Syrie

Un héritage de la Grande Guerre

Scène de rue à Damas (photo : G. Grégor)Modeste survivance du passé, la Syrie actuelle est issue du démembrement de la Syrie antique, aujourd'hui divisée en plusieurs États rivaux : la Syrie proprement dite, le Liban, Israël et la Palestine, ainsi que la Jordanie. Ce démembrement est le résultat de la Grande Guerre de 1914-1918.

Les Syriens cultivent le souvenir lointain de l’époque omeyyade, quand Damas était la capitale de l’empire arabe à son apogée. 

Ils ne pardonnent pas à la France et à la Société des Nations d’avoir détaché le Liban de leur pays en 1922 et rattaché à la Turquie l’une de leurs plus illustres cités, qui est aussi le berceau du christianisme : Antioche-sur-l’Oronte (Antakya en turc).

Le pays lui-même est fractionné entre plusieurs communautés linguistiques et religieuses qui vivent dans une entente précaire. Leurs rapports compliqués avec l'État syrien comme avec les États voisins expliquent la férocité de la guerre civile de 2012.

André Larané
Cinquante siècles de mémoire

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La Syrie contemporaine et son patrimoine (doc : Isabelle Grégor)
La Syrie s’étend sur 186 000 km2 (le tiers de la France) et compte 23 millions d'habitants (2011). Traversé par les deux grands fleuves mésopotamiens, le Tigre et l’Euphrate, l’est du pays prolonge le désert arabique. L’ouest, verdoyant et montagneux (djebel Druze, mont Hermon, anti-Liban, djebel Alaouite), est le témoin plaisant de l’ancien Croissant fertile.

Le drapeau de la SyrieSitué au confluent de tous les grands empires méditerranéens, de l’Assyrie à l’empire ottoman, en passant par Babylone, la Perse, Alexandre, Rome, Byzance et l’empire arabe, le pays conserve de son passé un très riche patrimoine.

Cinq sites antiques ont été classés par l’UNESCO au patrimoine mondial de l'humanité : les anciennes villes d'Alep et Bosra, le Krak des Chevaliers et le château de Saladin, Palmyre et les « villes mortes » du Nord de la Syrie. Nous vous invitons à découvrir ces sites et bien d’autres… [découvrir le patrimoine syrien]

Mosaïque religieuse et « printemps arabe »

Les Syriens parlent l’arabe à l'exception de la minorité kurde du nord-est (5 à 10% de la population). Ils se signalent par leur diversité religieuse, reliquat d’un passé très agité.

Les musulmans sunnites sont très majoritaires (75 à 80% de la population, y compris les Kurdes). Mais ils doivent compter avec d’autres minorités musulmanes très attachées à leur identité et qui se rattachent plus ou moins au chiisme : les Druzes du sud et surtout les Alaouites de la région de Lattaquié, sur le littoral méditerranéen et dans la montagne du même nom, le Djebel Alaouite (environ 10% de la population).

L'ancien dictateur Hafez el-Assad et son fils et successeur, l’actuel dictateur, tout comme beaucoup de cadres du régime et d’officiers de l’armée, appartiennent à la minorité alaouite, apparentée aux chiites et considérée comme non-musulmane par beaucoup de sunnites. Cela explique le soutien appuyé de la République islamique d’Iran au régime syrien du clan Assad et le ralliement de la Syrie à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « l’arc chiite » (ensemble des pays à majorité chiite ou dirigés par des chiites : Iran, Irak, Bahrein, Syrie et Liban).

Chrétienté en péril

Il faut compter aussi avec les nombreuses confessions chrétiennes (aujourd'hui à peine 5 à 8% de la population totale). 

Les chrétiens constituent des minorités très actives et bien intégrées en milieu urbain. Ils sont divisés entre de nombreuses confessions rivales dont les unes remontent aux premiers temps du christianisme (syriaques jacobites, assyriens et arméniens par exemple), d’autres aux temps modernes (il s’agit de chrétiens d’Orient qui ont fait allégeance au patriarcat de Constantinople ou au pape de Rome : chaldéens, maronites…). Plusieurs de ces communautés continuent de pratiquer l’araméen, l’antique langue de la région, langue usuelle du Christ.

Au début du XXe siècle, plus instruits et plus ouverts aux idées occidentales que les musulmans, les chrétiens ont été à la pointe du nationalisme arabe. C’est par exemple un chrétien, Michel Aflak, qui a créé en 1942 le parti Baas (la résurrection en arabe), socialiste et laïc, qui a conquis le pouvoir en Irak et en Syrie dans les années 1960, avant d’être dévoyé par les dictateurs Saddam Hussein et Hafez el-Assad.

Mais l’émigration, depuis un siècle, a réduit le nombre des chrétiens à un million environ. Les chrétiens, comme les autres minorités, ne bénéficient plus, en effet, des protections juridiques accordées aux différentes communautés (ou « millets ») par le sultan ottoman. Craignant non sans raison la « dictature de la majorité » sunnite, ils font front commun avec les autres minorités.

Dans la guerre de Syrie qui a éclaté en 2011, ils ont été logiquement conduits à soutenir le clan alaouite du président Assad et en tout cas dissuadés de rejoindre les rebelles sunnites.  

Le souk Souk Al-Hamidiyé, à Damas (photo : Gérard Grégor)

Une création française

Le 3 octobre 1918, l’émir Fayçal, fils du chérif hachémite de La Mecque, fait une entrée triomphale à Damas, acclamé par les nationalistes arabes, désireux de secouer l’oppression ottomane et de renouer avec leur glorieux passé.

Le 11 mars 1920, un congrès national désigne Fayçal roi d’une « Grande-Syrie », étendue du Sinaï à la Turquie.

Souvenir du mandat français à DamasMais l’illusion ne dure pas. En vertu des accords secrets Sykes-Picot, les Britanniques renient leur promesse d’un royaume arabe indépendant. Ils mettent la main sur la Palestine et la Transjordanie. De leur côté, les Français obtiennent le 28 avril 1920 un « mandat » en Syrie et au Liban. Il s’agit d’un protectorat de fait cautionné par la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'ONU.

La Syrie - ou ce qui en reste - est partagé administrativement par les Français en quatre « États » : Damas, Alep, l'État du djebel Druse et l'État des Alaouites, ou État de Lattaquié.

Les révoltes locales, notamment dans le djebel Druse, et les revendications des intellectuels nationalistes, notamment chrétiens, amènent en septembre 1936 le gouvernement de Léon Blum à promettre l’indépendance mais celle-ci se fera attendre dix ans.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le général Dentz, haut-commissaire du gouvernement de Vichy, autorise les avions de la Luftwaffe allemande à utiliser les aérodromes syriens. En conséquence de quoi les Anglais attaquent le pays à partir de la Palestine le 8 juin 1941, avec des combattants de la France libre et également des colons sionistes de Palestine.

À la fin de la guerre, le général de Gaulle tente une dernière fois de sauver le mandat français, non sans appréhension. Ainsi qu'il écrit dans ses Mémoires de guerre (L'Appel) à propos d'un voyage au Liban : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais qu'au milieu de facteurs enchevêtrés une partie essentielle s'y jouait. Il fallait donc en être »... Il fait bombarder Damas le 29 mai 1945 avant de devoir s’incliner sur les injonctions de Churchill. La Syrie proclame enfin son indépendance le 17 avril 1946.

Les putschs militaires se succèdent jusqu’à la création en février 1958 d’une fédération avec l’Égypte de Nasser : la République Arabe Unie (RAU). Ce rêve nationaliste ne dure pas. Dès septembre 1960, la Syrie reprend son indépendance à la suite d’un nouveau coup d’État.

Les militaires, inspirés par l’idéologie socialiste et laïque du parti Baas, né en 1942, multiplient les nationalisations puis, en 1967, s’engagent dans la guerre des Six Jours contre Israël. Ils essuient une défaite honorable mais perdent le plateau du Golan.

Assad père et fils, de la répression au chaos

En novembre 1970, un dernier coup d’État donne le pouvoir au général Hafez el-Assad, qui se présente comme les précédents sous l'étiquette du Baas. Il va se maintenir au pouvoir pendant trois décennies, jusqu’à sa mort, le 10 juin 2000, à 69 ans.

Cette « performance » tient à l’inflexibilité du dictateur. Il en fait la démonstration avec la répression de l’insurrection des Frères musulmans à Hama, en février 1982, loin des caméras et des appareils photo. Les militaires bombardent la ville à l’arme lourde puis la pillent sans vergogne, sans souci de distinguer entre les insurgés et les simples civils. Le nombre de victimes est évalué à près de 30 000 (« des massacres à faire pleurer les pierres » selon un témoin). Après quoi, le dictateur permet à chacun de visiter les ruines et de se rendre compte de ce qu’il en coûte de lui résister.

L'oligarchie alaouite qui entoure le clan Assad entérine la succession de Bachar el-Assad, fils cadet du dictateur et seul de ses quatre fils à ne pas être entré dans la carrière militaire. Il est sans problème élu à la présidence avec 97% des suffrages !

Jeune médecin marié à une jeune femme élégante et de moeurs occidentales, il suscite en Occident l'espoir d'une libéralisation du régime.

De fait, dès les premiers mois de sa présidence, 99 intellectuels publient un manifeste qui réclame la démocratie. Bachar paraît céder. Mais très vite, devant la montée des revendications, il se rétracte et réprime le mouvement. 

Quand, trois ans plus tard, les Américains envahissent l'Irak de Saddam Hussein, il laisse les Irakiens se replier en Syrie, ce que n'apprécie guère le président George Bush Jr. Avec l'aide du président français Jacques Chirac, il aide les milices libanaises à chasser les troupes syriennes du Liban, qu'elles occupent depuis 1989.

Bachar el-Assad réagit en faisant assassiner le Premier ministre sunnite Rafic Hariri, un ami personnel de Jacques Chirac, dans un attentat à la voiture piégée, le 14 février 2005. Le peuple libanais, pour une fois réuni, organise d'immenses manifestations et contraint les Syriens à se retirer du Liban au terme de ce que l'on appelle pompeusement la « révolution du cèdre ».

Le dictateur syrien choisit dès lors de renforcer « l’arc chiite » avec l'Iran d'Ahmanidejad et le Hezbollah libanais de Hasssan Nasrallah. Le pays se referme sur lui-même. Jusqu'à la contagion du très bref « printemps arabe ». Celui-ci débouche sur de violentes manifestations à Homs, le 4 février 2012, trente ans jour pour jour après le soulèvement de Hama. Mais cette fois-ci, la violence de la répression est révélée à l'opinion mondiale en temps réel grâce à internet. La révolte s'étend et va entraîner le pays dans le chaos.

Publié ou mis à jour le : 2021-03-15 08:00:40
devriendt (31-08-2013 10:34:42)

Liban, Balkan, Syrie : trois grands défis pour les vulgarisateurs. Vous les relevez avec brio.
Vous êtes des rares à inventorier avec justesse la variété religieuse, ses fluctuations historiques, et son importance dans le jeu des alliances. Les crimes odieux du régime en place sont-ils tolérables parce qu’ils affectent en partie d’autres groupements, aux visées tout aussi criminelles, mais, pour l’heure, dépourvus de pouvoir, uniquement capables de s’associer à une révolte, quitte à brouiller ensuite les cartes, ainsi que cela se fit après les « Printemps Arabes » ?

Jean-Paul (16-08-2013 13:42:06)

Bonne introduction à la compréhension des évènements d'aujourd'hui

Matthieu (21-08-2012 14:21:42)

La Syrie n'est pas en guerre civile,elle subit de plein fouet l'agression occidentale avec les monarchies du Golfe comme alliées et la Turquie servant de base territoriale aux terroristes,islamistes fanatiques venant en djihad dans cette république laïque et conseillées par les forces spéciales et les services secrets occidentaux dont ceux de la France.
C'est une honte pour notre pays de s'associer à tous ces fauteurs de guerre,guerre qui pourrait bien se terminer par une troisième guerre mondiale et pour les grands journaux occidentaux de désinformer constamment et d'appuyer une propagande de guerre.
Au moins,au regard de l'histoire,les responsabilités sont clairement établies.

Philippe (12-03-2012 11:53:05)

La première phrase de votre article est difficile à comprendre lorsque vous parlez de "la Syrie de l'antiquité"... car cette expression semble indiquer que ce pays existe depuis depuis des millénaires... or sa création est extrêmement récente et connaîtra peut-être encore de profonds bouleversements compte tenu des antagonismes profonds opposant ses différentes communautés, et des forces centrifuges extrêmement puissantes qui sont à l'oeuvre dans la région.
Cependant ce périmètre de "la Syrie de l'antiquité" pourrait être celui de la province romaine de Syrie-Palestine telle qu'elle était au deuxième siècle de notre ère, à l'époque de la révolte juive de Bar Kochba contre les légions de l'empereur Hadrien.
En fait, la Syrie, la plupart du temps jusqu'à sa déclaration d'indépendance de 1946, n'a pas été un Etat mais, une simple province des différents empires qui se sont succédés de manière continue depuis deux mille ans, et notamment depuis la colonisation romaine à laquelle a succédé celle des Byzantins qui furent chassés par l'invasion arabo-musulmane de 636 du fait de leur victoire sur Constantinople lors de la bataille du Yarmouk.
La Syrie alors chrétienne devint ainsi un royaume arabe musulman, celui des Omeyades qui firent de Damas leur capitale, et furent vaincus en 750 par leurs rivaux, les Abbassides qui gagnèrent la bataille du grand Mzab.
A la toute fin du 11° siècle, les croisés conquièrent la Palestine et la Syrie où les communautés chrétiennes étaient encore très nombreuses (sinon même majoritaires), mais les Turcs Seldjoukides enlèvent Alep en 1118, avant d'être eux-mêmes évincés par les Mamelouks bahrite en 1250, auxquels succèdent les Turcs ottomans de 1517 (à 1918).
En 1860, le massacre des Chrétiens de Damas et du mont Liban (10.000 morts) provoqua, d'une part l'envoi d'un corps expéditionnaire par les grandes puissances de l'époque (France, Grande-Bretagne, Autriche-Hongrie, Russie et Prusse), et d'autre part la partition de la Syrie et du Liban à la tête duquel fut nommé un gouverneur Arménien catholique, Daoud Pacha.
De 1918 à 1920, un Saoudien (le fils du chérif de la Mecque) devient roi de Syrie, mais quitte le pouvoir deux ans plus tard quand la France exerce le mandat que lui confère le traité de San Remo, et alors qu'un un sentiment national syrien commence à se manifester vigoureusement : en 1932 Antoun Saadé crée le Parti Syrien National et Social d'inspiration nettement fasciste prônant "La Grande Syrie" comprenant la Syrie actuelle, le Liban, la Jordanie, Israël, la Palestine, l'Irak, le Sinaï et une fraction du territoire turc (le sandjak d'Alexandrette qui est toujours une pomme de discorde entre la Turquie et la Syrie).
L'indépendance de la Syrie est déclarée le 17 avril 1946.
Compte tenu de cette histoire quelque peu mouvementée, il semble en effet que le concept de "Syrie de l'antiquité" est pour le moins audacieux... concernant un territoire qui, pendant près d'un millénaire, n'a pas disposé des principaux attributs de la souveraineté (monnaie, diplomatie, armée, frontières clairement dessinées et stables) sans lesquels il ne peut prétendre avoir été un pays et encore moins un Etat.
D'une façon générale, tous les pays du Proche-Orient sont de création extrêmement récente même si l'histoire des différents territoires est elle extrêmement ancien.

André (08-03-2012 23:54:53)

Votre article sur la Syrie est tres intéressant et devrait être lu par tout les Français et les autres européen pour comprendre ce qui se passe actuellement et ce qui se passera à l'avenir risque de conflit avec l'iran chiite. Tout cela découle des fameux accord Sykes Picot et de la destruction du grand Empire Turc qui tenait tout cela bien en main. il est vrai que faire tomber le régime El Bassad, permettra une grande emprise de l'Islam, quand on voit ce qui se passe en Tunisie et en Egypte où les femmes étaient bien considérées sous les régimes précedents, notament en Egypte sous l'égide de Suzanne Moubarak. On verra...

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