Dix ans après les spectaculaires attentats du 11 septembre 2001 commis par les islamistes d'al-Qaida, l'élimination du chef de l'organisation, Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011, a pu laisser croire que c'en était fini du terrorisme islamiste.
Mais dès 2013 émerge une nouvelle organisation terroriste au Moyen-Orient. Elle coagule différentes factions islamistes sous l'étiquette État islamique en Irak et au Levant (Daech ou Daesh en arabe). L'État islamique se fait connaître des Occidentaux en revendiquant la tuerie de l'aéroport de Bruxelles (quatre morts), commise le 24 mai 2014 par un franco-algérien, Mehdi Nemmouche. Mais il n'en reste pas à ce genre d'attentats.
Le mois suivant, il entre en action de façon spectaculaire au Moyen-Orient en profitant de la guerre civile en Syrie et de l'effondrement de l'État irakien suite à l'invasion américaine.
Avec quelques milliers d'hommes de diverses origines, bien armés et plutôt bien entraînés, Daech s'empare en quelques semaines des zones semi-désertiques aux confins de la Syrie et de l'Irak et surtout, les 10 et 11 juin 2014, des villes de Mossoul et Tikrit, à population majoritairement kurde. Les peshmergas kurdes profitent de la déconfiture de l'armée irakienne pour s'emparer de Kirkouk mais très vite le Kurdistan autonome d'Irak se voit lui-même assiégé par l'État islamique...
La construction d'un État improbable
Le 29 juin 2014, le chef de Daech, Abou Bakr el-Baghdadi, se proclame calife. Il affiche sa volonté de bâtir un État territorial sur les ruines du Moyen-Orient. En cela, il se distingue d'al-Qaida, qui privilégiait la guerre contre l'Occident impie.
Le Quatar et l'Arabie saoudite, dont les familles régnantes avaient jusque-là soutenues l'islamisme radical de Daech, s'inquiétent de ses ambitions territoriales. Ils apportent leur soutien aux Occidentaux qui, le 8 août 2014, commencent à bombarder les positions de Daech.
Privé, semble-t-il, des aides financières venues du Golfe Persique, l'organisation islamiste les compense grâce à la contrebande du pétrole local, via la Turquie, et au trafic d'oeuvres d'art. Elle taxe aussi les populations soumises à son autorité. Ces revenus inattendus lui permettent de s'approvisionner en armes lourdes auprès des déserteurs de l'armée irakienne, notamment en chars dernier cri fournis par les États-Unis !
Ainsi se mettent en place un embryon d'administration fiscale, une monnaie, une armée ainsi qu'un état-civil.
L'horreur absolue
Acculé par la coalition occidentale, Daech redouble de violence. L'organisation reçoit le soutien de plusieurs milliers de jeunes Européens désaxés, fils d'immigrés musulmans ou convertis. Elle diffuse des vidéos de décapitations d'otages et de prisonniers qui, par leur sadisme revendiqué, exercent une fascination morbide sur les jeunes déclassés des banlieues arabes et occidentales.
Le 3 août 2014, elle s'empare de Sinjar, principal bastion des yézidis, une communauté de langue kurde qui pratique une religion monothéiste vieille de quatre mille ans.
C'est le début d'un calvaire aux allures de génocide pour cette communauté d'un demi-million de personnes, qui vit plusieurs milliers de jeunes femmes et jeunes filles enlevées à des fins d'esclavage sexuel.
En octobre 2014, le groupe État islamique s'en prend à la ville syrienne de Kobané, en majorité peuplée de Kurdes. Alors se révèle la duplicité du président turc Erdogan.
Il interdit aux Kurdes de Turquie de se porter au secours de leurs compatriotes de Syrie, refuse aux avions occidentaux l'accès à ses bases et laisse bienveillamment circuler les convois à destination des islamistes ; tout cela avec le secret désir que Daech épure Kobané de ses habitants kurdes, de façon à couper les Kurdes de Turquie des Kurdes d'Irak et de Syrie.
Le groupe État islamique multiplie les horreurs : décapitation de prisonniers et même crucifixion de chrétiens en place publique. Il met en scène également la destruction du patrimoine antique. Pour lui, comme pour tous les musulmans intégristes, y compris les dirigeants wahhabites d'Arabie séoudite, l'art et le patrimoine sont maléfiques en ce qu'ils détournent de la contemplation de Dieu...
Sous la pression des rébellions de tous ordres, des armées syrienne et irakienne, des Kurdes et de leurs alliés américains, lentement, très lentement, le groupe État islamique desserre enfin son étreinte. La mort du « calife » Baghdadi puis la reprise de Rakka, sa capitale, par les Kurdes syriens et l'armée du président Assad, le 17 octobre 2017, mettent fin à son espoir de constituer un État territorial.
Survivance de la terreur
Baghdadi est remplacé à la tête de l'organisation par un djihadiste irakien d'origine turkmène, Saïd al-Mawla, qui sera lui-même tué par les Américains en février 2022. Bien qu'affaiblie et sans assise territoriale, l'organisation poursuit sa politique de terreur dans le monde musulman comme en Europe avec des branches plus ou moins autonomes dans les différentes régions du monde.
Dix ans après son entrée en scène, Daech conserve une grande capacité de nuisance comme le démontre le spectaculaire attentat de Moscou, le 22 mars 2024. Plusieurs djihadistes venus, semble-t-il, du Turkestan et notamment du Tadjikistan, ont pris d'assaut un centre de conférences, le Crocus City Hall, faisant plus de 130 morts et près de deux cents blessés.
Très vite, l'attentat a été revendiqué par la branche afghane de l'État islamique. Il laisse penser que Daech renoue faute de mieux (ou de pire) avec les pratiques terroristes qui étaient les siennes et celles d'al-Qaida avant la fondation de son éphémère « califat ».
Cet attentat revêt une signification particulière du fait de la guerre concomitante en Ukraine. Il témoigne de ce que, quoi que pensent et quoi que fassent le président russe Vladimir Poutine et les dirigeants occidentaux, les Russes demeurent des Européens comme les autres, héritiers d'une grande et belle civilisation commune qui leur vaut d'être assaillis par les mêmes porteurs de haine. Un jour prochain, sauf à tous disparaître, ils n'auront d'autre solution que de renouer leurs liens
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Philippe LAUWICK (02-04-2024 20:42:06)
@Jonas. Vous oubliez d'écrire que l'étude de la Fondapol précise que 91,2% des attentats islamistes ont eu lieu dans des pays musulmans. L'islamisme ne serait-il pas une guerre civile musulmane en... Lire la suite
jarrige (31-03-2024 22:46:11)
Réponse à Christian, Chercher refuge en Biélorussie pour les auteurs de l'attentat de Moscou ? Réfléchissez une seconde; la Biélorussie est l'alliée inconditionnelle de la Russie et du régim... Lire la suite
Christian (29-03-2024 04:39:50)
Rien ne prouve que les suspects se dirigeaient vers l'Ukraine puisque là où ils ont été arrêtés, ils pouvaient tout aussi bien se diriger vers la Biélorussie. De toute façon, leurs "aveux" év... Lire la suite