Le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio (76 ans), archevêque de Buenos Aires (Argentine), succède sur le trône de Saint Pierre à Benoît XVI, lequel a résigné sa charge le 28 février précédent pour des raisons de santé.
Il devient de la sorte le premier pape issu de la Compagnie de Jésus, le premier né hors d'Europe et aussi le premier depuis plus de mille ans à choisir un nom inédit, François.
Faut-il s'étonner que le pape se réclame de François d’Assise ? Nietzsche disait de celui-ci qu'il était « le seul disciple que Jésus ait jamais eu », rappelle Jean-Claude Barreau. L'essayiste note aussi que le nouveau pape est jésuite. Or, ceux-ci sont renommés pour leur énergie militante, surtout en Amérique du Sud, et pour leur « casuistique », c’est-à-dire une morale du moindre mal. Par exemple, l’avortement est un mal mais ce peut être le moindre mal pour certaines femmes. Enfin, « un pape qui aime le tango, l’opéra et le foot ne peut être foncièrement mauvais », ajoute Jean-Claude Barreau avec humour.
« Moi, François, pape normal »
Né de parents italiens le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, Jorge Bergoglio a été touché par la vocation à 17 ans. Il obtient un diplôme de technicien en chimie (!) avant d'entrer au séminaire puis au noviciat de la Compagnie de Jésus.
Dès son apparition à la loggia de la place Saint-Pierre, le soir de son élection, Jorge Mario Bergoglio se dit modestement « évêque de Rome », ville « qui préside à la charité des églises », selon une formule du 1er siècle.
Dans sa manière de congédier la foule d'un familier « Bonne nuit », le nouveau pape se présente immédiatement comme un pape « normal »... tout comme François (Hollande), élu quelques mois plus tôt à la présidence de la République française, se voulait un « président normal ». Loin des pompes pontificales, il manifeste son souci de revenir à la pauvreté du sermon des Béatitudes.
Originaire d'un pays, l'Argentine, qui s'est longtemps vu comme l'arrière-cour de l'Europe et en a adopté les modes intellectuelles, le souverain pontife se plaît à dénoncer le capitalisme néolibéral d'inspiration étasunienne.
François fustige aussi les goûts de luxe de certains cardinaux. Le 22 décembre 2014, lors d’une cérémonie de vœux, il rudoie publiquement les membres de la Curie (le gouvernement du Vatican) en les accusant de quinze maladies dont ils seraient atteints, de « l’Alzheimer spirituel » à « la schizophrénie existentielle » en passant par la « pétrification mentale et spirituelle » et la « maladie du visage funèbre » !
Des paroles sévères mais qui n'ont encore débouché sur aucune réforme perceptible sinon que le 16 juillet 2021, le pape s'est confronté aux catholiques traditionnalistes. Par un motu proprio (« de son propre chef ») intitulé Traditionis Custodes, il a remis en cause la faculté donnée par Benoît XVI aux fidèles et aux prêtres de célébrer la messe selon le rite de Pie V (emploi du latin et des chants grégoriens, prêtre face à l'autel et non face aux fidèles...). Les fidèles nostalgiques de cette messe à l'ancienne devront désormais obtenir l'aval de leur évêque.
La coqueluche des réseaux sociaux
À la différence de son prédécesseur, théologien réservé qui soupesait chacun de ses mots, le pape argentin s'adonne avec délectation à des entretiens improvisés avec la presse, en employant des formules qui déconcertent beaucoup de fidèles mais lui valent en contrepartie une immense popularité dans les médias et les cercles progressistes européens.
Le pape a affiché d'emblée son empathie pour les homosexuels, avec une formule pleine d'humilité : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? », déclare-t-il dans l'avion qui le ramène de Rio le 29 juillet 2013 (dans le même temps, toutefois, d'aucuns lui reprochent de trop temporiser dans la gestion des scandales sexuels qui ont affecté les clergés de plusieurs pays au cours des deux dernières décennies).
Dix ans plus tard, le 13 décembre 2023, la question homosexuelle, qui n'intéresse à vrai dire que les cercles progressistes (et athées) occidentaux, revient sur le tapis avec un énième motu proprio intitulé Fiducia supplicans pour autoriser les bénédictions de couples homosexuels. Le clergé africain s'en scandalise et les évêques eux-mêmes s'en irritent car, quelques semaines plus tôt, lors d'une grande assemblée synodale, ils avaient réaffirmé leur refus de ce genre de tolérance.
Le 19 janvier 2015, de retour des Philippines, le pape François évoque les femmes pauvres, victimes de grossesses multiples et use d'une brève de comptoir qui a choqué sans doute beaucoup de familles nombreuses (et épanouies) : « Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être bons catholiques, ils doivent être comme des lapins ».
Lors du retour des Journées Mondiales de la Jeunesse de Cracovie, le 1er août 2016, soucieux de dissocier le terrorisme de l'islam, il laisse tomber : « Si je dois parler de violences islamiques, je dois aussi parler de violences chrétiennes. Dans presque toutes les religions, il y a toujours un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons nous aussi », ajoutant curieusement : « Tous les jours quand j'ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu'un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ». Ce relativisme, qui fait l'amalgame entre des crimes contre l'humanité et des crimes plus ordinaires, sème le trouble.
Le 1er novembre 2016, dans un avion qui, cette fois, le ramène de Malmö (Suède), le souverain pontife tempère ses propos précédents sur l'accueil des immigrants : « On ne peut pas fermer le cœur à un réfugié, expliqua-t-il. Mais, tout en étant ouvert à les recevoir, les gouvernements doivent être prudents et calculer comment les installer. Il ne s’agit pas seulement de recevoir des réfugiés mais de considérer comment les intégrer. »
Ces nuances sont cependant très vite oubliées par le pape qui en remet une couche le 21 août 2017 dans un discours officiel et donc réfléchi : « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants et les réfugiés ». Il réclame des pays européens un accueil indifférencié de tous les migrants, avec « corridors humanitaires », « visas », etc. Et il enjoint aux responsables politiques de « toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale ! »
Le 23 septembre 2023, devant la basilique Notre-Dame de la Garde (Marseille), le pape évoque les migrants qui traversent la Méditerranée : « Nous ne pouvons pas nous résigner à voir des êtres humains traités comme des monnaies d'échange, emprisonnés et torturés de manière atroce ; nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l'indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu'elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C'est un devoir d'humanité, c'est un devoir de civilisation !... » Comment ne pas lui donner raison ! Il est insupportable en effet de laisser des gens se noyer ou aussi bien mourir de faim, se faire tuer à la guerre, etc. Mais que n'a-t-il ajouté : « C'est un devoir d'humanité de les ramener chez eux comme il doit en être de tout naufragé » ?
Ainsi le Souverain Pontife ne craint-il pas de sortir de son magistère spirituel pour donner des leçons de gestion publique ! Il demande aux dirigeants européens et aux fidèles d'ouvrir leur pays et leur maison à tous les migrants, en vertu d'une interprétation littérale de l'Évangile (« J'étais un étranger et vous m'avez accueilli », Mt, 25, 31-46. Disant cela, il fait fi de la différence de nature entre un étranger et une masse de centaines de milliers de migrants illégaux. Au demeurant, il néglige aussi la parabole dans laquelle un roi chasse du festin un invité qui ne portait pas le festin de noce (Mt 22,1-14) : l'hospitalité n'est pas inconditionnelle ; elle doit se mériter. Enfin, le pape François aurait pu rappeler combien il est immoral, sous prétexte d'humanité, de dépouiller l'Afrique de ses jeunes pour les exploiter dans des tâches serviles (manoeuvres, soutiers, etc.) ou mettre à profit leurs compétences professionnelles (médecins, ingénieurs, etc.).
En attendant, le pape reste muet sur les revendications de la nouvelle gauche occidentale qui prétend ouvrir toujours plus de « droits » aux individus : se marier avec une personne du même sexe et donner à ses enfants - adoptifs ou conçus par mère porteuse (GPA) - deux pères ou deux mères ; recourir à la chirurgie et à une pharmacopée lourde et pérenne pour se donner un sexe de substitution, bénéficier d'une assistance au suicide même en l'absence de maladie fatale, etc. Tous ces « droits », ce n'est pas un hasard, vont de pair avec l'ouverture de nouveaux marchés qui font commerce de l'être humain et profitent à l'économie néolibérale. Ils sont en rupture avec l'enseignement traditionnel de l'Église, qui n'avait pas craint dès le Moyen Âge de promouvoir les droits des femmes, condamner l'esclavage et dénoncer l'argent corrupteur. Mais le contexte n'est plus ce qu'il était : l’Église catholique est à ce point vilipendée en Occident qu'elle préfère se taire sur les sujets qui fâchent, y compris sur l'assistance au suicide et la théorie du genre.
À défaut d'avoir combattu ces dérives mortifères et païennes, le pape François pourra, au terme de son pontificat, se féliciter d'avoir fait reculer les catholiques traditionnalistes qui ont le front de vouloir entendre la messe en latin.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Jules (22-02-2024 08:16:30)
Que répondre à l'encyclique Fratelli tutti (Tous frères) du pape, le 4 octobre 2020, qui préconise en Europe l'accueil inconditionnel de tous les immigrants? Dans la Bible hébraïque, on croise ... Lire la suite
xuani (12-03-2023 18:02:50)
Est-ce bien au pape de dénoncer le terrorisme islamique? Je ne vois pas très bien que cela ait pour effet de faire cesser celui-ci... Il est peut-être normal que chacun balaie devant sa porte. Ce... Lire la suite
Titomige (03-10-2021 13:20:06)
Attention ! La confession des fautes et la contrition ne sont pas toujours nécessaire pour le pardon (même si c'est mieux évidemment). Les djihadistes auxquels certains catholiques pardonnent sont ... Lire la suite