Le 20 mai 325, Constantin Ier réunit à Nicée le premier concile oecuménique de l'Histoire en vue de condamner la doctrine d'Arius, l'arianisme, et, plus important que tout, maintenir l'unité de la jeune Église.
Les chrétiens divisés
Comme le christianisme commence à s'enraciner dans les villes romaines (tout en restant très minoritaire), l'empereur ne veut pas que des querelles théologiques divisent les fidèles et affaiblissent la cohésion de son empire.
Or, vers 320, un prêtre d'Alexandrie nommé Arius s'est mis à prêcher une doctrine hétérodoxe. Il professe que Jésus-Christ et le Saint Esprit sont subordonnés à leur créateur, Dieu le Père. Selon lui, Jésus serait né homme et ne serait véritablement devenu Fils de Dieu qu'au jour de sa résurrection.
Arius met ainsi en cause l'un des fondements de la religion chrétienne, le dogme de la « Sainte Trinité », à savoir un Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Selon ses contradicteurs, sa doctrine ouvre la voie à un polythéisme de fait, avec plusieurs divinités de rang variable. Elle enlève aussi beaucoup de signification à l'incarnation, à la mort et à la résurrection de Jésus, dès lors que celui-ci n'est pas pleinement Dieu.
L'évêque d'Alexandrie, Athanase, s'élève contre Arius en rappelant que le Fils est l'égal du Père et partage avec lui et le Saint Esprit l'essence divine. Arius est excommunié par l'évêque, c'est-à-dire exclu de l'Église. Il poursuit néanmoins sa prédication avec un certain succès.
Dans son palais de Nicomédie (aujourd'hui Izmit, au sud de la mer de Marmara), l'empereur Constantin Ier craint un schisme au sein de la nouvelle religion dominante qui mettrait à mal l'unité de l'empire. Pour l'éviter, il convoque un concile (d'un mot grec qui signifie réunion) à Nicée. La ville est située sur la façade orientale du Bosphore, à 50 kilomètres de Bursa et non loin de la résidence impériale. Elle s'appelle aujourd'hui Iznik.
L'empereur met la poste impériale à la disposition des chefs élus de toutes les communautés chrétiennes, les évêques.
Affermissement du dogme
C'est ainsi qu'à partir du 20 mai 325, à Nicée, se trouvent réunis pour la première fois des évêques de toute la chrétienté. Ils sont plus de 220 (la tradition retient le chiffre symbolique de 318). Parmi eux, une grande majorité d'évêques du Proche-Orient et d'Égypte...
On note seulement cinq évêques latins et plusieurs absents de marque dont l'évêque de Rome Sylvestre Ier - auquel sera plus tard réservée l'appellation de pape -, qui s'est fait représenter par deux légats.
Constantin Ier préside en personne à l'ouverture officielle du concile (bien que n'étant pas baptisé). Sous la conduite d'un évêque espagnol, Osius de Cordoue, l'assemblée va donner lieu à des affrontements de très haute tenue philosophique.
Les partisans d'Arius, au nombre de 22 seulement, considèrent qu'il ne peut y avoir d'équivalence entre Dieu le Père et son Fils Jésus-Christ. Celui-ci apparaît à leurs yeux comme un relais existant de toute origine entre Dieu et l'humanité. C'est une explication philosophique assez rationnelle de l'Évangile. Elle plaît aux théologiens de culture grecque.
Les extrémistes du bord opposé, Marcel d'Ancyre, Eusthate d'Antioche, Alexandre d'Alexandrie et le diacre Athanase, qui allait devenir patriarche d'Égypte, exigent une ferme condamnation des thèses d'Arius. Quelques Orientaux groupés autour d'Eusèbe de Césarée (Palestine) tentent de faire valoir un compromis en atténuant les formules des arianistes.
Finalement, la majorité des évêques et son porte-parole Marcel d'Ancyre réprouvent les thèses d'Arius. Ils s'entendent sur une nouvelle formulation dite théorie de la « consubstantiation » qui signifie que le Fils est consubstantiel au Père (en grec homoousios, c'est-à-dire « ayant la même essence »). Cette formulation s'exprime dans une nouvelle mouture du Credo (« Je crois »), appelée depuis lors « Symbole de Nicée ».
L'empereur Constantin prend acte de la défaite des arianistes. Il ordonne l'exil d'Arius ainsi que de la poignée d'évêques qui, au concile, sont restés fidèles à sa thèse. Parmi eux se trouve Eusèbe de Nicomédie.
En intervenant dans les querelles théologiques et en ouvrant en personne le concile de Nicée, l'empereur inaugure le « césaropapisme ». Ce mot traduit une forme d'allégeance des autorités religieuses à l'empereur, caractéristique de la chrétienté byzantine et orthodoxe. On la retrouve encore aujourd'hui dans les relations entre le chef de l'État russe et le patriarche de Moscou.
Le concile de Nicée de 325 ne s'en tient pas à des débats sur le dogme religieux. Il jette aussi les bases d'une organisation centralisée de l'Église fondée sur une stricte hiérarchie du clergé.
Auparavant, durant les trois premiers siècles de son existence, l'Église n'avait pas de clergé institutionnel ni d'organisation centralisée. Dans les villes, chaque communauté se donnait un évêque (du mot grec episkopos qui signifie surveillant). Si l'élu était marié, il conservait sa femme mais vivait avec elle « comme avec une soeur ».
À mesure qu'une communauté s'élargissait, l'évêque désignait des personnes pour le seconder auprès des fidèles les plus éloignés. Il choisissait ces personnes parmi des chrétiens âgés et réputés pour leur capacité à commenter les textes sacrés. Les impétrants étaient désignés par le mot grec presbuteros qui signifie vieillard et donnera en français le mot prêtre.
En s'élargissant aux campagnes environnantes, les communautés placées sous l'autorité d'un évêque prenaient le nom de diocèse, du grec dioikésis qui signifie administration. Ces circonscriptions, nées en Égypte, recoupaient les anciennes subdivisions administratives romaines.
Résurgence et mort de l'arianisme
Le concile de Nicée se conclut dans l'euphorie. L'unité du dogme semble préservée. En fait, on va s'apercevoir rapidement que l'arianisme est resté vigoureux.
Constantin lui-même fait revenir Arius de son exil dix ans après le concile et se fait baptiser par l'évêque arien Eusèbe de Nicomédie sur son lit de mort, en 337. Ses successeurs Constance et Valens se rallient à la doctrine d'Arius de même que la plupart des Barbares implantés dans l'empire romain.
C'est seulement en 380, au concile de Constantinople, que l'empereur Théodose établit le catholicisme comme religion d'État. Au siècle suivant, au concile de Chalcédoine, les évêques renouvellent la condamnation de l'arianisme et y ajoutent une condamnation des doctrines opposées de Nestorius et du monophysisme égyptien.
Tandis que l'arianisme résistait de la sorte en Orient et séduisait les tribus barbares implantées un peu partout, la doctrine catholique de Nicée triomphait pour sa part dans les populations romanisées de l'Occident romain, grâce à la prédication vigoureuse de Hilaire de Poitiers.
Parmi les Barbares, seuls les Francs de Clovis eurent le bon goût d'ignorer Arius. Tardivement christianisés, ils passèrent directement du paganisme au catholicisme avec le baptême de leur chef à Reims. Plus proches de leurs sujets gallo-romains grâce à cette conversion, ils acquirent de la sorte un avantage politique décisif sur les autres Barbares qui leur valut de dominer l'Occident pendant plusieurs siècles.
La liturgie catholique conserve le souvenir des luttes entre théologiens au concile de Nicée. Les fidèles ont accès indifféremment à deux Credo (« Je crois »), qui sont les résumés de leur foi.
- Le premier, le plus ancien, est appelé Symbole des Apôtres. Il laisse planer une équivoque sur la nature du Fils de Dieu :
Je crois en Dieu, le Père tout-puissant
créateur du ciel et de la terre
Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur
qui a été conçu du Saint Esprit,
est né de la Vierge Marie, (...).
- Le second, appelé Symbole de Nicée, est plus explicite. Il souligne à l'envi la nature consubstantielle du Père et du Fils :
Je crois en un seul Dieu,(...)
Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ,
le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles :
Il est Dieu, né de Dieu,(...)
Engendré, non pas créé, de même nature que le Père ; (...).
Depuis le concile de Constantinople de 381, le Credo confirme la place du Saint-Esprit dans la Sainte Trinité, aux côtés du Père et du Fils. Dans sa version catholique il précise qu'il « procède du Père et du Fils » et non « du Père par le Fils ». Cet ajout, le Filioque, peu apprécié des évêques d'Orient, figurera bien plus tard parmi les griefs qui entraînèrent le schisme entre les Église de Rome et de Constantinople !
Vos réactions à cet article
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Roland Berger (22-05-2023 13:25:01)
Constantin intervient pour maintenir l'unité de l'Église en développement, unité qu'il sait nécessaire à celle de l'empire. Une mutuelle putasserie.
Joël (26-10-2022 14:38:46)
Qui a dit : "le Père est plus grand que moi"? Jésus Christ lui même cf Jean 14:28
Qui a dit " celui ci est mon fils que j'ai approuvé. Ecoutez le." ?
Dieu lors du baptême de Jésus.
Il y a donc bien deux personnes inégales. L'une est sans commencement, l'autre a été créée voir Colossiens chapitre 1.
Roland (14-12-2017 19:23:32)
Personnellement, je pense que le rejet de l'arianisme a entraîné les dérives que l'on sait :
- la Trinité divine me semble de facto un retour au polythéisme (cf.: la trinité hindoue) ;
- Jésus, Dieu fait homme, ne peut évidemment être conçu de manière naturelle, bien que la Nature soit oeuvre de Dieu ; sa mère est donc une femme surnaturelle, comme il en existe tant dans les religions antiques.
- "Marie, Mère de Dieu" : ainsi Dieu est issu d'une de ses créatures !!!
Constantin, le Saint-Esprit t'a oublié ou Tu ne l'as pas écouté !
C. Donnet (04-01-2017 21:33:19)
Dans l'insert "évêques, prêtres et clergé", vous avez oublié l'importance et les missions des diacres aux côté de l'évêque ("episkopos kai diakonois") à cette époque. Les diacres étaient très présents au cours des 5 premiers siècles, tant en Orient qu'en Occident. Le diaconat permanent a toujours été présent en Orient jusqu'à nos jours. Il a disparu en Occident à partir du 6ème siècle (dans sa forme du degré permanent, i.e. non en vue du presbytérat), mais a été restauré par le Concile Vatican II en 1964.
jacquesjg (21-05-2013 09:36:37)
Sous la rubrique résurgence et mort de l'arianisme , on peut lire :
«parmi les barbares, seuls les Francs de Clovis eurent le bon goût d'ignorer Arius»
Pourquoi "le bon goût" et ne pas écrire simplement "seuls les Francs de Clovis ont ignoré Arius" ?
Est-ce par inadvertance pour égayer le texte ou une prise de position de l'auteur dont l'ensemble de l'étude est fort intéressante ?
Jepajai64 (09-07-2010 18:55:18)
Je trouve cet article passionnant et éclairant. Mais je pensais que Nicée était d'abord et avant tout le concile où les textes officiels de la religion catholique ont été choisis, excluant de facto d'autres textes non reconnus.On peut admettre ou rejeter ces choix! Encore un grand merci pour vos contributions passionnantes.
Guy COTTE (15-05-2007 17:31:15)
La récitation du Credo à la messe, et sous la forme Filioque, est imposée pour l'Espagne par le concile de Tolède de 589. Réforme vraisemblablement introduite à Aix par Théodulf. Le concile de Cividale de 796 y est consacré; or, Cividale=Paulin d'Aquilae=Charles. Alors qu'à Rome, on ne récite le credo que dans la liturgie baptismale, et sans Filioque! Vos avis?
Georges Duvivier (02-06-2006 13:52:15)
Les débats du concile de Nicée, exprimés en un langage abscons, se sont cristallisés sur l'expression "Marie mère de Dieu" et l'opposition d'Arius qui professait "Marie mère du Seigneur" L'emploi de cette deuxième dénomination qualifiait son utilisateur d'hérétique. Ainsi le pape Paul VI qui emploie cette expression dans son encyclique "Deus caritas est" est un hérétique arianiste. Il y en a deux autres. L'un est moi-même, l'autre est l'empereur Constantin qui a reçu le baptême d'Eusèbe de Nicomédie, évêque arien.
J.-P. Lafaille (16-05-2006 13:05:43)
Une petite précision à propos de la phrase "En intervenant dans les querelles théologiques et en ouvrant en personne le concile de Nicée, l'empereur inaugure le «césaropapisme»."
En réalité, depuis Jules César, l'Empereur préside à la religion à Rome. En effet, déjà même avant qu'il occupe les plus hautes fonctions politiques, il avait été élu "pontifex maximus", titre que reprendront (parmi tant d'autres !) ses successeurs, Octave/Auguste, Tibère, etc.