Le 16 juin 877, le roi carolingien Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, réunit à Quierzy-sur-Oise ses compagnons de combat (en latin comites, dont nous avons fait comtes). Il veut les emmener en Italie secourir le pape menacé par les Sarrasins. Mais ses compagnons rechignent à une nouvelle expédition. Ils appréhendent de quitter les terres qu'ils ont reçu mission de défendre !
Pour les rassurer, le souverain promet de ne pas leur enlever ces terres et de les laisser à leur héritier s'il advenait qu'ils meurent pendant l'expédition. Cette concession parachève la féodalité, un ordre social inédit, caractéristique de la chrétienté médiévale et fondé sur des liens personnel entre supérieur (suzerain) et inférieur (vassal).
Cette miniature montre Charles le Chauve béni par la main de Dieu, avec à ses pieds la personnification des principales provinces de son royaume. Elle est extraite du Codex aureus ou Évangile de saint Emmeran de Rastibonne (Bibliothèque de Munich).
L'hérédité en récompense des services rendus
Les prémices de la féodalité apparaissent à l'époque de Carloman et Pépin le Bref, fils de Charles Martel : à la faveur des conciles de 742 et 743 présidés par saint Boniface, il est demandé aux compagnons du souverain de servir celui-ci en contrepartie des biens qu'il aura confiés à leur garde, essentiellement des domaines terriens qualifiés de fiefs (du bas latin fevum qui désigne le bétail et viendrait lui-même d'un mot germanique fehu).
Les historiens voient dans cette disposition le premier exemple d'un engagement personnel de type vassalique.
En échange des services rendus et en contrepartie d'un hommage, les compagnons du souverain pouvaient pleinement jouir des revenus de leurs terres jusqu'à leur mort mais non pas les céder à leurs héritiers.
À Quierzy-sur-Oise, pour les amadouer donc, Charles le Chauve leur présente un capitulaire, autrement dit un texte réglementaire, par lequel il garantit les droits de leurs fils sur leurs terres au cas où ils viendraient à mourir pendant l'expédition.
Ce capitulaire de Quierzy-sur-Oise témoigne de la mise en place progressive d'une noblesse héréditaire et terrienne destinée à suppléer aux défaillances du pouvoir royal.
Au fil du temps, la plus grande partie de l'empire carolingien passe sous la tutelle d'un seigneur. Les grands barons délèguent à leur tour une partie de leurs terres à leurs compagnons. En échange, ces derniers leur rendent également hommage et les assistent à la guerre.
Il s'ensuit après l'An Mil une société fortement hiérarchisée où chaque noble est lié à son supérieur hiérarchique, appelé suzerain, par un engagement exclusif ; lui-même, appelé vassal (du bas latin vassus, serviteur), attend assistance et protection de son suzerain.
Il en résultera la « société féodale », fondée sur des allégeances personnelles du vassal au suzerain. Dans ce cadre, chacun a un suzerain qui est son supérieur hiérarchique, à l'exception du roi qui trône au sommet. Cet ordre social sera qualifié rétrospectivement par les historiens de féodalité (mot dérivé de fief ou peut-être du latin feudus, qui se rapporte à la confiance).
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Natacha Tlse (11-11-2020 18:00:39)
Un complément, pour appuyer mon message précédent :
https://youtu.be/hGz5czLY7IM?t=1180
En gros, Quiezry réaffirme le pouvoir de décider du roi, sauf que comme celui-ci mourra en Italie, cette "hérédité temporaire et d'exception" va devenir la règle… Quiezry n'est donc pas la naissance de la féodalisation mais seulement une étape.
Natacha Tlse (11-11-2020 17:28:21)
Le passage sur Quierzy est la version de l''historiographie traditionnelle. Elle est aujourd'hui remise en question comme l'atteste l'extrait de l'Histoire de France Belin sous la dir. de Joël Cornette :
"L’ensemble des dispositions a été conservé dans le très célèbre « capitulaire de Quierzy » qui prend
la forme d’une série de questions-réponses entre les fidèles et le roi : à la question,
posée au chapitre neuf, de savoir ce qu’il faut faire si un comte ou un vassal royal
meurt en Francie alors que son fils a accompagné Charles en Italie, le roi répond
qu’il faut considérer le fils comme l’héritier présomptif de la charge paternelle et qu’il
faut prendre des dispositions conservatoires pour administrer le bien en attendant
le retour du roi qui décidera.
L’historiographie traditionnelle a vu dans cette mesure l’origine de l’hérédité des
charges et des fiefs et en a fait un des fondements de la féodalisation conduisant à la
ruine du principe monarchique. En réalité, ce chapitre vise au contraire à maintenir
les droits du roi qui doit décider en dernier ressort ;" etc. (La France avant la France, page 410).
Erik (17-06-2018 15:20:07)
Notez qu'en espagnol, "feo" signifie vilain.
Voila, juste comme ça en passant :-)