Le 31 décembre 406, de nombreuses bandes de barbares franchissent le Rhin. Ils profitent de ce que le fleuve, cet hiver-là, est gelé pour le traverser à pied. C'est la plus importante vague d'immigration qu'ait connue l'empire romain depuis ses origines.
Tandis que les historiens français qualifient de Grandes Invasions l'entrée en masse des Germains dans l'empire romain, via le Danube ou le Rhin, leurs homologues allemands préfèrent parler de Völkerwanderung ou « migration des peuples ».
Quoi qu'il en soit, ces déplacements de populations n'impliquèrent que quelques centaines de milliers de personnes. Encore s'agissait-il de Germains des bords de la Baltique ou de la mer Noire, autrement dit d'« Européens » proches par la géographie et la culture des habitants de l'empire romain.
Une intégration difficile
Les premières alertes sérieuses ont débuté au milieu du IIIe siècle, avec la mort de Dèce en 251 en Pannonie, face aux Goths. C'est le premier empereur romain mort au combat en affrontant des Barbares. En 260, l'empereur Valérien est capturé par les Perses sur la frontière orientale et tué à son tour. Dans le même temps, la Gaule, délaissée par l'administration romaine et victime d'incursions armées, se donne un empereur dissident en la personne du général Postumus...
L'Empire est enfin restauré dans sa plénitude par des empereurs à poigne issus d'Illyrie (la Dalmatie actuelle), à commencer par Aurélien, en 274. Sur ordre de celui-ci, les Romains évacuent en 275 les champs Décumates, la région d'entre le Rhin et le Danube, pour raccourcir leurs lignes de défense. La Dacie (la Roumanie actuelle) est abandonnée aux Goths.
L'empire retrouve un semblant de santé. Dans le siècle qui suit, la pénétration des barbares dans le vieil empire romain se fait de façon surtout pacifique, des immigrants se faisant embaucher comme légionnaires ou comme travailleurs agricoles pour combler les vides causés par la diminution des naissances.
La montée des périls
En 376, la situation s'aggrave brutalement... Cette année-là, les Wisigoths, poussés par les Huns qui arrivent des steppes de l'Asie, franchissent le Danube et demandent à l'empereur d'Orient Valens le droit de s'installer dans l'empire comme « fédérés » (en quelque sorte des alliés ou des supplétifs).
L'empereur ne peut faire autrement que d'accepter. Il leur concède le droit d'asile, leur offre la Mésie (la Bulgarie actuelle) et, lui-même étant arien, les encourage à se convertir à cette forme de christianisme. Mauvaise idée : cela va rendre plus difficile le ralliement des Barbares à l'empire, majoritairement catholique.
En attendant, lesdits Wisigoths ne tardent pas à se soulever pour protester contre l'insuffisances des aides qui leur sont accordées et contre les exactions des fonctionnaires romains. Valens est tué en les affrontant sous les murs d'Andrinople le 9 août 378.
Son successeur Théodose Ier se voit obligé de concéder aux Wisigoths la Mésie à titre définitif. Il donne aussi à leurs alliés Ostrogoths la Pannonie (la Hongrie actuelle) avec le droit de conserver leurs lois et leurs armes.
Une invasion en masse
En 395, à sa mort, l'empereur Théodose Ier divise l'empire entre les deux fils selon une pratique déjà très usitée par les empereurs du bas-empire mais nul ne se doute que ce partage-là sera définitif. Sur l'Occident (capitale : Ravenne) règne Honorius et sur l'Orient (capitale : Constantinople) Arcadius.
Avant de mourir, Théodose a confié la tutelle des jeunes empereurs au général Stilicon, fils d'un officier vandale rallié à Rome ! Celui-ci maintient tant bien que mal l'ordre en Occident, notamment face au Goth Radagaise qui tente d'envahir l'Italie en 406. Radagaise est battu et tué à la bataille de Fiesole par Stilicon.
Ce dernier ne va pas avoir le temps de se réjouir de ce succès. Pour affronter Radagaise, il a dû en effet dégarnir la frontière du Rhin. Le 31 décembre 406, des bandes de Vandales, Francs, et autres Germains profitent de ce que le fleuve est gelé et n'est plus défendu. Elles le franchissent à pied sec et pénètrent en Gaule sans rencontrer de résistance.
Les nouveaux-venus s'installent là où ils peuvent et font souche. On évalue leur nombre à 400 000 environ, dont 100 000 guerriers. Parmi eux un quart de Francs Ripuaires, presque autant de Vandales et de Burgondes, des Alains, des Suèves etc.
L'empire romain d'Occident dans lequel ils pénètrent compte pas moins de 25 millions d'âmes mais il n'est défendu que par une poignée de soldats professionnels guère motivés : 136 000 limitanei ou soldats des frontières, en grande majorité des Germains mal dégrossis, et 113 000 comitatenses ou soldats de l'intérieur, encore moins combatifs que les précédents.
Malgré la disproportion des effectifs, les envahisseurs n'ont donc pas de peine à s'enfoncer jusqu'aux extrémités de l'empire et à s'y établir des principautés. De la Gaule, une partie d'entre eux, les Vandales, passent en Espagne et atteignent même le territoire de l'actuelle Tunisie. En 416, Honorius en est réduit à demander aux Wisigoths de rétablir l'ordre et doit en contrepartie leur offrir un établissement indépendant en Gaule, autour de Toulouse. Un précédent suivi dix ans plus tard par l'octroi aux Vandales d'un établissement en Afrique. La décomposition de l'Occident est dés lors bien engagée.
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Dès le IIIe siècle, les Romains se montrent impuissants à contenir l'invasion des Germains. Ces derniers sont eux-mêmes poussés en avant par les Huns.
Mais ces derniers ne font qu'une apparition dans l'empire romain à l'agonie, tandis que s'y installent définitivement les envahisseurs germains, donnant souvent le nom de leur tribu à un pays ou une province : Alamans (Allemagne), Burgondes (Bourgogne), Francs (France), Lombards (Lombardie), Vandales (Andalousie).
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Olivier Guignard (12-02-2017 21:12:56)
Bonjour Lancelot,
Je constate qu'aucun érudit n'a tenté d'apporter réponse à vos questions. Alors je me permets d'apporter un petit éclairage tiré d'un livre fascinant que je suis en train de lire: Frankopan, P., The Silk Roads, Bloomsbury, 2015. Voici ma traduction du passage en lien direct avec vos interrogations.
"L'arrivée des Huns mettait sérieusement en danger la partie orientale de l'Empire romain [...] Ne voulant courir aucun risque, l'empereur Théodose II entoura [Constantinople] de formidables défenses [...].
Ces murs, et l'étroite bande de mer séparant l'Europe de l'Asie s'avérèrent cruciaux. Après s'être installé juste au Nord du Danube, Attila ravagea les Balkans pendant quinze années, extorquant d'importants tribus du gouvernement de Constantinople en échange de son renoncement à pénétrer plus avant [...] Après avoir extrait tout ce qu'il pouvait des autorités impériales [...] il poursuivit vers l'Ouest, jusqu'à ce que sa progression soit stoppée, non par les armées de Rome, mais par une coalition de nombreux anciens ennemis des Huns. Lors de la bataille des champs Catalauniques [...] en 451, Attila fut vaincu par une force qui incluait une étonnante variété de races issues des peuples des steppes. Le chef des Huns mourut peu après au cours de son mariage [par excès de célébration selon un témoin contemporain]."
J'espère que ce point d'entrée vous permettra d'explorer la question de manière plus complète.
Lancelot (29-12-2016 21:25:01)
Bonjour,
On a toujours expliqué la chute de l'empire romain par "les invasions barbares". Quels que soient les termes utilisés pour qualifier ces grands mouvements migratoires, il me semble qu'on n'a pas vraiment d'explication sur le fait que, comme vous l'indiquez, "les Huns ne font qu'une apparition dans l'empire romain à l'agonie".
Il est surprenant de voir que ces fameux Huns n'aient pas poussé plus loin leurs occupations, alors qu'ils étaient manifestement en position de force et ne semblaient pas faire dans la dentelle. L'épisode de la résistance avec Sainte Geneviève à Lutèce est notable, mais est-ce suffisant? Manque d'intérêt, projets avortés... ?
A-t-on des explications plus complètes?
Merci pour vos précisions,
Lancelot