Dieu indiscernable de son destin et de son sang (...). Le coup le plus dur qui ait frappé l'humanité, c'est l'avènement du christianisme, invention du juif ».
Mais Hitler connaît les limites de son pouvoir. Il tolère que ses soldats portent sur la boucle de leur ceinturon la formule : « Gott mit uns ! » (Dieu avec nous !) en vertu d'une ordonnance du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV (7 octobre 1847). Il ménage également les Églises chrétiennes. Il y voit des institutions influentes qui peuvent l'arrêter aussi bien que le servir et il sait ce qu'il en a coûté au chancelier Bismarck de s'être opposé trop brutalement à la hiérarchie catholique. Il se flatte de ne pas rééditer son erreur : « Je suis catholique. La Providence l'a voulu. En effet, seul un catholique connaît les points faibles de l'Église. Je sais de quelle manière on peut attaquer ces gens-là » (Éric Lebec, Histoire secrète de la diplomatie vaticane, Albin Michel, 1997).
Après avoir abusé le Saint-Siège en obtenant la signature d'un concordat en juillet 1933, Hitler n'aura de cesse de violer celui-ci en particulier en ce qui concerne l'éducation de la jeunesse. Dès 1934, il nomme à la tête des écoles nazies Alfred Rosenberg, théoricien d'une religion de la race aux antipodes du christianisme.
Bibliographie
Sur Hitler et les origines du nazisme, il existe pléthore de livres généralement bien documentés. L'un des plus connus est celui du journaliste américain William L. Shirer, Le troisième Reich (1959, nombreuses rééditions). L'auteur détaille les événements plus qu'il ne les explique et cette approche journalistique peut être source d'insatisfaction.
Je signale aussi un livre écrit par le dramaturge français Éric-Emmanuel Schmitt, La part de l'autre (2000). Ce roman hors normes juxtapose deux destins. L'un est celui, bien connu, de Hitler, l'autre celui d'Adolf H., un personnage identique en tous points à Hitler si ce n'est qu'il aurait réussi son examen d'entrée à l'École des Beaux-Arts de Vienne. Et l'auteur de nous faire rêver sur les conséquences de ce détail. Passionnant.
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