Le 7 septembre 869 se déclenche dans les marais du bas Irak la grande révolte des Zendj (dico). Sous la conduite d'un meneur persan, Ali ben Mohamed, ces esclaves originaires d'Afrique noire vont mettre en péril le prestigieux empire arabo-persan de Bagdad et précipiter sa ruine.
La prospérité de l'empire abasside, fondé par Saffah un siècle plus tôt, reposait en effet sur des bases fragiles :
• l'impôt versé par les non-croyants (chrétiens, juifs...) dont le nombre tend à diminuer du fait des conversions,
• l'esclavage, sujet à des révoltes périodiques.
Il entame son déclin dès le début du IXe siècle, dans les dernières années du règne du calife Haroun al-Rachid, sous l'effet de l'incurie administrative, des tensions religieuses entre chiites et sunnites mais aussi des injustices sociales et des révoltes d'esclaves !
Le joyau de l'Empire
Le bas Irak ou basse Mésopotamie, anciennement Sumer, a donné le jour aux premières cités de l'Histoire. C'est une vaste région alluviale et marécageuse d'environ 50 000 km2 où se rejoignent le Tigre et l'Euphrate. Fertile et bien arrosée par les deux fleuves, elle est surnommée Sawad (« Terres noires ») par les Arabes. Mais elle est régulièrement menacée par les crues fluviales et la salinité des eaux de surface. Aussi doit-elle faire constamment l'objet de grands travaux d'assainissement.
Dès leur mainmise sur l'empire perse, les califes omeyyades ont donc soin d'assainir le Chott al-Arab. Moawiya (Mu'awiya), au pouvoir à Damas en 661, confie la tâche à son directeur du cadastre, Allah ibn al-Darradj.
C'est ainsi qu'il recrute de nombreux esclaves noirs appelés Zendj (d'un mot arabe qui désigne les Africains ; on écrit aussi Zandj ou Zenj). Ces esclaves sont le plus souvent achetés dans le bassin du Nil à des chefs locaux ou des marchands. Grâce à ces esclaves, il fait construire ou remettre en état les digues et les canaux de drainage. Il s'ensuit une augmentation conséquente du domaine arable et l'apparition d'immenses plantations de canne à sucre qui appartiennent aux riches notables de Bagdad et assurent de copieux revenus au Trésor.
Révoltes noires
Dès 689, on signale une révolte parmi les esclaves employés à la construction des villes comme Bassorah ainsi qu'à l'assèchement des marais et dans les plantations. Elle est réprimée avec la plus extrême brutalité.
Cinq ans plus tard, en 694, sous le califat d'Al-Haggag, survient une nouvelle révolte, mieux préparée. Elle réunit les esclaves du bas-Irak ainsi que des déserteurs de l'armée du calife et des esclaves affectés à la garde des troupeaux au Sind, en Inde. Ils se choisissent un chef surnommé Shir Zendji (le « Lion des Zendj »). En dépit d'une victoire initiale qui voit la troupe omeyyade taillée en pièces et son chef mis à mort, les révoltés sont écrasés par une armée constituée de contingents venus de toutes les provinces, sous le commandement de Kuraz al-Sulami. La région s'en trouve une nouvelle fois dévastée.
Le calife Al-Haggag n'en reste pas là. Il remet en chantier les digues et les canaux. Mais les travaux sont éprouvants et la main-d'oeuvre rare. Les esclaves africains ne suffisant pas à la tâche, le calife force les villageois qui ont fui la région à y revenir pour les y faire travailler. Il fait venir aussi des captifs de la province indienne du Sind, les Zott.
La « mère » des révoltes
Un siècle et demi plus tard, en 869, survient au même endroit la plus mémorable de toutes les révoltes d'esclaves. Elle germe dans une période d'anarchie consécutive à la mort du calife el-Moutawakkil, en 861, assassiné par sa garde turque.
N'en pouvant plus d'être maltraités, les Zendj s'insurgent à l'appel d'un agitateur musulman venu de Perse, un certain Ali ben Mohammed surnommé Sahib al-Zandj (le « Maître des esclaves »). Poète à la cour du calife, il appartient à la secte égalitariste des kharidjites, se dit descendant du calife Ali et se présente comme le Mahdi, l'ultime envoyé de Dieu.
Sous sa conduite, les esclaves s'emparent des villes de la région et mettent en déroute plusieurs armées. Par un cruel retour de bâton, leurs prisonniers subissent le sort autrefois réservé aux esclaves, torturés, mutilés, massacrés ou asservis.
Les vainqueurs en arrivent à fonder un embryon d'État avec sa capitale, une ville nouvelle du nom d'al-Mukhtara, ses tribunaux et sa monnaie, un dinar d'or, selon le chroniqueur arabe al-Tabari, contemporain des événements. Le 7 septembre 871 enfin, ils triomphent avec la prise de Bassorah, capitale du bas-Irak.
À Bagdad, l'inquiétude est à son comble. On craint que les Zendj en viennent à menacer Bagdad. Les califes successifs mobilisent toutes leurs armées et repoussent méthodiquement les rebelles vers les marais. La résolution des anciens esclaves noirs fléchit d'autant plus que le « Mahdi » Ali ben Mohammed tend à les reléguer au bas de l'échelle sociale et à ne prêter d'égard qu'à son entourage blanc.
En novembre 883 enfin, les armées du calife ont raison des rebelles. Ali ben Mohammed et ses officiers sont tués ou exécutés. La plupart des anciens esclaves meurent les armes à la main. Des milliers s'enfuient dans le désert où ils meurent de soif ou sont capturés par les Bédouins. Mais une partie des survivants, reconnus pour leur combativité, sont intégrés dans les armées du calife.
La révolte des Zendj aura en définitive coûté 500 000 à 2,5 millions de victimes ainsi que le rappelle l'historienne Catherine Coquery-Vidrovitch (Le livre noir du colonialisme, page 649, Robert Laffont, 2003). Elle ébranle les fondations de l'empire arabo-persan.
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