Le 15 août 778, l'arrière-garde d'une armée franque est attaquée dans les Pyrénées occidentales par des montagnards basques au retour d'une campagne contre les musulmans d'Espagne.
Quelques chefs sont tués, dont le comte Roland, l'un des fidèles du roi Charles Ier, futur Charlemagne. Ce fait militaire sans importance va beaucoup plus tard donner naissance au plus célèbre récit de la littérature médiévale.
La Chanson de Roland, dont il ne nous reste qu'une version de 4002 vers en dialecte anglo-normand, est un peu l'équivalent de l'Iliade pour les Francs et l'ensemble des Occidentaux. Ce poème épique exalte les vertus chevaleresques, magnifiées par le « beau Moyen Âge », celui des XIIe et XIIIe siècles (amour, honneur, défense de la foi, vaillance, fidélité, amitié).
Les Francs traversent les Pyrénées
Le roi des Francs Charles n'était pas encore devenu l'empereur Charlemagne que déjà il combattait sur tous les fronts, de l'Elbe (Allemagne) à l'Ebre (Espagne), pour consolider ses possessions... et faire progresser la foi chrétienne.
En 777, le gouverneur musulman de Saragosse, le wali Sulayman ibn al-Arabi, se présente devant le roi en son palais de Paderborn, en Saxe (aujourd'hui dans le Land de Wesphalie). Il se plaint de l'émir de Cordoue Abd er-Rahman Ier, qui rejette l'autorité du calife de Bagdad et bénéficie du soutien de l'empereur de Byzance.
Or, le roi des Francs, bien que chrétien, partage avec le calife une commune hostilité à l'égard de l'empereur chrétien qui règne à Byzance. Il se dit qu'en intervenant contre l'émir de Cordoue, il rendrait service au calife de Bagdad Al-Mansour, adversaire du basileus byzantin. Charles juge d'autre part utile de soulager la pression qui s'exerce sur les roitelets chrétiens qui résistent tant bien que mal à l'émir de Cordoue dans leurs refuges pyrénéens ou cantabriques.
C'est ainsi qu'au printemps 778, Charles se rend en Espagne avec son armée. C'est la première fois que les Francs traversent les Pyrénées. L'une de leurs armées s'installe à Pampelune, l'autre, à l'est, s'empare de Barcelone et Gérone.
Déception et retour
Le roi rencontre en Espagne une situation très différente de celle qu'il imaginait.
Les chrétiens, comme dans tout pays musulman, ont un statut de « protégé » (dhimmi en arabe) qui les oblige à payer de lourdes taxes. Mais ils ne sont pas pour autant en rébellion ouverte contre les occupants et ces derniers, très minoritaires, se montrent accommodants avec leurs sujets. Difficile dans ces conditions de se présenter en libérateur. D'autant plus que le wali de Saragosse a été remplacé avant l'arrivée de Charles par un homme hostile aux Francs.
Tandis que l'émir Abd er-Rahman Ier monte à la rencontre des Francs avec son armée, Charles apprend que le chef saxon Witukind s'approche du Rhin. Il n'a plus qu'une hâte : se sortir du guêpier espagnol et courir sus aux Saxons. Après avoir fait raser les défenses de Pampelune, le roi reprend donc le chemin du nord.
Au passage des Pyrénées, les hommes et les bêtes empruntent en file indienne le col de Roncevaux aux pentes escarpées. Les montagnards de la région, des Basques insoumis, en profitent pour attaquer et piller une colonne de ravitaillement, à l'arrière-garde de l'armée. Ils se dispersent aussitôt sans laisser au roi le temps de se retourner.
Naissance d'une légende
Cet incident est signalé dans les Annales royales, chronique du règne de Charlemagne, et dans la biographie de ce dernier par le moine Eginhard : Vita Caroli Magni, rédigée un demi-siècle plus tard. Il évoque la mort de quelques nobles dont le comte Roland, obscur préfet de la marche de Bretagne, tout en soulignant la perfidie basque : « Charles, ayant placé aux endroits convenables des garnisons le long des frontières, attaqua l'Espagne avec toutes les forces dont il disposait. Il franchit les Pyrénées, reçut la soumission de toutes les places et de tous les chateaux qu'il rencontra sur sa route et de rentra sans que son armée eût subi aucune perte, à ceci près que, dans la traversée même des Pyrénées, il eut, au retour, l'occasion d'éprouver quelque peu la perfidie basque : comme son armée cheminait étirée en longues files, ainsi que l'exigeaient l'étroitesse du passage, des Basques, placés en embuscade - car les bois épais qui abondent en cet endroit sont favorables aux embuscades -, dévalèrent du haut des montagnes et jetèrent dans le ravin les convois de l'arrière ainsi que les troupes qui couvraient la marche du gros de l'armée ; puis, engageant la lutte, il les massacrèrent jusqu'au dernier homme, firent main basse sur les bagages et finalement se dispersèrent avec une extrême rapidité à la faveur de la nuit qui tombait. Les Basuqes avaient pour eux en cette circonstance la légèreté de leur armement et la configuration du terrain, tandis que les Francs étaient desservis par la lourdeur de leurs armes et leur position en contrebas. Dans ce combat furent tués le sénéchal Eggihard, le comte du Palais Anselme et Roland, duc de Bretagne, ainsi que plusieurs autres. Et ce revers ne put être vengé sur le champ parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel point du monde il eût fallu les chercher » (traduction de Philippe Sénac, Charlemagne et Mahomet, Folio).
C'est seulement grâce à l'épitaphe du sénéchal Eggihard que l'on va pouvoir fixer la date de cette embuscade au 15 août 778. Trois siècles plus tard, les troubadours, poètes itinérants, se saisissent de cet événement insignifiant pour lui donner une dimension épique. Ce sera la Chanson de Roland, plus célèbre poème du Moyen Âge.
Coup d'envoi de la Reconquête
Quoique infructueuse, l'intervention du futur Charlemagne en Espagne donne le coup d'envoi à la Reconquista (reconquête en espagnol), autrement dit à la reconquête de la péninsule ibérique par les chrétiens.
Ce combat long et difficile se conclut sept siècles plus tard par l'éviction du dernier roi musulman de la péninsule ibérique (on parle de cette reconquête comme de la première croisade engagée par les chrétiens d'Occident contre les infidèles).
Vos réactions à cet article
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Michael (15-08-2023 01:04:39)
Pardon pour Saxe et Westphalie, mais le nom de Saxe fait référence à la région de peuplement des Saxons sous Charlemagne (l'arbre sacré Irminsul, abattu par Charlemagne, est localisé à 30km de ... Lire la suite
Gallet (15-08-2021 13:36:00)
Bonjour, Paderborn n'est pas en Saxe mais en Westphalie
kourdane (23-03-2014 18:59:23)
je ne m'inscrirai pas dans une polémique perceptible ! mais je rappellerai que le statut de l'indigénat a persisté dans les colonies françaises jusqu'en 1947.... Travail forcé et soumission all... Lire la suite
LABORDE Jacky (13-08-2012 22:12:35)
Les pentes ne sont pas si escarpées que cela est dit ici! D'autant plus que ,à partir du col ,le chemin évident et le plus façile reste,en demi-pente!Par contre,c'est vrai depuis pas si longtemps,... Lire la suite
Senec (17-08-2008 20:32:29)
Sujet : excursion de Charlemagne en Espagne. "Les chrétiens, comme dans tout pays musulman, ont un statut de «protégé» (dhimmi en arabe) qui les oblige à payer de lourdes taxes. Mais ils ne son... Lire la suite