C'est l'épilogue d'une campagne présidentielle chargée en rebondissements. Jair Bolsonaro, candidat ultra-conservateur, remporte les élections présidentielles du Brésil le 28 octobre 2018, pour une prise de fonction le 1er janvier 2019.
Cet ancien militaire nostalgique de la dictature est connu dans son pays pour ce que ses partisans appellent son franc parler et il n'a pas peur de choquer. Il assume des propos racistes, homophobes ou misogynes qui lui valent d’être comparé à Donald Trump ou au président philippin Rodrigo Duterte.
Pourtant, le retour de l'extrême droite au Brésil (210 millions d'habitants et septième économie mondiale avec un PIB de 2000 milliards de dollars) ne s'explique pas seulement par une vague mondialisée de populisme. Il s'inscrit dans l’histoire contemporaine du pays, marquée par d'incessants va-et-vient entre les extrêmes.
La dictature militaire (1964-1985)
Le 1er avril 1964, le Brésil connaissait un coup d'État militaire appuyé par la CIA (services secrets américains). Le président d'alors, João Goulart est destitué et contraint à l'exil. Les militaires prennent le pouvoir afin de protéger le pays de la « menace communiste » et de la corruption, arguments repris aujourd’hui encore par Jair Bolsonaro. Ils parviennent à mettre fin à des années de politiques sociales en faveur de l'éducation et d’une meilleure répartition des richesses.
À gauche, des groupes communistes résistent et organisent la guérilla. Dans leurs rangs, une jeune guerilliera, Dilma Rousseff deviendra bien des années après présidente du Brésil. Comme beaucoup de ses compagnons de lutte, elle est arrêtée pour terrorisme, emprisonnée et torturée. Les opposants politiques et représentants syndicaux sont espionnés et emprisonnés, comme un autre futur président Luiz Ignácio Lula da Silva. La presse et les artistes sont censurés, les populations indigènes oppressées.
Loin de cette minorité d’opposants, le pays bénéficie au même moment d'une période économique faste. L’urbanisation s’accélère et le système agraire traditionnel s’amenuise toujours plus au profit d’un modèle agro-industriel qui permet au nouveau pouvoir militaire en place d'exploiter les nombreuses ressources naturelles dont regorge le Brésil.
Dans l’ensemble, la population brésilienne, à condition de ne pas sortir du cadre imposé par la dictature, vit cette période comme un période de prospérité, de développement et de sécurité. Cette perception perdure encore aujourd’hui.
À partir de 1978, des grèves s'organisent pour réclamer la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés. Les dirigeants sentant le vent tourner font adopter une loi d'amnistie en 1979 pour les prisonniers, les exilés mais aussi pour les tortionnaires.
Réconfortés par le retour des exilés, les opposants politiques se félicitent de cette loi mais en réalité, cette habile manœuvre permet au pouvoir dictatorial de préparer l'après régime et en 1984, une transition démocratique s'opère sans violence apparente.
La bataille entre mémoire et oubli
Dans les années qui suivent, on reparle finalement peu de la dictature militaire et des crimes commis, jusqu’en 2003. Luiz Inácio Lula da Silva est alors élu président de la République brésilienne.
Cette victoire de l’ancien métallurgiste est vécue comme une humiliation par la classe économique dirigeante, héritière de la dictature. Sous la gouvernance du Parti des Travailleurs (PT), de vastes campagnes pour l’alphabétisation, l’accès au logement ainsi que des mesures sociales en faveur des classes les plus pauvres sont menées.
Sous cette présidence, commence à émerger l’idée d’une Commission de la vérité pour faire la lumière sur les crimes de la dictature comme dans tous les autres pays d’Amérique latine. Sauf qu’au Brésil, les militaires freinent le projet en dénonçant un désir de vengeance de la part du PT.
Finalement, sous la pression de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme et d’associations militantes, le projet voit le jour. Toutefois, ce qui devait être la « Commission nationale de la vérité et de la justice » deviendra la plus consensuelle « Commission nationale de la vérité » du fait de la loi d’amnistie qui protège toujours les tortionnaires. Pour le 50e anniversaire du coup d’état de 1964, le premier mémorial de la résistance est inauguré à Sao Paulo. Petit à petit, un travail de sensibilisation se met en place.
Mais celui-ci est freiné par la caste militaire qui a compris, avant même la transition démocratique, que sa place dans les institutions se jouerait entre mémoire et oubli. La quasi-totalité des documents d’archives a été ainsi « accidentellement » détruite. L’éducation civique est d’autre part maintenue sous contrôle, les écoles les plus prestigieuses étant des établissements militaires. Les médias, qui appartiennent pour l’essentiel à des hommes d’affaires, évitent pour leur part de questionner le passé dictatorial sous prétexte d’apaisement.
Lorsque la dictature est évoquée publiquement, elle est minorée. On la compare souvent à la dictature argentine et ses 45 000 morts et disparus, contre 430 recensés au Brésil. Un jeu de mot portugais fait de la « dictadura » (dictature) une « dictamola » qu’on pourrait traduire par « dictamolle » pour relativiser le régime autoritaire.
Dans ce contexte, chaque 1er avril, des nostalgiques défilent dans la rue pour célébrer l’anniversaire de ce qu’ils nomment « la révolution rédemptrice ». Tout cela a contribué dans l’opinion publique à dédramatiser la dictature et la perspective d’un nouveau régime fort.
Ainsi, quelque temps avant les élections, l’ancien capitaine Jair Bolsonaro, devenu conseiller municipal de Rio en 1988 pour le Parti démocrate chrétien puis député fédéral en 1991, a pu dire sans heurter grand monde que « l’erreur de la dictature avait été de torturer sans tuer ». Il s’est permis aussi de dire à la télévision, sous la forme d'une boutade, qu’une fois élu, il pourrait organiser un coup d’État !
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
patriquinho (01-11-2018 13:42:29)
Lula a été condamné pour corruption et blanchiment d'argent, à 9 ans en première instance, à 12 ans en appel, que les condamnations ont été confirmées par le tribunal supérieur de justice fÃ... Lire la suite
hthery (31-10-2018 11:06:17)
Dictamola ne se dit pas en portugais du Brésil, c est ditamole ou ditabranda
plessix (31-10-2018 10:16:01)
Si la prospérité et la sécurité avaient été maintenues sous Lula da Silva , jamais le peuple brésilien n'aurait élu cet homme qui représente l'époque vécue avec satisfaction par les électe... Lire la suite