Esclavage et traite des êtres humains

La traite atlantique du XVIe au XIXe siècle

La traite atlantique désigne le transfert forcé de plus de onze millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Ce trafic d'esclaves noirs est une tache indélébile au front de la civilisation occidentale.

Il commence au XVe siècle avec l'introduction de plusieurs milliers d'esclaves sur l'île portugaise de Sao Tomé, dans le golfe de Guinée, découverte en 1471 et devenue la première colonie sucrière du Portugal. Il va s'étendre au Nouveau Monde, où les planteurs espagnols et portugais ne peuvent bientôt plus se satisfaire des travailleurs amérindiens ni des « engagés » européens.

Les prémices de la traite

L'Afrique noire était connue des navigateurs espagnols et portugais depuis bien avant la conquête de l'Amérique. Mais Espagnols et Portugais l'évitaient pour des raisons sanitaires. Ils ne supportaient pas le climat insalubre de la côte et ceux qui tentaient de s'y établir ne résistaient pas longtemps aux maladies locales.

Convoi d'esclaves en Afrique, gravure du XVIIIe siècle.Aussi les marchands portugais et espagnols s'accoutumèrent-ils aux esclaves africains par le biais des marchands arabes avec lesquels ils étaient en relations en Afrique du nord.

Ils commencèrent assez naturellement à en acheter sur les marchés nord-africains au XVe siècle pour les faire travailler sur de grandes exploitations agricoles de la péninsule ibérique, essentiellement des plantations de canne à sucre.

Des marins portugais en quête de profit eurent aussi l'idée de razzier des esclaves au fur et à mesure de leur progression le long des côtes africaines. Un chroniqueur de la Cour relate ainsi l'arrivée de 250 captifs sur le marché de Lagos, au Portugal, le 8 août 1444.

On estime que 150 000 Africains transitèrent par le port de Lisbonne dans le demi-siècle qui précéda le premier voyage de Christophe Colomb (1492).

Les noirs en vinrent à représenter plus du dixième de la population de Lisbonne. Personne ne se souciait alors de codifier le statut de ces travailleurs forcés dont le sort s'apparentait à celui des anciens serfs du Moyen Âge. Surtout, il n'y avait pas de connotation raciale dans la condition d'esclave et un certain nombre de noirs chrétiens participaient en hommes libres à la société portugaise, y compris dans les rangs de l'aristocratie.

Dans le golfe de Guinée, les Portugais établirent sur la petite île tropicale de Sao Tomé une première colonie à vocation sucrière, avec des esclaves achetés sur le continent, au royaume du Kongo. Certains de ces esclaves étaient revendus à des chefs africains de la côte de l'Or (actuel Ghana) pour exploiter les mines d'or d'Elmina !

Mais au XVIe siècle, les plantations de l'île africaine ne tardèrent pas à décliner, victimes de la concurrence du Nouveau Monde et des révoltes d'esclaves. Beaucoup de fugitifs s'enfuyaient dans les hauteurs et y établissaient des communautés libres, les mocambos. En 1595, une grande révolte conduite par le « roi » Amador donna le coup de grâce à cette économie sucrière. 

Scène de rue à Lisbonne vers 1580, peinture flamande anonyme, La Fontaine du roi, Chafariz d?el Rey, collection Berardo.

L'Amérique en manque de main-d'œuvre

De leur côté, les Espagnols, dès qu'ils découvrirent les immensités du continent américain, entreprirent de cultiver les produits tropicaux prisés par l'aristocratie européenne : café, cacao, tabac... Ils se lancèrent aussi dans l'exploitation des riches mines d'argent et d'or du Pérou et du Mexique. Ils cherchèrent pour cela une main-d'œuvre nombreuse et soumise, corvéable à merci comme les serfs du Moyen Âge européens.

Ils firent d'abord appel aux Indiens des hauts plateaux. Mais ceux-ci ne supportaient pas les climats des basses terres tropicales ni les virus importés du Vieux Monde, comme la variole. Accoutumés par ailleurs à une existence autonome, ils ne toléraient pas d'être asservis.

Les colons, à défaut d'Indiens, recoururent à des travailleurs européens recrutés ou enlevés dans les bas-fonds ou les ports. ?Pourquoi ne les réduisait-on en esclavage ? Simplement parce que l'esclavage n'existait plus depuis très longtemps en Europe. À défaut, on les « engageait » pour des contrats de trois ans, en fait une forme d'esclavage consenti à durée limitée. Mais ces engagés ne supportaient pas la dureté du travail dans les plantations et les mines, ni surtout le climat et les maladies tropicales. Bien peu arrivaient vivants à la fin de leur contrat de trois ans.

Là-dessus, on est allé recruter des Africains. Le prédicateur espagnol Bartolomeo de Las Casas crut bien faire en recommandant cette solution pour remédier au mal-être des Indiens. Mais pourquoi des esclaves ? Parce que l'esclavage était sur le continent noir la seule façon d'exploiter les pauvres. N'existait ni le contrat ni le salariat. Cela dit, l'esclavage n'a jamais été lié à la couleur de peau. Pour les raisons susdites, tous les esclaves du Nouveau Monde se sont trouvés être des noirs ou des métis. Mais des Africains, des noirs ou des métis pouvaient aussi être affranchis, vivre en hommes libres et posséder eux-mêmes des esclaves.

Dès 1502, soit dix ans à peine après l'arrivée de Christophe Colomb, le Nouveau Monde hispanique avait commencé de recevoir des esclaves africains. Les premiers vinrent des plantations de canne à sucre de la péninsule ibérique elle-même. Puis, ce gisement se révélant insuffisant, les colons se tournèrent vers la source, le golfe de Guinée, domaine réservé des Portugais en vertu du partage du monde fulminé par le pape.

En 1516, une quinzaine d'années après la découverte du Brésil par Pedro Cabral, les Portugais avaient justement commencé d'y importer le système de plantations sucrières développé avec succès à Sao Tomé. 

La folie du sucre

À la fin du XVIe siècle, 300 000 captifs africains ont déjà été transportés en Amérique, dont la moitié au Brésil. Une  grande partie d'entre eux vient de Luanda, au royaume du Kongo (actuel Angola). Mais en Europe, où se diffuse l'addiction au sucre (et l'obésité qui va avec !), les Hollandais, les Anglais et les Français n'entendent pas laisser aux Espagnols et aux Portugais le monopole de ce fructueux commerce. Ils enlèvent aux Espagnols les îles des Antilles (à l'exception de Cuba et Porto-Rico) et y fondent leurs propres colonies sucrières.

Dans tous les ports importants de l'Atlantique, des armateurs lancent aussi des expéditions vers le golfe de Guinée en vue d'alimenter les nouvelles plantations en esclaves. Les gouvernements européens apportent leur concours à ce trafic en accordant des privilèges fiscaux aux compagnies et en semant des forts tout le long du golfe de Guinée. Une quarantaine au total entre le Sénégal et le Niger.

Les navires font escale sur le rivage guinéen, à l'abri de ces forts, et attendent, parfois pendant plusieurs mois, que des trafiquants africains leur amènent des captifs en nombre suffisant, souvent des « captifs de case » nés dans la servitude et donc plus dociles que des captifs de guerre. L'achat du « bois d'ébène », euphémisme pudibond donné au commerce d'esclaves, a tous les aspects d'un commerce ordinaire : les chefs et trafiquants africains qui en portent la responsabilité première en attendent une juste rémunération sous forme d'armes, d'alcool et de produits manufacturés.

Les planteurs des Amériques traitent leurs esclaves sans ménagement, non sans accorder un intérêt concupiscent aux femmes noires. D'où l'apparition d'une importante population métissée et d'une classe d'affranchis ou « libres de couleur ».

L'esclavage et le droit

Dès 1435, par la bulle Sicut Dudum, le pape Eugène IV a condamné explicitement l'asservissement des Guanches, premiers habitants des îles Canaries, par les Espagnols. Un siècle plus tard, en 1537, Paul III, révolté par la traite atlantique, réitéra la condamnation de l'esclavage... sans plus de succès.

Ces condamnations pontificales n'ont rien à voir avec la bulle Romanex Pontifex du pape Nicolas V, le 8 janvier 1454. Celle-ci encourage les expéditions conquérantes des Portugais le long des côtes africaines, vues comme un moyen de contrecarrer l'expansion ottomane, quelques mois après la prise de Constantinople. Elle ne fait référence ni à l'Afrique ni à l'esclavage.

Régisseur fouettant des nègres dans une propriété agricole, Jean-Baptiste Debret, 1828, musées Castro Maya Rio de Janeiro.Dans le Nouveau Monde, loin de la vieille Europe, les relations entre maîtres et esclaves restèrent donc dans un premier temps hors du cadre légal et donnèrent lieu à d'innombrables abus.

Au XVIIe siècle, désireux de limiter les abus sans renoncer pour autant à une source d'énormes profits, Français et Anglais commencèrent à réglementer l'esclavage et, ce faisant, à le légitimer.

Alban Dignat
Publié ou mis à jour le : 2024-09-13 19:18:06
christian bonsacquet (01-08-2016 18:36:47)

Sauf erreur, Bartolomé de Las Cases était lui-même colon lorsqu'il préconisa l'emploi d'esclaves amenés d'Afrique (comme cela se faisait déjà dans la péninsule ibérique, ainsi que le signale l'article). Il le regretta amèrement : "J'ai compris depuis que l'esclavage des Noirs était aussi coupable que celui des Indiens. Et je ne suis pas certain que l'ignorance où j'étais à cet égard et ma bonne foi me serviront d'excuse devant le tribunal de Dieu." Sa "bonne foi" était fondée sur le différentiel de mortalité qu'il avait observé entre esclaves indiens et esclaves africains. En tant que prédicateur, il a constamment combattu l'esclavage, en rappelant que tous les êtres humains sans exception sont créés à l'image de Dieu.

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