Le 6 avril 2012, les rebelles touaregs déclarent unilatéralement l’indépendance de l’État d’Azawad au nord du Mali.
Cette revendication du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) puise ses racines jusque dans l’Histoire précoloniale. Elle a été réveillée par les événements survenus en Libye et l'arrivée d'anciens miliciens de Kadhafi, bien armés.
Les observateurs étrangers, qui avaient érigé le Mali en vitrine de la démocratie africaine, sont pris de court par l'insurrection. Ainsi le président français Nicolas Sarkozy n'avait-il pas eu de mots assez flatteurs en 2010 pour son homologue, le président Amadou Toumani Touré (ATT). En quelques semaines, les illusions vont se dissiper.
Les Berbères nomades du Sahel s’appellent entre eux imochar (au singulier) et imazeran (au pluriel) mais on les connaît surtout sous leur appellation arabe : targui au singulier et touaregs au pluriel. En français, on les désigne par le mot Touareg au singulier, Touareg ou Touaregs au pluriel. Dans la littérature coloniale, ces guerriers mythiques assimilés à des Blancs étaient qualifiés d’« hommes bleus », du fait que leur turban couleur indigo avait tendance à déteindre sur leur peau.
Affrontements sur la rive du Sahara
Le Sahel (mot arabe qui signifie rivage) est une zone de transition brutale entre le désert au nord et la forêt humide au sud. Ce contraste climatique trouve son corollaire dans le peuplement : les cultures du nord sont très distinctes de celles du sud. La ligne correspondant à 400 mm de précipitations annuelles apparaît comme une frontière naturelle de peuplement.
Les peuples du nord regroupent notamment les Arabes (en Mauritanie et au Soudan) et les Touareg (au Mali et au Niger), ces derniers appartenant au groupe des Berbères. Ils sont les héritiers d’un mode de vie largement nomade.
Les peuples du sud appartiennent au groupe nigéro-congolais (Sénégal, Mali, Niger) ou nilo-saharien (Tchad, sud-Soudan). Ils sont sédentarisés depuis longtemps (à l’exception des Peuls).
L’islam est très majoritaire dans tout le Sahel, que ce soit parmi les peuples du nord ou du sud. La séparation entre islam et christianisme est située plus au sud, et peut y entraîner d’autres conflits, comme au Nigeria, au sud-Soudan ou encore au Tchad. Dans ce dernier pays, les nomades musulmans du Nord l’ont emporté de manière définitive sur les Saras chrétiens et animistes du Sud dans les années 1970.
Une rivalité très ancienne
Les conflits qui opposent les Touaregs aux autres peuples du Mali datent de bien avant la période coloniale. La première vision détaillée de la région nous est offerte par René Caillié, qui fut le premier Européen à atteindre la ville mythique de Tombouctou et à en revenir vivant. La découverte eut lieu le 20 avril 1828.
Effaçons-nous un instant pour laisser place à sa description des peuples et de leurs relations : « La ville de Tombouctou est habitée par des nègres de la nation de Kissour ; ils en font la principale population. Beaucoup de Maures se sont établis dans cette ville, et s’y adonnent au commerce […]. Ils ont beaucoup d’influence sur les indigènes ; cependant le roi ou gouverneur est un nègre. […] Tous les habitants natifs de Tombouctou sont zélés mahométans. […]
Le commerce de Tombouctou est considérablement gêné par le voisinage des Touariks, nation belliqueuse qui rend les habitants de cette ville tributaires. Ces derniers, pour avoir leur commerce libre, leur donnent, pour ainsi dire, ce qu’ils demandent […] Les Maures ont pour les Touariks un profond mépris. Les Touariks sont riches en bestiaux […] ; ces peuples nomades ne cultivent point. Les Foulahs [Peuls] qui habitent aux environs du fleuve ne sont pas soumis à ces barbares […] : cette race est trop belliqueuse pour subir un joug aussi honteux. »
Déjà dans ce texte émerge l’opposition entre une population sédentaire dominante d’un point de vue démographique et politique, et des Touaregs nomades dominant militairement. L’islam est le point commun à tous ces peuples, même si les sédentaires noirs du Sud ont très longtemps résisté à l'islamisation apportée par les anciens trafiquants d'esclaves.
Les rébellions touaregs
La colonisation de la région par les Français a lieu dans les années 1880 et 1890, dans le prolongement de la victoire de Louis Faidherbe sur le conquérant peul El-Hadj Omar, en 1857. L'arrivée des Français met fin aux razzias des nomades peuls (au sud) et touaregs (au nord) sur les populations sédentaires mais celles-ci, Bambara, Dogon, Mossi, Djerma, Songhay et autres, n'en conservent pas moins une vive animosité à leur égard.
La colonisation offre à ces populations noires, en particulier aux Bambaras, l'occasion d'une revanche sur leurs ennemis traditionnels. C'est ainsi qu'ils servent dans l'armée coloniale, en qualité de « tirailleurs sénégalais » afin de pouvoir les combattre et les tenir en sujétion. Les Touaregs deviennent de la sorte le dernier peuple d’Afrique de l’ouest soumis à la colonisation française, en 1902.
En 1960, à l’occasion des indépendances, la puissance coloniale confie le pouvoir politique aux « peuples du sud », avec la création de pays comme le Mali et le Niger : cela fait ressurgir les revendications des Touaregs. Tenus en lisière du pouvoir, ils se rebellent en vain dès 1962 au Mali. Les gouvernements tentent de les sédentariser de force, notamment en saisissant leurs chameaux et leurs troupeaux au passage des frontières.
Ces nomades sont aussi les principales victimes de la désertification du Sahel, qui décime leur bétail dans les années 1970. La famine suscite une mobilisation sans précédent en Europe mais n’est guère relayée par les gouvernements malien et nigérien, qui laissent les nomades mourir de faim sur les routes de l’exode. Ce drame crée une source de tensions supplémentaire. De nouvelles rébellions éclatent dans les deux dernières décennies du millénaire : « guerres des sables » de 1990 à 1995 au Mali et au Niger, en 2006 au Mali, puis de 2007 à 2009 dans ces deux mêmes pays.
Les Touaregs sont au total moins de deux millions. Ils sont présents principalement au Mali et au Niger. Ces deux pays ont l’un et l’autre une population totale d’environ 15 millions d’habitants en croissance très rapide (2011), et une superficie d’environ 1,2 millions de km2 (plus de deux fois la France). Au nord du Mali, les Touaregs représentent environ le tiers de la population, à côté de nombreux autres groupes, parmi lesquels d'autres nomades « blancs » (Arabes) et des Songhaï.
La partition du Mali
L’insurrection de 2012 au Mali, qui a mené à la partition du pays, s’inscrit dans cette lignée. Elle se distingue toutefois par la rapidité et l’efficacité des insurgés :
• 17 janvier : début de l’insurrection du MNLA dans le nord du Mali
• 22 mars : un coup d’État militaire renverse le président Amadou Toumani Touré (ATT), arguant de sa faiblesse face aux rebelles touaregs après trois décennies au pouvoir. Cela ne fait qu’accélérer la décomposition de l’armée malienne.
• 30 mars : les combattants du MNLA s’emparent de la ville de Kidal. Ils s’emparent de Gao le lendemain et de Tombouctou le surlendemain.
• 6 avril : le MNLA ayant conquis l’ensemble des territoires revendiqués, il met fin aux attaques et proclame l’indépendance de l’Azawad, qui englobe toute la moitié nord du Mali.
L’accélération des succès rebelles par rapport aux précédentes insurrections est principalement due au coup d’État, qui a considérablement affaibli l’armée malienne. Il existe toutefois plusieurs autres raisons extérieures au Mali qui expliquent leur succès.
Le Soudan (ex-Soudan anglo-égyptien), plus vaste pays africain, a longtemps posé problème : l’écartèlement entre les peuples arabes musulmans du nord et les peuples nilotiques chrétiens du sud a provoqué une première guerre civile de 17 ans dès l’indépendance en 1956, puis une deuxième de 21 ans qui ne s’est achevée qu’en 2005. Le Sud-Soudan a finalement obtenu son indépendance en juillet 2011, suite à un référendum : la scission du pays est aujourd’hui internationalement reconnue. Cette officialisation, si elle apaise localement le conflit, crée en revanche un précédent qui tend à déstabiliser le reste de l’Afrique. En particulier, les Touaregs du Mali peuvent mettre en avant ce cas de « jurisprudence » pour légitimer la création de l’Azawad auprès du reste du monde.
Avec la fin de leur rébellion au Mali en 1995, certains combattants touaregs se sont retrouvés désœuvrés et ont rejoint l’armée du colonel Kadhafi en Libye. Après la chute du dictateur en octobre 2011, beaucoup sont rentrés au pays, emmenant avec eux des armes lourdes. Ces moyens humains et matériels supplémentaires ont permis de renforcer le MNLA. Il serait cependant hâtif d’affirmer que l’intervention en Libye a déstabilisé toute la région : beaucoup de combattants vivent de la guerre et se contentent de passer d’un pays à l’autre au gré des conflits. C’est d’autant plus le cas des Touaregs, de tradition nomade. Ainsi, la paix survenant à un endroit tend naturellement à renforcer les conflits dans un autre, par simple effet de vases communicants.
En 1998, la guerre civile en Algérie entraîne la création du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), branche dissidente du GIA (Groupe islamique armé).
Le GSPC élargit son domaine d’action vers les autres pays sahariens. En 2007, il devient AQMI, « Al-Qaida au Maghreb islamique » : ce changement de nom est principalement motivé par la terreur qu’inspire le nom d’Al-Qaida depuis 2001, ce qui est l’objectif premier d’une organisation terroriste. De fait, cette opération de « marketing » a parfaitement fonctionné auprès des médias occidentaux. Elle a aussi permis aux islamistes du Sahel de collecter avec succès des fonds auprès des Séoudiens en faisant valoir leur allégeance au wahhabisme, le courant intégriste auquel se réfèrent les dirigeants séoudiens.
AQMI est avant tout une organisation mafieuse et trouve un financement complémentaire dans les rançons obtenues en échange des otages capturés. Le Sahara lui offre un lieu idéal de repli. Le nord du Niger et du Mali sont particulièrement touchés par ses actions, ce qui tend à affaiblir ces deux pays.
Les mouvements islamistes recrutent de nombreux combattants motivés par l'argent bien plus que la religion. Ils apportent leur soutien aux Touaregs du MNLA mais, de façon prévisible, cette alliance contre-nature fait long feu. Le 27 juin 2012, les mouvements dérivés d’AQMI (MUJAO et Ansar Dine) attaquent Gao et chassent les indépendantistes touaregs de la ville. La guerre fait fuir une partie de la population malienne vers les pays voisins (Niger, Mauritanie, Burkina Faso), ce qui amplifie la crise alimentaire et l’instabilité politique dans tout le Sahel.
Les islamistes s'attirent une célébrité internationale en entamant la destruction de plusieurs mausolées à Tombouctou. Le drame humain provoqué par la guerre se double ainsi d’un drame culturel. Le nord du Mali est frappé d'une évolution « à la somalienne », avec la disparition de toute structure étatique et le partage du territoire entre des bandes armées.
À Bamako, les putschistes qui ont renversé le président ATT le 22 mars 2012, effrayés par leur audace, ont finalement accepté de restituer le pouvoir à des civils. Parmi eux un prestigieux scientifique de la NASA qui n'a pas tenu plus de quelques mois dans le marigot gouvernemental.
Mais l’armée malienne, qui n'a d'« armée » que le nom, se montre incapable de reprendre le nord du territoire aux rebelles touaregs et aux islamistes. La CEDEAO (Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest) ne paraît pas mieux outillée. Réduit à l'impuissance, le nouveau gouvernement, instable, inexpérimenté et corrompu jusqu'à la moelle, attend le salut de la France...
L'ancienne puissance coloniale se voit contrainte d'intervenir le 11 janvier 2013, après que les rebelles ont lancé une offensive vers Kona et Mopti, derniers verrous avant la capitale Bamako...
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Voir les 16 commentaires sur cet article
jacques (21-03-2013 09:03:25)
Très intéressant …mais quid de l’impact de tracé des frontières ...hérité de la période des colonisateurs et qui ne tint pas compte des zones d’influences des ethnies ainsi que des terri... Lire la suite
emery (30-01-2013 18:00:53)
Si comme ailleurs (les kurdes par exemple) on ne tient pas compte de l'aspiration des touaregs, nous partons pour un conflit qui se poursuivra longtemps et avec les risques de débordements par les te... Lire la suite
emery (30-01-2013 18:00:49)
Si comme ailleurs (les kurdes par exemple) on ne tient pas compte de l'aspiration des touaregs, nous partons pour un conflit qui se poursuivra longtemps et avec les risques de débordements par les te... Lire la suite