27 février 2015

Les islamistes s'en prennent à leur patrimoine

L’organisation État islamique (Daesh), surgie du chaos moyen-oriental au printemps 2014, s'est retrouvée sur la défensive dès l'automne suivant. Or, l’Histoire nous enseigne que c’est lorsqu'un agresseur recule qu’il commet les pires exactions, que ce soit par vengeance ou pour « terminer le travail ».

De fait, le 26 janvier 2015, les islamistes étaient chassés de la ville de Kobané (Syrie) et un mois plus tard, ils s’attaquaient au musée de Mossoul en détruisant sous l'œil des caméras des statues assyriennes vieilles de plusieurs millénaires. Le 1er mars, les forces irakiennes lançaient une attaque massive contre Tikrit, menaçant l’État islamique au cœur et, le 5 mars suivant, les islamistes amorçaient la destruction des ruines de Nimroud (Kalkhu), l’ancienne capitale assyrienne, à grand renfort de bulldozer...

Avec ces exactions, c’est une partie de la mémoire de l’humanité qui disparaît. Nous nous proposons ci-après de rappeler toute la valeur de ce patrimoine en péril.

Vincent Boqueho
Vandalismes

Crétin besogneux en train de détruire un taureau ailé du musée de Mossoul (2015)Les exactions des crétins de l'État islamique bouleversent à juste titre tous les gens civilisés par leur mépris de tout ce qui donne sens à l'humanité et à la vie.

La médiatisation de leurs destructions relève de la provocation ouverte à l'égard de l'Occident qui a cru pouvoir imposer à l'ensemble de la planète ses représentations culturelles. Tout comme l'attentat de Charlie Hebdo, elle veut signifier que cette époque est révolue.

D'autre part, ces destructions, qui incluent des sanctuaires musulmans, expriment l'idéologie wahhabite imposée aux sunnites orientaux par nos « alliés » séoudiens au nom de la lutte contre les idolâtries. Elle a déjà motivé à Médine et La Mecque l'écrasement de tous les vestiges des premiers siècles de l'islam, les remplaçant par de hideuses copies des gratte-ciel new-yorkais et même de Big Ben ! Souhaitons que cette idéologie imbécile trépasse rapidement comme toutes celles qui, avant elle, ont fait oeuvre de vandalisme.

Daesch et le Croissant fertile

Le cœur du Croissant fertile

Le territoire dominé par Daesh, à cheval sur la Syrie et l’Irak, semble aujourd’hui situé dans des contrées marginales du Proche-Orient, à l’exception notable de Mossoul, deuxième ville d'Irak après Bagdad, avec environ deux millions d’habitants. La région est aride et sa principale richesse, le pétrole, rampe discrètement dans son sous-sol.

On en viendrait presque à oublier que cette zone, qui correspond à la Haute Mésopotamie, s’identifie au cœur du Croissant fertile, premier berceau de l’Histoire et de la civilisation. C’est là qu’eut lieu la première révolution néolithique dans le monde entre 10000 et 7000 av. J.-C., avec l’invention de l’agriculture (domestication du blé et de l’orge) et de l’élevage (domestication de la chèvre, du mouton, du bœuf, du porc…). La région abritait alors une densité de population exceptionnelle pour l’époque et constituait le berceau mondial des innovations.

À partir de l’invention de l’irrigation vers 6000 av. J.-C., la région perd son rôle central au profit du pays sumérien en Basse Mésopotamie (sud de l’Irak actuel). L’éclat de cités comme Uruk ou Babylone domine les débuts de l’Histoire.

Il faut attendre 1366 av. J.-C. pour que la Haute Mésopotamie retrouve le devant de la scène : sous l’impulsion d’un roi, Assur-Uballit, elle devient le puissant royaume d’Assyrie.

Culturellement proche de la Babylonie, elle s’étend en grande partie sur le territoire aujourd’hui contrôlé par Daesh. C’est à cette civilisation brillante vieille de plus de 3000 ans que les islamistes s’attaquent aujourd’hui, sans autre motif que l’éradication d'une culture qu'ils ressentent comme étrangère et qui dépasse leur entendement.

Même si les vestiges de cette époque ont déjà beaucoup souffert des affres du temps, ils forment encore aujourd’hui un précieux témoignage d’une civilisation impériale qui aura traversé plus de 700 ans d’Histoire.

Le souvenir de l'Assyrie se conserve aussi dans la communauté assyrienne, forte de plusieurs centaines de milliers de personnes en Irak et en Syrie. Elle continue de parler une langue proche de l'araméen, la langue du Christ, et de l'akkadien des anciens Assyriens. Elle reste surtout fidèle à la foi chrétienne qu'elle a reçue aux tous premiers siècles de notre ère.

Daesch et l'Assyrie

Les 4 capitales assyriennes

Les vestiges proviennent de quatre principaux sites archéologiques, qui furent tous des capitales assyriennes, et qui sont tous situés le long du Tigre sur une zone de 100 km environ. Les voici, par ordre chronologique :

- Assur :

Bas-relief du temple d’Assur (Esharra)Berceau de l’Assyrie, elle fut sa capitale pendant près de 500 ans, jusqu’en 879 av. J.-C. Son prestige fut tel qu’elle resta la capitale religieuse de l’Assyrie même après cette date.

Ce rôle politique et religieux se retrouve dans la nature des vestiges qui nous sont parvenus, généralement en mauvais état de conservation : d’une part les palais, d’autres part les temples. Parmi eux, l’Esharra constituait le temple central de toute l’Assyrie.

De 1070 à 900 av. J.-C., l’Assyrie traverse une période agitée. C’est le roi Adad-Nirari II qui finit par restaurer la puissance du pays, ouvrant la période dite « néo-assyrienne ». Assur est alors abandonnée politiquement au profit des trois capitales suivantes.

- Kalkhu (Nimroud) :

Elle est choisie comme nouvelle capitale en 879 av. J.-C. par Assournazirpal II, et le restera pendant 172 ans.

Elle s'étend sur pas moins de 360 hectares, à l'intérieur de 13 kilomètres de murailles en briques.

Les palais y prennent une nouvelle dimension, en accord avec l’expansion territoriale de l’empire assyrien. C’est à ces palais et aux taureaux androcéphales chargés d'en assurer la garde que les islamistes se sont attaqués le 5 mars 2015.

Parmi les vestiges au sort incertain figure aussi la célèbre stèle du banquet d'Assournazirpal, conservée au musée de Mossoul. Elle raconte en caractères cunéiformes un banquet offert par le roi à plusieurs dizaines de milliers de convives.

Nimroud ou Kalkhu ?

Les liens entre les Hébreux et la Mésopotamie sont forts : ainsi le mythe du Déluge est d’origine sumérienne, et le personnage mythique d’Abraham est originaire d’Ur en Basse Mésopotamie.

Vestiges de la ziggourat de Nimrud, peut-être détruits en 2015 par DaeschLe récit biblique appelle Nimrod le premier roi sur terre après le Déluge. Babel (Babylone) est présenté comme une capitale de son royaume où il fait édifier sa célèbre tour ou ziggourat. La Bible lui attribue également la fondation de Ninive et Kalkhu, plus au nord en Assyrie.

On voit que ce mythe prête une origine aux principaux centres de pouvoir de la Mésopotamie à l’époque où il fut conçu.

Bien plus tard, en référence à ce récit, le nom de Nimroud fut donné à la cité de Kalkhu, qui possède elle aussi une ziggourat (temple en forme de pyramide à degrés). Ce nom est donc nettement postérieur à l’époque assyrienne.

 Entrée du palais d’Assurnazirpal à Nimrud (détruit en 2015 ?)
- Dur-Sharrukin :

C’est une capitale très éphémère fondée par le roi Sargon II, l’un des principaux empereurs conquérants de l’Assyrie, près de l'actuelle cité de Khorsabad. Elle ne subsista que deux ans et resta inachevée.

Pourtant, à la fin des années 1980, le palais de Sargon livra parmi les plus riches vestiges de cette civilisation, notamment les bijoux et la vaisselle d'or d'Aliya, l'épouse du roi.

Taureau ailé issu du palais de Sargon II à Dur-Sharrukin (musée du Louvre)
- Ninive (aujourd'hui un quartier de Mossoul) :

C’est la dernière capitale assyrienne, de 705 à 612 av. J.-C., et aussi la plus célèbre. Elle correspond à l’apogée de l’empire assyrien, qui s’étendait jusqu’en Égypte sous le règne d’Assourbanipal.

La ville se distingue par des murailles, des palais et des temples aux dimensions colossales. Son éclat fut tel qu’elle fut souvent confondue avec Babylone par la suite. Les célèbres jardins suspendus de Babylone, jamais retrouvés, se trouvaient d’ailleurs sans doute à Ninive en réalité.

L’éclat de Ninive est aussi connu par le biais de la Bible, la population d’Israël ayant été déportée en Assyrie en -720 (bien avant le règne de Nabuchodonosor, qui déporta la population du royaume de Juda à Babylone). Cela explique l’emplacement de la tombe du prophète Jonas, vénéré par le Coran comme par la Bible, dans la ville de Mossoul (la Ninive moderne). Une mosquée ayant été érigée sur la tombe de ce prophète, celle-ci fut détruite par les islamistes le 24 juillet 2014.

Enfin, Ninive est célèbre pour sa « bibliothèque », recueil de trente mille tablettes découvertes au XIXe siècle, incluant la célèbre épopée de Gilgamesh et un récit du Déluge bien antérieur à la version hébraïque.

La porte Adad (remparts de Ninive)

Heureusement, seule une infime fraction de la richesse archéologique de Ninive/Mossoul se trouvait dans cette ville au moment où elle fut conquise par les islamistes. De nombreuses pièces issues des ruines de Nimrud, Dur-Sharrukin ou Ninive ont été récupérées de longue date par différents musées dans le monde (Londres, Paris, Berlin…).

D’autre part, les plus précieuses pièces de collection du musée de Mossoul ont été transférées au musée de Bagdad peu avant que les islamistes ne s’en emparent. Hélas, les vestiges les plus massifs, eux, sont restés sur place, et risquent bien d’y disparaître définitivement.

Des vestiges vieux de 5000 ans : la ville de Mari

Statue d’un dignitaire de Mari, 2400 av. J.-C. (Musée du Louvre)Outre les cités assyriennes, deux autres villes sont menacées par les islamistes de Daesh. La première est Mari, située sur l’Euphrate, dans l’actuelle Syrie, près de la frontière irakienne.

Cette cité prospéra bien avant la naissance de l’Assyrie, puisqu’elle fut fondée vers 3000 av. J.-C. et devint le cœur d’un puissant royaume s’étendant le long de l’Euphrate à partir de 2500 av. J.-C. Elle connut des hauts et des bas avant d’être définitivement détruite par le roi Hammourabi de Babylone, en 1760 av. J.-C.

De nombreuses œuvres artistiques ainsi que des tablettes très instructives sur la vie de l’époque ont été retrouvées dans ses ruines. Le principal vestige reste aujourd’hui le palais de Zimrî-Lîm, qui date de la fin de la période.

La deuxième cité menacée est Hatra, à 110 km au sud-ouest de Mossoul. Premier site irakien inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, Hatra était il y a deux mille ans la capitale d'un royaume arabe vassal de l'empire parthe. Elle avait résisté victorieusement aux assauts des Romains avant de tomber vers 250 aux mains des Sassanides, vainqueurs des Parthes.

Sur plus de 300 hectares, la cité conserve de splendides vestiges dont le temple Shamash Maran, dédié au Soleil, dans une architecture d'inspiration hellénistique.

Le temple Shamash Maran, à Hatra (Irak) en 2013
Publié ou mis à jour le : 2021-06-19 17:38:28

Voir les 4 commentaires sur cet article

Dini (16-03-2015 12:06:37)

Ils ne détruisent pas leur patrimoine ,et ne le revendiquent pas ainsi,puisque ce sont des oeuvres pré-islamiques.

Pierre Henri (11-03-2015 22:21:41)

Il me semble qu'il y a une erreur dans le titre. Ce n'est justement pas LEUR patrimoine qu'ils détruisent. C'est celui des impies, des prédécesseurs de l'Islam, mais en aucune manière le leur. ... Lire la suite

pmlg (11-03-2015 21:52:31)

Bonjour, C'est bien de réagir dans l'émotion. Et qui ne serait pas effaré par l'ampleur de ce désastre qui est en train d'effacer de la mémoire du patrimoine de l'humanité qui est à la croisé... Lire la suite

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