25 octobre 732

Charles Martel arrête une razzia arabe

Le 25 octobre 732, le chef des Francs, Charles Martel, arrête une armée arabe au nord de Poitiers. Les vaincus se retirent. C'en est fini des incursions musulmanes en Aquitaine.

Cette bataille sans grande importance militaire va néanmoins obtenir presque aussitôt un très grand retentissement dans les milieux instruits. C'est ainsi qu'une chronique espagnole à peine postérieure décrit l'événement comme une victoire des Européens sur l'infidèle. C'est la première évocation connue de l'Europe comme civilisation et culture...

André Larané

Charles Martel à la bataille de Poitiers, composition fantaisiste de Charles Steuben (XIXe siècle, musée du château de Versailles)

Menace sur l'Aquitaine

En 711, soit à peine 80 ans après la mort de Mahomet, les musulmans avaient atteint l'Espagne. Ils traversent la péninsule en huit petites années et occupent en 719 le Languedoc actuel. Cette province, entre les Pyrénées et le Rhône, s'appelle alors Gothie, en souvenir des Wisigoths, ou Septimanie, d'après ses sept villes principales (sa capitale Narbonne, Agde, Béziers, Nîmes, Maguelone, Lodève et Elne).

Les nouveaux-venus sont arrêtés à Toulouse, en 721, par le duc Eudes d'Aquitaine. Ils tournent alors leurs regards vers l'est et prennent Nîmes et Arles en 725. La même année, ils lancent une fructueuse razzia sur la riche abbaye d'Autun, en Bourgogne.

Le duc d'Aquitaine, pendant ce temps, ne reste pas inactif. Il veut contenir la menace d'un retour offensif des musulmans d'Espagne et pour cela, s'allie au gouverneur berbère de la Septimanie, un musulman du nom de Munuza, en révolte contre ses coreligionnaires du sud des Pyrénées.

Pour consolider l'alliance, Eudes lui offre sa fille en mariage (les préjugés religieux étaient alors moins virulents qu'ils ne le deviendront à la fin du Moyen Âge). Mais l'alliance tourne court car Munuza est tué en affrontant le gouverneur d'Espagne Abd er-Rahman (on écrit aussi Abd el-Rahmann ou Abd al-Rahman).

La minute d'Herodote.net

Richard Fremder vous raconte la bataille de Poitiers :
Écouter

Les Francs au secours des Aquitains

Ayant vaincu et tué son rival Munuza, le gouverneur d'Espagne occupe la Septimanie. Il n'en reste pas là et décide de lancer une expédition contre les Aquitains. Il n'a aucune intention de conquête mais veut simplement mettre la main sur les richesses du sanctuaire de Saint-Martin, essentiellement de belles étoffes et des pièces d'orfèvrerie offertes par les pèlerins.

Charles Martel, Grandes Chroniques de France. BL Royal MS Royal 16 G VI f. 118v. En agrandissement : Lithographie représentant Charles Martel, maire du palais de 717 à 741. À la tête de ses troupes, composées d'Arabes et surtout de Berbères fraîchement convertis à l'islam, Abd er-Rahman marche vers Tours.  Il profite de ce que le duc d'Aquitaine, pendant ce temps, est occupé à contenir les Francs.

Eudes regarde comme des « barbares » ces guerriers lourdement armés, pour la plupart à pied. Il n'empêche qu'ils viennent de franchir la Loire et menacent ses possessions. Leur chef Charles est issu d'une puissante famille franque d'Austrasie (l'Est de la France), les Pippinides. Il exerce les fonctions de maire du palais (ou « majordome ») à la cour du roi mérovingien, un lointain descendant de Clovis. Quelques années plus tôt, il a refait l'unité des Francs en battant ses rivaux de Neustrie à Néry.

Eudes craint avec raison que Charles ne tourne désormais ses ambitions vers le sud de la Loire et l'Aquitaine. Mais face à l'avancée des musulmans, qui ont pris Bordeaux et Agen, traversé la Dordogne et pris Périgueux, il n'a plus guère le choix. Dans l'urgence, il appelle Charles à son secours. L'autre accepte sans se faire prier, après que le duc lui eut juré fidélité. L'armée aquitaine fait sa jonction avec les contingents francs d'Austrasie et de Neustrie. On suppose que l'effectif total est d'environ 30 000 guerriers.

Bataille indécise

Confronté à l'approche des Francs et des Aquitains, Abd er-Rahman, qui vient de piller l'abbaye de Saint-Hilaire, près de Poitiers, doit interrompre sa marche. Les ennemis se font face à Moussais, sur la commune de Vouneuil-sur-Vienne, entre Poitiers et Tours.

Pendant six jours, les cavaliers musulmans, montés sur des chevaux nerveux et rapides, se contentent de quelques escarmouches et attaques contre les chrétiens, essentiellement des piétons francs, burgondes et aquitains.

Les Francs, qui n'ont pas encore adopté les étriers, une invention des Avars grâce auquel les cavaliers acquièrent une grande stabilité sur leur monture et peuvent mettre toute leur énergie à manier leurs armes. Pour l'heure, leur force de frappe est surtout constituée de fantassins ou piétons avec boucliers, glaive, lance et armure.

Le 25 octobre 732, qui est aussi le premier jour du mois de Ramadan, les musulmans se décident à engager la bataille. Mais leur cavalerie légère et désordonnée se heurte au « mur infranchissable » que forment les guerriers francs, disciplinés et bardés de fer. Abd er-Rahman meurt au combat et la nuit suivante, découragés, ses hommes plient bagage et se retirent.

Un retentissement européen

À Poitiers, Charles Martel ne fait rien d'autre que d'arrêter une simple razzia arabe. L'affrontement retient néanmoins l'attention des chroniqueurs de l'époque, tant chrétiens que musulmans.
C'est ainsi que vers 754, une vingtaine d'année après la bataille, un chrétien anonyme de Tolède y fait référence dans une suite à l'Histoire des Goths et de l'Espagne, publiée un siècle plus tôt par Isidore de Séville.
Dans ce manuscrit intitulé Continuatio Isidoriana Hispanica, les Europenses (Européens en latin médiéval) sont constamment opposés aux Saraceni ou Ismaeliti, les Sarrasins ou Infidèles. C'est la première évocation connue de l'Europe comme civilisation et culture, ainsi que le souligne l'historien Claude Fouquet (Nouvelle Histoire d'Europe, 2013).

Triomphe des Francs

Charles ne s'en tient pas à cette victoire somme toute facile. Profitant de l'affaiblissement du duc Eudes, il s'empare des évêchés de la Loire puis descend en Septimanie et entame en 737 le siège de Narbonne. 

Le 25 octobre 732, les troupes du gouverneur omeyyade de Cordoue, Abd al-Rahman, sont défaites par l'armée dirigée par le maire du palais Charles Martel. Gravure coloriée de Job (1858-1931).Le gouverneur musulman d'Espagne envoie par la mer une armée au secours de la garnison. Elle remonte l'Aude en direction de Narbonne cependant qu'une troupe de cavaliers musulmans lui arrive en  renfort. Charles choisit de frapper ceux-ci. Il les surprend et les défait dans les gorges de la Berre, une rivière qui se jette dans l'étang de Bages-Sigean.

L'armée musulmane ayant battu en retraite, les Francs reprennent le siège de Narbonne mais la ville, bien fortifiée, résiste tant bien que mal. 

De dépit, Charles abandonne le siège et saccage consciencieusement les autres villes de la région. C'est peut-être à cette occasion que le chef des Francs, père de Pépin le Bref et grand-père de Charlemagne, aurait gagné le surnom de Charles Martel (« celui qui frappe comme [ou avec] un marteau »).

Il appartiendra à son fils, le roi Pépin le Bref, de conquérir Narbonne et de chasser définitivement les musulmans de Septimanie en 759, trois ou quatre décennies après leur arrivée.

Publié ou mis à jour le : 2022-05-04 13:56:43
PHD52 (24-10-2021 15:56:48)

Minimiser l'épopée arabo musulmane est dans l'air du temps. La réalité est qu'en à peine plus d'un siècle ils ont conquis les 2/3 d'un monde qui était à 100% chrétien "en brûlant tout sur leur passage" nous dit Ibn Khaldoum. Tout ça en partant d'un petit coin d'Arabie. Ça vaut largement les conquêtes de l'occident tellement décriées.

MLA (28-10-2017 22:57:23)

Le duc Eudes d'Aquitaine, craignant les Barbares Francs , s'est allié à un musulman berbère du nom de Munuza, gouverneur de Septimanie ? Ce qui se révéla être une mauvaise alliance, puisque celui-ci mourut rapidement, tandis que les musulmans remontant d'Espagne s'emparaient de Bordeaux ?

Je trouve assez drôle l'écho de ce choix d'alliance quand on se souvient que Juppé-Eudes, maire de Bordeaux, s'est attiré le petit nom d'Ali Juppé !
Certes, ça n'a sûrement aucun rapport, mais, tout de même, c'est étonnant : Juppé connaît sûrement très bien cette histoire de Bordeaux et de l'Aquitaine.
Certes, Tarek Obrouk est toujours bien en vie, et certes je n'ai pas ouï dire que Juppé aurait marié une de ses filles avec un fils d'Obrouk... Mais, à notre époque d'écriture "interactive" où l'on aime laisser au lecteur le choix de la fin de l'histoire, on peut tout de même laisser notre imagination divaguer un peu...

Debarbieux (26-10-2017 08:24:41)

Bonjour, deux petites remarques :
Il y a eu 5 ou 6 ans après Poitiers une autre bataille entre les Maures et Charles Martel, sur les Rives de la Berre, près de Narbonne. Surpris par les Francs à l'heure de la prière, les Maures ont été battus et rejetés à la mer. Ils étaient venus d'Espagne pour encercler une autre armée franque qui... encerclait Narbonne occupée par les Arabes. Mais Martel ne libéra pas Narbonne ensuite et quitta la région, qui demeura soumise aux Arabes durant plusieurs décennies. Cette bataille marqua néanmoins la fin des velléités éventuelles de conquête par le sud, les Maures conservant les postes acquis (jusqu'à Ramatuelle, qui signifie en Arabe "terre bénie") et menant uniquement des razzias.
Autre remarque : vous parlez de première mention de l'Europe à propos de Poitiers. Pourtant, il me semble que chez Thucydide (Histoire de la Guerre du Péloponnèse, livre 1), cet auteur grec fait mention d'une victoire des Européens contre les Perses, rejetés de l'autre côté du Bosphore. Il existe déjà, au Siècle de Périclès, la perception d'une identité commune non-orientale.
Belle journée à tous !

Epicure (25-10-2017 14:35:37)

Personne n'évoque jamais le Pourquoi et Comment les "armées" arabes ont effectué ces "conquêtes aussi aisément....pendant ne période fort longue sur 6 siècles Hégire >>>1492...tant à l'ouest qu'à l'est de l'Europe? Le Relais pris par les Ottomans jusqu'en 1683, demeure plus intelligible...

nadal (23-10-2012 09:01:10)

GROSSE BATAILLE ENTRE FRANCS ET SARRASINS SUR LES RIVES DE L AUDE A 15 M DE NARBONNE sur la commune de Villedaigne 11200. En 1970 nous avons déterré de nombreux restes de cette bataille, chevaux, sarcophages, restes d'armes etc. Cette découverte a été faite dans mes vignes lors du défoncement pour replantation. Des archéologues de Narbonne sont venus constater et ont confirmé les traces de cette bataille gagnée par les sarrasins. La bataille a du s 'étendre dans une plaine de quelques Km2.

sincyr (22-12-2008 10:52:28)

je vous conseille de lire le livre "La chaussée des martyrs" quand la Gaule écrasa les sarrasins, paru aux éditions Dualpha.

bezef (19-10-2006 06:09:55)

Si vous passez à proximité du site, faites un détour afin de visiter le mémorial. Il vous donnera une véritable idée de ce qui s'est passé, grandeur nature, et avec les commentaires!Stratégie, géographie, anecdotes locales,etc.. sont bien décrites. Si vous fermez les yeux, vous pouvez presqu'entendre les bruits de sabots et les combats; ne révons pas, il s'agit simplement de la sonorisation du site !

Le Prieur (08-09-2006 17:45:22)

Un an après Poitiers, les restes de l'armée sarrazine refluant vers la Narbonnaise, leur base arrière, filent vers le Sud de la France, et veulent passer à gué la Dordogne, près du site actuel de Martel.
Se reposant dans la combe de Louchapt, juste au Nord du futur site de la ville, les guerriers sont encerclés par les troupes franques conduites par l'Evêque de Limoges, Cessateur, chassées vers le Nord-Est de la combe où sont de grandes falaises, d'où s'écrasent pêle-même chevaux, hommes, cul par dessus tête.
Et plus jamais on n'entendit parler de cette armée !!!
Ce fut la célèbre, mais méconnue Bataille de Louchapt, objet de pélerinage pendant plusieurs siècles après l'évènement.

Michel Lévy (01-06-2006 17:38:15)

Dans son livre sur Pépin le Bref, Ivan Gobry affirme que la bataille de Poitiers s'est en réalité déroulée en octobre 733 et non pas 732. Qu'en pensez-vous ?

bibibibaby (28-05-2006 22:27:07)

Je trouve cet article très bien fait. Il résume bien les choses. Il me servira pour mes cours. Merci bien et bonne continuation.

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