17 décembre 2010 - 14 janvier 2011

Révolution tunisienne

Le 14 janvier 2011, le président tunisien Ben Ali (75 ans) s'enfuit piteusement en avion vers l'Arabie séoudite, emmenant avec lui sa famille et ses trésors. Sa fuite est l'aboutissement des émeutes suscitées dans toute la Tunisie par l'immolation volontaire d'un jeune marchand ambulant, trois semaines plus tôt.

Réseaux sociaux aidant, ce renversement d'un autocrate dans le pays le plus avancé du monde arabe a aussitôt eu des répercussions dans plusieurs autres pays arabes, de la Lybie à la Syrie en passant par l'Égypte et Bahreïn.

Les démocrates occidentaux ont cru y voir une authentique révolution démocratique et sociale, la première qu'ait jamais connue le monde arabe. Célébrée avec enthousiasme tout autour de la Méditerranée, elle a toutefois fait long feu et conduit à des régimes plus brutaux que précédemment (Tunisie, Égypte), voire à un chaos meurtrier (Libye, Syrie).

André Larané

Tension

La Tunisie est un pays modeste de 11 millions d'habitants (2011) avec un PIB de 12 000 dollars/habitants. Sous protectorat français jusqu'en 1956, elle a ensuite été dirigée par Habib Bourguiba, qui a en particulier émancipé les femmes et laïcisé la société avant d'être mis au rancart par son Premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali en 1987.

En 2011, après 23 ans d'un pouvoir sans partage, celui-ci bénéficie plus que jamais du soutien des chancelleries arabes et occidentales, qui voient en lui le rempart contre une très hypothétique menace islamiste. Il est apprécié également des financiers pour sa gestion libérale du pays. En 2009, Dominique Strauss-Kahn, secrétaire général du Fonds Monétaire International (FMI), le félicite en ces termes : « La politique économique adoptée ici est une politique saine et constitue un bon modèle à suivre pour de nombreux pays émergents. »

Les uns et les autres font mine d'ignorer que le président, sa femme Leïla Trabelsi et leur gendre ont mis la main sur une grande partie des ressources du pays . Ils sont également aveugles sur le sentiment d'humiliation qui traverse toutes les couches de la société.

Les jeunes citadins bénéficient d'un niveau d'éducation appréciable, tant chez les femmes que chez les hommes. C'est un atout pour le développement du pays mais un inconvénient pour le régime car ces jeunes gens, qui cultivent des liens étroits avec leurs congénères émigrés sur la rive européenne de la Méditerranée, ont conscience de tout ce qui sépare l'autocratie tunisienne des démocraties occidentales et n'en peuvent plus de l'oppression policière, brutale et arbitraire.

Pour sa part, la classe moyenne issue du développement économique des dernières décennies supporte de plus en plus mal la corruption et la mainmise du clan présidentiel sur les entreprises du pays. Ces injustices sociales vont être aggravées et mises à nu par la crise économique mondiale... En ce sens, la révolution tunisienne apparaît comme la première conséquence géopolitique de la crise des « subprimes » de 2008.

Explosions en cascade

L'étincelle qui déclenche la Révolution est un jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi (26 ans). Ce diplômé réduit à de petits boulots s'immole par le feu le 17 décembre 2010, devant le governorat de sa ville, après qu'un policier eut saisi sa carriole.

La population, indignée, se jette dans la rue. La contagion gagne les autres villes avant d'atteindre la capitale, Tunis. Les jeunes manifestants contournent la censure grâce au recours à internet. Les consignes et les convocations aux manifestations sont transmises par Facebook. C'est une première mondiale en matière de révolution.

La répression policière fait plusieurs dizaines de morts sans arriver à restaurer l'ordre, face aux manifestants qui crient « Dégage ! » à l'adresse du vieux dictateur. Sollicité de faire intervenir les militaires, le chef d'état-major Rachid Ammar s'y refuse. L'armée prend le parti des manifestants. Il est vrai qu'à la différence de son homologue algérienne, cette armée n'a pas de prise sur le pouvoir et ne peut se prévaloir d'aucune « légitimité patriotique », n'ayant pas eu à mener une guerre d'indépendance.

Ben Ali comprend qu'il n'a plus de carte en main et s'enfuit le 14 janvier 2011. Mais déjà le soulèvement du peuple tunisien a fait des émules dans le monde arabe...

« Révolution tunisienne », un point c'est tout.

Il est regrettable que certains commentateurs se soient cru obligés de qualifier la Révolution tunisienne d'un nom de fleur, le jasmin. Quitte à se ridiculiser, autant rebaptiser la Révolution française : « Révolution du bleuet ». Notons d'autre part que le qualificatif de « Révolution du jasmin » avait déjà été attribué au coup d'État médical de Ben Ali (déposition de Bourguiba le 7 novembre 1987).
La Révolution tunisienne elle-même se compare moins à la Révolution française, une secousse majeure qui a rénové dans toute l'Europe des institutions millénaires, qu'à la révolution des « Trois Glorieuses » (26-27-28 juillet 1930) qui a renversé une monarchie réactionnaire et à bout de souffle après quinze ans de pouvoir. Par ses suites malheureuses, qui ont conduit à une autocratie pire que la précédente, elle se compare plus sûrement encore à la Révolution de Février en Russie...

Incertitudes

Il n'aura fallu en définitive que quelques semaines au peuple tunisien pour renverser son dictateur. Le plus difficile lui reste à faire : construire une démocratie moderne dans un contexte économique déprimé.

Élue en octobre 2011, l'assemblée constituante entame la rédaction d'une nouvelle Constitution mais ses travaux sont perturbés par l'agitation politique et le retour en force du parti islamiste d'opposition Ennahda, dont les dirigeants reviennent d'exil. En dépit de premiers succès électoraux, les islamistes sont en définitive évincés du pouvoir et la démocratie tunisienne se stabilise avec le vote le 4 janvier 2014 d'une Constitution résolument laïque, fidèle à l'héritage d'Habib Bourguiba, le fondateur de la Tunisie moderne. 

La révolution tunisienne, dès 2011, exacerbe les tensions politiques dans le reste du monde arabe bien qu'aucun pays ne réunisse des conditions aussi propices à une émergence de la démocratie : niveau d'éducation plutôt élevé, fort attachement à la laïcité et quasi-absence de la mouvance islamiste.

Il faut rappeler à ce propos que la Tunisie fait figure d'exception dans le monde arabo-sunnite. Elle a abrogé officiellement l'esclavage dès le 23 janvier 1846 (en avance sur la France !) et s'est dotée d'un régime parlementaire dès le 26 avril 1861. Après le protectorat français, elle a été à la pointe du combat pour la laïcité et l'égalité des sexes dans le monde musulman grâce à l'action éclairée d'Habib Bourguiba, le père de l'indépendance. Il a seulement fallu que son successeur Ben Ali s'accroche plus que de raison au pouvoir pour que tout bascule...  

L'Égypte et son potentat octogénaire, Hosni Moubarak, aussi apprécié des gouvernants occidentaux que l'était Ben Ali, ont fait les frais du coup de tonnerre tunisien. La démission d'Hosni Moubarak, le 11 février 2011, a été suivie d'une longue période d'incertitude, marquée par des confrontations entre les Frères musulmans, l'armée et la fraction laïque de la population citadine, mais aussi par de nouvelles violences contre la minorité chrétienne copte. Dans la crainte d'une guerre civile et/ou religieuse, il s'en est suivi un retour à la case départ avec la reprise en main du pays par l'armée et le général al-Sissi, soutenus par l'Arabie séoudite.

La Libye et la Syrie, à leur tour touchées par la vague insurrectionnelle, ont connu quant à elles de douloureuses guerres civiles dont on ne voit pas la fin.

En Libye, l'agitation a très vite pris des couleurs tribales et réveillé l'opposition entre les provinces de Tripolitaine et Cyrénaïque, avant que les maladresses de l'Occident et l'activisme des islamistes n'aboutissent au succès de ces derniers sur fond de chaos. En 2018, nul ne voit encore d'issue à ce conflit sauf à imaginer un ralliement des chefs de tribus au fils du dictateur déchu. Là aussi, comme en Égypte, l'issue raisonnable de la « Révolution » passerait par un retour à la case départ.

En Syrie, en 2018, on commence à entrevoir la fin du chaos né de la « Révolution ». Celle-ci était de fait illusoire. Considérant la mosaïque religieuse du pays, la démocratie ne pouvait en effet aboutir qu'à la dictature de la majorité religieuse sunnite, une hypothèse rejetée avec effroi par les chrétiens et les Alaouites. De fait, ceux-ci furent en nombre important massacrés ou acculés à l'exil.

L'illusion révolutionnaire de 2011, dont on taira par charité les échos iréniques dans la presse européenne et française, a abouti en définitive à une faillite dramatique dans l'Orient arabe (le Machrek). En Tunisie même, elle a seulement permis un retour très partiel à la démocratie d'antan.

Publié ou mis à jour le : 2024-08-29 17:22:05
vasionensis (15-01-2019 19:16:45)

"La Libye et la Syrie, à leur tour touchées par la vague insurrectionnelle ..." surtout touchées par l'agression occidentale! Votre "les maladresses de l'Occident" est un sommet d'euphémisme : s... Lire la suite

edzodu (14-01-2018 17:47:03)

Bonjour aux lecteurs de herodote.net Peut-être suis-je trop pessimiste mais il me semble illusoire en occident et en France en particulier, que les pays du « Machrek » tant leurs dirigeants... Lire la suite

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